Hellé/18

La bibliothèque libre.
Calmann-Lévy (p. 77-83).

XVIII


Dans la bibliothèque vaste et vide où j’évoquais mieux que partout ailleurs, la chère image du maître disparu, j’étais assise, en habits de deuil. Depuis le matin tombait la fine pluie d’automne sur les tours de Saint-Sulpice, sur les toits ruisselants, sur le jardin jaune et noyé. Mon âme sombrait dans la tristesse.

Le coude sur l’appui du fauteuil, ma main pressant ma tempe douloureuse que la migraine étreignait, je regardais crépiter et s’écrouler les braises du premier feu de novembre, et j’écoutais Genesvrier assis en face de moi.

— Vous me demandez pourquoi j’ai prolongé mon absence, disait-il. Vous m’adressez des reproches, Hellé. Savez-vous que votre petite colère me plaît mieux qu’un gracieux accueil ?

— Vous plaisantez, je crois, bien que ce ne soit point votre habitude. Que vous soyez resté à Bruxelles près de Jacques Laurent, très malade, qu’il ait insisté pour vous retenir, il n’y a là rien qui m’étonne… Mais pourquoi ne point m’écrire ? Votre indifférence m’a surprise péniblement.

— Mon indifférence ? Sérieusement, Hellé, pouvez-vous supposer que je sois devenu indifférent ?

— Mais oui, monsieur Genesvrier.

— Vous m’appelez « monsieur », maintenant ! Vous êtes tout à fait fâchée ?

— Expliquez-vous, défendez-vous.

À grands pas, de long en large, il marchait, les mains croisées derrière le dos.

— J’ai un secret, Hellé.

— Un secret que vous ne pouvez me confier, à moi, votre sœur d’élection ?



— QUEL HOMME ÉTRANGE VOUS ÊTES…

— Un secret que vous allez connaître. Je n’ai pas voulu vous écrire, là-bas, parce que je devais me recueillir, m’interroger, me juger, avant de faire une démarche si grave qu’elle peut troubler toute ma vie. La solitude où je vivais, près de mon vieil ami, était plus favorable à cet examen de conscience, à cette épreuve de mes forces que mon ermitage de Paris. J’aime à savoir où je vais ; je ne veux ni m’abuser ni abuser personne, parce qu’à mon âge aucune action n’est indifférente, parce que je suis, plus que tout autre peut-être, conscient des responsabilités que j’assume.

Il s’arrêta devant moi :

— Excusez-moi si je n’ose parler, je ne suis guère éloquent, ma petite amie, et je ressens, à exprimer tout haut des sentiments intimes, je ne sais quelle ridicule et maladroite pudeur. J’ai préféré vous écrire, et voici ma confession — ajouta-t-il en tirant une lettre de sa poche. — Ne riez pas du procédé, qui peut vous sembler romanesque. Lisez lentement, réfléchissez, et ne vous hâtez pas de répondre.

— Quel homme étrange vous êtes, dis-je en prenant la lettre qu’il me tendait. Quand dois-je lire ceci ?

— Tout à l’heure. Il faut que je vous quitte.

— Vous reviendrez ce soir ? J’attends madame Marboy.

— Je reviendrai.

— Soyez ici de bonne heure, pour que nous puissions causer seuls un instant.

— Volontiers. Au revoir, Hellé.

— Au revoir, Antoine.

Il tenait ma main dans les siennes, et je sentis qu’il tremblait.

— Au revoir ! répéta-t-il.

Et il sortit si brusquement, que j’en restai toute surprise.

Je repris ma place au coin du feu, et je lus :

Paris, 8 novembre.

« En m’interdisant toute correspondance avec vous pendant mon séjour à Bruxelles, j’avais un but, chère Hellé. Je voulais découvrir les causes stables et profondes, la réelle nature du sentiment que vous m’inspirez. Je voulais me juger et descendre seul dans cette citadelle close de ma pensée, où votre chère image porte le charme et le trouble à la fois. Je voulais vous juger aussi, mettre votre âme en face de mon âme ; maintenant je crois vous connaître : il faut que vous me connaissiez tout à fait.

» On vous a raconté mon histoire. Moi-même je vous ai confié, par fragments, le secret des crises morales qui ont marqué les grandes étapes de ma vie, et je sais que je ne vous apparais point sous la figure d’un amoureux sentimental et passionné. Je ne me fais aucune illusion sur ma personne, et longtemps, en considérant mon âge, mon aspect, mes cheveux déjà grisonnants, j’ai connu l’évidente invraisemblance de mes espoirs. J’avais résolu de les taire ; je me contenterais d’être votre ami.

« D’où vient que j’aie aujourd’hui cette audace de vous dire à vous, jeune, belle, riche : — Je vous aime, Hellé. Voulez-vous partager ma vie de labeur, d’efforts, de pauvreté ?

» Ces paroles, je ne les ai jamais dites à aucune femme. Aucune n’aurait pu les entendre sans sourire ou se révolter. Aucune n’était digne de comprendre le vœu hardi de mon cœur.

» Dès mon adolescence, je brûlais pour les idées, et nulle beauté de chair n’effaçait pour moi leur beauté abstraite. Ces larmes chaudes qu’on verse, à dix-huit ans, pour les amantes d’un jour, les historiens et les poètes, seuls, me les arrachaient. J’aimais d’amour ces grandes figures héroïques qui surgissent sur les peuples et dont le verbe enflammé dit : « Patrie, Vertu, Liberté, Justice ». Je vouais mon existence aux causes qu’elles avaient servies et dont le triomphe, combattu par le mal, n’est jamais définitif.

» Autour de moi, mes amis, ma famille, s’inquiétaient. Ils me disaient :

» — Choisis une carrière honorable, puisque tu ne veux pas vivre dans le luxe et l’oisiveté. Ta fortune, ton intelligence te permettent de hautes ambitions.

» J’écoutais ces conseils en silence, et je sentais en moi une tristesse d’exilé.

» Étranger parmi les miens, je gardai jusqu’à l’âge d’homme un triple sceau sur mes lèvres et sur mon cœur. Bientôt, je me trouvai maître de moi. Avide d’employer pour la justice ces jeunes forces que je devinais en moi, intactes, naïves, capables, me semblait-il, de soulever le monde, j’étais pourtant tiraillé d’opinions contradictoires. J’allai consulter les hommes célèbres dont les œuvres résumaient, sans les résoudre, les problèmes moraux et sociaux qui me hantaient. Je voulus m’orienter aux rayons de ces grands phares, mais chacun n’éclairait qu’une partie de l’ombre. Quand je demandais la justice, le savant me montrait la Nécessité reine de l’univers, des lois fatales régissant les astres et les esprits, toute liberté illusoire, la guerre entre les espèces, la guerre entre les individus, l’égoïsme vital à la racine de tous les sentiments. L’historien me révélait le mensonge des codes. Le prêtre transportait la réalisation de la justice dans un au-delà problématique. Les politiciens vantaient chacun leur système et proposaient soit la table rase, soit le retour aux traditions mortes, soit des compromis qui ne pouvaient contenter personne.

» Ainsi, quand ma raison semblait satisfaite, quelque chose protestait dans mon cœur ; quand mon cœur était séduit, ma raison opposait des arguments à mes enthousiasmes.

» J’errais ainsi, plein d’idées et de sentiments inconciliables, quand, au cours d’un voyage à travers l’Europe, je me présentai chez Tolstoï. Bien que mon esprit n’inclinât point au néo-évangélisme prêché par ce grand homme, j’avais subi la secousse qu’il imprimait aux jeunes gens de ma génération. Il était un des dieux de ce Panthéon idéal que je portais en moi-même, et je l’aimais de réveiller les âmes engourdies dans le brutal utilitarisme de ce temps. De tous les coins de la Russie et de l’Europe, de jeunes hommes et de jeunes femmes venaient réclamer de lui un conseil, un mot qui décidât le sens de leur vie. Beaucoup, parmi mes compagnons de pèlerinage, étaient venus dans cette intention. Le maître leur répondit par ces paroles qui, paraît-il, lui sont si familières qu’elles sont devenues proverbiales dans son pays : « Simplifiez-vous. Asseyez-vous sur la terre. »

» Je ne partageais point toutes les doctrines de Tolstoï, ni sa théorie de l’amour, ni sa théorie de la non-résistance au mal, ni ce mysticisme particulier aux peuples slaves. Mon âme était facile à la tendresse, à la pitié, mais j’étais à la fois un rêveur et un combatif ; je ne séparais pas la pensée de l’action. Pourtant, le vieillard en blouse de moujik, penchant sur un établi de cordonnier son front génial et sa barbe de prophète, m’apparut comme l’annonciateur de ma destinée. Ne devais-je pas, dépouillant tout orgueil personnel, « m’asseoir sur la terre » entre les humbles et les petits, vivre de leur vie, les connaître, les aimer — et me relever plus fort pour les défendre ? Vainement j’avais cherché la justice auprès des savants, dans la nature, auprès des politiques, dans l’État. Au spectacle de la souffrance humaine, l’amour et l’indignation la révéleraient à mon cœur.

» J’étais riche et je me sentais peu de besoins. Avec l’enthousiasme naïf qui appartient à la jeunesse et qui en rachète les erreurs, je me plus à réparer le mal autant qu’il était en mon pouvoir. Je me plus à remettre quelques égarés dans la voie de leur vocation véritable, donnant à celui-ci le loisir nécessaire, à cet autre des instruments de travail, pareil au jardinier qui déracine les plantes semées au hasard et rend chacune au sol qui lui convient.

» N’ayant conservé que les ressources indispensables, ne souffrant point de ma pauvreté, je commençai une descente dantesque dans les cercles de l’enfer social. J’en garde encore l’épouvante. Partout je vis le fort écraser le faible, l’homme opprimer la femme, l’injustice naturelle et conventionnelle peser sur l’enfant. En haut, je trouvai l’indifférence et le mépris ; en bas, l’abrutissement et la haine. Je parcourus les hôpitaux, les prisons, les ateliers, les bouges. Souvent méconnu, suspect à ceux-là que je voulais servir, je vis parfois mes efforts tourner contre moi-même. Et, pleurant sur mes déceptions et mon impuissance, je compris l’énorme difficulté de l’œuvre de rénovation qui ne s’accomplira qu’au prix d’inconnus cataclysmes et par l’effort collectif de plusieurs générations.

» C’est alors que je connus Jacques Laurent. Il avait souffert les mêmes angoisses, traversé les mêmes épreuves. Il m’enseigna le désintéressement supérieur, la philosophie du semeur jetant le grain qu’il ne verra pas lever.

» J’avais achevé mes études de médecine et le droit. Un livre sur la Psychologie du Criminel, mes articles de l’Avenir social avaient répandu mon nom. J’avais des ennemis, déjà ! Mais je sentis bientôt que les ouvrages de théorie pure convenaient mal à mon tempérament. Je revêtis donc de chair et d’os mes idées, je les incarnai dans une forme humaine, je mêlai, dans le vaste cadre d’une aventure fictive, l’imaginaire et le réel. Ainsi j’ébauchai ce livre du Pauvre ; il contient mes révoltes et mes rêves.

» Me voici presque à la fin de ma jeunesse, seul, n’ayant donné à mon âme que l’amour du juste et du vrai pour aliment. J’avais banni les femmes de ma vie ; celles que je rencontrais libres, souvent intelligentes et séduisantes, avaient des ambitions de plaisir que je ne pouvais satisfaire. D’autres, humbles d’esprit, grandes de cœur, étaient des créatures tout instinctives et tout inconscientes. Aucune n’était de ma race.

» Mais je vous rencontrai, Hellé, et je ne pus oublier votre front de déesse, beau de sa pâleur mate et de son noble contour, plus beau de la pensée qui l’anime. J’adorai en vous la pureté, l’intelligence, la fierté. Pour la première fois, dans le secret de mon cœur, je me dis : — Celle-là, et celle-là seulement pourrait être ma compagne.

» J’eus le bonheur de gagner la sympathie de M. de Riveyrac. Je vous observai, Hellé, avec d’étranges alternatives d’espoir et de crainte. Connaissant votre esprit, je voulus éprouver votre cœur. Peut-être, accoutumé à l’émotion esthétique seulement, n’eût-il pas vibré au choc de la vie, au spectacle de l’infortune humaine. Peut-être deviez-vous représenter, dans les sphères supérieures de la société, le modèle vivant de la beauté faite pour s’épanouir, jouir, briller, éprise d’elle-même.

» Si je vous avais trouvée telle, ah ! je vous aurais admirée de loin, mais je n’aurais pu vous aimer.

» Et je vous aime. J’ai vu la pitié naître en vous, devant Marie Lamirault, devant son enfant : ils vous découvraient la misère et la faiblesse que vous ignoriez. Au spectacle des injustices, j’ai vu briller vos yeux, et votre poitrine se gonfler. J’ai entendu — avec quelle joie ! — le battement de votre cœur. La statue devenait femme. Elle pouvait aimer et souffrir.

» Hellé, si vous sentez en vous les forces surhumaines que crée et qu’entretient l’amour, venez à moi, dévouez-vous à mon œuvre. Ensemble, nous pourrions faire de grandes choses, et nos luttes et nos déceptions auraient de merveilleuses revanches. Nous serions ce couple dont je vous parlais autrefois, non plus le maître et l’esclave, mais les époux égaux et différents, associés pour le bien et le bonheur, fortifiés, meilleurs l’un par l’autre.

» Ne vous hâtez pas de répondre. Songez que je ne vous propose point un médiocre idéal. Si votre âme généreuse se soulève dans un grand espoir, songez qu’il faut vous recueillir et vous bien éprouver, car notre union ne saurait être que sublime ou désastreuse.

» Je voudrais achever cette lettre par des mots qui exprimeraient mon immense tendresse. Tous me paraissent vulgaires. Hélas ! je suis gauche et timide devant vous. Mais ce que vous êtes, ce que vous serez pour moi, éternellement, l’angoisse où je suis vous le révélerait, bien-aimée. »

Qu’Antoine m’aimât, je n’en étais point surprise ; qu’il voulût m’épouser, ceci dépassait mes prévisions, car je m’étais accoutumée à le considérer comme un solitaire capable seulement d’attachement intellectuel. Sa tendresse, austère et chaste comme son âme, était pourtant un hommage que je ne recevais pas sans orgueil. Mais il ne me promettait point cette adoration aveugle, cette soumission de dévot par quoi les hommes captent le frivole esprit des femmes. Il ne me dissimulait point les âpretés de sa vie, les sacrifices que notre mariage m’imposerait. Il n’avait ni l’aspect ni le charme vainqueur de l’amant rêvé par ma jeunesse, beau de la beauté des héros, roi par le génie, dompteur adoré de la foule. Les vertus sérieuses d’Antoine effrayaient un peu mes vingt ans. À cet âge, l’amour qu’on appelle, si pur qu’il soit, participe du désir sensuel et de l’exaltation poétique. C’est la printanière églantine qui s’épanouit à mi-côte, sous le ciel clément. L’amour de Genesvrier était la fleur plus rare, éclose dans l’éther orageux, sur les cimes.

Je me demandais, pour m’éprouver, ce que je ressentirais si quelque événement imprévu bannissait Antoine de ma vie. Cette idée m’était douloureuse, et je sentais que nos liens, resserrés sans cesse, ne se rompraient plus sans déchirement. Depuis la mort de mon oncle, notre affection s’était fortifiée dans la solitude. Insoucieuse du préjugé qui oblige toute fille jeune à demeurer sous la tutelle d’un chaperon, j’avais conservé mon appartement, mes habitudes et l’indépendance d’allures et d’idées que la présence de mon oncle, jadis, n’entravait point. Madame Marboy, un peu choquée, m’en avait fait des remontrances, et ma décision semblait monstrueuse à madame Gérard. Mais le blâme latent que je devinais ne me gênait guère, et rien ne m’était plus précieux que l’intimité affectueuse d’Antoine et la fréquence de nos entretiens. Je ne me cachais ni de le recevoir chez moi, ni de lui faire de longues visites. Plus que jamais je m’intéressais à ses travaux ; j’essayais de participer aux œuvres actives de sa vie. J’avais des protégés qui occupaient mes loisirs. À voir des types divers, — surtout des femmes, — j’apprenais à rectifier et à motiver mes opinions, à connaître les âmes, leurs beautés, leurs défauts, l’effet des cruelles réactions de la vie. Avec une curiosité croissante, j’épelais ces livres vivants.

Ma bonne volonté avait enhardi mon guide. Puisque j’avais franchi tant d’étapes sur la route où il m’avait entraînée presque malgré moi, pourquoi ne le suivrais-je point jusqu’au bout de son rêve ?

Mais, dans le secret de ma conscience, je redoutais presque, avec une inquiétude un peu lâche, qu’il accomplît ce miracle de m’élever si haut. « Je serais plus brave, me disais-je, si j’aimais Antoine passionnément. Mais, à bien m’examiner, je ne découvre en moi que de l’admiration, du respect, quelque frayeur, des velléités, des aspirations, et le tout compose un sentiment indéfinissable. C’est le présage de l’amour, peut-être ; ce n’est point encore l’amour. »


Je dînai seule dans un état d’âme plutôt mélancolique ; vers huit heures, je retrouvai Genesvrier au salon. Appuyé à la fenêtre, il contemplait la pluie qui tombait sur le jardin. Il vint à moi et m’attira près de la haute lampe qui traçait autour de la table un grand cercle lumineux

— Il faut que je vous voie bien en face, chère Hellé ! me dit-il.

Sa pâleur m’étonna.

— Qu’avez-vous résolu ?… Acceptez-vous l’épreuve ?

— Oui ; je veux attendre et réfléchir avant de prendre aucune décision.

— Fixez le délai vous-même. Prenez trois mois, quatre mois, s’il le faut. Si nous étions des gens ordinaires, je me montrerais plus impatient. Mais la partie que nous jouons est grave, à considérer la valeur des enjeux. Ne cédez pas, mon amie, à un entraînement d’imagination, à un enthousiasme généreux et passager. Si vous devez être à moi, je veux vous tenir de vous-même, par un don volontaire et conscient.

— Je vous reconnais bien là, Antoine, et je vous sais gré de votre probité morale. Je vous promets donc d’éprouver mes forces, d’étudier mon cœur. Dans trois mois, je vous répondrai. D’ici là je ne m’engagerai à personne.

— Je ne vous demande pas cela, dit-il avec vivacité, vous devez rester libre.

Il pressait ses mains, et, transfiguré d’espoir, il m’éblouissait de sa joie, de sa tendresse concentrées comme un faisceau de rayons dans la lumière de ses yeux.



— IL FAUT QUE JE VOUS VOIE BIEN EN FACE.

— Je ne sais pas être galant, Hellé. Devant la femme que j’aime, j’ai peu de paroles… Mais que serait le bonheur, si le seul espoir du bonheur m’ébranle aussi profondément !

— Antoine, dis-je, je ne puis rien promettre, mais vous pouvez tout espérer. Je ne connais pas mon cœur ; je voudrais vous aimer, je le voudrais… Mais, quoi que je vous réponde dans trois mois, sachez ceci : je vous aime d’une éternelle amitié ; je vous estime au-dessus de tous les hommes, et je vous remercie de vous être attaché à moi. Si je ne deviens pas votre femme, je resterai votre sœur.

— Merci, Hellé ! fit-il d’une voix étouffée.

Il baisa mes mains et détourna la tête pour cacher son émotion.

— J’entends qu’on vient, murmura-t-il en reprenant son attitude impassible.

— C’est madame Marboy.

La porte s’ouvrit. C’étaient madame Marboy et Maurice Clairmont.