Guillaume Couture, premier colon de la Pointe-Lévy/3

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Texte établi par Tremblay & Dion, Inc., Mercier et Cie (p. 49-70).

III

Québec était fondé depuis quarante ans, et pas un seul colon ne s’était encore établi en face de la ville naissante, sur la rive droite du fleuve.

La seigneurie de Lauzon, où se trouve la Pointe de Lévy, avait ouvert, avec Beauport, l’île d’Orléans et la côte de Beaupré, la liste de concessions des grands domaines. Dès 1636, la compagnie des Cent-Associés octroyait à Simon Lemaître la rivière du Saut de la Chaudière avec trois lieues de pays sur chacune de ses berges jusqu’à six lieues de profondeur[1].

Le roi lui-même, à la demande de la compagnie, avait donné le nom de Lauzon à cette terre nouvelle.

Pendant que sur les rives de Beauport, dans les côtes de Beaupré, au flanc des coteaux verdoyants d’Orléans, on voyait poindre les blanches métairies et les chaumières au toit de paille, la falaise de Lauzon gardait son aspect sauvage, ses grands pins touffus.

La colonisation rencontrait un grand obstacle dans les peuples sauvages : les Iroquois surtout qui occupaient le sud du Saint-Laurent depuis le lac Ontario jusqu’au delà de la rivière Richelieu.

« Dans cet état de choses, dit M. Rameau[2], les cantons les plus abrités contre les incursions ou les mieux placés pour la défense, furent les seuls qui se peuplèrent un peu sérieusement d’abord, c’était Beauport et les environs immédiats de Québec, c’était la côte de Beaupré qui, placée derrière Québec, entre le fleuve et les montagnes abruptes de Montmorency, avait peu de chose à craindre des Iroquois qui devaient passer devant Québec pour y parvenir. C’était encore l’île d’Orléans, à laquelle sa situation au milieu du fleuve, sa proximité de Québec, et la présence d’un village d’Indiens convertis, assuraient une assez grande sécurité. »

Il ne pouvait y avoir meilleur poste d’observation que cette côte escarpée de Lauzon, couverte de bois épais, en face de Québec. De là, la vue commande en aval et en amont du fleuve. Rien ne pouvait échapper à la surveillance de l’ennemi. Les grand’gardes des partis de guerre blotties à la tête des arbres pouvaient y attendre pendant de longs jours la sortie des canots de Québec pour se jeter à leur poursuite[3].

Le vieux journal note brièvement, chaque jour, les alertes continuelles qui venaient de ce côté. Aujourd’hui, dit-il, nous avons appercevance des Iroquois à la côte de Lauzon. Vanus lumen rumor. Hier, c’est un frère lai qui, allant tendre sa pêche à l’anguille près de la Chaudière, a vu disparaître ses deux compagnons algonquins. Tantôt, c’est un chasseur aventureux qui a voulu s’enfoncer trop loin dans les bois et qui paie cher sa témérité.

Sur cette rive inhospitalière, les bons bourgeois de Québec se contentaient de tendre des pêches à l’entrée des nombreux ruisseaux qui se jetaient de la côte, et où le poisson abondait. Voilà tout.

Montréal et Trois-Rivières, postes avancés, avaient eu pour les défendre des hommes de guerre. Dans Beauport, à Beaupré, dans l’île, s’était dirigée, guidée par les seigneurs ou des chefs de file, une émigration assez compacte. Dans Lauzon, le concessionnaire habitant Paris, occupé à refaire sa fortune et à procurer l’avancement de sa famille, ne songeait guère à peupler les nombreux domaines qu’il lui avait plu de se découper dans la carte du pays.

Les colons isolés, qui s’aventurèrent dans Lauzon, devaient avoir des caractères bien trempés, être capables de sacrifice et de dévouement. Le premier qui se présenta fut Guillaume Couture.

Celui-là était un colon comme en voulait Talon pour peupler les environs de Québec : un de ces hommes courageux, capables de contribuer à la défense du pays sans que le roi eût besoin de les payer[4].

En 1647, on trouve l’ancien voyageur, à la Pointe de Lévy, hache en main, faisant vaillamment sa trouée à travers la forêt, à la conquête d’une habitation[5].

Couture travaille fort et dru, car, à l’automne, un bourgeois de Québec, François Bissot, sieur de la Rivière, lui offre deux cents livres pour un petit corps de logis fait au lieu appelle la Pointe de Lévy avec quelques quantités de bois abattu autour du dit lieu[6].

Couture accepte l’offre de Bissot. L’accord se signe en présence de Nicolas Marsolet, Mtre Jean Bourdon, François Chavigny, Thomas Vivien, Guillaume Cochon. Le courageux pionnier se réserve le droit d’habiter le logis temporaire qu’il vient d’élever jusqu’à la Saint-Michel de 1648, jour où sa maison sera terminée.

Il promet de mener de front durant l’hiver le défrichement de la ferme de Bissot en même temps que celui de son propre domaine[7].

Le douzième jour d’avril 1648, les quelques bons bourgeois de Québec, qui s’étaient aventurés sur la plateforme de M. le gouverneur pour contempler le lever du soleil de Pâques, pouvaient voir descendre le long des falaises de la Pointe de Lévy deux canots d’écorce vigoureusement poussés par une dizaine de rameurs. La matinée s’annonçait belle, mais l’air froid montant du fleuve faisait pagayer plus vivement les voyageurs. La marée charroyait encore les débris de la débâcle dernière et l’on avait garni la pince des canots de peaux de veaux crûs pour se garantir des rudes poussées de glaces.

Les deux embarcations longeaient depuis quelque temps les rives désertes lorsqu’un coup d’aviron les fit atterrir au fond de la coulée qui a porté plus tard le poétique nom de trou de Joliette. Les canots avaient à peine touché terre que déjà un homme encore jeune, aux vives allures, était monté sur la grève pour offrir son bras à un compagnon plus âgé, portant à son dos, attaché par une courroie, un assez lourd bagage. Au milieu des grands pins qui couvraient alors la côte, on vit accourir des groupes de sauvages, et, derrière le cap, le bruit d’une fusillade se fit entendre.

Où s’en allaient ces voyageurs par cette matinée de printemps, quand l’aube venait à peine de paraître ? Était-ce déjà quelque incursion du farouche Iroquois contre les habitants isolés de la côte de Beaupré, ou de l’île d’Orléans ? Étaient-ce des canots de l’ordonnance qui s’en allaient au devant des navires de France, à la rencontre du nouveau gouverneur M. d’Ailleboust, ou quelques missionnaires partant en course pour les missions lointaines des Abénaquis, dans l’ancien pays de Norembègue ?

Non, ces voyageurs matinaux n’étaient ni des sauvages en quête de sanguinaires aventures, ni les messagers des grands de la terre.

Celui que l’on avait vu sauter à terre, ployant sans un lourd bagage, avait laissé tomber les longs plis d’une soutane noire, et la vive fusillade que l’on venait d’entendre était un feu de joie saluant le jésuite Pierre Bailloquet qui venait, en ce jour de Pâques, dire pour la première fois la messe à la Pointe de Lévy[8].

Le vieux Journal des Jésuites raconte brièvement, comme toujours, ce simple incident. Il laisse ignorer les détails de cette prise de possession par la religion, d’une terre qui venait d’être ouverte aux colons par un fidèle serviteur du Christ. D’ordinaire, aux beaux jours de l’été, quand le missionnaire allait célébrer les saints mystères dans les campagnes nouvelles, on élevait une chapelle de feuillage, et là, en plein champ, comme autrefois les fils d’Israël, on offrait le sacrifice. Les oiseaux du ciel composaient l’harmonieux orchestre de ces agapes qui rappelaient les premiers temps chrétiens.

Aujourd’hui, le vent d’hiver souffle. La sève printanière n’a pas encore ouvert les premiers bourgeons des arbres.

Au fond d’une clairière, à la lisière du bois, au milieu des troncs d’arbres calcinés, dans l’enchevêtrement des branches renversées, s’élève l’humble logis du pionnier Couture. Ce fut là probablement que le jésuite Bailloquet se rendit pour dire la messe solennelle du jour de Pâques.

Dans la forêt voisine, les jeunes pousses de sapins ont été coupées, c’est le seul décor de ce temple improvisé. Couture et ses compagnons de travail, la figure hâlée par les premiers soleils d’avril, les canotiers et quelques sauvages sont là, front nu, genou en terre. De Québec, le brave Bissot a dû accompagner le missionnaire.

La messe terminée, le Père adresse quelques sympathiques paroles à l’assistance, puis il ploie sa chapelle et reprend son bâton de voyage. Sa mission n’est pas terminée. Il lui faut se rendre avant la brunante à l’île aux Oies[9]. gouverneur de Montmagny, grand amateur de chasse et de pêche, a concédé depuis longtemps cet îlot désert. Des domestiques, des serviteurs ont passé l’hiver dans ces parages, il veut leur donner la bonne aubaine de la visite du prêtre.

Les canotiers agitent déjà les avirons : Embarque, embarque ! Ils veulent profiter des courants et de la marée.

Et la petite flottille s’avance au milieu du fleuve, saluée par Couture et ses camarades.

Dans cette même année 1648, le premier août, le gouverneur de Montmagny donnait aux jésuites deux arpents de terre de chaque côté de la Cabane des Pères.

À l’automne[10] Jean de Lauzon signait à Paris les concessions de Couture et de Bissot.

Ce furent là les premiers octrois de terre faits à la Pointe de Lévy.

Dans un fief, dont la superficie couvrait trente-six lieues de pays, le colon nouveau pouvait trouver aisément de quoi se tailler un domaine superbe.

Couture, qui n’était pas ambitieux, se contenta d’une concession de six à sept arpents de large, mais il voulut la choisir en un endroit propice.

Entre les deux rochers qui couronnent la Pointe de Lévy, et le premier escarpement de la côte, la nature a creusé comme un vallon. Le fleuve qui devait y passer autrefois a laissé en se retirant un bon terrain d’alluvion. Dans ce pli de la grève, que les documents des premiers temps appellent la prairie basse de la Pointe de Lévy, et qui s’étend jusqu’à l’anse des Sauvages, il y avait tout formé un excellent pâturage. De chaque côté de la pointe, le rivage en se courbant forme deux anses sablonneuses parfaitement abritées contre les vents par deux caps assez élevés. Ces monticules nus et dépouillés aujourd’hui étaient alors couverts de sapins et de cèdres. Wolfe en fit abattre les bois, plus tard, pour établir des corps de garde.

Dans ces temps primitifs, où les routes, le macadam et les chevaux étaient parfaitement inconnus, le colon recherchait de préférence pour s’établir les environs des plages faciles, les embouchures des rivières, les anses et les criques où les canots, — seules voitures de l’époque — pouvaient aisément atterrir. Les rivières sont des grands chemins qui marchent, a dit Pascal. Cette pensée fait d’un trait l’histoire de nos premières voies publiques.

Outre les avantages d’une belle nature et d’un abord facile, cet endroit avait encore celui d’être un lieu de campement très recherché des sauvages. Les Montagnais et les Micmacs surtout s’y donnaient rendez-vous. Chaque année, on pouvait voir sur la grève s’élever, la longue rangée de leurs wigwams. Sur les plus anciennes cartes du pays, cette anse est donnée comme un lieu où souvent cabannent les Sauvages[11].

Au milieu de ces enfants des bois, Guillaume Couture se trouvait chez lui.

C’est là, aux approches du fleuve et de ses amis de la forêt, que l’ancien voyageur résolut d’établir sa chaumière de colon.

Un ruisseau qui descend des collines boisées qui couronnent l’arrière du village de Lauzon et vient se jeter à la grève, après avoir alimenté la magnifique pièce d’eau que l’on voit maintenant dans le jardin du presbytère, servait de borne entre la ferme de Bissot et l’établissement de Couture. Cette onde claire et limpide, excellente à boire comme toutes les eaux jaillissant des rochers, répandait la vie et une agréable fraîcheur dans ces prés toujours verts.

À deux pas de la ville, le nouveau défricheur dut trouver aisément la main-d’œuvre et de l’aide pour construire sa demeure. Dans ces temps de mœurs patriarcales, où chacun vivait comme en communauté, les corvées étaient de mise. On se mettait gaiement à l’œuvre, sans compter ses peines et son travail. Le colon devait être alors maçon, charpentier, architecte à la fois.

Pendant que les uns s’occupaient de déserter[12] la terre, les autres s’enfonçaient dans la forêt voisine pour y choisir les bois de construction. Les cèdres, les merisiers, les érables, les pins abondaient, il ne s’agissait que d’y mettre la cognée. Couture, qui avait des connaissances en charpenterie, dut tailler lui-même les pièces de résistance de son habitation future. Nos ancêtres n’y mettaient pas tant de façon d’ailleurs pour construire une maison. L’élégance était sacrifiée au confort et à la solidité.

Les cailloux roulés des champs, amassés à la grève ou dans les lits desséchés des ruisseaux, baignés en plein mortier, faisaient des murailles résistables. Aux flancs de la colline voisine, le calcaire détaché, chauffé à blanc, broyé avec le sable du rivage se transformait en ciment[13]. Le carré principal de la maison, très bas d’ordinaire, s’appuyait sur de larges fondations. On dirait des commencements d’une forteresse. Le toit très élevé et très en pente laissait s’écouler aisément les eaux des pluies et la neige, et donnait à l’intérieur de vastes greniers pour la moisson. Portes et fenêtres étaient percées de façon à se garantir des vents violents du nord. C’était d’ailleurs une des principales préoccupations des constructeurs. On ne regardait pas à la ligue droite. C’est ce qui explique pourquoi, dans la campagne, encore aujourd’hui, la façade des maisons n’est presque jamais parallèle au chemin. Cette disposition nécessitée par le climat du pays produit un effet bizarre. On dirait que chaque maison a l’air de regarder ce qui se passe chez sa voisine.

De ci et de là, dans les épaisses murailles, on ménageait des meurtrières pour faire le coup de feu en cas d’attaque. C’étaient les vasistas du temps Au centre de la maison s’élevait la cheminée massive. À la base, creusée d’un large foyer, devait pendre la crémaillère des jours de fête. Les planchers et les boiseries de pin et de cèdre répandaient une bonne odeur, à laquelle devait se mêler plus tard la senteur des épinettes fraîches coupées, — ornement rustique des jours d’été.

Il en est encore de ces vieilles bâtisses qui résistent aux efforts du temps et de l’âge. Les plantes des champs les recouvrent, les mousses et les lichens y font leur demeure ; les merles et les rossignols y bâtissent leurs nids. La vie et la verdure recherchent ces ruines. Le printemps, qui ne veut rien laisser dormir dans la nature, éveillent des échos dans ces foyers silencieux, pleins de mystère, aux frais gazouillements des petits oiseaux du ciel.

Ces ruines toutes décrépites qu’elles paraissent ont encore une solidité vraiment étonnante. Il n’y a que l’action lente des saisons qui puissent les désagréger. La pioche du démolisseur n’en a pas facilement raison.

On l’a vu dernièrement quand il s’est agi d’accomplir l’acte de vandalisme qui s’est terminé par la disparition du vieux collège des jésuites. Les naïfs et les peureux s’en allaient, criant sur les toits, que cet édifice vermoulu finirait par tomber sur la tête des passants. C’était une vraie honte que de laisser s’étaler pareille décrépitude au plein milieu d’une ville civilisée. Les ministres, comme toujours, finirent par plier.

Les démolisseurs se mirent à l’œuvre. Pics et pioches attaquèrent ferme. Le vieux collège résista. Il fallut employer la poudre et le fulmi-coton. Les bourgeois du voisinage, tout effarés, signalaient les crevasses produites par les secousses des mines dans les murs de leurs maisons,’quand le vieil édifice finit par céder[14].

Quelque peu réparé, l’ancien collège aurait duré encore cent ans. Nos pères bâtissaient pour leurs arrière-neveux[15].

Couture avait maison et terre, il ne lui manquait plus pour être un vrai colon que de prendre femme.

Dans leurs courses aventureuses, les voyageurs n’avaient guère le temps de choisir une compagne. C’était hasard quand, dans l’année, ils pouvaient stationner dix ou douze jours au milieu des leurs. Parfois, cependant, quelques-uns de ces rudes pionniers, de passage à Québec ou aux Trois-Rivières, à l’arrivée des vaisseaux portant les filles de France, rêvaient au foyer. Et, entre deux courses, dans une halte pour prendre haleine, ils contractaient mariage L’expédition se continuait à la grâce de Dieu. La noce se fêtait au retour et l’enfant prodigue mettait dans la corbeille de l’épousée les colliers de porcelaine et les riches fourrures des bois. Le doigt, qui devait porter l’anneau des fiançailles, pouvait être disparu dans le calumet d’un Iroquois maussade, mais le cœur était intact.

Les uns, comme l’ancêtre de l’antiquaire Viger, se laissaient prendre aux grands yeux noirs de la Huronne gentille, et sur la natte du wigwam s’étalait la sagamité des noces. Ceux-là, naïfs enfants des bois, calculaient le temps par les lunes de miel.

D’autres se préparaient de longue main un établissement amassé au prix de vingt expéditions périlleuses, et quand le nid était prêt, ils s’en allaient, comme les chevaliers d’autrefois, chanter leurs prouesses à la dame de leur cœur.

Au retour de son dernier voyage chez les Iroquois, au printemps de 1646, Guillaume Couture semble avoir eu idée d’enterrer son célibat. En effet, deux jours à peine après son arrivée avec le père Pijart, les jésuites tinrent consultation pour son mariage[16] qui fut approuvé à l’unanimité. Approbatur item omnium consensu, nous dit le Journal des Jésuites.

Cette consultation nous laisse croire que Guillaume Couture, comme son compagnon martyr le bon Réné Groupil, avait fait vœu pendant sa captivité de se consacrer exclusivement au service des missions huronnes dans l’ordre de Jésus, ou de prendre l’habit de frère lai[17]. Il ne manque pas de laïcs qui, à cette époque, faisaient les mêmes promesses[18].

Ce n’est que trois ans après, cependant, que le voyageur devenu colon contracta mariage.

Le dix-huit de novembre 1649, c’est grande fête dans la maison de Couture à la Pointe de Lévy. M. Jean Le Sueur, ancien curé de Saint-Sauveur, en Normandie, et chapelain des hospitalières à Québec, y vient bénir l’union de son compatriote avec Anne Aymart, une fille du Poitou, née à Niort[19]. Parmi les invités de la noce qui signèrent l’acte de célébration, on trouve des noms connus : c’est Olivier le Tardif, interprète, commis au magasin du Roy, à Québec, c’est Zacharie Cloutier, habitant du Château-Richer. Tous deux sont beaux-frères de l’épousée. C’est encore Charles Cadieu, un des ancêtres du célèbre voyageur dont la légende a gardé souvenir et dont la poésie a chanté la fin tragique. C’est Martin Grouvel, conducteur de barque, bien connu.

Le père Jean Aymart de son mariage avec Marie Bineau[20] avait eu trois filles. Venues au pays, elles avaient trouvé de bons partis.

Olivier le Tardif, sieur de la Porte, est un des compagnons de Champlain. Il fut un des premiers à se plaindre des négligences de la compagnie de traite à l’égard de la colonie. En 1641, il fut nommé commis général de la compagnie des Cent-Associés. Marié d’abord à une fille de Guillaume Couillard, il avait épousé en secondes noces, en 1648, Barbe Aymart. Il en eut plusieurs enfants dont la postérité est nombreuse.

Zacharie Cloutier, fils d’un des plus anciens colons du Château-Richer, propriétaire du fief du Buisson, avait épousé Madeleine Aymart Guillanme Couture, dès l’année précédente, semble intime dans ces familles. En effet, en novembre[21], on le voit assister, au manoir du seigneur Giffard, à Beauport, au mariage de Louise Cloutier, fille de Zacharie et veuve de François Marguerie, célèbre interprète aux Trois-Rivières, avec Jean Mignot-dit-Chatillon[22].

Voici l’acte de mariage de Guillaume Couture, tel qu’il se trouve aux registres de Québec :

« Le dix-huit de novembre mil six cent quarante-neuf, les bancs ayant été au préalable publiés savoir le premier et second banc le onze novembre et le troisième banc le quatorze et ne s’étant trouvé aucun empêchement légitime, nous Jean Le Sueur, prêtre, ayant pouvoir du supérieur du lieu, a interrogé Guillaume Cousture, fils de Guillaume Couture et de Magdeleine Mallet, de la paroisse de St Godard, Rouen, d’une part, et Anne Esmart, fille de Jean Esmart et de Marie Bineau de la ville de Niort, paroisse de St. André, d’autre part, et ayant pris leur mutuel consentement par paroles de présents les a solennellement mariés en la maison du dit Couture à la pointe de Lévi en présence de témoins connus : Olivier Le Tardif, Martin Grouvel, Zacharie Cloutier, le père et le fils, Charles Cadieu. »

— Ce fut le premier mariage fait à la Pointe de Lévy[23].

  1. L’année précédente, Beauport avait été concédé à Robert Giffard. En 1636, Cheffaut de la Regnardière eut la côte de Beaupré, et le sieur Castillon, l’île d’Orléans.
  2. La France aux colonies, IIe partie. pp. 16, 17.
  3. Ce sont des renards en leurs approches, dit la Relation de 1658, ils attaquent en lions, et disparaissent en oiseaux faisant leur retraite1… Un pauvre homme travaillera tout le jour proche de sa maison, l’ennemi qui est caché dans la forêt toute voisine, fait ses approches, comme un chasseur fait de son gibier, il décharge son coup en assurance, lorsque celui qui le reçoit se pense le plus assuré2… Ils peuvent rester dix jours cachés derrière une souche pour pouvoir assassiner un homme ou une femme, vivant dans cet état avec un épi de blé d’Inde3.

    1 p. 5 vol. III.

    2 Relation de 1660.

    3 Lettre de Vaudreuil et Raudot au ministre (manuscrits de la Chambre d’Assemblée).

  4. Lettre de Talon au ministre, 1667.
  5. On appelait alors une exploitation rurale une habitation. C’est encore le mot en usage à Haïti et dans les autres colonies françaises.
  6. Greffe de Lecoutre. Cet acte est daté du 9 novembre 1647. C’est le premier document notarié où le nom de la Pointe de Lévy soit mentionné. Neuf notaires ont pratiqué à Québec, avant 1647, savoir : Audouard (1636 à 1663) ; Lespinasse (1637) ; Jean Guillet (1637-1638) ; Martial Piraube (1639 à 1643) ; Tronquet (1643 à 1646) ; Vachon (1644-1693) ; Bancheron (1646 à 1647); Bermen (1647-1649) ; Lecoutre (1647-1648). Après avoir compulsé tous ces greffes, l’on trouve, par l’acte d’accord mentionné dans le texte, que Guillaume Couture fut le premier qui commença un défrichement à la Pointe de Lévy.
  7. À peu près dans le même temps où Couture commença son défrichement, les jésuites élevèrent sur le rivage, en face de Québec, l’humble logis qui devait porter, pendant plus de deux siècles, le nom de Cabane des Pères. Pour se rendre dans les missions de la Nouvelle-Angleterre, ces missionnaires s’enfonçaient d’ordinaire à travers les terres, côtoyant la rivière Etchemin et la rivière Chaudière pour de là se jeter dans la rivière Saint-Jean. À leur retour de ces lointaines missions ils étaient obligés d’attendre souvent plusieurs jours pour pouvoir traverser le fleuve. Par les grands vents ou par les nuits orageuses, il n’était pas prudent de se risquer en canot d’écorce sur le bras de mer qui sépare Québec de Lévis. Ce fut la raison qui porta sans doute les jésuites à établir ce pied à terre à Lévis. La pointe où s’élevait ce cabanon a toujours porté depuis le nom de Pointe des Pères. La côte qui gravit de la grève sur la falaise s’appelle la côte de la Cabane des Pères.

    Aujourd’hui les terrassements du chemin de fer Intercolonial recouvrent les ruines de ce vieux logis.

  8. Journal des Jésuites.
  9. Journal des Jésuites.
  10. Le quinze octobre 1648 ; (greffe de Romain Becquet).
  11. Il est malheureux que notre anglomanie ait fait de l’anse des Sauvages, nom sous lequel cet endroit était connu depuis les commencements de la colonie : Indian Cove et anse Gilmour.
  12. Mot canadien qui signifie défricher, et que l’on doit conserver.
  13. Il y eut, à Lévis, sous le régime français, plusieurs fours à chaux. Tout le long de la côte on en trouve encore des vestiges. Une carte de 1690 nous montre dans l’anse Labadie le four à chaux de Mathurin Chovel qui, d’après les nombreux marchés de construction que l’on trouve sous son nom aux greffes des notaires, paraît avoir été un entrepreneur célèbre dans son temps. Les fours à chaux que l’on voit encore au village de Lauzon, en arrière du couvent, sont mentionnés dans de très vieux documents. Les chaufourniers habitent maintenant Beauport et la côte de Beaupré.
  14. » S’il eut résisté plus longtemps, tous les mangeurs de saucissons du vendredi en auraient accusé l’ordre des jésuites.
  15. En compulsant les greffes des anciens notaires, j’ai cherché quelque marché, devis ou spécification pour connaître quels étaient les modes de construction du temps, les dimensions, les bois employés, le prix des ouvriers. Dans l’inventaire des minutes d’Audouard, je trouvai un rapport de charpente pour la maison de Guillaume Hébert. Ce document n’aurait pas manqué d’intérêt vu que la maison d’Hébert fut la première habitation de colon construite dans Québec. Hélas ! cet acte, avec mille autres, manque à l’appel ! On trouvera à l’appendice un marché de construction pour Jean Rourdon.
  16. Le 26 d’avril.
  17. La santé de Réné Goupil l’avait forcé de quitter le noviciat des jésuites de Rouen ; mais quand il se vit prisonnier des Iroquois, et en route pour le lieu de son supplice, il dit au père Jogues : « Mon Père, Dieu m’a toujours donné un grand désir de me consacrer à son service par les vœux de religion dans la compagnie de Jésus. Mes péchés m’en ont rendu indigne jusqu’ici. Si vous le vouliez, mon Père, je ferais maintenant ces vœux en présence de mon Dieu, et de vous. » Le père Jogues, ému d’une si touchante prière, le laissa faire ses vœux de dévotion.
  18. M. Benjamin Sulte donne à Couture le titre de serviteur-donné. — Histoire des Canadiens-Français.
  19. Greffe d’Audouard — 18 novembre 1649 — contrat de mariage de Guillaume Couture et de Anne Esmard.
  20. Ou « Bureau ».
  21. 10 novembre 1648 — Archives de la cure de Québec.
  22. Ce Jean Mignot avait eu avant son mariage une aventure romanesque que nous raconte le Journal des Jésuites :

    «  En février 1647, Barbe, sauvagesse séminariste des Ursulines, après y avoir demeuré quatre ans, en étant sortie, fut recherchée fortement et puissamment par un Français nommé Chatillon, qui pria les mères de la vouloir retenir jusqu’aux vaisseaux. Il donna assurance de sa volonté, mettant entre les mains des mères une rescription de 300 livres, dont il consentit que l00 fussent appliquées au profit de la fille, en cas qu’il manquât à sa parole. Mais il se trouva que la fille n’en voulut pas, et aima mieux un Sauvage et suivre les volontés de ses parents. »

  23. Le second mariage paraît avoir eu lieu le 10 novembre 1652. Ce fut celui de Jean Guiet (Guay), fils de Jean Guiet et de Marie Dumont, à Jeanne Mignon fille de François Mignon. M. Jean Le Sueur les maria ; disant solennellement la messe à la Pointe de Lévi ou côte de Lauzon en présence des sieurs Buissot et Cousture. (Archives de la cure de Québec).