Gustave/04

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C. O. Beauchemin et Fils (p. 25-29).

CHAPITRE IV

une visite. — gustave aux prises avec des ministres protestants.


Un soir, M. Dumont avait invité plusieurs ministres à passer la veillée avec lui. Gustave, ne voulant pas s’exposer à entendre quelque discussion religieuse, avait pris un léger repas à la dérobée et s’était retiré dans sa chambre pour étudier ses leçons.

On venait de se lever de table et, rendus au salon, on se mit à causer, puis suivit une discussion sur les doctrines de l’Église catholique.

Comme il arrive toujours, ces ministres, de sectes différentes, ne s’accordaient pas, l’universitaliste soutenait que le catholique, croyant en Jésus-Christ, avait la foi, et que cela suffisait pour être sauvé. Le presbytérien disait tout le contraire et même essayait de prouver que Dieu avait choisi ses élus de toute éternité, le nombre en ayant été compté d’avance. Un autre cherchait à démontrer que l’Église de Rome était la Babylone de l’Apocalypse, que le Pape était un vil charlatan qui vendait le ciel à prix d’or et d’argent, etc.

Enfin, l’un d’eux, voyant qu’une entente serait impossible, voulut changer la conversation et, s’adressant à M. Dumont, il lui dit :

— Je n’ai pas vu votre fils, monsieur ; est-il absent ?

— Mon fils est ici, répondit M. Dumont, je le crois dans sa chambre occupé à étudier.

— Soyez donc assez bon de nous le présenter, reprit le ministre, j’aimerais à le voir. J’ai su qu’il se distinguait à l’université par ses talents et sa bonne conduite.

Quelques minutes plus tard, Gustave entrait au salon, le sourire sur les lèvres, et s’inclinait avec grâce devant les messieurs auxquels il était présenté.

M. Dumont et son épouse eurent un sentiment d’orgueil de le voir aussi gentil et si bien élevé.

— Je vous félicite d’avoir un fils aussi intéressant, dit l’un des ministres en s’adressant à M. Dumont, il paraît vraiment intelligent, et je ne m’étonne pas qu’il fasse autant de progrès dans ses études.

— Il est aisé de comprendre, dit un autre, pourquoi vous n’épargnez ni soins ni peines pour le bien élever, et lui, de son côté, vous en récompense sans doute en suivant vos conseils.

— Mon fils a été élevé par ses grands parents qui demeurent à Montréal, dit M. Dumont, et je n’ai rien à lui reprocher, sinon qu’il est catholique romain. Il y a près d’un an qu’il est avec moi, et il refuse obstinément de rétracter ses erreurs.

— Fi ! fi donc ! s’écria le ministre, il est pénible de voir un jeune homme si accompli demeurer catholique ! Il faut espérer cependant qu’avant peu il renoncera à ses erreurs. Vous lui faites lire la Bible, n’est-ce pas ?

— Certes, oui ! répondit M. Dumont, de plus je m’aperçois qu’il prend non seulement plaisir à la lecture de la Bible, mais aussi à celle de plusieurs autres ouvrages qui ne serviront qu’à l’éclairer.

— Bien, bien ! reprit le ministre en se frottant les mains, c’est un bon signe : vous verrez que bientôt il rejettera cette Église corrompue. N’est-il pas vrai, jeune homme ? ajouta-t-il en s’adressant à Gustave.

— Veuillez me dire, monsieur, pourquoi je renoncerais à l’Église catholique ? demanda Gustave avec calme.

— Parce que l’Église de Rome est l’œuvre de Satan, répondit le ministre d’un ton solennel ; c’est la Babylone de l’Apocalypse, elle nourrit dans son sein la haine, l’hypocrisie et l’impureté ; elle excite les guerres qui sont la cause de la plupart des maux qui abondent sur cette terre.

— Je n’oserais contredire ce que vous venez d’avancer, monsieur, mais me serait-il permis de vous demander quelles sont les raisons qui vous font parler de la sorte ?

— Je m’appuie sur la Bible et l’histoire, et les écrivains en général sont d’accord sur ce point ; tous condamnent et rejettent cette secte impie.

— Une secte impie, dit Gustave avec fermeté, n’enseigne pas à aimer Dieu et à le servir ; l’impie ne connaît pas Dieu.

— Vous voulez dire, je suppose, dit le ministre avec ironie, que l’Église romaine enseigne à aimer Dieu et à le servir ?

— Certainement, c’est ce que m’ont appris les instructions de nos pasteurs, et celles de mes bons grands parents de Montréal.

— Et moi, je répète que c’est une secte impie ; l’Église romaine enseigne à aimer et à servir le Pape et les prêtres, et tous les auteurs de l’histoire de l’Église le démontrent clairement. Pas un ne diffère sur ce point.

— Alors, dit Gustave avec un sourire moqueur, mes compagnons de classe, même les plus jeunes, sont très instruits sur la Bible et sur l’histoire de l’Église, car tout ce que vous venez de dire, n’est qu’une répétition de ce qu’ils me disent eux-mêmes tous les jours. Cela dépend de l’éducation qu’ils reçoivent, je suppose.

— Et ils disent ce qui est vrai, reprit le ministre d’un ton irrité. Non, l’Église romaine ne devrait pas exister ; sans elle le monde serait heureux ; elle devrait être anéantie, exterminée.

— Monsieur, dit Gustave d’une voix émue, souvent chez mon grand-père, des amis venaient passer la soirée ; parmi eux, il y avait parfois des protestants, cependant je n’ai jamais entendu mon grand’père ou les catholiques de la société vilipender la religion de leurs frères séparés ; jamais ils n’ont parlé d’anéantissement ou d’extermination comme vous venez de le faire. C’est que notre religion, que vous taxez de haine et d’hypocrisie, n’enseigne et n’approuve pas ces choses ; étant toute d’amour pour Dieu et de charité envers le prochain, au lieu de calomnier et de détester, elle plaint nos frères séparés et prie Dieu pour eux. Excusez-moi, messieurs, si j’ai dit quelque chose qui puisse vous offenser.

— Tu n’as offensé personne, dit madame Dumont. Ce qui me surprend, ajouta-t-elle avec émotion, c’est d’entendre un tel langage de la bouche d’un homme qui se prétend ministre de Jésus-Christ. Ce n’est pas par l’injure et la calomnie que l’on convertira mon fils.

M. Dumont, rouge de colère, ordonna à Gustave de monter à sa chambre.

Plusieurs des ministres, vivement impressionnés de la justesse de la réplique de Gustave, étaient forcés de s’avouer à eux-mêmes que cet enfant avait raison. Cependant, lorsque, une heure plus tard, ce même ministre faisait la prière et demandait à Dieu d’éclairer ce jeune homme qui se traînait dans la fange et les égouts de Rome, ils s’écrièrent tous : Amen ! Amen !

Vous aurez beau vous exclamer, messieurs, de telles prières, entremêlées de mensonges et de calomnies, ne montent jamais plus haut que le plafond de l’appartement où elles se font, et elles se perdent avec l’écho que produit le son de si vaines paroles.

Est-ce ainsi qu’il faut pratiquer cette charité chrétienne que la Bible nous commande ? Jésus-Christ, qu’il nous faut suivre et imiter, nous a-t-il dit que le catholique n’est pas notre prochain, que nous pouvons l’injurier et le blesser dans ses opinions par des calomnies ou des menaces ?… S’il est dans l’erreur, ne devons-nous pas le ramener à la vérité en prenant les moyens de douceur et de persuasion que nous enseigne le divin Maître dans cette même Bible que plusieurs regardent comme unique moyen de salut ? À vous, qui affirmez de prêcher le pur Évangile, de répondre.