Hermine Gilquin/XIV

La bibliothèque libre.
E. Fasquelle (p. 61-64).
◄  XIII
XV  ►


XIV


En octobre, Hermine laisse aller sa rêverie au cours de la lumière alentie, elle regarde les dernières couleurs, respire les derniers parfums, voit tout décroître pendant qu’elle décroît aussi. Elle respire l’automne, elle goûte sa saveur funèbre, et elle essaie de dire les premiers frissons et les derniers désirs de toutes choses :

L’Automne

« L’Automne est venu. Il a succédé au vert printemps, à l’été bleu et doré.

» Lui, il est jaune et rouge, il est magnifique de couleur, et tout remué de vent. Mais il a déjà l’odeur de la mort.

» Il annonce pour bientôt le grand sommeil de la Terre. La nature semble attristée par sa future destinée. Les arbres sont en mouvement, tout encolérés sous la brise, ou bien restent immobiles et résignés comme s’ils abritaient des tombes.

» La campagne, parée de sa beauté dernière, n’a plus rien des grâces de sa jeunesse. Elle déploie, en revanche, tous les charmes de son épanouissement. Elle nous convie à sa fête suprême.

» Le dernier parfum de tout ce qui a vécu se concentre. C’est un baume consolateur qui m’enivre, me console de m’en aller avec tout ce qui va disparaître.

» Le Soleil, qui a fait se multiplier les germes, et jaillir à profusion les jeunes pousses, semble lui-même fatigué d’avoir ainsi brûlé la Terre. Il ne la regarde plus que de loin. Il ne se hausse plus qu’à grand’peine au-dessus de l’horizon.

» Les animaux, comme les plantes, éprouvent les terribles effets de son abandon. Oiseaux légers, chétifs insectes, les jours, les soirs et les nuits vont devenir rudes pour vous. Finies, vos danses capricieuses dans un rayon de soleil, vos courses éperdues à travers l’infini bleu !

» Du soir jusqu’à l’aube, un brouillard épais paralysera vos ailes, un frisson vous envahira.

» La vie se débattra en vous, mais la mort méchante emportera sans scrupule votre dernier effort.

» Partez sans regrets, petits êtres qui avez eu un instant de joie. Partez sans regrets, car tout ce que vous avez connu et aimé va s’effacer aussi du livre de la vie.

» C’est le sort de tout ce qui a partagé la gloire de vivre, de tout ce qui a eu un printemps et un été. Hermine a eu un printemps, puisqu’elle a été une petite fille comme les autres, mais elle n’a pas eu d’été. Elle n’a pas vécu auprès d’un homme pareil à elle, elle n’a pas eu d’enfant à chérir. Hermine a été une fleur qui ne s’est pas changée en fruit. Et aujourd’hui elle n’est plus qu’une feuille sèche, pareille à toutes les feuilles sèches de l’Automne. »