Harivansa ou histoire de la famille de Hari/Lecture 34

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TRENTE-QUATRIÈME LECTURE.

HISTOIRE DE LA FAMILLE DE VRICHNI.

Vêsampâyana dit :

Crochtou eut deux épouses, Gândhâri et Mâdrî : la première lui donna le puissant Anamitra, la seconde Youdhâdjita, et un autre fils nommé Dévamîdhoucha. Ces princes formèrent trois familles, désignées par le nom général de Vrichnis[1].

De l’un des fils de Mâdrî (Youdhâdjita) naquirent deux enfants, Vrichni et Andhaca. Vrichni eut deux fils, Swaphalca et Tchitraca. Swaphalca, animé d’un esprit juste et pieux, eut, dit-on, ô grand roi, le privilège de chasser de devant lui la maladie et la sécheresse. Pendant trois ans, Indra avait refusé la pluie aux états du roi de Câsi[2] : celui-ci fit venir le vénérable Swaphalca, et partout où ce Mouni paraissait, le dieu du ciel[3] envoyait la pluie. Swaphalca obtint pour épouse la fille du roi de Câsi, nommée Gândinî. Cette princesse avait l’habitude de faire aux Brahmanes des cadeaux en vaches. Elle était restée pendant de longues années dans le sein de sa mère. Son père lui dit : « Nais promptement à la lumière, nous t’attendons avec amour et inquiétude ; pourquoi tardes-tu ? » L’enfant lui répondit des entrailles de sa mère : « Si vous me promettez une vache par jour[4] (gândiné), je naîtrai aussitôt. » Son père fit cette promesse et lui tint parole.

Swaphalca eut pour fils Acroûra, prince généreux, aimant les sacrifices, vaillant, instruit dans la science sacrée, hospitalier et magnifique en présents. Il lui donna des frères, comme Oupamadgou, Madgou, Mridoura, Arimédjaya, Arikchipa, Oupékcha, Satroughna, Arimardana, Dharmadhrik, Yatidharma, Grighramodja, Andhaka, Avâha, Prativâha, et une sœur nommée Soundarî.

D’Acroûra et de la belle Ougrasénâ, ô fils de Courou, naquirent Praséna et Oupadéva semblables à des dieux.

Les fils de Tchitraca furent Prithou, Viprithou, Aswagrîva, Aswabâhou, Soupârswaca, Gavéchin, Arichtanémi, Aswa, Soudharman, Dharmabhrit, Soubâhou, Vahoubâhou, et deux filles, Sravichthâ et Sravanhâ.

De Dévamîdhoucha et d’Asmakî, Soûra reçut le jour. Il eut de Bhodjî dix enfants, dont l’aîné fut le puissant Vasoudéva, nommé aussi Ânacadoundoubhi[5], parce qu’à sa naissance les tambours retentirent dans le ciel et sur la terre. Une grande pluie de fleurs tomba sur la maison de Soûra. Dans ce monde mortel, rien n’était comparable à lui pour la beauté ; c’était le plus distingué, le plus aimable d’entre les hommes, et son doux éclat était pareil à celui de la lune.

Les neuf autres fils de Soûra furent Dévabhâga, Dévasravas, Anâdhrichti, Canavaca, Vatsavân, Grindjima, Syâma, Samîca et Gandoûcha. Soûra eut encore cinq filles, Prithoukîrtti, Prithâ, Sroutadévâ, Sroutasravâ et Râdjâdhidévî. Elles devinrent mères de nobles héros.

Gounti, connu sous le nom de Countibhodja[6], voulut adopter Prithâ. Soûra la remit entre les mains de ce vieux et respectable prince : de là vient qu’elle passe pour sa fille et est appelée Countî. Elle donna le jour à trois des héros Pândavas, quelle dut, dit-on, à trois dieux.

Sroutadévâ fut la mère du vaillant Sisoupâla, roi de Tchédi[7], qui, dans une naissance précédente, avait été Hiranyacasipou, roi des Dêtyas. De Prithoukîrtti et de Vriddhasarman naquit un puissant héros, Dantavaktra, souverain de Caroucha[8]. Prithâ, devenue fille de Counti, épousa Pândou. Elle eut de Dharma (dieu de la justice) Youdhichthira, roi juste et habile dans la science des lois. Du dieu des vents elle eut Bhîmaséna ; et d’Indra, Ardjouna surnommé Dhanandjaya, héros fameux dans le monde et doué d’une force égale à celle du prince céleste.

D’Anamitra, le plus jeune des fils de Vrichni[9], naquit Sini. Sini donna le jour à Satyaca ; Satyaca, à Youyoudhâna ; Youyoudhâna, à Asanga ; Asanga, à Bhoûmi ; Bhoûmi, à Yougandhara : telle fut la postérité d’Anamitra.

Dévabhâga eut pour fils l’illustre Ouddhava : un autre Ouddhava, fils de Dévasravas, passa pour le plus fameux des Pandits. Anâdhrichti épousa Asmakî, dont il eut le glorieux Ninoûrttasatrou. Sroutadévâ[10] lui donna Satroughna, connu sous le nom de Néchâdi ; de Nêchâdi, ô grand roi, naquit Écalavya. Vatsavân n’avait point d’enfants ; l’illustre fils de Soûra, Vasoudéva, son père, lui fit adopter, par l’invocation aux eaux[11], un héros de la famille de Cousica. Gandoûcha aussi manquait de fils : Vichwakséna lui donna pour enfants Tchâroudechna, Soutchârou, Pantchâla et Critalakchana.

Il y eut plus tard un autre Tchâroudechna, vaillant héros, fils de Roukminî, qui ne vécut que pour les combats, et que des milliers de corbeaux suivaient sans cesse, comptant sur la riche curée de cadavres que Tchâroudechna leur promettait.

Canavaca eut deux fils, Tantridja et Tantripâla. Grindjima donna aussi le jour à deux héros. Vîra et Aswahanou. Le fils de Syâma fut Soumitra. Quant à Samîca, il devint roi ; il se fit redouter, et en sa qualité de Bhodja[12], il offrit le sacrifice royal (râdjasoûya). Il eut pour fils Adjâtasatrou, fléau de ses ennemis.

Ecoute, je vais te parler des héros, fils de Vasoudéva.

Celui qui garde en sa mémoire l’histoire de ces trois familles de Vrichnis, si fécondes en rejetons fameux, ne connaît jamais ici-bas les embarras de la pauvreté.

  1. Pour pouvoir se rendre compte de cette lecture, il faut supposer que le nom de Vrichni était un surnom de Crochtou, et que par conséquent les trois branches de sa famille ont dû prendre ce nom. Si on l’attribue uniquement à son petit-fils, dont il va être question dans la phrase suivante, alors on ne sait plus pourquoi l’on dit que Crîchna est né dans la famille de Vrichni, puisque de fait il ne descend pas d’Youdhâdjita, mais bien de Dévamîdhoucha : on ne s’explique pas davantage pour quelle raison il est dit ci-après qu’Anamitra fut le plus jeune des fils de Vrichni. Je conclus que Crochtou et Vrichni sont un même personnage, lequel eut pour fils un second Vrichni, qui fut frère d’Andhaca et père de Swaphalca. Le nom de famille, Vrichni, a donc un sens plus ou moins étendu. Dans la lecture xxxvii, il est question d’un autre Vrichni et d’un autre Andhaca, fils de Sâtwata.
  2. C'est Bârânasî ou Bénarès.
  3. Le texte donne l'épithète de Harivâhana. Par ce mot on désigne ordinairement Garouda, qui est la monture de Vichnou, autrement de Hari. Ici, c'est un surnom d'Indra, appelé de même Haryaswa, parce qu'on le représente porté sur un char que traînent deux chevaux d'une certaine couleur, laquelle se nomme hari.
  4. L’auteur, comme on le voit, ne résiste jamais au désir de donner de mauvaises étymologies des noms propres.
  5. Mot composé de आनक​ et de सुन्सुभि ; ces mots signifient un grand et large tambour.
  6. Le mot Bhodja, qui est le nom d’une famille de princes, semble aussi quelquefois synonyme du mot roi. Countibhodja veut dire ou le roi de Counti, ou le Bhodja distingué par le nom de Counti. Les Bhodjas descendent de Drouhya, fils d’Yayâti : leur ville, Bhodjapoura, était au sud du Gange. M. Wilson la retrouve dans Bhâgalpore. Toutefois la filiation de ces Bhodjas n’est pas bien claire.
  7. M. Wilson croit que le Tchédi est le Chandail.
  8. Le même savant reconnaît le Caroucha dans le pays qu’on nommait Vrihadgriha, et qu’on représente comme situé derrière les monts Vindhyas, près de la province de Malwa : c’est peut-être le Bundelcund.
  9. Voyez la note i de cette lecture.
  10. Le manuscrit dévanâgari de Paris lui donne le nom de Dévasravâ. Ce vers renferme encore un exemple de la signification active du verbe जनः शत्रुध्नं देवश्रवा व्यजायत​.
  11. Je suis ici en contradiction avec W. Jones et le commentaire des lois de Manou, lect. ix, sl. 168. Ils supposent une libation d’eau उदपूर्व्वकं au lieu d’une invocation. Mais j’ai préféré mon sens après avoir comparé l’adoption par les vents dont il est question dans la xxxiie lecture, avec celle-ci qui doit se faire par les eaux. L’enfant adopté de cette dernière manière se nomme datrima. Je présume que dans la cérémonie religieuse de cette adoption, il y a une invocation aux eaux, comme dans l’autre il y a des mantras adressés aux vents. L’eau est la première des choses créées : l’air et l’eau sont deux des huit formes sous lesquelles on invoque la Divinité. Voyez le prologue du drame de Sacountalâ.
  12. Voyez plus haut la note 6.