Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre XIV

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 235-242).


CHAPITRE XIV


LES PORTS À TRAITÉ (suite). — WI-JU. — SYON-CHYON-PO. — CHIN-AM-PO.
PYONG-YANG. — KUN-SAN. — SYONG-CHIN.


Les ports dont il me reste à parler n’ont pas encore acquis une importance commerciale qui permette d’en faire grand cas. Ils prouvent néanmoins avec quel esprit d’initiative les Coréens ont eu réponse aux demandes qui leur furent faites.

Jusqu’ici, le commerce de la Corée, grâce à des ports francs plus nombreux, a été plus prospère dans le nord de la presqu’île que dans le sud. Mais, en ajoutant à la liste des ports à traité Syong-chin sur la côte nord-est, et, sur la côte ouest, Chin-am-po (avec Pyong-yang, naguère capitale de la Corée, aujourd’hui la troisième ville de l’empire) on a grandement favorisé le développement commercial des marchés presque inconnus de la Corée septentrionale. Dans l’intérêt du commerce des provinces méridionales de l’empire, on a créé cependant sur la côte ouest le port de Kunsan, en même temps qu’on ouvrait, en 1899, Syong-chin, sur la côte nord-est. Ce port est situé entre Chemulpo et Mok-po, à l’embouchure de la rivière Keum, limite naturelle qui sépare les deux provinces de Chyol-la et de Chyung-Chyong.

C’est néanmoins dans la région du nord et du nord-est que le commerce étranger doit chercher cet élan d’activité industrielle que fait naître l’ouverture de marchés nouveaux. Il existe déjà un centre commercial important à Wi-ju, à l’embouchure de la rivière Yalu. Cette ville demande à être ouverte ; sa situation à la frontière de Mandchourie lui attire un commerce direct, varié et important. De plus, si Wi-ju était déclaré port ouvert et soumis au contrôle des Douanes maritimes coréennes, on pourrait plus facilement surveiller les contrebandiers, qui en ont fait le centre de leur commerce frauduleux.

Syon-chyon-po, le plus récent des ports ouverts, est tout à fait à ses débuts. Il est situé à environ quarante milles au sud de Wi-ju. Sa prospérité future est incertaine, mais d’après sa position, à mi-chemin entre Chin-am-po et Wi-ju, il doit devenir une escale importante pour la navigation du pays. Aujourd’hui, Syon-chyon-po est administré de Chin-am-po, mais les plans de sa future colonisation sont tracés, et il deviendra sûrement une florissante ville japonaise. Pour l’instant, il y a peu de commerce.

La rivière Ta-dong, à l’estuaire de laquelle Chin-am-po est situé, est l’un des cours d’eau les plus pittoresques et les plus importants du pays. Il draine les districts sud et sud-est de la province de Pyong-an ; c’est sur ses bords qu’est situé, à soixante-sept milles de la mer, Pyong-yang, l’ancienne capitale et la plus vieille ville de l’empire. Autour de Pyong-yang, une foule de souvenirs historiques et légendaires se trouvent rassemblés. Des villes et des villages s’élèvent sur les bords du Ta-dong ; le paysage est d’une âpre beauté et le pays environnant est extrêmement intéressant, tant au point de vue géographique qu’au point de vue historique. La vitesse du courant pendant les grandes marées est d’une moyenne de trois nœuds et quart. Au jusant, vis-à-vis de la rive où s’élève Chin-am-po, la vitesse augmente de deux nœuds à cause d’une saillie que forme le rivage sur le bord opposé. L’embouchure du Ta-dong est de formation irrégulière ; de nombreuses dentelures, qui marquent la limite du mouillage, se transforment en marécages à marée basse. Avant qu’on ait désigné Chin-am-po comme port à traité, le village indigène se composait de quelques huttes éparpillées, donnant asile à moins d’un millier d’habitants. Un nouvel ordre de choses s’est maintenant établi. Les étendues marécageuses ont été défrichées et tant d’améliorations ont été apportées à l’état général du port, qu’on peut lui prédire avec confiance un brillant avenir.

Chin-am-po, la colonie, est situé sur le bord septentrional de l’embouchure du Ta-dong, à environ quinze milles du point ou il pénètre dans la province de Pyong-an, à l’extrémité sud-ouest de celle-ci. Le port a été ouvert au commerce étranger en octobre 1897. Depuis lors, Chin-am-po s’est beaucoup développé. Il promet aujourd’hui de devenir un centre commercial extrêmement important. L’accroissement du commerce étranger et l’état florissant du marché indigène ont attiré l’attention des. Japonais, qui y forment déjà une importante colonie. Le chiffre de la population indigène varie suivant les estimations, de quinze à quarante mille âmes, mais le premier de ces deux chiffres est le plus près de la vérité. Le commerce lutte avantageusement, au point de vue de la valeur et de la quantité, avec celui des ports d’égale importance et pareillement situés. Il se restreint à deux grandes classes de produits : les produits agricoles et ceux des mines. Quand les concessions des compagnies minières américaines et anglaises furent accordées, Chin-am-po est devenu le port d’expédition d’une grande partie de leurs produits.

Ces possibilités commerciales de la région située entre la rivière Ta-dong et le versant du Yalu sont encore aux premiers degrés de leur développement. On peut prédire que ces terres nouvelles rapporteront de gros bénéfices à ceux qui sauront les exploiter avec intelligence. Séparée de la portion orientale de l’empire par une chaîne de montagnes et s’étendant du sud de Po-reup-san, près de Chin-am-po, jusqu’à la forteresse des montagnes qui forme la frontière septentrionale de l’empire, une contrée s’étend, qui est presque inhabitée. Des bandes de pillards coréens et de brigands chinois la fréquentent ; les indigènes y exploitent des mines et la guerre de frontière y est perpétuelle. Parcourue par les fauves, stérile et presque impénétrable, cette région n’a presque pas été touchée par la civilisation occidentale. Ses bouquets de pins et de sapins, ses étendues boisées rappellent le temps où la Corée n’était qu’une vaste forêt. Jusqu’à ces derniers temps, deux ports ouverts desservaient seuls cette contrée : Chin-am-po et Pyong-yang. Le troisième, Syon-chyon-po, à l’extrémité nord, est encore fermé aux Européens. Les ressources naturelles comprennent l’or et la houille, le fer et le cuivre. Le sol est riche, et le moment est venu d’y établir des industries. De plus, un commerce actif pacifierait ces terres demeurées à l’écart.

Pyong-yang est situé à la limite d’un vaste district riche en anthracite et en charbon bitumineux. On peut facilement suivre à la trace les affleurements, qui, à vrai dire, n’indiquent pas jusqu’ici une très bonne qualité de combustible. Il y a, toutefois, d’autres minerais que la houille. La province possède de nombreuses carrières de pierre et le bois de construction y est abondant.

Les annales de Pyong-yang remontent à trois mille ans, et la fondation de la cité coïncide avec celle du royaume d’Israël. Saül, David et Salomon furent les contemporains de Ki-ja et de ses successeurs. En des temps plus modernes, les événements les plus saillants sont le massacre de l’équipage du Général Sherman, en 1866, et le long chapitre des misères qui accablèrent la ville pendant la campagne sino-japonaise. Les ravages de la guerre et de la peste, en 1895, firent de la cité un désert et une ruine. Cependant, comme pour rappeler aux habitants la gloire ancienne de leur ville, la fortune changea et une certaine prospérité réapparut. En même temps le commerce a repris ; une petite colonie étrangère s’y est établie et on espère que les mauvais jours sont maintenant aussi loin d’elle que le sont les temps où cette capitale du vieux monde s’entourait pour la première fois de murailles. Les progrès ont été énormes dans le commerce et l’industrie ; et, comme signe des temps, on peut mentionner le fait que la population indigène a établi une école particulière pour l’enseignement de l’anglais. Pyong-yang et Chin-am-po sont si entièrement associés, que le sort de l’une des deux villes apparait inséparablement lié à celui de l’autre. Il n’est pas certain, toutefois, que Pyong-yang continue à demeurer un port ouvert, car le gouvernement a manifesté l’intention de le fermer, s’il est contraint d’ouvrir Wi-ju. Les représentants, anglais, américains et japonais se sont fortement opposés à cette fermeture.

Le port de Kun-san, qui fut ouvert, en mai 1899, au commerce et à la colonisation du dehors, est un débouché analogue à Mok-po, quant aux produits qui l’alimentent. Il dépend pour la plus grande partie des ressources agricoles des provinces de Chyol-la et de Chyung-Chyong, et il exporte des céréales, telles que le riz, le blé et les fèves, du grass-cloth, du papier et des articles en bambou, divers poissons et algues. Quand le chemin de fer entre Séoul et Fusan sera terminé, le développement des ressources agricoles de ces régions influera sur la destinée de ce port. En attendant ce jour, il s’enrichit tranquillement, satisfait d’occuper une place prépondérante dans le commerce de la côte plutôt que de figurer comme une escale importante, dans l’échange de produits avec la Chine et le Japon. Naguère, le port était connu comme le point d’exportation du riz de l’impôt, quand les taxes du gouvernement étaient payées en grain. Aujourd’hui, cette coutume a disparu. À Kunsan, il y a une colonie croissante de Japonais, une forte population indigène et un petit groupe de Chinois. Les importations ne comprennent que des produits japonais — en général, ces contrefaçons des produits étrangers, tels que les toiles à chemises de Manchester, les linons chinois, les fils indiens, la cérosine américaine, les allumettes anglaises et suédoises, dans la fabrication desquels nos hardis imitateurs ont atteint un degré extraordinaire de perfection.

Le plus isolé de tous les ports ouverts est Syong-Chin, situé sur la côte nord-est, dans la province de Ham-kyong, à environ cent vingt milles de Won-san. Il a été ouvert en mai 1899 ; le commerce, qui se fait surtout avec Won-san et qui est aux mains des Japonais, est peu important. Il peut se développer, car il y a de l’or, du cuivre et de la houille à peu de distance de la ville. Il y a également des carrières de granit blanc dans les environs. La pêche, le long de la côte, nourrit une colonie de Japonais ; dans la province, on élève un grand nombre de bestiaux pour le marché, et on cultive la fève dans le pays d’alentour. Les exportations comprennent les fèves, les peaux et le poisson ; les importations sont la cérosine, les allumettes et les cotons. Il n’y a aucun commerce indigène direct avec le Japon. L’état actuel de Syong-chin indique qu’il a été autrefois une importante

ville fortifiée. On y voit les ruines d’une haute muraille, surmontée de tourelles et de créneaux. Le temps, la pauvreté et l’incurie l’ont réduit à sa situation présente. La population indigène est peu nombreuse. Le mouillage n’est guère autre chose qu’une rade ouverte. Il est facile d’accès, bien creusé, et de fond excellent. Les navires tirant dix pieds peuvent mouiller à très peu de distance du rivage. Les brouillards et les grands vents règnent au printemps, mais, en somme, le climat est plus tempéré, en toutes saisons, que celui de Won-san.

VUE DU PARC D’UN NOTABLE CORÉEN AUX ENVIRONS DE SÉOUL

Le port est situé près du quarante et unième parallèle, faisant presque face au nord-est, à mi-chemin entre Won-san et Vladivostok. Le vent qui domine, hiver comme été, souffle du sud-ouest. C’est seulement dans les moments de troubles atmosphériques, peu fréquents dans ces parages, qu’un vent du nord-est rend le mouillage peu sûr, et force les navires à changer leurs amarres et à se porter à l’extrémité nord-est de la baie, où la pointe de Sarako leur offre un abri. À deux cents mètres du rivage, on a cinq brasses d’eau. La hauteur des grandes marées est d’environ deux pieds. Il n’existe aucun obstacle à la construction d’un débarcadère et d’un port. Quand le port fut ouvert, la ville indigène se composait de quelques huttes. Depuis, on a bâti environ 250 maisons, et d’autres sont en construction. Il est probable que, dans un court laps de temps, Syong-chin supplantera la ville voisine de Im-myong, comme marché. La colonie étrangère est représentée par un consul japonais et son personnel, une force de police et des employés de poste, un maître d’école, un expéditeur et des ouvriers, tous Japonais. Un médecin anglais, appartenant a la Mission canadienne, y réside avec sa famille. La seule maison étrangère construite dans les limites de la colonie est celle occupée par le consul japonais.