Guerre aux hommes/04/14

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É. Dentu, Éditeur (p. 240-250).


XV

LES HOMMES QUI FONT MÉTIER DE COMPROMETTRE
LES FEMMES


Nous personnifierons, si vous le voulez bien, toute cette mauvaise et dangereuse catégorie d’hommes, dans la personne de M. de Nauville, qui est bien l’être le plus insupportable, le petit monsieur le plus agaçant qui soit au monde.

M. de Nauville est petit, les épaules fortes ; avec moins de politesse, on pourrait dire qu’il est légèrement bossu. Il porte fièrement une longue crinière blonde, rejetée en arrière ; ses yeux d’un bleu de potiche sont toujours fixés au plafond : il pense que cela lui donne l’air rêveur…

Il est un agréable phraseur, surtout un grand et riche collectionneur de phrases sonores et à effets ; il débite tout cela avec force minauderies et grimaces, et un petit air enchanté de lui-même.

M. de Nauville est donc un phraseur agréable, mais il a peu, bien peu d’esprit, et le peu qu’il en a est parfaitement antipathique. Ce qui l’est bien plus encore, c’est la somme énorme de suffisance qu’il possède, sans compter ses nombreuses manies dont la principale est de compromettre les femmes !…

Comment s’y prend-il, me direz-vous ? Il n’y a que les femmes qui le veulent bien qui sont compromises.

Eh bien ! notre petit monsieur a le talent de compromettre des femmes qu’il ne connaît même pas, des femmes qui ne savent même pas qu’il y a au monde un petit monsieur de Nauville… Comment il sy prend ?… C’est bien simple, un certain petit sourire lui suffit.

« Madame une telle est très-jolie, dit-on devant lui, » il sourit à sa façon.

On le regarde, et on lui dit naturellement : « Comment, vous la connaissez tant que ça ? »

Il sourit encore.

« Tiens, je n’aurais pas cru, lui dit un autre, j’aurais même juré que c’était une femme incapable de… de… »

Il répond par un troisième sourire…

On le quitte convaincu, à en mettre la main au feu, qu’il a été au dernier mieux avec la dame en question.

Quelle que soit la femme dont on parle, pourvu qu’elle soit à la mode par son nom, sa position dans le monde, sa beauté ou son esprit, M. de Nauville sourit ainsi ; seulement, comme il connaît tout Paris et va dans tous les mondes, il ne prodigue jamais ses sourires avec les mêmes personnes, car on finirait bien par lui dire : Ah mais, halte-là, ce n’est pas possible !… »

Que de femmes, bien innocentes, ont été compromises ainsi !

M. de Nauville s’approche-t-il dans un bal d’une jeune femme pour lui dire : « Voulez-vous me faire l’honneur, madame, de m’accorder une valse, » il se penche vers elle de telle façon, il roule ses yeux d’une si drôle de manière, que tout le monde croit qu’il lui débite une phrase du dernier tendre, et ce qui est pis, qu’il en a le droit…

Va-t-il chez une dame, le jour où elle reçoit, lui faire une visite d’un quart d’heure, il y a dans la manière dont il la salue, dont il lui baise la main, dans les phrases d’une politesse exquise et cérémonieuse qu’il lui débite… un je ne sais quoi de très-compromettant pour cette pauvre dame, quelque chose qui tend à dire aux gens qui sont là présents : « Voyez comme je suis cérémonieux avec elle, comme je joue bien la comédie devant vous !… »

Les femmes intelligentes qui voient ce petit monsieur, sentent cela d’instinct : elles en sont mal à l’aise, furieuses, exaspérées… mais que lui dire ?

Il est si poli et si cérémonieux !…

S’il y avait un fait à lui reprocher, passe encore… mais les nuances… rien d’insaisissable comme cela !…

Oh ! c’est qu’il n’est pas brave, M. de Nauville : il sait que pour un fait, on pourrait lui demander raison, tandis que pour une nuance, pour un sourire, allons donc… ce sont choses trop futiles, dit-on… et pourtant cet infernal sourire a terni plus de réputations de femmes, que les médisances et les calomnies de M. de *** ! Un homme ne peut aller le trouver et lui dire : « Monsieur, Je veux me battre avec vous et tâcher de vous tuer, parce que vous avez souri en entendant prononcer le nom de ma femme ! » Ce serait absurde.

Il le sait… et c’est pourquoi il sourit.

L’homme remplissant de hautes fonctions est pour lui comme une jolie femme. S’il le connaît assez pour se permettre de lui dire dans un salon : « Votre santé est-elle meilleure que l’an passé ? » Ou bien : « La saison s’annonce brillamment aux Italiens, » il le lui dit avec un petit air mystérieux, avec des mines discrètes… qui font croire à tout le monde qu’il est au mieux avec ce monsieur.

Balzac est son auteur favori dont il admire les préceptes ; il tâche de suivre de son mieux les conseils sages et délicats donnés aux jeunes gens qui veulent parvenir à tout prix. Bref, M. de Nauville est un sot petit monsieur, dont je prie Dieu de garder mes lectrices.




J’aurais encore bien des types à vous esquisser, les maris ! mari garçon, mari complaisant, mari jaloux, mari ambitieux, mari grincheux, vieux mari ; les mécontents, l’homme vautour, l’homme corbeau, l’homme renard, l’homme lion, l’homme paon, l’homme canard, le sot, le fat, le poseur, etc…, etc.

Mais mon imprimeur m’annonce qu’il ne faut plus de copie, si le public indulgent fait bon accueil à ce petit volume, je ferai de ces types-là un second ouvrage, sinon je me dirai que les hommes n’aiment pas qu’on leur dise leur vérité et je brûlerai les portraits qui me restent.