Henri Cornélis Agrippa/Lettre III

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III
Jean Tritheim[1], abbé de Saint-Jacques, à Wurzbourg, offre ses compliments amicaux à Henry Cornélis Agrippa de Nettesheim.
8 avril 1510.

Aucune langue mortelle ne pourrait jamais exprimer ni aucune plume écrire avec quel plaisir, très honoré Agrippa, j’ai reçu votre travail sur la philosophie occulte que vous m’avez envoyé par porteur, pour correction. Je considère votre savoir avec l’admiration la plus vive, car, vous plongeant tout jeune encore dans des secrets si profonds, inconnus à beaucoup d’hommes les plus savants, vous avez su les représenter non seulement d’une manière excellente et vraie, mais encore dans un style brillant. Recevez donc mes remerciements et, avant tout, pour votre confiance en moi, et je chercherai encore à vous les offrir plus publiquement. Votre travail, que le plus grand des érudits ne saurait assez louer, reçoit mon approbation : je vous en avise et vous prie instamment de continuer à poursuivre dans cette voie ne laissez pas sommeiller une si remarquable puissance intellectuelle, mais, au contraire, exercez-la sans cesse dans sa plénitude et faites-en profiter ceux qui ignorent cette lumière de la sagesse, dont vous êtes éclairé à un si haut degré, par la volonté de Dieu.

Ne vous laissez pas détourner de votre entreprise par ce que des gens sans valeur peuvent avoir à dire, et auxquels on peut appliquer le proverbe qui dit : « Le bœuf indolent demeure plus obstinément immobile. » Au jugement des philosophes, personne ne peut être vraiment savant, qui renonce aux éléments d’une seule science. Dieu vous a donné des dons intellectuels étendus ; vous n’imiterez pas le bœuf, mais plutôt l’oiseau ; vous ne croirez pas devoir vous arrêter aux détails, mais efforcez-vous plutôt d’embrasser courageusement les principes généraux. En effet, chacun est considéré d’autant plus instruit que plus de choses lui sont familières. Quoique votre esprit soit apte à tout recevoir, vous ne devez pas vous occuper de peu, ni du plus bas, mais de beaucoup et des idées les plus élevées. Je vous donnerai encore un conseil : laissez au commun les choses communes, et ne partagez qu’avec les hommes de marque et des amis éprouvés les choses supérieures et les secrets : « Du foin au bœuf au perroquet seulement, du sucre ! » Sondez les âmes, afin qu’il ne vous arrive pas, comme il arrive à tant d’autres, de vous trouver sous les pieds du bœuf. Vivez heureux, mon ami, et, s’il est en mon pouvoir de vous rendre service, ordonnez et j’agirai sans retard. Mais, afin que notre amitié s’accroisse de jour en jour, écrivez-moi souvent ; envoyez-moi également quelque chose de vos savants travaux, je vous en prie instamment. Encore une fois, vivez heureux ! — Dans notre cloître, à Würzbourg, le 8 avril 1510.

  1. Trithème ou Tritheim, chroniqueur et fécond théologien, né à Trittenheim, près de Trèves, habita Spannheim, puis Vurzbourg (1462-1516).