Hermine Gilquin/XLVII

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E. Fasquelle (p. 241-244).
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XLVII


Mais Hermine ne parut pas. Longtemps, elle resta inanimée, brisée par ces péripéties. Lorsqu’elle revint à elle, elle était heureuse et résignée. On avait cru la réduire à l’impuissance, et elle avait tout de même lancé sa vengeance, l’éclair, puis la foudre ! Jarry serait vaincu à son tour. Il méritait un châtiment, et il l’aurait par Hermine !

Pour elle, elle sentait que c’était fini. L’état singulier où elle se trouvait, d’une faiblesse extraordinaire, d’une lucidité parfaite, lui fut comme un avertissement de sa mort prochaine, et elle s’en réjouit. C’était maintenant le seul bonheur qu’elle pouvait attendre du sort. Elle se traîna vers l’ouverture du grenier, contempla encore une fois la maison où elle était née, essaya de sourire à Pyrame. Puis, ses regards errèrent autour d’elle. Ces amoncellements de fourrage, c’était tout ce qu’elle voyait au dernier moment de la vie nourricière de la terre, cette terre qu’elle avait adorée comme une divinité. Elle entendit le mugissement des bœufs dans l’étable, le hennissement d’un cheval, puis la nuit venue, l’aboi perdu d’un chien, au loin, dans la campagne. Le ciel était bleu et pur, criblé d’étoiles. Subitement la lune monta dans le silence, emplit le grenier de sa clarté d’argent.

Hermine vit distinctement l’endroit où elle allait s’évanouir à jamais. Elle regarda la poulie, et ses yeux se voilèrent encore une fois de larmes. Les murs blanchis à la chaux étaient couleur de suaire. Elle aperçut quelques traces de crayon sur cette muraille éclairée par la lune, et se traîna péniblement pour les déchiffrer. Elle n’avait jamais remarqué jusqu’alors ces caractères presque effacés qu’elle voyait si nettement ce soir, par une acuité singulière de ses sens, et qui semblaient avoir été tracés à l’instant par une main invisible. Elle épela les syllabes :


« Mam’zelle Hermine est la plus belle fille du village et de tous les autres villages. »


Puis, plus loin, un cœur dessiné entre ces deux noms : « Hermine et Jean ».


— Après si longtemps, lire cela ! — pensa-t-elle ! — trop tard ! quel passé dans le présent !

Elle effaça de ses faibles mains ces dernières traces, pour détruire à jamais le seul souvenir qui aurait pu rester d’elle.

— Pauvre garçon ! — dit-elle encore. — C’est demain son anniversaire… l’anniversaire de sa mort !… le premier janvier !… Il est mort pour moi !… Je peux bien mourir pour lui !…

Elle relut alors, à la lumière de la lune, le billet de Jean : « Je m’en vais parce que Mam’zelle Hermine est trop haute pour moi et qu’elle ne m’aimera jamais. » Elle déchira le papier, ouvrit une lucarne, fit s’envoler les fragments au dehors. Un vent frais s’élevait à ce moment, emporta ce vol de papillons blancs du côté de la mer. Hermine les suivit longtemps, des yeux et de la pensée. Puis la poitrine secouée de spasmes, la respiration coupée par les étouffements, cette fille de campagne, stoïque et résignée, accepta sa fin, s’étendit sur son humble couche pour attendre la mort.