Harivansa ou histoire de la famille de Hari/Lecture 31
TRENTE ET UNIÈME LECTURE.
Cependant je voudrais bien, ô saint Brahmane, entendre séparément l’histoire de la race de Poûrou, de Drouhya[1], d’Anou, d’Yadou et de Tourvasou. Avant d’arriver à la famille de Vrichni, donne-moi, en remontant vers la première source, quelques détails préliminaires sur ma propre généalogie.
Ô grand roi, écoute en détail l’histoire de la race de Poûrou, si féconde en héros, et de laquelle tu es sorti. Je te parlerai d’abord de la noble famille de Poûrou, et ensuite de celles de Drouhya, d’Anou, d’Yadou et de Tourvasou.
Le fils de Poûrou fut le généreux Djanamédjaya : il donna le jour à Pratchinwân, qui soumit l’orient ; Pratchinwân, à Pravîra ; Pravîra, à Manasyou ; Manasyou, au roi Abhayada ; Abhayada, à Soudhanwan ; Soudhanwan, à Vahougava ; Vahougava, à Samyâti ; Samyâti, à Ahamyâti ; et Ahamyâti, à Rôdrâswa[2].
Rôdrâswa eut de TApsarâ Ghritâkchî dix fils, savoir : Ritchéyou, Cricanéyou, Cakchéyou, Sthandiléyou, Sannatéyou, Dasàrnéyou, Djaléyou, le gorieux Sthaléyou, Dhanéyou, et Vanéyou. Il eut aussi dix filles, Bhadrâ, Soûdrâ, Madrà, Sâladâ, Mâladâ, Khalâ, Tchalâ, Baladâ, Sourasâ, et Gotchapalâ, qui fut la perle des femmes.
Un Richi de la race d’Atri, nommé Prabhâcara, épousa ces princesses. Il eut de Bhadrâ un fils célèbre qui s’appela Soma[3]. C’est lui qui, dans un moment où le soleil frappé par Swarbhânou[4] tombait du ciel, et où le monde était couvert de ténèbres, fit apparaître la lumière ; lui qui bénit[5] ce soleil, et par ses paroles l’arrêta dans sa funeste chute ; lui qui, fameux par ses austérités, a enrichi la famille d’Atri de ses plus beaux rejetons ; qui dans les sacrifices a reçu des dieux les avantages[6] d’Atri. Prabhâcara, adonné aux rigueurs de la pénitence, eut de ces dix épouses dix nobles fils qui portèrent les mêmes noms que leurs mères : pieux Richis, attachés aux préceptes des Vèdes, ils furent chefs d’une race nombreuse, et connus sous le nom de Swastyâtréyas ; mais ils n’héritèrent point des prérogatives d’Atri.
Cakchéyou eut trois fils habiles à conduire un char de guerre, et nommés Sabhânara, Tchâkchoucha et Paramanyou. Sabhânara donna le jour au sage Câlânala ; Câlânala, à Srindjaya renommé pour sa connaissance des lois ; Srindjaya, au vaillant Pourandjaya ; Pourandjaya, à Djanamédjaya ; le Râdjarchi Djanamédjaya, à Mahâsâla estimé parmi les dieux et célèbre parmi les hommes ; et Mahâsâla, au juste Mahâmanas honoré par les Souras eux-mêmes. Mahâmanas fut le père de deux enfants, d’Ousînara instruit dans la science du devoir, et du puissant Titikchou.
Ousînara eut cinq épouses, filles de Râdjarchis et nommées Nrigâ, Crimî, Navâ, Darbâ et Drichadwatî. Elles lui donnèrent cinq fils qui, enfants de sa vieillesse, furent une récompense accordée à ses œuvres de pénitence. Nrigâ fut mère de Nriga ; Crimî, de Crimi ; Navâ, de Nava ; Darbâ, de Souvrata ; et Drichadwati, du roi Sivi, surnommé ôsînara.
Sivi donna naissance aux Sivis[7], Nriga aux Youdhéyas. Le pays de
Navarâchtra fut ainsi appelé du nom de Nava, et la ville de Crimilâ de celui de Crimi. De Souvrata sont descendus les Ambachthas.
Je te dirai quels furent les fils de Sivi ; il en eut quatre, dont la renommée s’étendit dans le monde : Vrichadarbha, Souvîra, Kêkéya et Madraca. Leurs sujets furent nombreux : on les connaît sous les noms de Kêkéyas, de Madracas, de Vrichadarbhas et de Souvîras[8].
Voici maintenant, ô descendant de Bharata, la famille de Titikchou. Son fils, nommé Ouchadratha, régna dans l’orient. Il donna le jour à Phéna ; Phéna, à Soutapas ; Soutapas, à Bali. Ce dernier prince, au carquois d’or, était l’ancien roi Bali, connu par sa haute dévotion[9], et qui se soumit à naître de nouveau parmi les hommes. Il eut cinq fils dont la race s’étendit sur la terre. Anga fut l’aîné : les autres étaient Banga, Souhma, Poundra et Calinga[10]. Ces enfants de Bali sont connus comme Kchatriyas : il en eut d’autres qui furent Brahmanes[11] et chefs de familles nombreuses.
Brahmâ, satisfait de la piété de Bali, lui avait accordé, pour récompense, d’être un dévot parfait, de vivre un calpa[12] entier, d’être victorieux dans les combats, d’être le premier dans l’accomplissement de ses devoirs royaux, de voir les trois mondes[13], d’avoir une nombreuse postérité, de jouir d’une force incomparable, et de connaître les principes de la sagesse et de la vertu. Brahmâ lui avait dit : « Tu seras sur la terre l’auteur et le chef de quatre castes[14] d’hommes soumis au joug d’une pieuse obéissance. » Cette
assurance du dieu donna à Bali une tranquillité parfaite. Tous ses enfants reçurent d’un illustre Mouni une instruction solide, qui dissipa en eux les ténèbres de l’ignorance, et les fit briller de tout l’éclat du savoir. Ils détestèrent le vice. Bali les fit sacrer tous les cinq ; alors heureux père et prince vénéré, animé de l’amour de la dévotion, il s’y livra entièrement. Enfin respecté de tous les êtres, il retourna près de Câla[15] qu’il assiste dans ses fonctions, et rentra dans son royaume infernal.
Les peuples sur lesquels régnèrent ses cinq enfants sont les Angas, les Bangas, les Souhmacas, les Calingas et les Poundracas[16].
Apprends quelle fut la postérité d’Anga. Il eut pour fils le grand roi Dadhivâhana. Dadhivâhana fut le père du prince Diviratha ; Diviratha, du sage Dharmaratha, qui confondit ses ennemis par sa puissance ; et Dharmaratha, de Tchitraratha.
Dharmaratha fit, sur le mont Vichnoupada[17], un sacrifice avec Indra, et ce grand prince y but le soma[18].
De Tchitraratha naquit Dasaratha, surnommé Lomapada, dont la fille se nomma Sântâ. Il eut pour fils un héros fameux, nommé Tchatouranga, qu’il dut à la protection de Richyasringa[19]. Tchatouranga donna le jour à Prithoulâkcha ; Prithoulâkcha, à l’illustre roi nommé Tchampa, qui habita la ville de Tchampâ[20], auparavant Mâlinî, et qui, par la bienveillante intercession de Poûrnabhadra[21] obtint un fils appelé Haryanga. Celui-ci eut pour protecteur le fils de Vibhândaca, qui lui servit de bouclier contre ses ennemis, et qui par des mantras particuliers fit descendre pour lui sur la terre un char merveilleux.
Le fils de Haryanga se nomma Bhadraratha. De Bhadraratha naquit le roi Vrihadcarman ; de Vrihadcarman, Vrihaddarbha ; de Vrihaddarbha, Vrihanmanas ; du grand roi Vrihanmanas, le vaillant Djayadratha ; de Djayadratha, Dridharatha ; de Dridharatha, Viswadjit ; de Viswadjit, Carna ; et
de Carna, Vicarna, qui eût cent fils, glorieux rejetons de la famille des Angas.
Le roi Vrihanmanas, fils de Vrihaddarbha, eut deux femmes, Yasodévî et Satyâ[22], qui lui donnèrent deux fils. D’où il arriva que sa race se partagea en deux branches. Yasodévî fut mère de Djayadratha ; et Satyâ, de Vidjaya qui fut accordé par Brahmâ à sa piété. Vidjaya donna le jour à Dhriti ; Dhriti, à Dhritavrata ; Dhritavrata, à Satyacarman, fameux par sa mortification ; Satyacarman, à Adhiratha, surnommé Soûta, qui recueillit Carna ; de là vient que celui-ci est appelé fils de Soûta[23]. Telle est la tradition qui court sur le vaillant Carna, qui eut pour fils Vrichaséna : Vrichaséna fut père de Vricha.
Ce sont là les princes issus d’Anga, princes vertueux, magnanimes, habiles à diriger un char, et pères de nombreux enfants.
Ô roi, je vais te parler maintenant, comme je te l’ai annoncé, de la famille de Ritchéyou, fils de Rôdrâswa, famille dans laquelle tu es né.
- ↑ Dans le texte de cette lecture on trouve Drouhyou au lieu de Drouhya que porte la lecture précédente.
- ↑ Cette partie est, sur les manuscrits dévanâgaris, incomplète : plusieurs princes y sont omis. J'ai suivi le manuscrit bengali, qui donne plus de détails.
- ↑ Ce nom est celui de la lune : mais le personnage dont il s'agit dans cet endroit, n'est pas le dieu Soma, fils d’Atri, puisqu’on y dit qu’il n’en est que le descendant. On prétend que des yeux d’Atri sortit un rayon, suivant d’autres une humeur blanche, qui fut recueillie par la mer, et qui donna naissance à la lune, appelée Soma. Mais la légende rapportée ici, quoique un peu obscure, ne me parait pas devoir s’appliquer au dieu, régent de la lune. Il me semble plutôt qu’il s'agit d’un astronome qui expliqua les éclipses du soleil. Au reste, le texte est assez peu clair pour qu’il me soit permis de douter si le fait dont on parle doit être attribué à Soma ou à son père Prabhâcara. Par les dix princesses qu’on donne pour épouses à celui-ci, il semble qu’on désigne les disas ou points cardinaux, qu’on a en effet représentés ailleurs comme dix déesses. Je trouve dans le dictionnaire de M. Wilson, que Bhadrâ est le nom de l’une de ces périodes astronomiques, nommées Câranâs. Il serait possible que ce conte allégorique indiquât l’invention d’un système céleste sur lequel le poëte ne donne ici aucun détail. Cependant, d’un autre côté, il est question de ces Câranâs, tom. ix, pag. 366 des Recherches asiatiques. On en compte onze, dont sept variables et quatre invariables. Mais leurs noms ne répondent pas à ceux des dix filles de Rôdrâswa. C’est encore là un de ces petits problèmes que j’indique, mais sans pouvoir les expliquer.
- ↑ C’est un Asoura, ennemi des dieux, et par conséquent de Soûrya, le soleil. Il joue un rôle dans tous les combats allégoriques des Dètyas contre les habitants du ciel.
- ↑ Littéralement, il lui dit svasti (benè est). Cette parole était une bénédiction, ou une expression de bon augure, ou un terme d’approbation.
- ↑ Le mot employé ici est धन dhana, qui signifie richesses, propriété. Je suppose qu’il désigne les privilèges que pouvait avoir Atri dans les sacrifices, les offrandes qu’on lui faisait comme à l’un des patriarches.
- ↑ Ces différents princes ont donné leurs noms à des peuples ou à des provinces. La description de l’Inde que Ward a insérée dans le commencement de son premier volume, pag. 9, range Sivi parmi les provinces de l’est, et Youdhéya parmi celles du nord. Au nombre des régions du nord-est, je vois Vanarâchtra ; c’est probablement Navarâchtra. Je ne me rappelle rien sur Crimilâ. Quant aux Ambachthas, Wilford (t. viii VIII des Recherches asiatiques) croit que ce sont les Ambastœ d’Arrien : ils
- ↑ Je trouve encore là trois noms de pays cités sur la même liste : Kêkéya et Madra, placés parmi les provinces du nord, et Souvîra parmi celles du sud-ouest. Le Târâ-tantra appelle le Souvîra le pire des pays, et le place à l’est du Soûraséna ; quant au Madra, il le met entre la province de Virâta et celle de Pândya. Il ne dit rien sur le Vrichadarbha.
- ↑ C’était un Mahâyogin महायोगिन्. Nous verrons plus tard l’histoire de cet ancien Bali, dans l’avatare de Vâmana : par sa piété il avait obtenu l’empire du ciel et de la terre ; il en fut dépossédé par Vichnou, et envoyé, comme souverain, dans l’enfer ou Pâtâla. La ressemblance des noms a donné lieu à la fable de sa renaissance.
- ↑ Banga habita le Bengale ; Anga, le Bhâgalpore ou Bengale propre ; Poundra, une partie du Chandail ; et Calinga, le Bundelcund. Le pays de Souhma ou Soukcha devait se trouver dans l’est de l’Inde.
- ↑ Voilà une nouvelle preuve que la distinction des castes n’était pas déterminée dans ces temps anciens comme elle le fut plus tard, et qu’elle s’établissait plus par la position sociale que par la naissance.
- ↑ Voy. lect. viii.
- ↑ Le ciel, la terre et les enfers.
- ↑ Le mot qui exprime cette idée est वर्ण varna, qui signifie couleur : ce qui a fait
- ↑ Câla est ici le même qu’Yama, juge des hommes et souverain de l’enfer ou Nâraca.
- ↑ Voy. la note 10.
- ↑ Sur le manuscrit dévanâgari de Paris, au lieu de Vichnoupada, on lit Câlandjara, le Callinger, montagne du Bundelcund.
- ↑ Jus de l’asclepias acida, qu'on buvait dans les sacrifices.
- ↑ Voy. dans les notes de Sacountalâ, p. 201, l’épisode de Richyasringa, traduit du Râmâyana.
- ↑ Ville du Bhâgalpore.
- ↑ Je suppose que c'est une épithète de Richyasringa, fils de Vibhândaca.
- ↑ Le manuscrit dévanâgari de Paris l’appelle Satwî.
- ↑ Le mot Soûta, qui signifie conducteur de char, est regardé par M. Wilson comme synonyme de Soûrya, c’est-à-dire le soleil, dont Carna était fils illégitime.
habitaient dans l’est de L’Inde. C’est au moins ce qu’indique la liste ci-dessus indiquée.
penser que la distinction des castes provient de celle des couleurs de la peau humaine.