Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre IX

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 159-170).


CHAPITRE IX


ÉDUCATION. — ARTS D’AGRÉMENT. — CODE PÉNAL. — MARIAGE ET DIVORCE. — LES DROITS DES CONCUBINES. — SITUATION DES ENFANTS. — GOUVERNEMENT.


Avant l’introduction des méthodes étrangères d’éducation et l’installation d’écoles d’après un plan moderne, aucune manifestation intellectuelle, sur laquelle on pût fonder de bien grandes espérances, ne se remarquait chez les Coréens. Aujourd’hui même, une vague connaissance des classiques chinois, qui, seulement en de rares cas, peut être considérée comme une connaissance approfondie, résume l’instruction des classes cultivées. Les hommes et les femmes des hautes classes ont la prétention de connaître la littérature et le langage de la Chine ; mais très rares sont les gens des classes moyennes, capables de lire autre chose que les journaux du pays écrits en une langue mixte chinoise-coréenne, dont la construction grammaticale est purement coréenne.

En dépit de l’ignorance dominante du chinois, c’est le dialecte des mandarins de la Chine qui est considéré comme le langage de la société cultivée. C’est la langue dont on se sert pour les communications officielles à la cour ; la plupart des étrangers au service du gouvernement se sont également rendus maîtres de ses difficultés. Le professeur Homer B. Hulbert, auquel ses recherches approfondies en matière de philologie coréenne et chinoise ont donné une autorité particulière, a calculé qu’un pour cent seulement des femmes des hautes classes qui étudient le chinois, en possèdent la connaissance pratique. Quant aux femmes de la classe moyenne et de la basse classe, elles l’ignorent. De plus, la proportion des femmes de la classe élevée pouvant lire les classiques chinois est très faible. Il est probable qu’en prenant au hasard une réunion de Coréens, on n’en trouverait pas plus de cinq pour cent capables de prendre un ouvrage chinois et de le lire aussi facilement que ce serait le cas, dans une réunion analogue d’Anglais, à l’égard d’un texte latin ordinaire en prose.

À l’égard du on-mun, l’écriture commune de la Corée, on ne rencontre pas, toutefois, une pareille ignorance ; les gens des hautes classes et des classes moyennes étudient leur écriture nationale avec beaucoup d’intelligence. La langue coréenne est absolument différente de celle de la Chine et du Japon ; elle possède un alphabet particulier, qui se compose actuellement de vingt-cinq lettres. Certaines annales coréennes la font remonter au quinzième siècle de l’ère chrétienne, à 1447, époque où le roi de Corée, ayant résolu d’affirmer son indépendance en abandonnant l’usage de l’écriture chinoise pour la correspondance officielle, inventa un alphabet pour satisfaire aux exigences des indigènes. L’esprit conservateur était trop fort néanmoins, et la nouvelle écriture fut peu à peu abandonnée à l’usage des basses classes, des femmes et des enfants. Il y a une vaste littérature en langue indigène. Elle comprend des traductions des classiques chinois et japonais ; des ouvrages d’histoire sur la Corée moderne et du moyen âge ; des livres de voyages et de chasses, de poésie et de littérature épistolaire, et tout un cycle de littérature d’imagination, qui emprunte ses sujets à ces aspects de la nature humaine communs à toute l’humanité.

PETITS GARÇONS

Nombre de ces livres sont étudiés soigneusement par les femmes coréennes, car celles qui les ignorent sont considérées avec dédain par les femmes des hautes classes et, à un moindre degré, par celles des classes moyennes.

Les servantes du palais sont les plus promptes à étudier et à connaître à fond la langue indigène, ayant besoin, par suite de leur position à la cour, de transcrire en on-mun les ordres du gouvernement, les nouvelles courantes et les potins en général, pour l’empereur. Les Coréens de toutes les conditions achètent couramment des livres en langage indigène et les empruntent aux cabinets de lecture ; les plus illettrés apprennent les plus importants chapitres en les entendant lire. Un ouvrage que toutes les femmes sont supposées connaître à fond, est intitulé Les Trois Principes de Conduite et se divise en trois parties : 1o le traitement des parents ; 2o la façon d’élever la famille ; 3o le ménage. Des livres qui se rapprochent de celui-là, et qui sont d’égale importance pour la femme coréenne, s’appellent Les Cinq Réglés de Conduite et Les Cinq Volumes de Littérature primaire, et, comme esprit et contenu, sont presque identiques. Ils traitent des rapports entre : 1o les parents et les enfants ; 2o le roi et ses sujets ; 3o le mari et la femme ; 4o les vieillards et les jeunes gens ; 5o les amis. Ils contiennent également des exhortations à la vertu et au savoir.

GROUPE D’ENFANTS DU PEUPLE

En dehors du genre d’éducation pour les femmes de Corée, que je viens d’indiquer, l’étude théorique des arts domestiques accompagne invariablement les études plus compliquées. Elle est accompagnée d’une importante partie expérimentale. Il s’ensuit donc qu’alors que l’éducation des hommes d’un certain rang se borne aux livres, auxquels ils ne prêtent qu’une attention indifférente, il existe pour les femmes tout un ordre d’études en dehors des écrits et de l’enseignement des professeurs admis et des autorités classiques. Les talents d’ornement, les ruses et les artifices de nos poupées de salon sont ignorés des classes élevées, la musique vocale et la danse étant réservées aux danseuses et aux demi-mondaines. La broderie, la confection des robes, la couture et le tissage absorbent leur attention jusqu’à ce qu’elles aient parcouru toute la gamme des travaux domestiques. Parfois les femmes des hautes classes apprennent à jouer du kumungo, un instrument d’un mètre cinquante de long sur trente centimètres de large, ressemblant un peu à la cithare, et émettant des sons mélancoliques et discordants. Il y a un autre instrument à cordes, le nageuni, mais les terribles grincements aigus de cette malheureuse viole me rendent malade, rien que d’y penser. La distraction habituelle et la plus simple des classes moyennes consiste en une promenade aimable, et sans but déterminé, autre que la flânerie. La balançoire, la corde, les dés, les dominos et les poupées sont en faveur, parmi les amusements.

Si on peut s’apercevoir de quelques petits progrès en matière d’éducation sous l’influence bienfaisante des missionnaires, l’état de la justice révèle de graves défauts. Naturellement, il n’est pas toujours possible d’appliquer à la procédure légale d’un pays le système qui produit de bons résultats dans un autre. Des explosions particulières de violence, provenant de causes identiques, apparaissent revêtues de caractères différents quand on se place au point de vue de ceux qui sont chargés d’établir des réformes.

On admettra, en outre, qu’un certain élément de barbarie dans les punitions est rendu nécessaire par les conditions mêmes où se trouvent certains pays, car elles en imposent à une population qui se rirait de punitions d’un caractère plus civilisé. Si on peut trouver excessif le Code pénal de Corée, il faut du moins se souvenir qu’en Extrême-Orient la justice n’est tempérée par aucune pitié. Maintes punitions existent encore franchement barbares, et d’autres se distinguent par leur exceptionnelle sévérité. La mort par décapitation, mutilation, strangulation ou par le poison est aujourd’hui moins fréquente que jadis.

PORTE PRINCIPALE DU PALAIS IMPÉRIAL À SÉOUL

Jusqu’à ces toutes dernières années, la loi coréenne avait l’habitude de faire supporter à la famille d’un grand criminel les mêmes peines qu’à lui. La famille en est maintenant exempte, et, grâce aux réformes introduites pendant l’agitation de 1895, on s’est efforcé d’abolir les pratiques contraires à l’esprit du progrès. Le tableau suivant montre les punitions encourues pour quelques crimes :

Trahison (Homme).
Décapité avec ses parents mâles jusqu’au cinquième degré. La mère, la femme et la fille empoisonnées ou réduites à l’esclavage.
Trahison (Femme). Empoisonnée.
Assassinat (Homme).
Décapité. Sa femme empoisonnée.
Assassinat (Femme).
Étranglée ou empoisonnée.
Crime d’incendie (Homme).
Étranglé ou empoisonné. Femme empoisonnée.
Crime d’incendie (Femme).
Empoisonnée.
Vol (Homme).
Étranglé, décapité ou banni. Sa femme réduite à l’esclavage ; confiscation de tous les biens.
Profanation des tombes.
Décapité avec ses parents mâles jusqu’au cinquième degré. Mère, femme et fille empoisonnées.
Crime d’incendie (Homme).
Strangulation ou décapitation. Sa femme empoisonnée.

D’après la loi coréenne, aucune femme ne peut obtenir la dissolution légale de son mariage. Le privilège du divorce appartient à l’homme ; parmi les hautes classes, il est rare. La femme peut néanmoins quitter son mari et se mettre sous la protection d’un parent, et alors le mari, à moins de faire la preuve contraire des accusations de sa femme, n’a aucun recours. Si la femme ne parvient pas à établir le bien fondé de sa cause contre son mari, les frais de la cérémonie du mariage, ordinairement très considérables, sont remboursés par ses parents. La loi ne force pas l’épouse à cohabiter avec son mari.

L’homme peut divorcer d’avec sa femme, en conservant la garde des enfants dans tous les cas, pour des motifs établis par la loi, et en plus sous les chefs d’accusation suivants : indolence, manquement aux sacrifices prescrits, vol et mauvais caractère. Les femmes des hautes classes ne peuvent faire appel des accusations de leur mari, les troubles domestiques étant considérés comme absolument répréhensibles. Une liberté beaucoup plus grande règne parmi les gens des classes inférieures, où on préfère les unions irrégulières, d’un caractère très bénin et très élastique. Le concubinage est une institution reconnue, que pratiquent les basses classes, aussi bien que les classes élevées.

Les droits des enfants des concubines varient suivant le relâchement moral de la classe au sein de laquelle ils naissent. Dans les classes supérieures ils n’ont aucun droit sur les biens de leur père ; la loi d’héritage par substitution les ignore et ils peuvent ne pas observer les sacrifices de famille. En l’absence de postérité légitime, un fils doit être adopté dans le but de recevoir par héritage les biens de la famille et de procéder aux rites ancestraux et funéraires. Les classes supérieures, accordent une grande importance à la pureté du sang ; parmi les classes moyennes et inférieures, une plus grande indulgence règne. Sauf dans les plus basses classes, il est d’usage d’avoir un domicile séparé pour chaque concubine. Le fait que parmi les classes inférieures, la concubine et l’épouse vivent sous le même toit, occasionne en grande partie le malheur des ménages coréens. La situation des enfants nés de concubines correspond dans tous les cas à la position sociale de la mère.

DANS UN GEÔLE CORÉENNE. — PRISONNIERS À LA CANGUE

Au cours de ces dernières armées, il y a eu de grands changements opérés dans le gouvernement et dans l’administration de la justice. Sous l’ancien système, la thèse despotique du droit divin engendrait de nombreux abus. La justice n’était pas tempérée par la pitié, et dans la répression du crime ce n’était pas toujours le coupable qui était puni. L’ancien système de gouvernement était calqué sur les principes de la loi de Ming en Chine. Le pouvoir du souverain était absolu en théorie et en pratique. Il était assisté des trois principaux fonctionnaires d’État et de six conseils administratifs auxquels on ajouta des bureaux supplémentaires, aussitôt que le pays entra en contact avec les nations étrangères. Des modifications dans l’esprit ou dans la lettre de la loi ont eu lieu de temps en temps à la requête des réformistes. Avant que se fût affirmée la prédominance des Japonais, la loi coréenne, dans ses principes et dans son caractère, ne s’écartait pas beaucoup de celle qui s’était maintenue en Chine pendant tant de siècles. Pendant longtemps, l’intense conservatisme de la Chine régna en Corée. Aujourd’hui, l’autorité du souverain est plus restreinte ; mais, entre les mains d’un monarque moins éclairé, elle pourrait être employée, comme autrefois, contre les intérêts du pays. Heureusement toutefois, l’ère de réforme et de progrès, qui marqua l’inauguration de l’empire, continue.

Le gouvernement appartient aujourd’hui à un conseil d’État, composé d’un chancelier, de six ministres, de cinq conseillers et d’un secrétaire en chef. La volonté du souverain est cependant suprême. Les départements de l’État sont dirigés par neuf ministres, dont le premier ministre est le chef, assisté dans le cabinet par le président du Conseil privé, les ministres de la Maison royale, des Affaires étrangères, de l’Intérieur, des Finances, de la Guerre, de la Justice, de l’Instruction publique et de l’Agriculture. Avec l’amélioration de l’administration intérieure, nombre d’abus qui existaient sous l’ancien système ont disparu. Il y a encore de nombreux griefs, et le fonctionnement de la machine de l’État ne donne pas encore une satisfaction sans mélange. La justice est encore entourée de corruption ; l’achat des charges est encore admis par une administration vénale. Le nettoyage des écuries d’Augias s’accompagne de maintes clameurs ; et, pour le moment, les avantages des améliorations réalisées ne justifient guère la joie extatique avec laquelle on accueillit leur introduction. Il est trop tôt encore pour prophétiser ; mais, si on peut obtenir que l’administration des services publics devienne honnête, il n’y a aucune raison pour que le succès ne vienne pas couronner les innovations. Dans l’intervalle, c’est néanmoins sur les conseillers étrangers que pèse entièrement la responsabilité du fonctionnement de la machine administrative. Il reste donc à voir si les services unis de ces hommes distingués pourront prolonger l’ère du gouvernement honnête en Corée.