Henri Cornélis Agrippa/Lettre XII

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XII
Henri Cornélis Agrippa à Jacques Lefebvre d’Étaples, salut.

De Metz, juin 1519.

Attendu que jusqu’ici, illustre Lefebvre, nous avons été toujours séparés par une telle distance qu’aucune communication intime, aussi désirée qu’elle fût, n’était possible entre nous, que bien des difficultés s’y opposaient aussi, outre l’éloignement, j’ai retenu la plume jusqu’au moment où je devais devenir votre voisin, bien que, plusieurs fois, l’occasion et la facilité de vous écrire se soient présentées à moi. Enfin, une occasion nouvelle se présentant, ayant pu m’assurer de la largeur de vos vues et me confiant à votre caractère des plus honorables, j’ai écrit récemment à votre Humanité, par l’entremise du Père célestin Claude Dieudonné, une lettre que vous devez avoir probablement reçue.

Ce Bon Père a dû vous présenter aussi certaines propositions sur l’unique mariage de sainte Anne, sur son unique et simple accouchement. J’ai rédigé ces propositions d’après ce que vous avez écrit dans votre opuscule à la fois savant et élégant par son style, opuscule intitulé : Des trois et de la seule Madeleine[1]. Je me suis borné, selon mon habitude, à les extraire de votre long et remarquable travail, à les condenser le plus possible, mais non pas pour m’acquérir de la gloire aux dépens de votre mérite, veuillez m’en croire. Il en est peut-être qui agiraient ainsi pour passer comme savants auprès de ceux qui ne connaissent pas votre nom. J’ai toujours évité ce procédé comme un véritable sacrilège. Aussi, après avoir énoncé ces propositions, après les avoir achevées, j’ai fait mention deux fois pour chacune d’elles de votre nom d’auteur, et j’ai naturellement cité votre ouvrage. Voici le motif qui m’a poussé à écrire ces Propositions : c’était, croyez-le bien, de profiter de l’occasion pour m’opposer à vos calomniateurs.

Assurément, tels qu’ils sont, ce sont des hommes ennemis de tous les gens instruits. Parmi eux, il y en a surtout trois ici à Metz qui vous sont tout à fait hostiles : le premier est un certain frère Dominique Dauphin, de la Congrégation des Frères Franciscains de l’Observance ; l’autre le frère Nicolas Orici, de la Congrégation des Frères Mineurs ; le troisième enfin, le frère Nicolas Salini, Prieur de la Confrérie des Prédicateurs. C’est un docteur de la Faculté de Théologie de Paris. Or, ce fameux Docteur, à ce que j’apprends, bien qu’ayant caché d’abord son identité, a secoué après de longs jours la contrainte que lui imposait la modestie et s’est décidé à écrire contre nos Propositions. Il a fait plus, bien plus encore : il a écrit contre votre livre une tragédie inepte, mais digne de lui, dont les conclusions, — ce sont les confusions que je devrais dire, — m’ont été présentées, il y a trois jours à peine, avec accompagnement d’éloges pompeux pour cette élucubration, mais avant la victoire assurément. Je vous en adresse une copie en même temps que mes Propositions : vous y verrez que je suis le fidèle défenseur de votre honneur et aussi combien sont risibles leurs plates sottises, en quel estime vous devez les tenir ; vous y apprécierez enfin ce que sont les apôtres de cette cité, ceux qui prêchent l’Évangile. Ce n’est point pour que vous leur répondiez je ne voudrais pas que vous prissiez la peine de prendre la plume contre le dernier surtout il serait capable d’aller s’imaginer qu’il est digne d’entrer en lice contre vous, du moment que vous l’acceptez comme adversaire.

Quant à moi, à qui la médiocrité seule suffit, et encore ces choses-là sont-elles médiocres, je n’en sais trop rien, je vous conseille de laisser le combat, de le refuser. J’ai la confiance que je suis moi-même de force à combattre sans défaillance avec grand succès et à défendre votre renom, votre bonheur, votre honneur et votre gloire contre cette espèce, cette engeance de Cerbères aboyeurs. Du reste, si vous avez auprès de vous à Paris cet ami dévoué qui se nomme le Père Claude[2], que j’ai nommé plus haut, dites-lui en mon nom une foule de choses agréables et communiquez-lui ces écrits. Je sais en effet qu’il vous aime et vous vénère au-delà de toute expression.

Adieu, homme heureux, le plus bel ornement de la société des gens réellement instruits.

De Metz, le 16 avant les calendes de juin 1519.

  1. Voir note précédente 1, p. 66.
  2. Claude Dieudonné.