Gustave Wasa/Acte III
ACTE III
Scène I
Eh bien ! Chère Sophie, après tant de misère,
Libre, enfin, tu t’es vue entre les bras d’un père ?
Je partage avec toi… Mais je vois à tes pleurs,
Que tu viens d’éprouver le plus grand des malheurs.
Que ma prison n’a-t-elle été ma sépulture ?
J’eusse ignoré des maux dont frémit la nature.
Ainsi dans notre sang l’ennemi s’est baigné,
Et le fer destructeur n’aura rien épargné ?
Il a laissé partout le deuil et le ravage :
Nous ne nous en faisions qu’une imparfaite image.
Cette ville n’est plus qu’un débris effrayant
Où l’œil épouvanté la cherche en la voyant.
Stockholm a disparu ; sa splendeur est éteinte.
Un désert est resté ; vaste et lugubre enceinte,
Où tout ce que la guerre épargna de héros
A péri dès longtemps par la main des bourreaux !
Mon père fut du nombre, et je viens de l’apprendre ;
Mais en vain je demande où repose sa cendre,
Et c’est m’apprendre assez que de son triste sort
L’horreur s’est étendue au-delà de sa mort.
Ton père fut fidèle et cher à sa patrie.
Pour oublier sa mort souviens-toi de sa vie,
Et te sers des conseils dont tu savois si bien
Combattre ma douleur quand je pleurois le mien.
Hélas ! Quels sont tes maux près de ceux que j’endure ?
Vois gémir à la fois l’amour et la nature ;
Car, enfin, sois sincère, en crois-tu Leonor ?
Qu’en penses-tu ? Son fils respire-t-il encore ?
Non, madame, sa mort n’est que trop avérée.
Cruelle ! Et quel témoin t’en a donc assurée ?
Le meurtrier poursuit son salaire à la cour.
Le même coup deux fois m’assassine en un jour.
Ce qui doit rendre encor nos regrets plus sensibles,
C’est l’espoir dont flattoient ses armes invincibles.
Le ciel depuis six mois favorisoit ses coups.
De triomphe en triomphe il s’avançoit vers nous.
Nos malheurs l’attendoient au bout de la carrière :
C’est là qu’il est frappé d’une main meurtrière,
Et qu’à ce défenseur, longtemps victorieux,
On arrache la palme et la vie à nos yeux !
Sa déplorable mère est enfin convaincue ;
Et du coup trop certain sa grande âme abattue…
Nous nous importunons dans notre accablement.
J’ai besoin, comme toi d’être seule un moment.
Scène II
Et ma douleur profonde, à ce récit funeste,
De mes jours malheureux n’a pas tranché le reste !
Ainsi donc la vertu cède au crime impuni !
Toute erreur est cessée, et tout espoir fini…
Ai-je bientôt du ciel épuisé la colère ?
Ô mort ! Ô seul asile…
Scène III
Ah ! Ma fille !
Ah ! Ma mère !
Moi sans fils, comme vous maintenant sans époux,
Notre unique ressource est à des noms si doux.
De notre liberté voilà donc les prémices !
Et l’équité des cieux que j’ai crus plus propices !
Pressentiments trompeurs !
Tous nos vœux sont trahis.
Ô mon dernier espoir ! ô Gustave !
Ô mon fils !
Heureuses qu’en ce jour d’amertume et d’alarmes,
Il nous soit libre encor de confondre nos larmes !
Qu’il vive en votre cœur, ne l’oubliez jamais :
Je vivrai du plaisir d’adoucir vos regrets.
S’il vivra dans mon cœur ! Oubliez-vous, vous-même,
Combien, depuis quel temps, à quels titres je l’aime ?
Oubliez-vous, Madame, en ce triste moment,
Que je le pleure à titre et d’époux et d’amant ?
L’un à l’autre promis presque dès ma naissance,
Le désir de lui plaire occupa mon enfance :
Et quand ce prince aimable abandonna ces lieux,
Un souvenir si cher attendrit nos adieux.
Bien que mon second lustre alors finît à peine,
L’éloignement n’a fait que resserrer ma chaîne.
Ma flamme, en attendant des nœuds plus solennels,
Croissoit de jour en jour sous vos yeux maternels.
À ma vive amitié je mesurois la sienne.
Mon père fut le sien, sa mère étant la mienne.
Vous cultiviez en moi des sentiments si doux :
Ils faisoient notre joie. Ah ! Madame, est-ce à vous,
Quand la mort nous l’enlève, est-ce à vous d’oser croire
Qu’un autre le pourroit bannir de ma mémoire ?
Que seroit-ce ? Jamais Frédéric à mes yeux,
Tout soumis qu’il paroît, ne fut plus odieux.
Encore est-ce un bonheur que, dans notre infortune,
Il sache commander à sa flamme importune,
Et que l’usurpateur, jusqu’ici son appui,
Semble craindre à présent de vous unir à lui.
Oh ! Que, vous voyant libre et moins tyrannisée,
Étrangement tantôt je m’étois abusée !
À de justes remords j’imputois sa douceur ;
Mais c’est qu’il ne voit plus d’obstacle à sa grandeur :
Ne craignant plus mon fils, il n’a plus rien à craindre,
Plus rien qui maintenant le force à vous contraindre.
Il ne s’étoit plié qu’à des raisons d’état,
Qu’il a su mieux trancher par un assassinat.
Madame, attendons-nous à quelque ordre sinistre…
Le tyran se fait craindre à l’aspect du ministre.
Scène IV
Non, madame ; le roi veut faire désormais
À la sévérité succéder les bienfaits.
En ce jour, où tout prend une paisible face,
Il veut que le passé se répare et s’efface ;
Qu’avec la liberté vous repreniez vos droits,
Et que votre bonheur couronne ses exploits.
La garde qui vous suit n’est déjà plus la sienne :
Ce palais reconnoît en vous sa souveraine.
Commandez-y, madame ; et remplissez un rang
Où la vertu vous place, encor plus que le sang.
Si ton maître est touché des pleurs qu’il fait répandre,
Si d’un tel bienfaiteur mon bonheur peut dépendre,
Si tout dans ce palais se doit assujettir,
Si j’y commande, enfin, qu’on m’en laisse sortir.
Trop d’horreur est mêlée à l’air qui s’y respire.
Il est d’affreux climats qui bornent cet empire.
La nature y languit loin de l’astre du jour.
Mon repos, mon bonheur est là : c’est le séjour,
L’asile et le palais qu’on demande à ton maître,
Et non des lieux souillés du sang qui m’a fait naître.
Qu’il daigne en ces déserts me faire abandonner ;
Loin de lui je consens à lui tout pardonner.
Madame, il faut s’armer d’un plus noble courage.
Que parlez-vous d’aller dans un climat sauvage,
D’un peuple qui vous aime ensevelir l’espoir ?
Faites céder pour lui la tristesse au devoir.
Faites céder pour vous la foiblesse à la gloire.
On dépose à vos pieds les fruits de la victoire.
Votre père n’eût eu qu’un sceptre à vous laisser.
Dans un rang trop commun c’étoit vous abaisser.
La fortune se sert de votre malheur même,
Pour vous ceindre le front d’un triple diadème ;
Mais c’est en exigeant le don de votre main,
Madame, et les autels sont parés pour demain.
De nos persécuteurs le ministre barbare
Leur a-t-il inspiré l’ordre qu’il nous déclare ?
Ou peut-il ignorer, s’il ne fait qu’obéir,
Qu’obéir aux tyrans, souvent c’est les trahir ?
Parlons à cœur ouvert, et laissez l’insolence
Qui, sous un beau semblant, masque la violence.
L’usurpateur a mis le comble à ses forfaits :
De leur fruit dangereux il veut jouir en paix ;
Et l’hymen qu’il oppose à la haine publique,
De ses pareils toujours fonda la politique.
Mais quel temps choisit-il pour en former les nœuds ?
Qu’il soit prudent, du moins, s’il n’est pas généreux.
Qu’insultant lâchement aux pleurs de la princesse,
Toute pudeur en lui, toute humanité cesse ;
Bravera-t-il un peuple encor mal asservi,
Idolâtre d’un sang dont on s’est assouvi,
Qui pour premier trophée, à cette horrible fête,
De Gustave égorgé verra porter la tête ?
Que ces restes sanglants, nos cris, notre fureur,
Soient au Néron du nord des sources de terreur !
Réprimez, Léonor, une audace inutile ;
Du vainqueur, à jamais, le pouvoir est tranquille :
Et du vaincu la tête exposée en ces lieux
N’y doit épouvanter que les séditieux.
Ciel vengeur ! Se peut-il que ta justice endure
D’un semblable vaincu le malheur et l’injure ?…
De ceux qu’on assassine est-ce donc là le nom ?
Téméraire ! En nommant le gendre de Sténon,
Respecte d’un héros l’auguste caractère,
Surtout, en adressant la parole à sa mère.
Vous sa mère ?
Il manquoit cette horreur à mon sort :
Vous avez prononcé l’arrêt de votre mort.
Non, madame ; le roi ne cherchant qu’à vous plaire,
Je réponds de ses jours, dès qu’elle vous est chère.
Elle vivra. Souffrez seulement qu’on ait soin
D’écarter de l’autel un semblable témoin ;
Et que, pour contenir la douleur qui l’égare,
D’avec vous, aujourd’hui, mon devoir la sépare.
Nous séparer, cruel ! Et qui t’en a chargé ?
Pour mon maître, pour vous, je m’y crois obligé…
Gardes !
Scène V
Qu’oses-tu faire ? Est-ce là ma puissance ?
Vous servir, ce n’est pas manquer d’obéissance.
Adieu, madame, adieu. Ce triste éloignement
D’un trépas désiré hâtera le moment.
Le tyran m’offriroit une grâce inutile.
Entre mes bras encore il vous reste un asile.
Animés de l’excès des plus vives douleurs,
Ces foibles bras sauront vous disputer aux leurs…
Eh quoi ! Vous me laissez désolée et confuse ?
À mes embrassements ma mère se refuse ?
Que me reprochez-vous ?… eh bien ! Je les reçois,
Madame ; honorez-m’en pour la dernière fois.
Mais prenez dans les miens un peu de ma constance.
Ne vous oubliez pas jusqu’à la résistance.
Qu’espérer des efforts d’une tendre amitié ?
Est-il ici pour nous ni respect ni pitié ?
Et le sexe et le rang y sont sans privilèges.
Le sort nous abandonne à des mains sacrilèges.
Les désarmerez-vous par d’inutiles cris ?
À tant d’indignités opposons le mépris.
Que le vôtre en ce jour plus que jamais éclate.
Confondez hardiment l’espoir dont on se flatte,
Redoutant vos sujets prêts à se révolter,
Christierne à vos jours n’oseroit attenter.
À qui donc ose ici vous traiter en esclave
Expliquez-vous en reine, en veuve de Gustave.
Redemandez le sang d’un père, d’un époux :
Pleurez-les, pleurez-moi ; vengez-les, vengez-vous.
Je ne me croirai point d’avec vous séparée,
Si fidèle à l’amour que vous m’avez jurée…
Vous le serez : c’est trop offenser votre foi.
Vous ne trahirez point Stéton, mon fils ni moi…
Adieu… fais ton devoir.
Gardes, qu’on la retienne.
Scène VI
Madame, une autre voix, plus forte que la sienne,
Du côté le plus sûr saura guider vos pas.
La mère sur le fils ne l’emportera pas.
On ne veut rien de vous qu’il n’ait voulu lui-même.
Du moins si vous bravez l’autorité suprême,
Un amant peut ne pas vous supplier en vain.
On a de lui pour vous un billet de sa main.
Ses derniers sentiments s’y font assez connoître.
Un des siens vous l’apporte… Et je le vois paroître…
Je vous laisse.
Scène VII
J’ai vu tout ce que j’avois craint.
Mon bonheur n’est pas tel que l’on me l’avoit peint.
Au temple où tout est prêt ma mémoire est proscrite.
Approchez. Je conçois quel trouble vous agite.
Mon aspect vous rappelle un prince qui n’est mort
Que pour avoir trop pris d’intérêt à mon sort.
Sans moi vous n’auriez pas à regretter sa vie.
Son malheur jusque-là n’est digne que d’envie,
Madame, à vos sujets rien ne paroît plus doux
Que l’honneur de combattre et de mourir pour vous.
Gustave, je l’avoue, avoit plus à prétendre.
Il croyait…
Vous avez un billet à me rendre ?
Oui, madame. Au milieu des horreurs du trépas,
Il a de vos serments affranchi vos appas ;
Et le dernier effort de son amour extrême
Est allé jusqu’au soin de vous rendre à vous-même.
Il eût dû s’épargner des efforts superflus…
elle ouvre le billet.
C’est lui-même… écoutons un amant qui n’est plus.
Elle lit bas une partie du billet, et haut ce qui suit.
"D’une félicité vainement attendue,
Si vous m’aimez encore, oubliez les douceurs.
Votre repos m’occupe au moment où je meurs.
Régnez. Je vous remets la foi qui m’étoit due ;
Laissez-en désormais disposer les vainqueurs ".
À part, après avoir lu.
Que plutôt mille fois périsse Adélaïde !…
Voilà donc mon arrêt, et sur quoi l’on décide ?
Injuste Frédéric ! Est-ce là ta vertu ?
Ton rival expiroit ; de quoi te prévaux-tu ?
Cet aveu de mon sort ne te rend pas l’arbitre :
Il est pour toi plutôt un exemple qu’un titre…
Ah ! Sur ce titre en vain ton espoir est fondé :
Gustave emportera le cœur qu’il a cédé.
De ce héros à toi daignerois-je descendre ?
Ce qu’il a fait pour moi, je le dois à sa cendre ;
Et m’embarrassant peu d’une paix qui me fuit,
Mon amour veut le suivre où le sien l’a conduit…
À Gustave, qui s’est jeté à ses pieds.
Reprenons le récit que ma douleur exige…
Dites-moi… mais que vois-je ?
Adélaïde !
Où suis-je ?
Dans les bras d’un amant qui vit encor pour vous.
Ah ! Je le reconnois, j’embrasse mon époux.
Ô nom dont la douceur me paie avec usure
Des malheurs dont j’ai cru voir combler la mesure !
Et tu veux donc combler la mesure des miens ?
Cruel ! Je n’attendois qu’une mort, et tu viens
M’en faire souffrir mille en mourant à ma vue !
D’un billet captieux le sens vous a déçue,
Madame ; si j’accorde au vainqueur votre foi,
C’est qu’il n’est plus ici d’autre vainqueur que moi.
Vos bourreaux et les miens vont payer de leurs têtes
Les cruautés…
Songez, et voyez où vous êtes.
Si quelqu’un…
Je ne suis écouté que de vous.
Casimir nous seconde, et veille ici pour nous.
Et d’erreur en entrant ne m’avoir pas tirée !
Avoir de mes regrets prolongé la durée ;
Et sur des fictions laissé couler mes pleurs !
Ces pleurs m’étoient garants du plus grand des bonheurs ;
Ils remettoient la paix dans une âme saisie
Des terreurs d’une aveugle et tendre jalousie :
Terreurs que j’avouerai comme un crime à présent,
Mais dont mon cœur alors ne pouvoit être exempt.
Le bruit de mon trépas, près de neuf ans d’absence,
Les feux de Frédéric, ses vertus, sa puissance,
Et dans le temple enfin son bonheur annoncé…
Ah ! Qu’un moment plutôt mon amour offensé
À cette jalousie, injuste et criminelle,
Opposoit un témoin bien cher et bien fidèle !
Et qu’attester encore après ce que j’ai vu ?
Au fond de votre cœur l’heureux Gustave a lu.
Ne songeons qu’à l’exploit qui va me faire absoudre.
Cette nuit vous régnez : je vous venge ; et la foudre
Tombe sur Christierne avant qu’elle ait grondé.
Sans le soin de vos jours le coup eût moins tardé ;
Mais vous étiez, madame, à la merci d’un traître,
Qui, dans son désespoir, vous saisissant peut-être,
Le poignard, à nos yeux, levé sur votre sein,
Nous auroit arraché les armes de la main.
Nous-mêmes des fureurs désarmons la plus noire ;
Qu’il ne dispose pas du prix de la victoire.
Du peu de liberté qu’aujourd’hui l’on vous rend
L’usage est d’importance et l’avantage est grand.
Il en faut profiter. Sitôt que la nuit sombre
Sur ces lieux menacés épaissira son ombre,
Hâtez-vous de vous rendre au portique ici près,
Où l’élément glacé joint la rade au palais.
La valeur attend là votre auguste présence.
À l’instant mon triomphe et le vôtre commence ;
Et j’immole à vos yeux celui qui fit, aux siens,
Immoler les auteurs de vos jours et des miens…
Vous pleurez ! Doutez-vous du succès de mes armes ?
Non ; je vous connois trop pour vous donner des larmes.
Que n’a pas déjà fait, que ne peut votre bras ?
Et vos feux rassurés ne l’affaibliront pas :
Mais qu’à cet ennemi dont vous craignez la rage
Ma fuite laisse encore un précieux otage.
De le faire avertir il faut prendre le soin,
Madame ; quel est-il ?
Ce fidèle témoin
Près de qui s’instruiroit votre flamme jalouse,
Une tête aussi chère à vous qu’à votre épouse,
Votre mère.
Ma mère ? Eh quoi ! Ma mère vit ?
Dans les fers d’où je sors, seule elle me suivit,
Et près de moi resta tout ce temps inconnue ;
Mais enfin sa douleur ne s’est plus contenue,
Dès que de votre mort le bruit s’est confirmé :
De ce qu’elle est, par elle, on vient d’être informé ;
Et déjà dans la tour elle rentre peut-être.
J’aperçois
Scène VIII
Frédéric, Seigneur, il va paroître.
Sortons.
Ah ! Casimir, qu’ai-je appris ?… Viens, suis-moi.
Gustave !…
Demeurez, et calmez cet effroi.
Au lieu marqué songez seulement à vous rendre.
Ah ! Vous allez tout perdre, osant trop entreprendre.
Laissez de Frédéric implorer le crédit.
Scène IX
Il m’échappe !… Imprudente ! Où suis-je ? Et qu’ai-je dit ?
Mais que devois-je faire ?… Ô fatale journée !
Par quels événements seras-tu terminée ?
Scène X
Seigneur, si vous m’aimez…
Ne me reprochez rien,
Madame, cet amour se justifiera bien.
De votre hymen en vain la pompe se prépare :
Malheur à qui l’ordonne !… oui, puisque le barbare
Insulte à ma prière aussi bien qu’à vos pleurs,
Il est temps d’opposer fureurs contre fureurs.
L’honneur, votre repos, voilà ma loi suprême.
Je n’aurai pas pour rien triomphé de moi-même :
L’effort m’a trop coûté pour en perdre le fruit…
Madame, soyez libre, et partons cette nuit.
La flotte est toute à moi ; je disposerai d’elle.
La fortune, les vents, les cœurs, tout nous appelle.
Je n’ai que trop tardé. L’infortuné danois
Me reproche ses fers et l’oubli de mes droits.
Vos malheurs et les siens sont devenus mes crimes,
Pour un monstre abhorré ce sont trop de victimes.
Pouvant parler en maître, et las de supplier,
Cause de tant de maux, j’y dois remédier.
D’un si juste projet soyez l’heureux mobile ;
Où je retrouve un trône acceptez un asile,
Madame ; et que du soin qui m’anime pour vous
Renaisse enfin ma gloire et le bonheur de tous !
Non ; je dois respecter l’asile qu’on m’accorde,
Et ne pas y traîner une affreuse discorde,
Dont je serois, seigneur, le flambeau détesté.
Un autre espoir en vous aujourd’hui m’est resté.
Si vous ne la sauvez, Léonor est perdue.
Qu’avant la fin du jour elle me soit rendue !
Sa vie est en péril, et la mienne en dépend.
J’avois traité de fable un bruit qui se répand.
De Gustave, en effet, seroit-elle la mère ?
Vous concevez par là combien elle m’est chère,
Et tout le prix du temps qu’avec moi vous perdez…
Seigneur, avant la nuit, si vous me la rendez,
Si de votre amitié j’obtiens cette assurance…
Mais dois-je vous parler de ma reconnoissance ?
La gloire seule émeut la magnanimité,
Et son premier salaire est d’avoir éclaté.
{XI}
Laissons là mon départ ; courons la satisfaire.
Elle m’offre sans doute un moyen de lui plaire.
Et de lui plaire encor par un soin généreux.
Quel plaisir à ce prix de pouvoir être heureux !