Harivansa ou histoire de la famille de Hari/Lecture 3

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TROISIÈME LECTURE.

CRÉATION DE DAKCHA ; NAISSANCE DES VENTS.

Djanamédjaya dit :

Ô Vêsampâyana, raconte-moi, je te prie, en détail la naissance des Dévas et des Dânavas, des Gandharvas, des Râkchasas.

Vêsampâyana dit :

Swayambhou[1] d’abord commandant à Dakcha : « Procède, lui dit-il, à la création des êtres (pradjâ). » Ô maître de la terre, écoute comment ce patriarche s’acquitta de cette fonction. Par la puissance de son esprit, il produisit d’abord les Richis, les Dévas et les Asouras[2], les hommes, les Râkchasas[3], les Yakchas, les Bhoûtas[4], les Pisâtchas[5], les oiseaux, les quadrupèdes, les serpents. Ces êtres issus de sa pensée ne prenaient aucun développement : alors le pieux Pradjâpati[6], réfléchissant au moyen de produire au dehors ces créatures diverses, se soumit au devoir matrimonial, et prit pour épouse Asiknî, fille du Pradjâpati Vîrana, noble et sainte pénitente, qui est devenue le soutien du monde. D’Asiknî, fille de Vîrana, le grand patriarche Dakcha eut cinq mille enfants.

Nârada[7], ce Dévarchi au doux langage, vit cette illustre race possédée du désir de s’étendre et de se développer : il osa leur donner un conseil qui causa leur mort, et qui devait lui attirer à lui-même l’imprécation de Dakcha[8]. Le Mouni Casyapa, craignant pour Nârada la colère de ce patriarche, s’entremit pour que l’imprudent conseiller devînt dans une seconde naissance fils de Brahmâ et d’une fille de Dakcha. Nârada était déjà une fois né de Brahmâ : le Dévarchi Dakcha, époux d’Asiknî, fille de Vîrana, fut l’aïeul de cet illustre Mouni, ainsi régénéré. On avait dit à Dakcha : « Vos fils, les Haryaswas, viennent de périr, égarés par leurs idées de vertu et de devoir ; tous, ils sont morts, il n’en faut point douter, et c’est Nârada qui en est cause. »

Le puissant Dakcha demandait la mort du coupable : il se présenta devant les Maharchis, mais se laissa fléchir par Brahmâ, à qui il fit cette condition : Que Nârada renaisse de vous et d’une de mes filles. » Brahmâ y consentit, et l’une des filles de Dakcha lui fut donnée. De cette union naquit le Richi Nârada, qui échappa de cette manière à la malédiction de Dakcha.

Djanamédjaya dit :

Comment le Maharchi Nârada fut-il cause de la mort des enfants de ce patriarche ? Sage Brahmane, instruis-moi de la vérité.

Vêsampâyana reprit :

Les Haryaswas[9], enfants de Dakcha, témoignaient l’envie de croître et de s’étendre. Un jour que cette famille forte et courageuse était rassemblée, Nârada leur dit : « Enfants que vous êtes, vous ne connaissez donc pas l’immensité de cette terre ? Vous voulez propager votre race, petits-fils des Pratchétas. Sur la terre, au-dessus, au-dessous, comme vous pourriez satisfaire vos désirs ! » Après avoir entendu ces mots, les malheureux s’éloignèrent de tous côtés : mais l’air seul ne pouvait les nourrir. Ils succombèrent, du moins ils ne sont pas revenus ; ils ont été reçus dans l’espace comme les fleuves dans la mer.

Après la mort des Haryaswas, Dakcha, fils des Pratchétas, eut encore de la fille de Vîrana mille enfants, qui se nommèrent Sabalâswas. Nârada les engagea à se mettre à la recherche de leurs frères. Les Sabalâswas se dirent tous mutuellement : « Le grand Mouni a raison, il faut voir ce que sont devenus nos frères. Plus d’hésitation : c’est en connaissant l’étendue de la terre que nous multiplierons heureusement notre race. » Attachés à cette idée, fermes dans leur résolution, ils suivirent les traces de leurs aînés, et se dispersèrent de tous côtés : comme leurs frères ils ne sont pas revenus, et sans doute ils ont trouvé la mort dans des régions lointaines.

Alors le grand Dakcha, irrité de la mort des Sabalâswas, dit à Nârada : « Meurs maintenant et va te renfermer dans le sein d’une femme. » C’est ainsi, ô roi, qu’un frère, en courant témérairement sur les pas de son frère, trouve bientôt la mort : le sage sait éviter cette destinée.

Le patriarche Dakcha, après la mort de ses fils, rendit la fille de Vîrana mère de soixante filles ; c’est ce que dit la tradition. Ces filles eurent pour époux le grand Casyapa, Soma, Dharma, et d’autres Maharchis. Dakcha en donna dix à Dharma, treize à Casyapa, vingt-sept à Soma[10], quatre à Arichtanémi, deux à Vahoupoutra[11], deux aussi à Angiras, deux au docte Crisâswa[12]. Ô fils de Courou, voici maintenant des détails sur quelques-unes d’entre elles.

Aroundhatî, Vasou, Yâmî, Lambhâ, Bhânou, Maroutwatî, Sancalpâ, Mouhoûrttâ, Sâdhyâ et Viswâ, ce sont là les dix épouses de Dharma. Je vais te dire quels furent leurs enfants.

Les Viswadévas[13] naquirent de Viswâ, les Sâdhyas[14] de Sâdhyâ, les Marouts[15] de Maroutwatî, les Vasous de Vasou, les Bhânous de Bhânou, les Mouhoûrttas de Mouhoûrttâ. Lambhâ donna le jour à Ghocha[16], Yâmî à Nâgavîthî[17], Aroundhatî à tous ces êtres dépendants de la terre[18], et Sancalpâ â Sancalpa, qui est l’âme de tout[19]. Nâgavîthi, fille d’Yâmi, enfanta Vrichala.

Ô roi, les épouses que le fils des Pratchétas, Dakcha, accorda à Soma, sont célèbres dans les livres astronomiques et connues sous le nom de Nakchatras[20].

Je te donnerai quelques éclaircissements sur les huit fameux Dévas, qui s’appellent Vasous, et qui marchent devant la lumière[21]. On les nomme Âpa, Dhrouva, Soma, Dhara, Anila, Anala, Pratyoûcha et Prabhâsa.

D’Âpa naquit Srama, saint pénitent et Mouni irréprochable[22] ; de Dhrouva, le divin Câla, qui compte le nombre des vivants[23] ; de Soma, le pieux Vartchas, père de Vartchaswin ; de Dhara, Dravina, saintement occupé d’offrandes et de sacrifices[24]. Dhara eut encore de Manoharâ Sisira, Prâna et Ramana. Sivâ fut l’épouse d’Anila : elle en eut deux fils, Manodjava et Avidjnâtagati. Anala donna le jour à Coumâra, qui parut à sa naissance environné des tiges brillantes du gazon sara[25] ; qui, surnommé Sâkha et Visâkha, est représenté dans les livres sacrés sortant du sein de la flamme étincelante ; et qui, élevé comme un fils par les Criticâs, est pour cette raison appelé Cârtikéya, surnom qu’il honore aussi bien que les noms de Scanda et de Sanatcoumâra. Quant à Pratyoûcha, il eut pour fils, comme on sait, le Richi Dévala, père de deux enfants célèbres par leur patience et leurs austérités. Le huitième Vasou, Phabhâsa, prit pour épouse une sœur de Vrihaspati, qui connaissait la science divine, et qui purifiée par la dévotion, traversait le monde sans s’y attacher : elle se nommait Varastrî. Elle fut la mère du grand Pradjâpati Viswacarman, inventeur des arts, ouvrier céleste, dont la main industrieuse façonne tous les ornements, et fabrique les chars des Dévas, et dont les mortels intelligents imitent l’heureuse adresse pour l’avantage et l’agrément de leur vie.

Ô fils de Bharata, Sourabhi, sanctifiée par sa pénitence et la faveur de Mahâdéva, épousa Casyapa, à qui elle donna les onze Roudras ; savoir, Adjécapâd, Ahirvradhna, Pinâkin, Hara, Vahouroûpa, Tryambaca, Aparâdjita, Vrichâcapi, Sambhou, Caparddhin et Révata[26]. Voilà ceux que l’on appelle les onze Roudras, maîtres des trois mondes ; mais il existe encore cent autres Roudras tout-puissants.

Apprends que Casyapa est le père d’une infinité d’enfants que les livres antiques nous représentent comme répandus par toute la nature, et attachés à tous les êtres animés ou inanimés. Voici les noms de ses femmes : Aditi, Diti, Danou, Arichtâ, Sourasâ, Sourabhi, Vinatâ, Tâmrâ, Crodhavasâ, Ira, Cadrou, Khasâ et Mouni. Je vais te dire, ô roi, quelle fut leur postérité.

Pendant le premier Manwantara, il y avait eu douze grands Souras : on les appelait Touchitas[27]. Quand ils virent arriver le règne du Manou Vêvaswata, ils se dirent mutuellement : « La splendeur du Manou Tchâkchoucha va finir. Pour le bien de tous les êtres, il faut nous réunir ; allons nous renfermer dans le sein d’Aditi. Qu’elle soit notre mère pour le Manwantara prochain : c’est le meilleur parti que nous ayons à prendre. » Ainsi parlèrent ces Dévas du temps du Manou Tchâkchoucha, et ils consentirent à renaître de Casyapa, fils de Marîtchi, et d’Aditi, fille de Dakcha. Voici les noms des douze fils d’Aditi : Sacra, Vichnou, Aryaman, Dhâtri, Twachtri, Poûchan, Vivaswân, Savitri, Mitra, Varouna, Ansa, et le brillant Bhaga. Et c’est ainsi que les dieux qu’on avait appelés Touchitas, sous le règne de Tchâkchoucha, prirent le nom d’Adityas[28], sous celui de Vêvaswata.

Les vingt-sept pieuses épouses de Soma, dont nous avons parlé plus haut, eurent des enfants qui les égalèrent en éclat et en splendeur.

Les femmes d’Arichtanémi lui donnèrent seize fils.

Le sage Vahoupoutra eut quatre filles, appelées les Vidyouts[29].

Angiras produisit les Ritchas[30], si distinguées, et honorées par les Brahmarchis.

Crisâswa le Dévarchi fut père de ces traits animés et vivants, appelés Armes des dieux[31].

Tous ces ordres de Dévas, au nombre de trente-trois[32], au bout d’une révolution de mille yougas, meurent pour renaître quand leur devoir les rappelle. Ô roi fils de Courou, leur disparition (nirodha) et leur retour ressemblent à ce que nous voyons ici-bas pour le coucher et le lever du soleil. Telle est, dans la suite des âges, l’action de ces dieux qui viennent tour à tour revêtir des corps.

On dit que Casyapa eut de Diti deux fils, Hiranyacasipou et le vaillant Hiranyâkcha, dont les descendants reçurent le nom de Détyas. (De Danou il eut entre autres)[33] Vipratchitti, qui épousa Sinhikâ[34] et dont les courageux enfants ont porté le nom particulier de Sênhikéyas.

Cette race fut innombrable, ô roi : c’est par dix mille, par cent mille qu’on les compte.

Hiranyacasipou eut quatre fils renommés, Anouhrâda, Hrâda, le vaillant Prahrâda[35] et Samhrâda. Hrâda eut pour fils Hrada : Hrada donna le jour à Âyou, à Sivi et à Câla. Prahrâda fut père de Virotchana ; Virotchana, de Bali ; Bali, de cent fils, dont l’aîné était Bâna. Parmi les autres on distingue Dhritarâchtra, Soûrya, Tchandramas[36], Indratâpana, Coumbhanâbha, Gardabhâkcha, Coukchi. Bâna, le plus âgé et le plus vaillant, fut aimé du dieu

Siva. Ayant autrefois rencontré le puissant époux d’Oumâ[37], il lui avait demandé le privilège de marcher à ses côtés.

Les fils d’Hiranyâkcha furent au nombre de cinq, remplis de sagesse et de force : c’étaient Djhardjhara, Sacouni, Bhoûtasantâpana, l’invincible Mahânâbha et Câlanâbha.

Danou eut cent enfants, tous célèbres par leur force, leurs austérités et leur puissance : je n’en citerai que les principaux, tels que Dwimoûrddhan[38], Sacouni, le grand Sancousiras, Sancoucarna, Vivâda, Gavechthin, Doundoubhi, Ayomoukha, Sambara, Capila, Vâmana (Marîtchi, Maghavân, Ilwala, Swasrima[39]), Vikchobana, Kétou, Kétouvîrya, Satahrada, Indradjit, Satyadjit, Vadjranâbha, l’invincible Mahânâbha, Câlanâbha, Ecatchacra au bras puissant, le vaillant Târaca[40], Vèswânara, Pouloman, Vidrâvana, Mahâsoura, Swarbhânou, Vrichaparwan, Hounda, grand parmi ses frères, Soûkchma, Nitchandra, Ournanâbha, Mahâgiri, Asiloman, Késin, Satha, Balaca, Mada, Gaganamoûrddhan, Coumbhanâbha, Pramada, Maya, Coupatha, le robuste Hayagrîva, Visripa, Viroûpâkcha, Soupatha, Hara, Ahara, Hiranyacasipou, Sambara aux cent formes magiques, Sarabha, Salabha, et le fameux Vipratchitti. Tous ces héros furent fils de Casyapa et de Danou, et appelés par cette raison Dânavas[41] ; tous furent courageux et forts, mais Vipratchitti était le premier parmi eux. Ils eurent une infinité de fils et de petits-fils, ô prince, et il est impossible de compter le nombre de leurs descendants.

Prabhâ fut fille de Swarbhânou ; Satchî, de Pouloman ; Oupadânavî, Hayasiras et Sarmichthâ, de Vrichaparwan ; Poulomâ et Câlacâ, de Vèswânara.

L’épouse du fils de Marîtchi[42] lui donna une postérité nombreuse. De ce saint pénitent et d’elle sortirent soixante mille Dânavas, dont quatorze cents habitèrent à Hiranyapoura[43]. Les fils de Poulomâ et de Câlacâ furent des Dânavas doués d’un grand courage ; ils demeuraient à Hiranyapoura, et avaient obtenu de Brahmâ le privilège de n’être jamais détruits par les Dévas : ils périrent plus tard sous les coups d’Ardjouna.

Nahoucha fut fils de Prabhâ ; Djayanta, de Satchî[44] ; Sarmichthâ fut mère de Pourou ; Oupadânavi, de Douchmanta[45].

Une famille de Dânavas courageux et intrépides sortit de Vipratchitti et de Sinhicâ, dont le mariage unit les deux races des Dêtyas et des Dânavas, et produisit treize enfants, distingués par le surnom de Sénhikéyas. Voici les noms de ces enfants : les vaillants Vyansa et Salya, le robuste Nabha, Vâtâpin, Namoutchi, Ilwala, Swasrima, Andjica, Naraca, Câlanâbha, Saramâna, Souracalpa[46], et Râhou, qui était l’aîné, Râhou, le fléau du soleil et de la lune.

Soûca et Sounda furent tous deux fils de Hrada[47], et Mârîtcha, fils de Sounda et de Tâdacâ. Ils augmentèrent la race de Danou, ainsi que leur propre gloire, et leurs rejetons furent innombrables.

Le Dêtya Samhrâda eut des fils aussi fameux par leur adresse à porter l’armure guerrière que par leurs pieuses austérités. On en comptait trois millions, habitant Manimatî : les Dévas ne pouvaient les vaincre ; mais Ardjouna finit par les détruire.

L’épouse de Casyapa, nommée Tâmrâ, lui donna, dit-on, six filles d’une grande sagesse : Câkî, Syénî, Bhâsî, Sougrîvî, Soutchi et Gridhrî. Câkî fut la mère des corbeaux et des chouettes ; Syéni, des faucons ; Bhâsî, des éperviers ; Gridhrî, des vautours ; Soutchi, des oiseaux aquatiques ; et Sougrîvî, des chevaux, des ânes, des chameaux : telle fut la race de Tâmrâ.

Vinatâ eut deux fils, Arouna et Garouda, autrement appelé Souparna, roi des oiseaux et terrible dans ses œuvres.

Sourasâ enfanta mille dragons puissants et courageux, ornés de têtes innombrables, et parcourant les plaines de l’air.

Cadrou fut mère de mille serpents, forts et brillants, fiers de leurs têtes nombreuses, et cependant soumis à l’empire de Garouda.

Je dirai les noms des principaux parmi ces dragons et ces serpents[48] : ce sont Sécha, Vâsouki, Takchaca, Êravata, Mahâpadma, Cambala, Aswatara, Êlâpatra, Sankha, Carcotaca, Dhanandjaya, Mahânila, Mahâcarna, Dhritarâchtra, Balâhaca, Couhara, Pouchpadanchtra, Dourmoukha, Soumoukha, Sankhapâla, Capila, Vâmana, Nahoucha, Sankharoman, Mani. Leurs fils et leurs petits-fils ont été détruits par Garouda, servi dans sa colère par les quatorze mille enfants de Crodhavasâ[49], tous armés d’un long bec, et qui ont fait de ces serpents leur sanglante pâture.

Les montagnes[50], et sur la terre et dans les eaux, furent les enfants de Dharâ[51].

Sourabhi produisit les vaches et les buffles ; Irâ, les arbres, les plantes, et les gazons qui couvrent la terre ; Khasâ, les Yakchas et les Râkchasas ; Mouni, les Apsarâs ; Arichtâ, les pieux et brillants Gandharvas[52].

Tels furent les enfants de Casyapa, parmi les êtres soit vivants, soit inanimés : leur race s’est multipliée à l’infini.

Le Manou Swârotchicha[53] avait cessé de régner, quand cette création eut lieu : c’était sous l’empire du Manou Vêvaswata, le sacrifice[54] de Varouna avait commencé. La première création fut celle de Brahmâ, quand il jugea qu’il était temps de procéder à son sacrifice, et que, souverain aïeul du monde, il forma lui-même dans sa pensée et enfanta les sept Brahmarchis.

Ô fils de Bharata, par suite de l’inimitié qui s’était établie entre les Dévas et les Dânavas[55], Diti voyait périr tous ses enfants. Elle se plaignit à Casyapa, qui, touché de sa douleur, tâcha de la consoler, et lui donna le choix d’une faveur (vara). « Je veux, dit-elle, un fils puissant, qui soit un jour le vainqueur d’Indra. » Le saint patriarche, fils de Marîtchi, lui accorda le don qu’elle demandait, et ajouta aussitôt : « Oui, tel sera ton fils, puisque tu veux être mère : il sera le vainqueur d’Indra, si tu peux, durant cent automnes qu’il restera dans ton sein, te conserver toi-même pure de toute souillure, et suivre fidèlement les règles de la dévotion. » « J’y consens, » dit la déesse au vertueux pénitent. Épouse heureuse et sainte, dans les embrassements de Casyapa, elle conçut un fils. Après avoir déposé dans son sein un germe fécond, d’où devait sortir un ordre de dieux forts et puissants et que les autres immortels ne sauraient détruire, le Mouni se rendit à la montagne pour y suivre les exercices de la pénitence. Cependant le vainqueur de Pâca[56] vint visiter Diti ; il voyait que le terme des cent automnes allait expirer. Par malheur Diti, avant de se mettre au lit, oublia l’ablution des pieds. Indra profita de son sommeil pour se glisser dans son sein, armé de sa foudre, et y coupa son fruit en sept parties. Le fœtus, taillé par la foudre, gémissait. « Ne gémis pas (mâ rodîh), lui disait de temps en temps Sacra[57]. Cependant le terrible Indra, assurant sa vengeance, coupa encore en sept parties chacun des sept premiers fragments. Ô fils de Bharata, ce sont là les dieux qu’on a appelés Marouts[58] ; ils étaient au nombre de quarante-neuf, et Maghavân[59], ce même dieu qui porte la foudre, leur accorda d’être ses compagnons. Ils grandirent, et devinrent un ordre de divinités puissantes et redoutables.

C’est ainsi que les divers patriarches contribuèrent à la propagation des êtres, dont les chefs reçurent ensuite, en commençant par Prithou, une espèce d’investiture royale. Mais le souverain auteur de ces créations, c’est Hari, qui plus tard fut Crichna ; c’est Pouroucha, l’homme par excellence (vîra), toujours vainqueur, et le premier des patriarches : il est dans la nature le nuage et le soleil : il est invisible, et tout ce monde est une partie de lui-même.

Ô fils de Bharata, quiconque aura connu cette création des êtres, quiconque aura lu et entendu le récit de la naissance des vents, ne manquera de rien ici-bas, et n’aura aucune crainte pour l’autre monde.

  1. Swayambhou, comme nous l’avons vu dans la première lecture, est le nom du créateur, né spontanément.
  2. Les Dévas ou dieux portent aussi le nom de Souras : leurs ennemis se nomment par opposition Asouras.
  3. Les Râkchasas sont de mauvais génies, ennemis des dieux, avec lesquels ils sont en guerre continuelle. Ils viennent troubler et souiller les sacrifices. Ils prennent toutes les formes, et l’on croit surtout que sous celle d’oiseaux ils se tiennent à quelque distance de ceux qui sacrifient : pour les apaiser, on leur jette alors leur portion de riz. Les Râkchasas sont encore, comme les Yakchas, une classe de divinités inférieures, qui accompagnent le dieu Couvéra.
  4. Les Bhoûtas sont aussi des êtres malins et impurs, qui trompent les hommes et quelquefois les dévorent.
  5. Les Pisâtchas sont des êtres méchants, des démons qui tourmentent les hommes. Comme les précédents, on les donne pour compagnons au dieu des richesses, Couvéra. Les Orientaux pensent que les trésors cachés au sein de la terre, y sont gardés par des génies méchants. Cependant les Yakchas n’ont pas ce caractère, et ils semblent aimer les hommes.
  6. Ce mot pradjâpati signifie père ou maître des êtres. Je le traduis aussi par patriarche.
  7. Dans la mythologie indienne, quand il y a une malice à faire, une indiscrétion à commettre, c’est toujours Nârada qui s’en trouve chargé.
  8. Toutes les fois qu’une imprécation (sapa) est lancée par une personne irritée, l’effet en est certain, serait-elle même injuste. Voyez dans le drame de Sacountalâ la malédiction de Dourvâsas. Tout ce que peut faire un dieu protecteur, ou celui même qui a prononcé cette malédiction, c’est d’en éluder l’accomplissement, en changeant le sens des mots.
  9. Fr. Hamilton (Généalogies of the Hîndus] pense que les Haryaswas, comme leurs frères les Sabalâswas, furent des ordres de moines institués par Dakcha. Il me semble qu’il est un moyen plus naturel d’expliquer cette histoire. Le devoir pieux que voulaient remplir les Haryaswas n’était pas une obligation religieuse de célibataires dévots, mais l’obligation, tout aussi sainte, d’hommes appelés à propager leur espèce, et qui se trouvant trop resserrés sur un point, s’aventurent dans des contrées, d’où ils ne reviennent pasG>Comme tout ce chapitre est une allégorie astronomique, on pourrait y voir la création de ces étoiles fixes, dont le nombre est infini : le mot hari signifie jaune, doré, rayon de lumière, le mot sabala signifie varié, et tous deux peuvent s’appliquer aux étoiles que le poëte considérerait comme des coursiers (aswa) lancés dans les plaines de l’air. Mais j’aime mieux la première explication. Au reste, on serait aussi peu fondé à voir de l’histoire dans tous les détails de ce chapitre qu’à en chercher dans les aventures de Cœlus et de Tellus.
  10. Il est à regretter que la sphère indienne ne nous soit pas connue : je suis persuadé qu’on y trouverait l’explication de toutes ces allégories : car ces nombreuses épouses, données à des patriarches, ne sont, selon moi, que des divisions d’une région du ciel placée sous leur influence. Ainsi l’on sait que les vingt-sept épouses de Soma ne sont que les constellations qui partageaient la route céleste de la lune. Soma pourrait donc représenter la région de l’écliptique, dont il serait le régent, comme Casyapa présiderait à une portion de l’hémisphère septentrional, et Dharma à une portion de l’hémisphère méridional. En effet Dharma-râdja est un des noms d’Yama, régent du midi. Je prie encore une fois le lecteur de me pardonner mes conjectures, qu’au reste je ne lui donne que comme telles, faute de renseignements certains. Je veux seulement appeler son attention sur ces idées. Angiras est une des étoiles qui composent la Grande Ourse.
  11. Le manuscrit de M. Tod porte Bhrigoupoutra.
  12. Crisâswa est un Mouni fameux par ses écrits sur l’art dramatique ; de là vient le nom de Crisâswin qu’on donne aux acteurs. Non pas que l’art dramatique puisse être considéré comme aussi ancien que ce Crisâswa : mais des ouvrages modernes sont, chez les Indiens, fréquemment attribués à de saints personnages de l’antiquité, soit que les auteurs aient voulu de cette manière donner plus d’autorité à leurs écrits, soit qu’ils aient en effet porté le même nom que ces anciens personnages, avec lesquels ils sont maintenant confondus.
  13. Les Viswas ou Viswadévas sont au nombre de dix, savoir, Vasou, Satya, Dakcha, Câla, Câma, Dhriti, Courou, Pourourava et Madrava. On les honore dans les srâddhas, cérémonies funèbres où ils reçoivent une offrande de beurre.
  14. Les Sâdhyas sont aussi des divinités, astronomiques selon moi, au nombre de douze.
  15. Voici un exemple de l’inconséquence des mythologues. Les Marouts, ce sont les vents ; et à la fin de cette même lecture, leur naissance est attribuée à Diti.
  16. Ghocha signifie le bruit du tonnerre, et le mot lambha veut dire suspendu. Le bruit du tonnerre vient en effet du nuage suspendu dans l’air.
  17. Nâgavîthî signifie le chemin de l’éléphant, et c’est le nom que l’on donne à la voie lactée. Le mot Vrichala, qui est le nom du fils de Nâgavîthî, signifie cheval ou soûdra, homme de la quatrième caste.
  18. Ce passage obscur est traduit littéralement, पृथिवीविषयं (prithivîvichayam). Voyez lecture xlvii, note 6.
  19. Nous avons vu dans le chapitre précédent la création attribuée au Sancalpa, que peut-être on personnifie dans cet endroit-ci.
  20. Voyez, pour ces Nakchatras ou constellations, les détails que donnent les Recherches asiatiques, tom. iii et ix.
  21. Qu’est-ce que les Vasous ? J’avoue qu’à cet égard je ne puis former que des conjectures. Ce sont peut-être les génies qui président aux divisions de l’horizon vers l’orient : car j’ai traduit littéralement ज्योतिः पुरोगमाः marchant devant la lumière. Cependant voyez l’Oupnék’hat, t. i, p. 207 ; il donne une explication différente. On compte aussi huit points cardinaux à l’horizon ; mais les noms de ces points ne ressemblent pas à ceux des Vasous.
  22. Je ne suis pas ici d’accord avec Fr. Hamilton, qui donne à Âpa une postérité que je ne trouve point dans le texte : Babhrya, fils d’Âpa, est, suivant lui, père de Srama, Srama de Srânta, et Srânta de Mouni. Ces quatre noms sont au nominatif, et ne semblent pas indiquer une généalogie.
  23. Câla est ordinairement le dieu du temps.
  24. Fr. Hamilton fait encore ici des noms propres de ce que je regarde comme une épithète de Dravina, houtahavyavaha. Il dit que Houta est fils de Dravina, et Havyavaha fils de Houta : il croit, quant au vers suivant, que Sisira est fils de Havyavaha, et Prâna fils de Sisira. Je n’ai pu voir en cet endroit une pareille filiation.
  25. Le sara est une espèce de gazon ou de roseau (saccharum sara). Coumâra, Cârtikéya et Scanda sont des noms du dieu de la guerre, fils de Siva : la naissance de ce dieu est une histoire assez obscène, qui ne peut être qu’allégorique. Le germe d’un enfant fut jeté par Siva dans le feu (anala) ; il en sortit un garçon, qui exposé d’abord sur une couche de sara, fut ensuite élevé par les Criticâs, constellation de six étoiles qui correspond aux Pléiades. Le mot sanatcoumâra qui accompagne le mot scanda me semble ici un autre nom de ce dieu. (Voyez cependant la première lecture, où ces deux mots se trouvent de même réunis.) Pour expliquer l’épithète de Visâkha, le docte Wilson dit que ce dieu fut nourri par la constellation Visâkhâ : ce qui n’est guère possible, puisque cette constellation est la seizième, quand Criticâ est la troisième. Ne serait-ce pas Vêsâkha ? Si j’osais, j’expliquerais ces deux épithètes en considérant ce dieu comme une branche (sâkhâ) s’élevant sur le foyer : ramus ramis privatus ou ramosus, ignis dorso natus, शाखः विशाख अग्निपृष्ठजः.
  26. Mes différents manuscrits ne sont d’accord ni sur les noms ni sur le nombre des Roudras ; à ces onze noms que l’on vient de lire, quelques-uns ajoutent ceux de Capâlin et de Sarpa.
  27. Wilson en compte trente-six : c’est peut-être une autre manière de diviser l’année indienne, qui étant composée anciennement de 360 jours, contenait trente-six dizaines.
  28. Aditya est devenu un nom du soleil ; et l’on voit que cette classe de dieux représente les douze mois de l’année. Il serait à désirer que les fonctions des autres divinité dont nous venons de parler fussent aussi distinctes.
  29. Le mot vidyout signifie éclair.
  30. Ritchas est le pluriel de Ritch ou Rik, et même Rig, l’un des trois Vèdes contenant des prières, qui sont ici personnifiées. Comme cependant les Vèdes passent pour être venus de Brahmâ, les Ritchas ne seraient en cet endroit que des mantras, des invocations pieuses particulièrement composées par Angiras.
  31. Dans le Râmâyana, ces personnages jouent un rôle : ces armes sont vivantes, elles ont un corps, elles parlent et demandent les ordres de Râma. Quand il n’a plus besoin d’elles, elles le saluent avec respect et se retirent. Elles servent à paralyser un ennemi ou à l’endormir, ou bien amènent la tempête, la pluie ou le feu. Elles sont au nombre de cent. Voyez aussi la pièce d’Outtara Râma-tcharitra, actes 1, 5 et 6.
  32. Le texte porte bien trente-trois ordres de dieux देवगणा : त्रयस्त्रिंशत्. Cependant en lisant l’Oupnék’hat, t. i, p. 207, il semble que ce soit plutôt trente-trois personnes ; savoir, 8 Vasous, 11 Roudras, 12 Âdityas, Indra et Pradjâpati. M. Haughton, savant aussi recommandable par la bonté de son caractère que par l’étendue de ses connaissances, a bien voulu attirer mon attention sur ce passage qui se répète plusieurs fois, et qui offre diverses variantes. Tantôt on y voit l’épithète कामज tantôt celle de छांदस d’autres fois le mot सहस्त्रश. Ce dernier mot renverse l’explication de l’Oupnék’hat. Quant aux épithètes, il me semble qu’elles expriment la naissance successive de ces dieux dans les différents âges, à mesure que la marche du temps les appelle à agir. Ces âges se nomment youga. Les astronomes en ont, dans leurs calculs, exagéré la longueur : je crois bien que quelquefois les poëtes n’entendent par ce mot qu’une révolution annuelle, et non pas une révolution de plusieurs siècles. La durée du monde est partagée en quatre yougas, Crita, Trétâ, Dwâpara et Cali, qui forment douze mille ans (varcha). C’est là un âge des dieux : mille âges des dieux font un jour de Brahmâ. Soixante et onze âges des dieux font un Manwantara ; les Manwantaras sont au nombre de quatorze et constituent un calpa. Voyez lect. viii.
  33. Ces mots sont ajoutés au texte : ce passage est déplacé et semble intercalé ; plus bas il est répété.
  34. Sinhikâ était fille du Détya Hrada, et devint la femme d’un Dânava.
  35. On dit aussi Prahlâda.
  36. C’est-à-dire le soleil et la lune. Ce passage me rappelle que la Théogonie d’Hésiode cite parmi les Titans Hypérion et Phébé.
  37. C'est-à-dire Siva, dont la femme s’appelle Oumâ ou Pârwatî.
  38. Fr. Hamilton, dans un moment de préoccupation, a mis Bimoûrddhan, en confondant la syllabe sanscrite dwi avec le mot latin bis.
  39. Fr. Hamilton dit Sasrima, Le manuscrit de M. Tod ne donne pas ces quatre noms, dont les deux derniers sont cités plus bas parmi ceux des fils de Vipratchitti. Marîtchi est un Saptarchi, et Maghavân un nom du dieu Indra.
  40. Târaca est aussi le nom d'un ancien roi d’Égypte.
  41. Ce mot ressemble trop à celui de Danai, les Grecs, pour que le rapprochement n'en ait pas été fait. Voyez Rech. asiat. t. viii, p. 362.
  42. Ce fils de Marîtchi, est-ce Casyapa ? Ou bien est-il question d’un fils de Danou, cité plus haut ? Je suppose que c'est Casyapa.
  43. Je cherche à m’abstenir de tout rapprochement frivole et indiscret. Je crois cependant devoir faire remarquer à mon lecteur que quelques livres indiens placent vers l’ouest le pays d’Hiranmaya, dont Hiranyapoura pourrait être la capitale, et que précisément à l’ouest de l’Inde est la contrée appelée Irân, ou la Perse. (Tabl. histor. de M. Klaproth, p. 2).
  44. Satchî épousa le dieu Indra. Singulière mythologie où les dieux épousent ainsi les filles de leurs ennemis !
  45. Il y a eu plusieurs princes appelés Douchmanta : celui-ci est l’époux de Sacountalâ. Voyez plus bas, à ce sujet, la lecture xxxii.
  46. Ainsi dit le manuscrit de M. Tod. Les autres portent trois noms de plus, savoir, Sara, Potarana et Vadjranâbha, ce qui donne seize noms au lieu de treize.
  47. Il a été question plus haut de Hrada, et de ses enfants, qui ne sont pas les mêmes que ceux qu’on lui donne ici. De plus, ce Hrada descendait de Diti, et par conséquent ses deux fils Soucâ et Sounda n’ont pu augmenter la race de Danou. C'est tout au plus ce qu'il serait permis de dire de Sounda seul, qui avait épousé Tâdacâ, fille du Dânava Maritchi.
  48. On a supposé que sous le nom de Nâgas, serpents à face humaine, on désignait un peuple sauvage, vivant dans les bois ou peut-être dans les mines : d’autres ont cru que c’était le nom d’une nation qui adorait les serpents. Dans le catalogue des provinces du Bhârata-khanda, on en trouve une nommée Nâga-khanda, laquelle est arrosée par le Sindhou ou Indus.
  49. J’ai ici un peu forcé le sens : tous les manuscrits portent क्रोधवसं : j’ai traduit comme s’il y avait क्रौधवसं.
  50. On croyait que les montagnes, dans l’origine, avaient des ailes et s’élevaient dans les airs. Indra avec sa foudre les leur a coupées. Le texte, au lieu de montagnes, dit les oiseaux nés de la terre et de l’eau.
  51. Le nom de Dharâ n’est pas compris plus haut parmi ceux des femmes de Casyapa. C’est un des noms de la Terre.
  52. Les Apsarâs sont les bayadères célestes, et les Gandharvas, les musiciens de la cour des dieux.
  53. Ce Manou Swârotchicha est le second : Vêvaswata est le septième.
  54. Quand un dieu remplit ses fonctions, on dit qu’il sacrifie : car l’action par laquelle on s’acquitte de son devoir est un sacrifice. Varouna est le régent de l’ouest : le poëte veut-il par ces mots, sacrifice de Varouna, désigner une position des corps célestes pour déterminer une époque ? Je ne saurais l’affirmer. Je crois plutôt que Varouna étant aussi un des Âdityas, on fait ici allusion au mois de l’année auquel il préside. Voyez lecture x.
  55. On remarquera que le mot Dânava est ici général et comprend l’idée de Dêtya : dans d’autres circonstances, ce sera réciproque.
  56. Surnom du dieu Indra, vainqueur d’un géant de ce nom.
  57. Autre nom du dieu Indra.
  58. Marout (au pluriel Maroutas) est le dieu du vent, appelé aussi Vâyou, Anila, Pavana. Il naquit avec quarante-neuf formes, parce que l’aire des vents indienne a quarante-neuf divisions. Voilà encore un de ces contes
  59. Autre nom du dieu Indra.