Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre VIII

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 141-157).


CHAPITRE VIII


INACTION ÉTRANGÈRE EN CORÉE. — TRÉSOR À SEC. — IMPÔTS. — BUDGET. — DÉPRÉCIATION MONÉTAIRE. — LA DAI ICHI GINKO. — FONCTIONNAIRES MALHONNÊTES.


Les événements qui amenèrent l’état présent de complexité de la politique coréenne, commencèrent avec l’effort tenté par les Russes, dans l’automne de l’année 1897, pour s’attribuer le contrôle des douanes et des finances de l’empire. Comme la tentative du ministre russe d’alors, M. de Speyer, n’aboutit que partiellement, son successeur immédiat, M. Matunine, le représentant actuel, M. Pavloff, et son collègue de la Légation française, M. Colin de Plancy, ont, depuis, consacré toute leur diplomatie à l’achèvement de l’œuvre. Leur impuissance à forcer le gouvernement coréen à acquiescer à leurs demandes les a aigris dans leurs desseins contre le ministre anglais et le commissaire en chef des Douanes. Dans la poursuite d’une œuvre, à la fois peu honorable et inspirée par de mesquins préjugés, ils n’ont pas épargné le moindre expédient diplomatique qui pût servir leurs desseins. L’échec auquel les projets du parti franco-russe-coréen ont abouti à la suite de l’action anglaise, n’a fait que retarder momentanément leurs entreprises. Il n’apporte aucun changement perceptible à la situation, et ne rend pas plus facile la tâche du commissaire en chef, ni plus aisée à suivre la route du ministre anglais. En fait, il est absolument certain que l’opposition faite par les ministres russe et français à l’activité anglaise deviendra plus vigoureuse dans l’avenir.

L’aide prêtée par le gouvernement anglais à M. Gubbins durant la crise récente, a beaucoup fait pour chasser de l’esprit des Coréens les illusions qu’y avait fait naître notre indifférence passée. Il est peu probable que les mêmes moyens seront employés à l’avenir, si la cour essaie de chasser M. McLeavy Brown de son poste. Si la cour céda en présence de la démonstration anglaise, le tact et la considération pour les intérêts des deux parties en cause, dont M. Gubbins fit preuve par la suite, contribuèrent fortement au rétablissement du statu quo. D’autre part, l’apathie du gouvernement anglais qui négligea de protéger M. McLeavy Brown, quand il fut privé dé l’office de contrôleur des finances à l’instigation du ministre russe, en 1897, conduisit naturellement aux derniers troubles. Les deux fonctions sont si intimement apparentées, et l’esprit de la politique franco-russe est tellement impérieux et agressif, que la nomination d’un Russe ou d’un Français au poste de commissaire en chef des Douanes impliquerait leur fusion postérieure et le complet effacement de l’influence anglaise. Cela ne doit pas être, naturellement ; et cela serait impossible, si le gouvernement anglais voulait comprendre l’importance de maintenir intact son prestige en Corée. Nous avons peu d’intérêts matériels en Corée, mais il ne faut pas oublier que notre position dans le royaume doit être supérieure à celle de la France, et égale, à celle de la Russie. S’il n’y avait pas ce fait que la France est l’alliée de la Russie en Corée, comme partout ailleurs, il n’y aurait aucune raison de faire autre chose que de soutenir avec bienveillance la politique du Japon, sans prendre inutilement l’attitude agressive que les gens de l’île manifestent envers leurs voisins. Mais si nous voulons conserver notre situation, nous devons mettre un peu plus de vigueur dans notre politique, et tout en continuant à travailler d’accord avec le Japon, nous mettre à garantir l’intégrité de nos intérêts. Ce qui servirait le mieux ceux-ci, ce serait d’insister pour le maintien d’un Anglais comme surveillant des douanes maritimes coréennes. Notre action sur ce point recevrait l’approbation sans réserve du Japon et des États-Unis, dont les intérêts commerciaux, aussi bien que les nôtres, justifient la prédominance sur ce contrôle.

Les embarras financiers du gouvernement coréen actuellement sont le résultat des extravagances anormales de la cour. Tout ce qui tendrait à augmenter la lourde dette dont l’empereur grève les ressources réduites de la fortune nationale, n’est ni politique ni désirable. Les sources des revenus de l’empire sont les mêmes, mais, à un degré moindre, que celles qui existent en Chine. Il y a l’impôt foncier, qui n’est plus payé en grains, et qui a rapporté quatre millions et demi de yens sur les sept millions composant le revenu intérieur total de 1901 ; un impôt sur les habitations, réparti assez capricieusement et auquel on se soustrait par un système de petite corruption discrète ; le revenu net des douanes, qui est monté en 1901 à plus d’un million et quart de yens (1.325.414 yens) ; le produit de diverses concessions, monopoles, mines, monnaie ; et enfin les sommes tirées de toutes les contributions variées et irrégulières qui peuvent venir à l’esprit de ce ministre à l’esprit aiguisé, Yi Yong-ik.

VUE D’UN PONT À SÉOUL

L’impôt est lourd et impitoyable. La liste des objets les plus importants, soumis à la taxe, comprend, outre l’impôt foncier, douanier et sur les habitations, le sel, le tabac, le poisson, les fourrures, les terres à bois de construction, les minerais, le ginseng (plante médicinale), la frappe des monnaies, les bateaux de marchandises, les corporations, les patentes, le papier, les peaux de bestiaux, les prêts sur gages, etc. Dans ces derniers temps certains impôts sont tombés en désuétude. Toutefois cette liste est bien loin de comprendre tous les moyens auxquels l’empereur a recours pour faire « payer les violons » à ses sujets. Les dons, qui sont envoyés de diverses parties du pays pour plaire au souverain, sont tout à fait en dehors des cas réguliers, mais de grande valeur en eux-mêmes. Ces dons sont très étendus et comprennent les fruits de la terre aussi bien que les produits de la mer. Peu de choses échappent à la liste des dons, et aucune intervention ne peut amener la cessation de cette coutume ; et si un préfet manque de s’acquitter de ce devoir, il ne tarde guère à perdre sa charge.

Le budget de l’année 1901 fut fixé à neuf millions de yens, dont un million fut consacré aux dépenses impériales, et un peu plus que cette somme, versé au trésor privé de l’empereur. La différence entre le revenu et les dépenses dans la même année s’éleva à la petite somme de 775 dollars. Le budget de 1902 fut fixé à sept millions et demi de yens ; le revenu atteignit à peu près le même chiffre, et la différence entre les frais et le revenu fut de 633 yens. On voit donc qu’il y a peu de raisons aux difficultés financières dans lesquelles se trouve le trône. Si Sa Majesté ne gaspillait pas son revenu par l’achat de terres, pour l’ornementation de son palais et de sa personne, pour ses parents, ses femmes et les fêtes continuelles de la cour, l’appauvrissement chronique du trésor n’existerait pas. En outre un quart au moins de son revenu reste entre les mains des fonctionnaires qui en ont le maniement.

Dans ces conditions, il n’a jamais refusé d’accepter le secours de personnes intéressées ; mais ce secours de mauvais présage ne délivre pas le pays du fardeau des hypothèques et des impôts.

UNE GRANDE RUE À SÉOUL

Les crédits affectés aux différents départements grèvent le revenu d’une manière qui est absolument hors de proportion avec l’utilité ou l’importance précise de n’importe lequel de ces fantastiques bureaux. Le ministère de la Guerre réclamait en 1901, en chiffres ronds, plus de trois millions et demi de yens, le ministère des Affaires étrangères un quart de million de yens, le ministère des Finances trois quarts de million de yens, le palais un peu plus d’un million de yens, et le ministère de l’Intérieur un peu moins de cette somme. Un million de yens vaut en gros 100.000 livres sterling. La somme versée au ministère de la Guerre en 1902 fut, en chiffres ronds, d’environ trois millions de yens ; au ministère des Affaires étrangères, un peu plus d’un quart de million de yens ; au ministère des Finances, un peu plus d’un demi-million de yens. Les départements de la Justice, de l’Agriculture, de la Police, de l’Éducation et des Communications, dans cette administration grandement coûteuse et totalement incapable, revendiquent tous leur part du budget, si bien qu’il ne reste plus rien et qu’il y a très peu à montrer pour cette prodigalité dans la distribution des deniers publics.

Je donne le détail du budget de 1903. Les chiffres sont indiqués en dollars.

Le revenu total s’élève à 10.766.115 dollars. Les dépenses totales s’élèvent à 10.765,491 dollars. La différence est donc de 624 dollars.

REVENU
Dollars. Dollars.
Impôt foncier 7.603.020 Report 9.416.115
Impôt sur les habitations 460.295 Droits de douane 850.000
Divers 210.000 Impôts divers 150.000
Excédent provenant de 1902 (y compris l’excédent provenant de l’emprunt)
1.142.800 Monnaie 350.000
À reporter 9.416.115 10.766.115
DÉPENSES
Cassette particulière de l’empereur
817.361 dollars.
Sacrifices 186.639
1.004.000 dollars.
Maison impériale Ministère des Affaires étrangères
Dollars. Dollars.
Bureau des chemins de fer
21.980 Bureau 26.024
Police du palais
118.645
Surintendants de commerce
51.154
Police des ports ouverts
69.917
Représentants à l’étranger
201.020
Chemin de fer du Nord-Ouest
22.882 278.198
Bureau des cérémonies
17.608
Bureau des mines
10.000 Ministère des Finances
261.022 Bureau 53.910
Percepteurs 141.600
Bureau du Vieillard
24.026 Monnaie 280.000
Bureau des Généraux
65.853
Paiement de la Dette
989.250
Ministère
38.730 Pensions 1.956
Transport 200.000
Ministère de l’Intérieur 1.668.716
Bureau
34.624
Bureau du maire
6.144 Ministère de la Guerre
Gouvernements provinciaux
91.862 Bureau 50.651
Gouvernements préfectoraux de 2e classe
52.674 Soldats 4.072.931
Quelpart
4.222 4.123.582
Préfectures
778.325
Hôpital impérial
7.632 Ministère de la Justice
Bureau de vaccination
3.354 Bureau 31.603
Frais de voyage
730
Cour suprême
15.686
Sacrifices préfectoraux
866
Cour de mairie
8.162
980.433
Cours préfectorales
1.251
56.702

Bureau de Police Garde du corps impérial
Dollars. Dollars.
Bureau 252.857 Bureau 58.099
Prison de Séoul
32.650 Bureau des Décorations
Agents de police
51.462 Bureau 20.993
Police de la frontière, etc.
23.762 Postes et Télégraphes
Frais de voyage, etc.
600 Bureau 23.640
361.331
Frais généraux
438.295
461.935
Ministère de l’Instruction publique
Bureau 24.822 Bureau des Plans
Calendrier 6.022 Bureau 21.018
Écoles à Séoul
89.969 Plans 50.000
— de province
22.580 71.018
Subventions à des écoles particulières
5.430
Étudiants à l’étranger
15.920 Dépenses accessoires
164.943
Routes et autres réparations
35.000
Réparations en province
10.000
Ministère de l’Agriculture
Arrestation de voleurs
500
Bureau 38.060
Œuvres de bienfaisance
5.000
Frais généraux
8.240
Enterrement des pauvres
300
46.300
Divers
480
Police des mines, etc.
1.840
Conseil
Retrait
3.120
Bureau 18.580 56.240
Fonds de Réserve
1.015.000


Des mesures ont été prises de temps on temps, par les représentants à l’étranger, pour améliorer les finances du pays. À une seule occasion, sept réformes furent recommandées, et l’exposé en fut présenté par la suite à Sa Majesté. Au cours d’une enquête, on s’aperçut qu’en plus des pièces de nickel frappées par le gouvernement, il y avait plus de vingt-cinq espèces distinctes de pièces de nickel circulant en Corée. Jusqu’à ces années dernières la contrefaçon de la monnaie coréenne n’a pas été très rémunératrice. Les pièces d’autrefois avaient une si petite valeur, et le prix du métal joint au travail était si près d’égaler la valeur nominale de la vraie monnaie, que le risque n’était pas en rapport avec le profit. Une seule pièce de nickel de la monnaie d’aujourd’hui est toutefois égale à vingt-cinq de l’ancienne monnaie, et, comme le coût net de leur fabrication est inférieur à un cent et demi la pièce, on voit qu’il y a quelque encouragement à la fabrication de la fausse monnaie. Le nombre des fausses pièces de nickel augmente rapidement, et des permis de frappe furent, en un temps, libéralement accordés par le gouvernement à de simples particuliers. La monnaie de nickel est ouvertement importée en passant par la douane ; des pièces fausses sont expédiées, en grande quantité, par presque tous les navires venant du Japon et introduites en fraude dans le pays. Le gouvernement fait seulement attention au profit qu’il tire de cette circulation illégale, et, ignorant le tort permanent qu’elle fait au crédit du pays, se sert de tous les moyens pour faire circuler ces pièces dépréciées. Jusqu’à une date très récente, la circulation des pièces de nickel était bornée à la capitale et aux alentours de deux ou trois ports à traité, l’ancienne monnaie de cuivre subsistant ailleurs. Dans le but de généraliser leur usage, les magistrats reçurent l’ordre de n’accepter, dans tout l’empire, le paiement des impôts qu’en cette monnaie. Mais, comme les salaires sont ordinairement payés en monnaie de nickel et que la valeur d’achat du dollar de nickel coréen est moins de la moitié de ce qu’elle était avec la monnaie de cuivre, alors que le niveau de paiement demeure le même, le gros de la nation n’est pas payé davantage qu’autrefois, et la valeur d’achat de l’argent qu’il gagne est infiniment moindre. Il n’y a aucune perspective d’une amélioration prochaine puisque le gouvernement a passé un contrat pour l’émission de quarante millions de pièces de nickel de plus. Quand cela sera fait, la valeur nominale de la monnaie en circulation, vis-à-vis du yen d’or japonais, sera de quatorze millions de yens, presque un million et demi de livres sterling. Il n’y a naturellement pas de réserve d’argent ou d’or, pour garantir cette somme gigantesque.

TABLETTE À SÉOUL ET ENFANTS CORÉENS

Les choses en sont arrivées à un tel point, qu’à Chemulpo on a établi des cours pour :

1o Les pièces de nickel du gouvernement ;

2o Les pièces fausses de première catégorie ;

3o Les pièces fausses moyennes ;

4o Celles qu’on ne peut passer que dans l’obscurité.

S. E. YI YONG-IK, MINISTRE DES FINANCES DE CORÉE

Il n’y a donc pas à s’étonner que la question monétaire intéresse si vivement les représentants à l’étranger. Le gouvernement japonais, prenant enfin conscience de ses responsabilités en cette matière, a rendu, le 7 novembre 1902, une ordonnance impériale, qui reçut force d’exécution le 15, en vue d’empêcher les Japonais de faire de la fausse monnaie et d’envoyer des pièces de nickel de leur fabrication en Corée. La peine dont sont passibles ceux qui enfreindront cette ordonnance, est l’emprisonnement pour une durée d’un an au plus ou une amende ne pouvant dépasser 200 yens (20 liv. s. 8 sh. 4 pence). Cet arrêté donnait pouvoir aux employés des douanes japonaises d’empêcher l’exportation des pièces fausses, et permettait aux autorités douanières en Corée d’exercer des poursuites contre les Japonais coupables d’importer des pièces de ce genre. Depuis le 22 janvier 1902, date de la première saisie dans l’année, jusqu’à la fin de décembre, 3.573.138 pièces (pièces frappées ou flans), d’une valeur nominale totale de 18.191 livres sterling, furent confisquées par les employés des douanes de Chemulpo. On découvrit, un jour, le 19 août, à bord d’une jonque japonaise, 739.000 pièces, d’une valeur nominale de 3.772 livres sterling. La saisie la plus importante, après celle-ci, fut opérée, le 8 septembre, sur un bateau marchand. On y compta 530.000 pièces, d’une valeur nominale de 2.512 livres sterling.

En vue de remédier à cette déplorable situation de la monnaie coréenne, une banque japonaise, la Dai Ichi Ginko, sous la direction du baron Shibusawa, a décidé, soutenue par le gouvernement japonais, d’émettre des billets par lesquels elle s’engageait à payer le porteur à présentation, en monnaie japonaise, dans toutes ses succursales de Corée. La Dai Ichi Ginko possède des succursales dans tous les grands ports à traité, de même qu’à Séoul, et elle est peut-être le plus important agent commercial du pays. Les agents consulaires japonais sont autorisés à surveiller l’émission et à recevoir le compte de la circulation et des réserves deux fois par mois. Ils sont également revêtus de certains pouvoirs discrétionnaires pour limiter le nombre de billets en cours. Les billets sont de 1 yen (2 s. ½ p.), 5 yens (10 s. 2 ½ p.), 10 yens (1 liv. 5 p.). Le 10 mai 1902, eut lieu la première émission de billets de 1 yen. Ceux de 5 yens furent mis en circulation le 20 septembre de la même année. Les billets de 10 yens ne furent émis que plus tard.

Le 28 février 1903, la circulation des billets de la Dai Ichi Ginko et les réserves destinées à les couvrir se chiffraient comme suit :


SUCCURSALES
Montant Montant
en circulation en réserves
Chemulpo 18.927 18.927
Fusan 24.568 19.701
Séoul 1.894 1.894
Mok-po 14.406 12.250
Totaux 59.795 52.772


Cette initiative de la Dai Ichi Ginko souleva une opposition véhémente de la part du gouvernement coréen. Bien que l’émission des billets ait été dûment autorisée par l’empereur, le ministre des Affaires étrangères s’opposa avec persistance à la circulation des billets. Le 11 septembre 1902, un ordre fut publié par le ministère des Affaires étrangères, sous l’autorité du ministre des Affaires étrangères suppléant, interdisant l’usage des billets aux Coréens pour des motifs qui faisaient suspecter le crédit de toute l’entreprise. Cet ordre fut naturellement inspiré par Yi Yong-ik, et lorsque quelques mois plus tard, le 8 janvier 1903, Cho Pyöng-sik — alors ministre des Affaires étrangères — leva l’interdiction, Yi Yong-ik obtint aussitôt le renvoi de son trop complaisant collègue. Les Affaires étrangères étaient maintenant sans ministre et Yi Yong-ik se mit immédiatement à révoquer le privilège de la banque.

Après avoir déclaré que le papier-monnaie japonais serait la ruine du pays et prétendu que les indemnités réclamées à la Compagnie du chemin de fer Séoul-Fusan étaient à dessein payées en billets avec l’intention d’une déclaration finale de banqueroute au profit de la banque, Yi Yong-ik convoqua le 24 janvier une réunion de la Corporation des colporteurs auxquels il interdit d’accepter ce papier-monnaie. Quelques jours plus tard, le 1er février, le maire de Séoul fit afficher un édit dans toute la ville, donnant effet à cette interdiction, et, en même temps, menaçant des peines les plus sévères quiconque se servirait des billets ou qui aiderait d’une façon quelconque à les faire circuler. Le ministère des Finances fit ensuite publier l’édit dans toutes les provinces, et on se précipita aussitôt vers la banque pour le remboursement des billets. Trois jours plus tard, le 4 février, le ministre japonais suppléant menaça le gouvernement d’une demande d’indemnité et d’un certain nombre de concessions de mines et de chemins de fer en dédommagement du tort causé à la banque, si l’offensante ordonnance n’était pas retirée.

Après beaucoup de discussions et de nombreuses réunions, les autorités, coréennes consentirent à retirer la défense et à publier dans tout l’empire la reconnaissance de l’existence de la banque. Depuis ce jour la solidité dé la situation de la Dai Ichi Ginko n’a pas été contestée.

Les exactions et la malhonnêteté des fonctionnaires exercent un drainage perpétuel du trésor national. Si on pouvait venir à bout de cette calamité, un autre sérieux obstacle à une situation financière plus florissante serait ainsi surmonté. Malheureusement, la sécheresse et la famine de 1901, ajoutées à la diminution des revenus de l’année 1902 ont créé un écart de 5 millions de yens. Si on peut considérer ce déficit comme extraordinaire, aucune circonstance atténuante ne peut du moins excuser les diminutions supplémentaires de revenus, attribuables à la concussion des fonctionnaires. La dure situation financière créée par la famine attira l’attention sur les très importants déficits dus à nombre des plus importants fonctionnaires métropolitains et provinciaux. Ces gredins étant tous dans l’impossibilité de recracher leurs gains illicites, ils furent immédiatement poursuivis, à l’instigation du ministre des Finances Yi Yong-ik. Ministres d’État, gouverneurs de provinces, préfets et inspecteurs furent rudement mis à la raison par l’exécution, le bannissement ou l’emprisonnement de nombreux coupables.

En un semblable moment apparut la particulière astuce de Yi Yong-ik. Tandis qu’il punissait avec toute la sévérité de la loi les fonctionnaires compromis, il exécutait lui-même, en qualité de ministre des Finances, un coup d’audace qui rapporta presque un demi-million de yens au trésor impérial, en une seule fois. Yi Yong-ik s’entendit pour acheter aux fermiers la récolte de ginseng. C’est là un monopole d’État, et l’on convint du prix, huit dollars la livre pour soixante-trois mille livres, séché ou non séché. Quand vint le moment de payer, et qu’il eut pris possession du ginseng, Yi Yong-ik refusa de donner plus d’un dollar par livre, prétendant que les producteurs de ginseng l’avaient trompé sur la nature et le poids des expéditions. Pendant ce temps on vendait le ginseng ; on s’appropria l’argent et le Trésor s’enrichit de la différence.

À une autre occasion, à un moment où le change de la monnaie de nickel était en forte baisse contre le yen d’or, Yi Yong-ik contribua à encourager le présent fait à l’empereur de deux millions de dollars coréens. Par un arrangement exact, la valeur du change, monnaie de nickel contre yen d’or, s’affermit de vingt points le lendemain du jour où le cadeau fut fait. Il n’est sans doute pas nécessaire de faire remarquer que Yi Yong-ik disposa de la différence à l’avantage de son maître.