Hippolyte Monpou (Th. Gautier, 1867)

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Histoire du romantismeG. Charpentier et Cie, libraires-éditeurs (p. 254-258).
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HIPPOLYTE MONPOU


NÉ EN 1804. — MORT EN 1841




S’il est un musicien auquel les poètes doivent de la reconnaissance, c’est assurément Hippolyte Monpou : loin de rechercher les paroles insignifiantes, il s’attaquait bravement aux plus beaux vers, aux rhythmes les plus savants et les plus compliqués ; rien ne l’effrayait, pas même les mètres sautillants, les rimes à écho, les contre-petteries gothiques des Odes et Ballades ; il savait tirer de tout cela des mélodies inattendues, des effets étranges, blâmés des uns, admirés de quelques autres, et, grâce à l’Andalouse à Mon beau navire, au Fou de Tolède, bien que bizarre, il était devenu populaire. Monpou était un compositeur littéraire et romantique ; élevé à l’école de Choron, il avait beaucoup étudié la musique des grands maîtres du seizième et du dix-septième siècle. Il en avait contracté un certain goût d’archaïsme, un style figuré contrastant fort avec les habitudes modernes ; de là aussi son absence de symétrie dans le rhythme, ses enjambements et ses suspensions de césure, qui le rendaient plus propre que tout autre à mettre en musique les vers des novateurs, rendus également ennemis des périodes carrées par la lecture des anciens et de Ronsard.

Pendant longtemps, Hippolyte Monpou, de même que tous les poètes dont il traduisait les vers, fut regardé par les bourgeois électeurs et éligibles comme un écervelé, comme un furieux qu’on avait tort de laisser chanter sans muselière ; quand il s’asseyait au piano, l’œil en feu, la moustache hérissée, il se formait autour de lui un cercle de respectueuse terreur : aux premiers vers de l’Andalouse, les mères envoyaient coucher leurs filles et plongeaient dans leurs bouquets, d’un air de modeste embarras, leur nez nuancé des roses de la pudeur. La mélodie effrayait autant que les paroles ! Peu à peu, cependant, l’on finit par s’y faire ; seulement, on substituait, teint à sein bruni, et l’on disait :


C’est la maîtresse qu’on me donne…


au lieu de :


C’est ma maîtresse, ma lionne…


qui paraissait, en ce temps-là, par trop bestial et monstrueux.

Une foule de romances, toutes plus charmantes les unes que les autres et dont plusieurs sont devenues populaires, répandirent la réputation de l’auteur, qui put enfin aborder le théâtre, objet de tous ses vœux. Le Luthier de Vienne, les Deux Reines, Piquillo, — dont les jolies paroles étaient dues à la collaboration d’Alexandre Dumas et de Gérard de Nerval, — le Planteur et la Chaste Suzanne, à la Renaissance, se succédèrent rapidement, et la mort surprit Monpou sur la partition inachevée de Lambert Simnel. Cette partition, qui dénote un grand progrès, achevée par Adolphe Adam avec une délicatesse discrète, une conscience et une piété d’artiste qui font honneur à son talent et à son cœur, a été représentée à l’Opéra-Comique avec le plus grand et le plus légitime succès.

Nous ne sommes pas de ceux qui attendent qu’un homme soit mort pour lui trouver du génie ; les admirations posthumes nous touchent peu, et ce que nous disons de Monpou devenu une pincée de poussière, nous l’aurions dit de Monpou se promenant sur le boulevard en fumant un cigare ou en ruminant quelque mélodie : Lambert Simnel renferme des morceaux qui ne dépareraient l’œuvre d’aucun maître et qui n’auraient besoin, pour être jugés excellents, que d’avoir quelques douzaines d’années de plus et d’être signés d’un nom étranger. Le canevas sur lequel Monpou a brodé sa musique n’est pas des plus neufs, mais cela importe peu.

19 septembre 1841.



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Monpou, que nous avons connu jadis, était un musicien romantique et littéraire : il aimait fort la ballade et il en cherchait dans les œuvres des poëtes de ce temps ; tout Alfred de Musset y avait passé, et nous nous souvenons encore d’avoir entendu Monpou chanter : « Avez-vous vu dans Barcelone… » avec une verve endiablée, des poses et des gestes comme Hoffmann en donne à ses musiciens fantastiques. Kreisler eût paru froid à côté de lui. Il cherchait l’originalité et la trouvait souvent. Jamais compositeur n’eut pour son art un amour plus furibond et plus enthousiaste ; nul ne se ménageait moins. Quand il était au piano et qu’il se sentait compris après avoir chanté une romance, il disait : « Et celle-là, comment la trouvez-vous ? » et il continuait ainsi, à notre grand plaisir, jusqu’à ce que les bougies arrivées à leur fin fissent éclater les bobèches. Il croyait comme nous aux sérénades, aux alcades, aux mantilles, aux guitares, aux castagnettes, à toute cette Italie et à cette Espagne un peu de convention mises à la mode par l’auteur de Don Paëz, de Portia et de la Marquesa d’Amaegui. Il mettait sur ces couplets tapageurs, écervelés et hardis comme des pages, une musique étincelante et folle, pleine de cris bizarres et de portements de voix à l’andalouse, qui nous plaisait fort. « Gastibelza, l’homme à la carabine, » cette guitare profondément espagnole de Victor Hugo, avait inspiré à Monpou une mélodie sauvage et plaintive, d’un caractère étrange, qui resta longtemps populaire, et que nul romantique, s’il en reste encore, n’a oubliée. Les poètes aimaient beaucoup ce musicien qui respectait leurs paroles et ne dérangeait pas l’économie de leurs strophes savantes. Monpou aimait les rhythmes difficiles, et prétendait que les coupes peu usitées amenaient des motifs nouveaux. Bref, il a été l’un des nôtres et comme le Berlioz de la ballade.

C’était une joie quand il arrivait dans un de ces ateliers de peintre qui alors servaient de salon aux littérateurs, suivant le précepte d’Horace, Ut pictura poesis, et chacun lui tendait une cigarette, qu’il jetait à moitié fumée, pour se mettre au piano. Le Monpou du théâtre fut moins romantique : chacun, en passant cette porte qui conduit de la salle à la scène, se courbe toujours un peu et y laisse quelque lambeau de son individualité. Il obtint pourtant des succès qui promettaient un heureux avenir ; mais il mourut jeune encore, et n’ayant pas donné sa mesure. Puisque son nom reparaît sur l’affiche, nous en avons profité pour dessiner quelques traits d’une physionomie originale qu’on a trop tôt oubliée et qui avait bien sa valeur. La galerie romantique offrirait une lacune si le médaillon de Monpou n’y était suspendu, d’autant plus que cette école, si fertile en poëtes et on peintres, l’était fort peu en musiciens, nous ne savons trop pourquoi.

2 décembre 1867.