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Heures de prison/Introduction

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En livrant à la publicité l’ouvrage qu’on va lire, j’acquitte un legs : je remplis un devoir.

Marie Capelle était ma petite-nièce, mon frère était son aïeul… Frappée par un arrêt terrible, elle venait le subir dans la ville que j’habitais.

Orpheline de père et de mère, dépossédée de tout, séquestrée à de longues distances de ses rapports les plus intimes de famille et d’amitié, elle tombait subitement d’une position élevée de la vie dans la solitude affreuse d’une prison où elle devait attendre la mort. Je restais seul pour consoler, pour soutenir cette immense douleur.

C’était une mission sainte à laquelle la Providence m’appelait… Je l’acceptai.

La prisonnière, qui jusque-là m’était personnellement inconnue, arriva à Montpellier le 11 novembre 1841. Prévenu presque au même instant, j’accourus à elle. Dès ce moment, je ne vis plus une nièce : je sentis que j’avais une seconde fille, et mes enfants l’adoptèrent comme une sœur.

Le gouvernement ne savait pas qu’elle avait ici des parents. Il fallut demander des instructions pour régler les conditions de nos visites, et quinze jours s’écoulèrent avant que ces conditions fussent connues. Elles étaient sévères. L’infortunée ne pouvait nous voir qu’une fois par semaine, une heure seulement, et en présence d’une religieuse de la maison. Nous en souffrions tous. Elle en souffrait plus que nous : l’isolement, dans une étroite cellule, la désespérait, et la présence inquiète et soupçonneuse de ceux-là seuls qui pouvaient l’approcher lui était plus insupportable que son isolement.

Bientôt la fièvre, une fièvre intense, se déclara, et l’état de la malade devint alarmant. L’autorité se montra compatissante. Le préfet ne fut pas moins humain que le directeur. Les soins de la famille furent reconnus nécessaires, et tous les jours, à toute heure, la porte de la prison s’ouvrit pour nous.

Ce fut alors que ma fille, la seule fille que Dieu m’avait laissée, résolut, sans nous le dire, de ne plus se séparer de sa cousine, et de partager sa captivité. Jeunesse, liberté, amitiés de l’enfance, joies pures de la vie, projets d’avenir, elle abdiqua tout… et ce ne fut pas chez elle un vertige de l’imagination, un éblouissement du cœur. J’ai du bonheur à le dire, onze années consécutives l’ont trouvée fidèle (autant que l’autorité l’a permis) à ce pieux dévouement, dont elle ne comprenait pas qu’on pût s’étonner.

Je ne dis pas cela pour honorer ma fille. Dieu connaît ma pensée ; c’est lui qui l’inspire, et il sait où elle va.

Qu’on me permette maintenant de ne plus dire un mot, ni de ma fille, ni de sa mère, ni d’aucun de nous. Hors de la charité, c’est sottise et orgueil que de parler de soi.

Les Heures de prison sont la reproduction fidèle de toutes les souffrances, de toutes les douloureuses péripéties dont nous avons été les témoins. La prisonnière s’y montre telle qu’elle était, avec ses luttes et ses défaillances, avec sa résignation et sa foi, et ce que sa modestie a voulu taire, il ne m’appartient pas de le publier.

Constamment malade et presque toujours alitée, elle ne pouvait se livrer que de loin en loin à un travail sérieux. Sa correspondance, la méditation et l’étude, remplissaient une grande partie de son temps. Les Heures de prison étaient l’œuvre de ses larmes ; œuvre inachevée que son état de souffrance la força d’interrompre vers la fin de 1847, et qu’elle se proposait de compléter par des articles de littérature et d’histoire, dont elle avait rassemblé les matériaux…

Elle devait y consacrer un long chapitre aux nobles amis dont les sympathies l’avaient entourée depuis son arrivée à Montpellier. C’était là, disait-elle, que son cœur se serait épanoui tout entier. M. de Villars et M. Dosquet, qui s’étaient succédé comme directeurs de la prison, y auraient trouvé un profond souvenir, car elle parlait toujours avec effusion des marques d’intérêt qu’elle en avait reçues, et qu’ils avaient su si bien concilier avec leurs devoirs. M. Chappus, leur prédécesseur, qui, dans les premiers temps, lui avait paru trop sévère, mais qui, plus tard, l’avait comblée de bontés, aurait eu sa page de reconnaissance, et presque de réparation, de la part d’une femme dont le cœur s’exaltait au moindre bienfait.

Dans les premiers mois de 1848, un dépérissement notable se manifesta dans la santé de la prisonnière. La fièvre ne la quittait plus ! son médecin, si bon, si dévoué, fit part de ses craintes au préfet. Quatre professeurs de la Faculté de médecine furent chargés de visiter la malade et de constater son état. Ils conclurent à la mise en liberté, comme seule chance de guérison.

Ce rapport resta sans résultat ; cependant le mal empirait rapidement. Après quinze à seize mois d’attente, une nouvelle expertise eut lieu : les conclusions furent les mêmes, et peut-être plus pressantes encore. Enfin, la translation de la prisonnière à la maison de santé de Saint-Rémy fut ordonnée. Elle y arriva le 22 février 1851, accompagnée de ma fille.

Il n’était plus temps. Les bons et nobles offices du directeur de la maison, M. de Chabran, les soins incessants du médecin, le concours charitable de l’aumônier et de la sœur hospitalière, la salubrité du climat, la beauté du lieu, tout fut impuissant : la maladie s’aggravait toujours.

Averti de l’imminence du danger, je me rendis en toute hâte à Paris. J’étais porteur d’une supplique de ma nièce pour le Prince-Président. J’en fis une autre, que je signai. Je me plaçai sous le patronage d un homme éminent, dont je souffre de taire le nom, et, trois jours après, une lettre m’apprit que ma nièce allait être libre…

Ma joie devait être plus courte que ma reconnaissance. Arrivé en trente-six heures à Saint-Rémy, je pressai dans mes bras, non plus une femme, mais un squelette vivant que la mort venait disputer à la liberté. Le 1er juin 1852, l’infortunée posait son pied libre dans ma demeure… J’avais mes deux filles avec moi !… Le 7 septembre, l’une mourait aux eaux d’Ussat, et l’autre lui fermait les yeux !

L’humble cimetière d’Ornolac a reçu les restes de la morte… une croix renversée couvrira sa tombe !… Qu’on ne me demande plus rien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Veut-on savoir, cependant, si j’ai cru cette femme coupable ?

Je réponds :

Retenue prisonnière, je lui avais donné pour compagne ma fille. Devenue libre, je lui aurais donné pour mari mon fils.

Ma conviction est là.

COLLARD.
Montpellier, 17 juin 1853.