Hermine Gilquin/XV

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E. Fasquelle (p. 65-68).
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XV


L’hiver venu, Hermine connaît les jours sans lumière et sans chaleur, la vie restreinte, le silence de la neige, l’hostilité de l’espace. Tout de même, en décrivant la triste saison, elle ne peut s’empêcher de songer aux printemps qui viendront encore :

L’Hiver

« L’Hiver, c’est le grand cimetière des résurrections futures.

» Tout est isolé, abandonné, mort.

» C’est le sommeil profond enfoui sous la neige, pendant que font rage au dehors la bise qui mord, le vent qui glace.

» La feuille qui paraît survivre est confite dans le givre.

» Les lignes d’arbres sans verdure semblent des défilés de condamnés au bûcher.

» Les oiseaux se sentent perdus, enfermés par cet horizon de fer : ils hésitent à parcourir l’atmosphère obscure, ils n’osent planer au-dessus de ce désert stérile.

» L’insecte, s’il a pu se sauver à temps, s’est retiré du monde. Il chemine sous terre, ou bien il dort.

» Tout est sans couleur, de la même teinte morte.

» C’est la planète d’autrefois, la Terre avant la venue de l’homme, avant l’organisation des éléments.

» Le Soleil ne se montre que masqué de brumes. Caché au loin, il délaisse et raille la Terre privée de ses rayons. Parfois il donne quelque éclat aux paysages, comme un regret ou une promesse des beaux jours, mais c’est fausse flamme et fausse lumière qui ne font que mieux sentir la rude saison.

» La rivière, après de longs frissons, s’est gelée, l’eau qui courait hier est immobile.

» Le bois n’est que squelettes et vertèbres. La mousse est une bave d’agonie.

» Seule, la maison de l’homme peut être lumineuse et gaie. Le feu pétille, chauffe, rend la force aux corps endoloris. La ouate et la laine remplacent la chaleur du soleil. L’Hiver devient l’attente du Printemps. On se résigne, près de l’âtre, en espérant le signal de la fête encore lointaine.

» Avec sa longue barbe blanche, l’Hiver marche à grands pas, ne s’arrête en route que pour frapper la vie de stupeur. Partout où il passe, il détruit, il tue. Mais tous les cadavres qu’il fait, il les a purifiés de son souffle rude, il les change en momies, et les momies en poussière.

» L’arbre mort reviendra à la vie, la sève coulera de nouveau dans ses veines. La Terre en catalepsie respirera, renaîtra. Elle réapparaîtra rajeunie et vigoureuse, comme ces vieilles fées chenues qui se changent en belles princesses.

» Les vieux seront remplacés par des jeunes, les morts par des vivants.

» Le grave Hiver s’en va comme à regret, revient sur ses pas, ne disparaît complètement que lorsque la nature a retrouvé sa force, chante l’hymne du renouveau. Il fuit alors, laissant la place à tout ce qui demande à vivre et à aimer. »


C’était ainsi que la femme, restée fillette, vivait dans la solitude de son cœur, exprimait la vie qu’elle n’avait pas vécue.