Hermine Gilquin/XLI

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E. Fasquelle (p. 213-216).
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XLI


Par une autre porte, au fond du jardin, on sortait sur les champs. Hermine ouvrit cette porte, mais resta sur le seuil. Elle se sentait fatiguée, et elle aurait besoin de toutes ses forces le lendemain. Elle se contenta donc de regarder le vaste paysage qui s’étendait devant elle, — les terres des Gilquin.

Ce paysage d’hiver était nu et splendide, un océan de terres labourées dont les sillons se suivaient et se pressaient comme des vagues, une ligne d’horizon de forme convexe qui indiquait nettement la forme de la planète.

Là, les grains avaient germé, le blé avait poussé, les brises de l’été avaient agité dans tous les sens des champs d’avoine, d’orge, de seigle, de froment, dont le mouvement s’accompagnait d’un indicible murmure. Quelle richesse et quelle beauté dormaient dans cette terre brune, sur laquelle en ce moment sautelaient des bandes de corbeaux croassants ! Tout semblait mort, mais tout promettait de revivre.

Le cœur de paysanne d’Hermine s’exalta et se navra en même temps. Ce qui était là, sous ses yeux, dans la clarté du soleil d’hiver, c’était le travail et la fortune des siens. Mais qu’est-ce que cela allait devenir, elle partie ? Il lui fallut encore faire effort pour s’arracher à sa contemplation et à ses pensées. Pyrame la regardait.

— Viens, mon chien, — lui dit-elle.

Elle referma la porte qui donnait sur les champs, traversa de nouveau le jardin en donnant aux choses ce dernier regard appuyé et profond, qui voudrait s’emparer de tout à jamais, rouvrit la seconde porte, la referma, traversa la cour en frissonnant un peu du froid. Le jour tombait, le soleil était maintenant caché par les murs et les bâtiments de la ferme, tout était gris, les oiseaux étaient rentrés, les étables étaient silencieuses.

Hermine s’arrêta à la cuisine, demanda à la servante un bol de lait chaud, qu’elle attendit, et qui lui fut servi sans mot dire. Elle le but, dit qu’elle ne descendrait pas dîner, et remonta dans sa chambre. Il lui sembla de nouveau qu’elle se trouvait seule dans une maison abandonnée depuis longtemps. L’écho de ses pas se prolongeait mystérieusement dans le couloir et dans la cage de l’escalier. Sa chambre lui parut aussi muette et délaissée. Elle laissa entrer Pyrame, et la bête se blottit auprès d’elle, pendant qu’elle restait assise, songeuse, dans son fauteuil auprès de la fenêtre, attendant la nuit plus noire pour se mettre au lit.