Hermine Gilquin/XIII

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E. Fasquelle (p. 57-60).
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XIII


Lorsque vint l’été, Hermine, éblouie par la magnificence du ciel et de la verdure, compose une sorte d’hymne à la beauté splendide qui rayonne sur la terre et au ciel, seconde narration qu’elle confie à son cahier d’écolière :

L’Été

« C’est le vaste grenier d’abondance de la Terre. Toutes les richesses enfermées se montrent une à une. Les plantes paraissent, s’épanouissent comme des enfants joyeux, grandissent vite et travaillent. Voici des fleurs, bientôt des fruits.

» Les bestioles s’envolent ou cheminent. L’herbe est remuante d’insectes, et les feuillages sont remplis d’oiseaux.

» La campagne est le grand Paradis où toute liberté règne.

» L’homme se réjouit, et il lutte contre l’envahissement de la nature. Dès l’aube, sur son champ, le dos courbé, les mains actives, il arrache les mauvaises plantes qui prennent la place de la future moisson. Il songe à sa récolte. Il a laissé son fusil accroché à la cheminée, et son chien dort à l’ombre de la haie. Il n’a, pour défendre ses graines et ses fruits à peine formés, que de vieux chapeaux et de vieilles loques, dressés sur des piquets, et qui s’agitent parfois sous la brise.

» Bientôt, tout est immobile. Le soleil concentre ses rayons sur le sol crevassé. Plus d’air, c’est le feu qui règne, la grande cuisson qui commence.

» Les après-midi sont lentes et lourdes, envahies par un sommeil de fièvre. Les cosses et les épis sèchent, craquent, rôtissent.

» Il faut la pluie d’un orage, la pluie large et tiède, pour rendre la force à ce qui est mourant sous la brûlure du ciel.

» Après la pluie, les feuilles reverdissent, les fleurs refleurissent, les racines cachées dans la terre humide boivent avec avidité, et le soleil revient encore pour faire le blé gonflé de farine, le raisin vermeil, les pêches pareilles à des roses.

» C’est la fin. Plus la beauté aura été rayonnante, plus la maturité sera sèche et fanée. Après la flamme qui consume, il n’y a plus, dans les champs et dans les vergers, que des squelettes calcinés.

» La Terre est fatiguée d’enfanter. Elle a donné tout ce qui était en elle. Elle veut se reposer aux derniers rayons de l’automne avant d’entrer dans la nuit de l’hiver.

» L’Été s’en va comme une mère féconde à bout de force, qui laisse ses enfants continuer la vie. »