Hermine Gilquin/XLVI

La bibliothèque libre.
E. Fasquelle (p. 235-240).
◄  XLV
XLVII  ►


XLVI


Ce fut un hasard très ordinaire qui vint à la place de la vieille servante. Comme Hermine regardait par la lucarne du grenier, elle vit le facteur du village entrer dans la cour, une lettre à la main. Il s’approcha de la cuisine, ouvrit, et ne trouvant personne, revint dans la cour, regarda de tous côtés, fit un mouvement comme pour retourner à la cuisine. Personne ne se montra, ni Jarry ni Zélie, embusquée sans doute dans quelque coin. La vieille servante, gardienne de la maison, était occupée au cellier, ou près des animaux.

Prompte comme aux jours de sa jeunesse, Hermine comprit qu’il fallait profiter de la circonstance. Elle ouvrit la porte du grenier, appela le facteur. Elle le connaissait bien, et il la connaissait bien aussi. C’était un vieux, le père Moutier, ami du père Gilquin, et il n’était pas entré une fois à la ferme, dans ce temps-là ! sans avoir à déjeuner, du pain, de la viande froide, un verre de vin pour continuer sa route.

Il leva la tête, reconnut Hermine, vint vers l’échelle.

— Montez vite, Moutier, — dit-elle d’une voix basse et brève.

Il monta.

— C’est une lettre pour M. Jarry, — dit-il d’abord.

— Bien, vous la poserez sur la fenêtre de la cuisine… mais c’est pour autre chose… Voici une lettre que je vous prie de mettre à la poste… pour M. Philipon… le notaire…

— Bien !

Il ouvrit son sac, y mit la lettre.

— Le diab’ ne l’en retirerait pas ! — dit-il.

Il regarda Hermine de ses yeux finauds de brave homme, et ajouta :

— Vous pouvez être tranquille, madame Hermine !

— Je le suis, mon bon Moutier…

— Ça ne va donc pas, madame Hermine ?… Je vous trouve un p’tit changée, à c’t’heure !

— Ça ne va guère, en effet… mais ça ira mieux, j’espère… N’oubliez pas ma lettre… et sauvez-vous vite.

Elle lui donna un louis d’or qu’elle avait enveloppé dans du papier, tout en causant avec lui.

— Tenez, Moutier, voilà vos étrennes… C’est demain le premier janvier… Faites un bon repas chez vous, à ma santé !

— Merci, madame Hermine…Mais j’avais pas besoin de ça pour mettre votre lettre… O l’est mon métier… — ajouta-t-il en descendant les échelons.

— Allez vite !

Hermine le suivit des yeux. Il déposa la lettre pour Jarry sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, assujettit son sac, tapa son bâton sur le sol, franchit le portail en se retournant vers Hermine, anxieuse et souriante.

Il était temps. François Jarry rentrait.

— Y a une lettre pour vous sur la fenêtre, — dit le père Moutier.

— C’est bon ! — dit rudement l’homme.

Le facteur s’éloigna. Hermine se recula, mais sans perdre de vue François Jarry, qui vint prendre sa lettre, une lettre d’affaires quelconque, qu’il lut, mit dans sa poche, au moment où la petite Zélie, se décachant on ne sait d’où, vint vers lui, lui parla à voix basse, toute pâle.

Il écarta l’enfant, se précipita vers le portail, prit sa course. Hermine frémit, tomba sur sa couchette, le cœur battant à toute volée dans sa frêle poitrine.

François Jarry ne tarda pas à revenir, la fureur sur le visage.

Il bondit vers l’échelle, monta :

— À qui as-tu écrit ?

Il prit Hermine par les poignets, mais n’eut pas d’autre réponse que celle des yeux méprisants et mourants, qui s’ouvrirent dans le blême visage.

— À qui ?… à qui ?… — répéta-t-il, se demandant s’il n’allait pas écraser cet être, qui le narguait de son silence et de sa faiblesse.

Elle ne répondait toujours pas. Il dit sa déconvenue malgré lui, en paroles entrecoupées :

— La vieille canaille de facteur !… qui n’a rien voulu me dire !… J’lui aurais arraché son sac !… Et toi ?… et toi ?… à qui as-tu écrit ?…

Hermine referma les yeux, en proie à une joie indicible. Jarry crut qu’elle se trouvait mal, s’enfuit avec un juron, retira l’échelle, envoya un coup de soulier à Pyrame, qui gronda, les yeux mauvais, et resta au bas du grenier, les yeux fixés obstinément sur l’ouverture.