Guillaume Couture, premier colon de la Pointe-Lévy/4

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Texte établi par Tremblay & Dion, Inc., Mercier et Cie (p. 71-89).

IV

Couture, tout en fixant sa demeure, à la Pointe de Lévy, n’abandonna pas définitivement son rude métier de voyageur. On le vit rendre encore à son pays d’importants services.

Interprète de la nation iroquoise, celle qui fut la plus perfide et la plus acharnée contre les Français, il eut souvent l’occasion d’engager avec elle, au nom des gouverneurs, d’importantes négociations. Les intimes liaisons qu’il avait contractées avec ces enfants de la forêt, la grande estime dont il jouissait dans les conseils de la nation, en firent un des plus utiles intermédiaires.

Les Iroquois, de tous les naturels, du pays, furent certainement ceux qui portèrent les plus rudes coups aux commencements de la colonie. Leurs incursions continuelles retardèrent de longtemps l’avancement du pays. Champlain, en arrivant dans la Nouvelle-France, avait trouvé les Algonquins, nation très puissante alors, aux prises avec les Iroquois. Il eut l’imprudence d’épouser la querelle des premiers.

Le sauvage d’un naturel rancunier considère qu’une injure ne doit jamais rester sans vengeance quand il faudrait des années pour l’assouvir. Les Iroquois pardonnèrent difficilement cette première alliance. Ils se donnèrent de dépit aux Anglais, sans les aimer ; ils ne s’en servaient que pour se procurer des armes.

Cette nation comprenait cinq cantons séparés que dirigeaient des vieillards ambitieux, politiques, taciturnes, capables des plus grands vices et des plus grandes vertus, pouvant tout sacrifier à la patrie.

Pendant que les autres tribus se laissaient approcher par les Européens et recevaient leurs avances, les Iroquois voyaient ces empiétements d’un œil jaloux. C’est par calcul qu’ils s’étaient unis aux Anglais. Quand leurs nouveaux alliés devenaient trop puissants, ils les abandonnaient ; ils s’unissaient à eux de nouveau quand les Français obtenaient la victoire. On vit ainsi un petit troupeau de sauvages se ménager entre deux grandes nations civilisées, chercher à détruire l’une par l’autre afin de rester maître du pays[1].

Les plus féroces et les plus intrépides des hommes, les Iroquois avaient lancé leurs partis de guerre par tout le pays. Rusés et tenaces, perfides et menteurs, pour eux tous les moyens étaient bons. Leurs guerriers, prêts à engager le combat, voyaient-ils que les adversaires étaient plus nombreux, des parlementaires étaient de suite détachés pour protester de leurs intentions pacifiques. Les conditions de paix s’arrêtaient pour être rompues presque aussitôt, suivant leurs caprices et leurs intérêts, et ils trouvaient toujours des prétextes pour expliquer leur volte-face.

Cette poignée de guerriers intrépides, dans vingt ans de lutte, anéantit presque complètement les puissantes nations des Algonquins et des Hurons, sans compter plusieurs autres tribus importantes. Les Hurons, décimés, se réfugièrent sous les murs de Québec où leurs ennemis continuèrent à les traquer comme des bêtes fauves.

Presque toutes les nations sauvages qui jouèrent un rôle, autrefois, sont disparues. Il ne reste plus, de ci et là, que quelques tribus errantes et sans cohésion. L’Iroquois existe toujours. Ce n’est plus qu’une ombre des cinq cantons des anciens jours. Mais les descendants encore nombreux ont conservé l’énergie, la ténacité et l’industrie de leurs ancêtres.

De tous les interprètes français, Guillaume Couture est celui qui semble avoir eu le plus de prestige parmi cette nation si vaillante et si difficile à manier.

Les Hurons, les Algonquins, les nations de l’intérieur comme celles du littoral avaient accepté avec bienveillance les avances des missionnaires. Ceux-ci avaient pu établir sur leurs territoires des missions florissantes.

L’Iroquois repoussa toujours les tentatives d’établissement que l’on voulut faire au milieu des cinq cantons.

Ce n’est qu’en 1654 qu’un chef onnontagué invita les Français à bâtir un village au milieu du pays et à venir y habiter. Il est à remarquer que c’est par la tribu des Onnontagués que Couture avait été adopté pendant sa captivité. Les dispositions toutes pacifiques de cette tribu prouvent que le captif Couture y avait laissé une bonne semence.

Les Agniers, jaloux de voir les Français s’implanter chez leurs compatriotes des bourgades supérieures, intriguèrent si bien qu’ils finirent plus tard par briser tout espoir d’une paix durable.

Quand il fut question de fonder un village français au milieu des Onnontagués et d’y conduire une partie des Hurons cantonnés dans l’île d’Orléans, Couture fut employé dans les négociations. Au mois de mai 1657, le Journal des Jésuites nous le montre de retour à Québec des Trois-Rivières. Il apporte pour nouvelles que les Agniers qui étaient en ce dernier endroit avaient empêché les ambassadeurs hurons d’aller à Onnontagué.

La paix conclue avec les Iroquois et tant de ibis ratifiée par eux ne les empêchait point d’attaquer les Français, quand ils en trouvaient l’occasion. Vers la fin d’octobre, quelques Onneyouts, venus à Montréal sous la garantie des traités, massacrèrent trois Français qui travaillaient sans défiance à la pointe Saint-Charles, près de Montréal. Deux d’entre eux, Nicolas Godé et son gendre, Jean de Saint-Père, étaient fort respectés dans la colonie.

Le gouverneur d’Ailleboust ordonna d’arrêter tous ceux d’entre les Iroquois qui se présenteraient. Le trois de novembre, cinq Agniers étaient amenés des Trois-Rivières pour savoir d’eux le nom des meurtriers. Les cinq furent logés chez Couture et eurent les fers aux pieds, deux à deux[2].

Couture, qui se trouvait l’intermédiaire obligé des Iroquois, recevaient d’eux parfois des visites inattendues. Pendant que ces féroces guerriers poussaient leurs incursions jusqu’en bas de Québec, massacrant tout sur leur passage, ils respectaient cependant le logis isolé de leur ancien camarade. Ainsi, dans l’automne de 1658, au mois d’octobre, trois d’entre eux, allant en guerre à Tadoussac, brisèrent leurs canots au-dessous de la maison de Couture. Incapables de continuer leur route, ils se réfugièrent chez lui. Couture en donna avis au gouverneur qui les fit venir au fort la nuit[3].

Depuis près de vingt ans Couture avait été exclusivement engagé au service des missions huronnes et iroquoises. À partir de 1661, s’ouvre une nouvelle phase de sa carrière. Ses travaux s’étendent dans une autre direction. À la vie laborieuse de l’interprète succède la gloire du découvreur. Aux lauriers de Nicolet Viennent s’ajouter les lauriers d’un La Vérendrye et d’un Jolliet. Pendant que ceux-là avaient pénétré dans les régions du midi et de l’ouest, Couture devait pousser ses recherches vers le nord.

Dès 1612, le célèbre navigateur Hudson avait reconnu la baie qui porte son nom. Cette découverte semblait tomber dans l’oubli. Les Anglais, d’ordinaire si actifs et si entreprenants, s’étaient contentés d’applaudir aux voyages de leur illustre compatriote sans s’occuper d’en tirer profit. Dans ces régions immenses, inconnues, pleines de mystères, habitaient des peuplades nombreuses. Déjà, la nation des Nippissingues avait entendu raconter qu’une race étrangère était venue s’établir sur les bords du Saint-Laurent. Cette nouvelle transmise par quelques-uns des leurs qui l’avait apprise, dans les excursions de chasse, des Sauvages du littoral, avait vivement piqué leur curiosité. Désireux d’entrer en relations de commerce avec ces gens nouveaux, curieux aussi d’entendre les prédications étranges des hommes de la parole, un capitaine nippissingue avait été député avec plusieurs de ses compatriotes auprès de M. d’Argenson, alors gouverneur. Celui-ci en entendant parler de la grande mer du Nord fut désireux d’en connaître l’étendue. Le rêve des premiers découvreurs avait toujours été de trouver un passage pour se rendre aux royaumes de Chine et du Japon. C’était le but premier des expéditions de Cartier et de ceux qui l’on suivi. C’était ce que recherchaient les premiers armateurs. Cette idée avait hanté le cerveau de tous leurs successeurs et l’on n’avait pas perdu l’espoir d’arriver un jour à cet important résultat. D’Argenson ne voulut point perdre l’occasion de réaliser enfin le projet de ceux qui l’avaient précédé. On croyait dans le temps que cette mer mystérieuse était contiguë à la Chine et qu’il ne s’agissait plus que d’en trouver la porte.

D’Argenson confia le soin de cette entreprise aux pères Druillettes et Dablon. Ceux-ci saisirent avec empressement cette proposition qui leur permettait, tout en cherchant à agrandir le domaine du roi de France, de trouver des nations nouvelles à évangéliser.

Au mois de mai 1661, l’expédition partit de Québec. M. de la Vallière, gentilhomme de Normandie, Guillaume Couture, Denis Guyon, Desprez et François Pelletier accompagnaient les missionnaires. Les voyageurs, conduits par des sauvages, s’embarquèrent sur le Saguenay, dont ils remontèrent le cours pendant un certain temps. Mais, malheureusement, ils furent obligés de revenir sur leurs pas, soit, comme le raconte la Potherie[4], que les sauvages eussent refusés de continuer leur route, par la crainte que l’entreprise des Français ne leur fût préjudiciable, soit, comme le rapportent les jésuites, que les Français eussent jugé qu’il était prudent de renoncer à leur tentative, vu les cruelles hostilités que les Iroquois, exerçaient alors contre eux et contre diverses nations sauvages[5].

L’excursion n’eut pas alors d’autre résultat. Cependant l’entreprise était chose remise et non perdue.

Deux ans après, en 1663, les sauvages de la baie d’Hudson envoyèrent de nouveau des députés à Québec et prièrent M. d’Avaugour, alors gouverneur, de leur donner des Français. Celui-ci résolut d’envoyer cinq hommes à la tète desquels il mit Guillaume Couture.

Couture, qui n’était pas d’une nature à se laisser décourager par un premier insuccès, s’avança à travers les terres, dans un pays encore inexploré, et, un jour, il eut le bonheur d’apercevoir enfin cette mer depuis si longtemps désirée, l’objet de tant de recherches infructueuses.

Il fut le premier Français qui foula de ses pieds les rivages de cette mer qui devait être témoin de tant de combats, de tant de luttes glorieuses. Quel est celui qui ignore les exploits légendaires de d’Iberville dans ces parages lointains, et combien y en a-t-il qui se souviennent de l’humble voyageur qui donna à son roi ce théâtre de tant d’exploits ? N’oublions pas d’associer au nom de Couture, celui d’un autre enfant de Lévis, Duquet[6] qui fut l’un de ses compagnons de voyage dans cette expédition heureuse.

Arrivé sur les rives de cette baie immense, Couture y planta une croix et prit possession du pays, en mettant en terre, au pied d’un gros arbre, les armes du roi de France, gravées sur du cuivre, enveloppées entre deux plaques de plomb recouvertes d’écorce[7].

L’histoire rappelle la mémoire des Jolliet, Nicolet, Lasalle, Marquette, de Sota, comme découvreurs du Mississippi. On chante la gloire de la Vérendrye qui aperçut le premier les Montagnes-Rocheuses. La postérité est jalouse de conserver le souvenir de ces hommes illustres. Associons à leur gloire le nom du héros oublié : Guillaume Couture[8].

Dans l’année qui suivit cette gloricuse expédition, le dernier jour de mai 1665, l’infatigable Couture partait de Québec avec le père Henri Nouvel pour se rendre à l’île de St-Barnabé, à la mission des Papinachois[9].

Depuis cinq ans, le Père Nouvel avait eu en partage les tribus sauvages qui habitaient la rive nord, depuis Tadoussac jusqu’à l’entrée du golfe. C’étaient les Montagnais, les Betshiamits, les Papinachois, les Esquimaux. Chaque hiver, il les avait suivis dans leurs chasses à travers les forêts. C’est dans une de ces courses apostoliques du missionnaire que, lors d’un naufrage vis-à-vis Rimouski, la Pointe au Père fut baptisée. Couture, vraisemblablement, hiverna avec ces tribus comme le père Nouvel avait l’habitude de le faire.

Pendant ces excursions diverses de Couture, la métropole s’était enfin décidée à envoyer des secours aux colons décimés par les luttes incessantes des Iroquois. Le régiment de Carignan-Salières avec quatre de ses meilleures compagnies était débarqué dans Québec, et M. de Tracy et Courcelles résolurent de pousser vigoureusement la guerre jusqu’au milieu des nations ennemies. Les Iroquois, effrayés de ce grand déploiement de troupes, demandèrent instamment à enterrer la hache de guerre. Les marchands d’Albany et de Corlar, leur ayant donné des lettres de recommandation, le vice-roi voulut croire pour cette fois à leur sincérité, et la paix fut conclue. Ceci se passait le douze de juillet 1666. Les ambassadeurs étaient à peine partis depuis deux ou trois jours, lorsqu’on reçut de fort mauvaises nouvelles du fort Sainte-Anne qui venait d’être bâti sur une île située près de l’entrée du lac Champlain.

Quelques officiers, en garnison dans l’île, voulant se donner le plaisir de la chasse, remontaient une rivière qui tombe dans le lac près de l’île de la Mothe. Plusieurs jeunes Agniers chassaient dans les environs ; ayant aperçu les officiers français, ils ne purent résister à la tentation de leur lever la chevelure. Ils tirèrent sur eux, tuèrent M. de Chazy[10] et le capitaine de Traversy ; quatre autres, parmi lesquels était M. de Leroles, cousin de M. Tracy, furent faits prisonniers.

À la nouvelle de cette trahison, on rappela aussitôt les ambassadeurs. Suivant la loi des Iroquois et des Algonquins, on devait fendre la tête aux envoyés, on se contenta de les garder dans une étroite prison, pendant qu’on prenait des mesures pour tirer raison d’une si noire perfidie[11].

Il fallait demander aux commissaires d’Albany des explications sur le témoignage qu’ils avaient donné en faveur des bonnes dispositions des Agniers. Guillaume Couture fut chargé de cette délicate mission.

Le vingt-deux juillet, il partait de Québec comme ambassadeur auprès des autorités de la Nouvelle Hollande pour se plaindre du meurtre de M. de Chazy[12].

M. de Sorel reçut ordre de le suivre à quelques journées de distance, avec un parti de deux cents Français et de quatre-vingts Sauvages.

Les Anglais s’étaient emparés, l’année précédente, de la colonie hollandaise ; et le gouverneur Nicolls, prévoyant que les autorités françaises ne laisseraient pas dans l’inaction des troupes envoyées de si loin pour punir les Iroquois, craignit de se voir lui-même assailli dans ses forts. Trop faible pour résister à une attaque extérieure et surveiller en même temps les mouvements des Hollandais à l’intérieur, il songea à obtenir des secours des colonies de la Nouvelle-Angleterre. Celles-ci lui répondirent qu’elles ne tenaient pas à prendre la défense des Iroquois, pour se voir attaquer à leur tour par les Abénaquis, amis des Français.

Nicolls, voyant qu’il n’avait pas d’aide à attendre de ce côté, dut se résigner à ne point soutenir ouvertement les Agniers contre les Français.

Couture était arrivé sur ces entrefaites à Albany, avec des lettres adressées aux capitaines et aux commissaires du lieu. Nicolls y monta aussitôt dans l’espérance d’avoir une entrevue avec lui, et probablement aussi, parce qu’il se défiait des commissaires hollandais d’Albany Et, dans le fait, comme la France s’était unie aux états de Hollande contre l’Angleterre, dans une guerre qui venait d’être proclamée en Amérique, la plupart des habitants d’Albany et des villages voisins ressentaient plus d’inclination pour les Français que pour les Anglais[13].

Van Corlaer, l’un des hommes les plus importants de la colonie, celui-là même qui, autrefois, avait en vain tenté le rachat du père Jogues et de ses compagnons, reçut fort bien son ancienne connaissance Couture. Celui-ci retourna avec une lettre satisfaisante de la part des commissaires à M. de Tracy. Ils n’avaient pas prétendu répondre de la conduite future des Agniers, ils avaient seulement déclaré qu’ils les croyaient dans de bonnes dispositions. Ils étaient bien chagrins du malheur causé par la mauvaise foi des Sauvages ; eux-mêmes avaient travaillé à sauver les prisonniers, comme ils l’avaient déjà fait dans beaucoup d’autres circonstances. Cela était vrai, car ils s’étaient toujours empressés d’arracher les prisonniers français à leurs maîtres iroquois. Couture, lui-même, pouvait en rendre le témoignage.

Lorsque Nicolls arriva à Albany, Couture était déjà reparti pour rendre compte de sa mission. Nicolls s’adressa alors à M. de Tracy, pour se plaindre du départ précipité de son envoyé, et pour répéter les reproches contenues dans la lettre aux commissaires. Il assurait en même temps le gouverneur qu’il agirait toujours envers lui, avec courtoisie et respect. «  D’autant plus volontiers, disait-il, que votre caractère honorable est connu dans cette partie du monde, aussi bien qu’en Europe. Je puis vous rendre cet hommage, ayant eu connaissance de votre honorable conduite, pendant les quelques années que j’ai passées dans l’armée française à la suite de mon maître, le duc de York et d’Albany. Maintenant que je sers le même maître dans cette partie du monde, je me croirais heureux si je trouvais l’occasion de reconnaître en partie les attentions que vous avez témoignées à mon maître et à ceux de sa maison, pendant les tristes jours de l’exil. »

Après avoir accompli sa mission dans Albany, Couture s’était rendu chez les Iroquois pour les avertir que s’ils ne livraient pas les meurtriers, ou du moins leurs chefs, Ononthio leur déclarerait la guerre. Prévoyant la ruine entière de leur nation, et apprenant que M. de Sorel n’était plus qu’à vingt heures de leurs bourgades, les Iroquois se déterminèrent à demander quartier.

Le six de septembre. Couture arrivait à Québec avec deux Agniers pour l’escorter, dont l’un de la nation neutre était le chef de la brigade qui avait tué M. Chazy[14].

Le Bâtard Flammand, chef iroquois, le suivait de près avec M. de Leroles et plusieurs autres prisonniers français[15].

Presque en même temps quarante iroquois des différents cantons arrivèrent à Québec. Depuis la Basse-Ville jusqu’au fort, dit la Potherie[16], ils criaient à haute voix Onontio, Onontio, ho, ho, Squena, Squenon, ce qui voulait dire : Notre Père, donne nous la paix.

On parla de nouveau de conclure une paix générale et, le dernier jour d’août, on tint un conseil à ce sujet dans le parc du collège des jésuites ; mais on ne put arriver à rien de définitif. M. de Tracy comprit que pour avoir la paix, il fallait employer les armes contre les Agniers qui soulevaient sans cesse de nouvelles difficultés. C’est alors qu’eut lieu la fameuse expédition de M. de Tracy contre les Iroquois en 1666[17].

Cette dernière mission ferme la carrière de Couture comme voyageur. Depuis un quart de siècle il avait été engagé à ce travail ardu. Les bords du lac Huron, les bois de la Nouvelle-Angleterre, les plaines du lac Saint-Jean et la baie d’Hudson, la rive nord du golfe Saint-Laurent avaient tour à tour été le théâtre de son dévouement et de son courage. Dans ces rudes expéditions l’homme devait s’user vite. Âgé de quarante neuf ans, Couture avait fait sa large part et pouvait laisser à d’autres le soin de continuer son œuvre.

Il faut dire que chaque historien a sur ce sujet son mode de raconter.

Charlevoix, d’ordinaire très exact, a étrangement confondu ces diverses expéditions.

La Potherie prétend que M. de Courcelles ne voulut point se laisser attendrir par les cris, les pleurs et lamentations des Iroquois et qu’il fit pendre Agariata, celui-là même qui avait tué M. de Chazy et que Couture avait ramené à Québec, en présence des quarante députés de la nation. Ce genre de mort qu’ils n’avaient jamais vu, dit-il, les frappa si fort qu’il affermit la paix jusqu’en 1683.

Suivant Nicolas Perrot, la paix était sur le point de se conclure, lorsque dans un repas que M. de Tracy donnait aux chefs iroquois, un des Agniers aurait levé le bras et déclaré hautement que ce bras avait cassé la tête du sieur de Chazy[18]. « Il n’en cassera pas d’autre, » aurait répondu le vieux, général, et il aurait aussitôt fait étrangler l’insolent, rompu les conférences qui se tenaient pour la paix, et serait parti pour son expédition contre les Agniers. Charlevoix a suivi Perrot dans son récit.

  1. ChateaubriandGénie du Christianisme.
  2. Journal des Jésuites.
  3. Journal des Jésuites.
  4. Histoire de l’Amérique Septentrionale, tome I. pp. 141, 142.
  5. Relation de 1661.
  6. Dans le rapport du comité nommé pendant la session de 1884 pour s’enquérir de la possibilité de la navigation de la baie d’Hudson, M. Royal mentionne ces deux noms.
  7. La Potherie ; Faillon.
  8. « Il y a trente ans à peine, personne n’aurait osé croire qu’on pût seulement se rendre jusqu’au lac St-Jean, c’était tellement loin dans le nord ! Le pays qui l’entourait ne pouvait être que la demeure des animaux à fourrures, et, seuls, les Indiens étaient regardés comme pouvant se hasarder dans ces sombres retraites que protégeait la chaîne des Laurentides et que défendait contre l’homme une nature réputée inaccessible » — (Arthur Buies — Le Saguenay et la vallée du lac St-Jean, p. 201.)

    Le père Arnaud corrobore les avancés de M. Buies (Annales de la propagation de la foi — 1880 — p. 147)

    « À cette époque reculée (en 1853), écrit-il, le lac St-Jean était si loin ! les difficultés pour s’y rendre si grandes !… que personne n’avait jusqu’alors pensé à aller s’y établir.

    « D’ailleurs, n’était-ce pas le pays des jongleurs, comme le rapportait la renommée ? rien que cette pensée était un épouvantail pour bien des personnes. La triste perspective de se trouver en contact avec des Sauvages, qui pourraient scalper le malheureux imprudent qui s’y aventurerait, en retenait plusieurs. »

    Quand on considère que nos ancêtres avaient atteint cette mystérieuse région, dès les commencements de la colonie, qu’ils s’étaient avancés bien loin au-delà, à travers les solitudes sans nom, jusqu’à la baie d’Hudson, — ce que personne n’a encore osé faire de nos jours — il faut croire, évidemment, qu’ils étaient autrement trempés que nous le sommes.

  9. Journal des Jésuites — Il était accompagné d’Amyot qui fut lui aussi un habitant de Lévis.
  10. Un petit village aux bords du lac Champlain, à deux pas de la frontière, porte aujourd’hui le nom de Chasy. Il s’élève à l’embouchure d’une rivière appelée Chasy. Les trains de l’Hudson and Delaware stoppent en cet endroit.
  11. Ferland, tome II p. 50.
  12. Journal des Jésuites.
  13. Ferland, p. 51, t. II.
  14. Journal des Jésuites.
  15. Ferland, p. 52.
  16. Vid. p. 85, tome II.
  17. C’est là la version de l’abbé Ferland. Celui-ci s’est appuyé sur les Relations de 1666 et les lettres de la mère de l’Incarnation.
  18. La Potherie dit positivement que ce fut Agariata qui tua M. de Chazy, p. 85.