Histoire amoureuse des Gaules/Tome1/Maximes d’amour

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MAXIMES D’AMOUR[1]

QUESTIONS

SENTIMENS ET PRÉCEPTES

PREMIÈRE PARTIE.

DE L’AMOUR QUI ESPÈRE.

Sçavoir ce que c’est que l’amour.

Vous qui vivez comme des bêtes,
Quand vous soupirez nuit et jour,
Et ne sçavez ce que vous faites,
Amans, quand vous faites l’amour,
Votre ignorance est extrême.

Mais sçachez, pour en sortir,
Que l’amour est un désir
D’être aimé de ce qu’on aime.

Sçavoir de quelle manière il faut que les dames se conduisent pour ne se pas perdre de réputation en aimant.

Beau sexe où tant de grâce abonde,
Qui charmez la moitié du monde,
Aimez, mais d’un amour couvert,
Qui ne soit jamais sans mystère :
Ce n’est pas l’amour qui vous perd,
C’est la manière de le faire.

Sçavoir s’il y a des secrets pour être aimé.

Si vous voulez rendre sensible,
L’objet dont vous êtes charmé
(Pourvu que dans le cœur il n’ait rien d’imprimé),
La recette en est infaillible,
Aimez ! et vous serez aimé.

Sçavoir si l’on peut espérer à la fin de se faire aimer d’une coquette.

Si vous aimez une coquette
Qui soit insensible à vos maux,
Qui vous flatte, puis vous maltraite,
Et vous accable de rivaux,
Ne vous rebutez point (quelque sot s’iroit pendre),
Ne vous rebutez pas, vous la verrez changer ;
Attendez l’heure du berger :
Tout vient à point qui peut attendre.

Sçavoir quel est l’effet des larmes en amour.

Pleurez, amans, aux pieds de vos maîtresses,
Si vous voulez attirer leurs tendresses.
Qui pleure quand il faut des pleurs
En amour est maître des cœurs.

Sur le même sujet.

Amans qui n’avez point de charmes
Ni de grâce à vous exprimer,
Si vous voulez vous faire aimer,
Apprenez à verser des larmes.
Les sots qui pleurent à propos
Sont souvent préférés aux diseurs de bons mots.

Sçavoir si l’on peut discerner le vrai amant d’avec le faux.

Lorsque l’on veut examiner
(Sans prendre intérêt dans l’affaire)
Le faux amant et le sincère,
Il est aisé de deviner.
Il n’en est pas de même,
Belle Iris, quand on aime ;
Et voulez-vous sçavoir comment ?
En ce cas là l’aveuglement
D’ordinaire est extrême :
Et qu’un trompeur à point nommé,
Persuade quand il soupire ?
C’est qu’on désire d’être aimé,
Et qu’on croit tout ce qu’on désire.

Sçavoir si les grands plaisirs de l’amour sont dans la tête ou dans les sens.

Je ne borne pas aux désirs
La passion la plus honnête,
Mais en amour les grands plaisirs
Sont dans la tête.

Sçavoir quelles sont les véritables marques d’une grande passion.

Vous demandez chaque jour
Quelles sont d’un grand amour
Les preuves indubitables :
Les soins, les empressemens,
Sont les marques véritables
Des véritables amans.

Sçavoir s’il se faut voir long-temps pour s’aimer.

C’est dans les premiers jours qu’on se sent enflammer ;
Quand on attend plus tard, il n’en va pas de même :
Si l’on voit quelque temps les gens sans les aimer,
Rarement on les aime.

Sur le même sujet.

Vous nous dites d’un ton de maître
Que pour aimer il faut connoître.
Voulez-vous sçavoir justement,
Ce qu’enseigne l’expérience ?
L’amour vient de l’aveuglement,
L’amitié de la connoissance.

Sçavoir si l’on a toujours l’idée présente de son amant ou de sa maîtresse en leur absence.

Lorsque l’on aime extrêmement,
Et qu’on languit dans une absence,
Iris, on songe incessamment
À la cause de sa souffrance ;
Mais, si parfois on s’en dispense
(Si l’on peut citer des dictons),
On en revient bien tôt à ses moutons.

Sçavoir lequel est le plus difficile, de passer de l’amitié à l’amour, ou de retourner de l’amour à l’amitié.

Je tiens qu’il est fort difficile
Quand on a tendrement soupiré plus d’un jour,
De faire à l’amitié retour ;
Mais on n’en voit pas un de mille
D’une longue amitié passer jusqu’à l’amour.

Sçavoir quelle différence il y a de l’amour des hommes à celui des femmes.

L’amour de la maîtresse a de la violence,
Je le sçais par expérience,
Je le pourrois justifier.
Iris, s’il a de la constance,
Je ne dis pas ce que j’en pense ;
Mais vous ne me sçauriez nier
Que l’amant n’aime le dernier.

Sçavoir s’il est vrai que l’amour rend les gens fous.

Vous qui prônez incessamment
Qu’on est fou quand on est amant,

Apprenez en une parole
Ce que l’amour est en effet :
Il est fou dans un âme folle,
Et sage dans un cœur bien fait.

Sur le même sujet.

Je suis contre ce sentiment
Qu’on est fou quand on est amant :
On peut fort bien, lorsque l’on aime,
Avoir encor de la raison ;
Mais, alors qu’en tous lieux et qu’en toute saison
La prudence est extrême,
L’amour n’est pas de même.

Sçavoir si une grande amitié est compatible avec un grand amour pour deux personnes différentes.

Lorsque l’amour nous remplit bien,
Hors cela nous ne sentons rien ;
Quand on a pour Tircis une extrême tendresse,
On n’aime Philis qu’à demi ;
Enfin, sur ce chapitre on ôte à sa maîtresse
Tout ce qu’on donne à son ami.

Sçavoir si l’on peut apprendre à aimer par règles comme l’on apprend les autres choses.

Quand à m’aimer je vous convie,
Vous m’en demandez des leçons.
Il n’y faut pas tant de façons,
Ayez-en seulement envie :
L’amour sçaura bien vous former ;
Aimez, et vous sçaurez aimer.

Sçavoir en quel endroit on aime mieux : à la cour, à la ville ou la campagne.

D’ordinaire à la cour les cœurs sont tourmentés
De l’amour et de la fortune ;
À la ville souvent on voit trop de beautés,
Pour être fort constant pour une ;
Mais rien ne fait diversion,
Aux champs, à notre passion.

Sçavoir pourquoi l’on voit si souvent des femmes de mérite aimer de malhonnêtes gens, et d’honnêtes gens aimer des femmes sans mérite.

Lorsque l’on commence d’aimer,
On cache le désagréable,
On montre ce qu’on a d’aimable ;
On veut plaire, on veut enflammer ;
La plus aigre est douce et traitable.
Mais, après que l’un l’autre on a pu se charmer,
On ne se contraint plus, pas même aux bienséances ;
Ensuite chacun se déplaît,
Mais, de peur en rompant de perdre ses avances,
On en demeure où l’on en est.

Sçavoir quelle est la plus aimable maîtresse, de la prude ou de la coquette.

Silvandre, dans l’incertitude
Quelle il aimeroit mieux, la coquette ou la prude,
Et ne pouvant enfin se résoudre à choisir,
Me demanda quelle victoire
Seroit plus selon mon désir.
Voulez-vous, lui dis-je, me croire ?

La prude donne plus de gloire,
La coquette plus de plaisir.

Sçavoir s’il faut prendre au pied de la lettre tout ce que disent les amans.

L’hyperbole plaît aux amans,
Tout est siècle pour eux, ou bien tout est momens,
Et jamais au milieu leur calcul ne demeure :
Ils vont tous dans l’extrémité,
Ils disent que leur bien ne dure qu’un quart d’heure
Et leur mal une éternité.

Sçavoir si un grand amour peut compâtir avec une grande gaieté.

Tircis, quand tu viens voir Caliste,
Tu lui parois toujours content ;
Cependant il est très constant
Que qui dit amoureux dit triste.
Prends donc un air plus sérieux ;
Fais voir ton amour dans tes yeux :
Car, tant que l’on te verra rire,
On ne croira jamais que tu désire.

Sur le même sujet.

Je ne veux pas, Iris, que sans cesse on soupire ;
Mais, lorsqu’un grand amour a bien surpris un cœur,
Quoiqu’on soit plus content, on aime moins à rire,
Et le véritable air est celui de langueur.

Sçavoir quels sont les tempéramens les plus propres à l’amour.

Tous les tempéramens sont propres à l’amour,
Mais véritablement les uns plus que les autres.

Amans pleins de langueur, ne changez pas les vôtres
Avec les gens de feu ; vous perdrez au retour.
De ceux-ci la chaleur a plus de violence,
Mais d’ordinaire ils ont moins de persévérance,
Et, quand ils aimeroient aussi fidèlement,
Toujours font-ils l’amour moins agréablement.
Je leur conseillerois, en changeant leur nature,
De prendre, afin de plaire en de certains momens,
De la langueur au moins le ton et la figure :
Car, en se contraignant dans les commencemens,
Enfin ils pourroient fort bien prendre
Et l’air et la manière tendre.

Sçavoir s’il est vrai qu’un amant ne soit jamais content.

Lorsque l’on commence d’aimer,
Pour l’objet aimé l’on soupire ;
Si tôt qu’on a pu l’enflammer,
La crainte de le perdre est un cruel martyre :
De sorte qu’il est vrai de dire
Qu’on n’est jamais content quand on est amoureux,
Mais que qui n’aime pas est encor moins heureux.

Sçavoir si le désir de plaire n’est pas une suite du dessein d’aimer.

Vous voulez qu’on vous trouve belle,
Cependant vous êtes cruelle
Et vous nous assurez qu’on ne peut vous charmer ;
Je ne vous crois pas trop sincère :
Car, enfin, lorsque l’on veut plaire,
C’est signe que l’on veut aimer.

Sçavoir lequel est le plus sûr à une dame pour se faire fort aimer, d’être facile ou difficile à se rendre.

Si vous voulez nos cœurs jusqu’à l’éternité,
Et ne trouver jamais la fin de nos tendresses,
Faites-vous bien valoir par la difficulté :
Car ce qui fait durer nos feux pour nos maîtresses
(Outre leur complaisance et leur fidélité),
C’est la peine et le temps qu’elles nous ont coûté.

Sçavoir ce qu’on doit croire du dépit d’un amant.

Lorsqu’à nos vœux la belle Iris contraire
Se rit des maux que l’on souffre en l’aimant,
On fait dessein, au fort de sa colère,
De la quitter, et l’on en fait serment ;
Mais des sermens que le dépit fait faire
Contre un objet qu’on aime chèrement,
Autant en emporte le vent !

Sçavoir si le plus de mérite est préférable au plus d’amour.

Vous souhaitez que je vous die
Qui je choisirois pour amant,
D’un homme d’un petit génie,
Qui m’aimeroit infiniment,
Ou d’un homme à mérite rare,
Qui m’aimeroit par manière d’acquit.
Puisqu’il faut que je me déclare,
Je baiserois les mains au bel esprit.
En voici la raison, Carite,
Raison plus claire que le jour :

Il est bon en amour d’avoir bien du mérite,
Mais nécessairement il y faut de l’amour.

Sçavoir si l’on peut aimer sans espérance.

Lorsque vous trouvez un amant
Qui vous dit que sous votre empire
Son cœur incessamment soupire
Sans espoir de soulagement,
Sous une modeste apparence
Il vous veut surprendre en effet :
Car, pour aimer sans espérance,
Personne ne l’a jamais fait.

Sçavoir comment une femme en doit user lorsqu’un homme qu’elle ne veut pas aimer lui écrit.

Quand quelque galant vous écrit
Dont vous méprisez la conquête,
Vous croyez être fort honnête
De lui mander que ce qu’il dit
Ne fait que vous rompre la tête,
Apprenez que c’est une erreur,
Et qu’en de telles conjonctures,
Iris, c’est faire une faveur
Que de répondre des injures.

Sçavoir s’il convient à un homme d’être un peu bizarre avant que d’être aimé.

Je tiens qu’on a peu de raison
D’être tyran étant patron :
Le bon succès en est fort rare ;
Mais il faut qu’on soit insensé

Pour vouloir faire le bizarre
Avant qu’on soit récompensé.

Sçavoir si c’est une nécessité qu’il faille aimer une fois en sa vie.

Il faut avoir un jour,
Belle Iris, de l’amour,
Ou comme un bien fort désirable,
Ou comme un mal inévitable.

Sçavoir si l’on peut avoir une forte passion pour deux personnes en même temps.

Tout ce que nous a voulu dire
L’auteur de la Philis de Scire
N’est rien qu’un jeu d’esprit :
Car je tiens qu’il est impossible
D’être pour deux objets en même temps sensible :
Qui partage l’amour aussi tôt le détruit.

Sçavoir quel est l’équipage nécessaire à un amant.

Vous qui sous l’amoureux empire
Voulez vous donner tout entier,
Ayez et soie, et plume, et cire,
De bonne encre et de bon papier :
Car un amant dont l’écritoire
N’est pas toujours en bon état,
C’est un homme cherchant la gloire
Qui va sans armes au combat.


MAXIMES D’AMOUR

QUESTIONS

SENTIMENS ET PRÉCEPTES

SECONDE PARTIE.

DE L’AMOUR QUI JOUIT.

Sçavoir quelle est la force de la sympathie.

Iris, quand du destin la volonté suprême
A fait de notre amour l’infaillible complot,
Sitôt que l’on se voit, le cœur dit que l’on s’aime,
Et l’on le croit au premier mot.

Sçavoir ce qui témoigne le plus d’amour, de l’extrême jalousie ou de l’extrême confiance.

Quoi ! serez-vous toujours contente ?
Ne vous plaindrez-vous point de moi ?
Ah ! votre flamme, Iris, n’est pas fort violente,
Car un grand amour nous tourmente,
Et souvent sans raison nous donne de l’effroi.
Enfin, l’extrême confiance
Tient beaucoup de l’indifférence.

Sur le même sujet.

Je craindrois fort une maîtresse
Dont la fausse délicatesse
Et le cœur trop rempli d’amour
Me tourmenteroient nuit et jour.
C’est un grand bourreau de la vie
Que l’excès de la jalousie ;
Mais je tiens qu’on seroit encor plus tourmenté
De l’extrême tranquillité.

Sçavoir quand il faut que les honnêtes gens soient jaloux, et quand il faut qu’ils rompent.

Je veux qu’à sa maîtresse un amant se confie,
Et que, pour toute jalousie,
Il soit quelquefois alarmé
De n’être pas assez aimé.
Mais, si la dame est inquiète
Que l’amant la trouve coquette,
Cela sans en pouvoir douter,
Je le condamne à la quitter.

Sçavoir si c’est un grand mal à un amant que le mari de sa maîtresse soit un peu jaloux.

Bien loin de me mettre en courroux
Contre votre mari jaloux,
Je l’aime, Iris, plus que ma vie ;
C’est l’intendant de mes plaisirs :
Il donne par sa jalousie
De la chaleur à mes désirs.

Sur le même sujet.

Quand, pour rompre notre commerce,
Votre esprit jaloux nous traverse,
Tircis, vous réveillez nos soins
Qui s’endormoient dans le ménage.
Si nous nous voyons un peu moins,
Nous nous aimons bien davantage.

Sur le même sujet.

Ce que j’ai de plaisir avecque ma Silvie,
Je le dois à la jalousie
D’un mari qui par là réchauffe mon amour.
Le pouvoir que j’avois de la voir chaque jour
Me rendoit Langés[2] auprès d’elle ;
Mais, si tôt qu’il m’eut dit de ne plus voir la belle,
Je la vis en secret, et je devins Saucour[3].

Sçavoir quelle est la raison, entre autres, pourquoi les passions finissent, et le bon moyen de s’aimer toujours.

Je tiens que la possession
Fréquente, commode et tranquille,
Est la mort à la cour, aux champs et dans la ville,
De la plus grande passion.
Amans, donc, qui mourez d’envie
De vous aimer toujours, un peu de jalousie,
D’absence et de difficultés
Vous feront passer entêtés
Tout le reste de votre vie.

Sçavoir sur quoi il faut rompre avec sa maîtresse.

On pardonne l’étourderie,
On peut même oublier mainte coquetterie
(Quoique ce soient d’amour les vrais péchés mortels) ;
Mais l’infidélité, jamais on ne l’oublie,
Et, comme on est ami jusqu’aux autels,
On est amant jusqu’à la perfidie.

Sçavoir ce qu’on doit faire quand on s’aperçoit qu’on est moins aimé.

Vous dites qu’il se faut attendre
D’être moins aimé chaque jour,
Et que, pour voir affoiblir un amour,
On n’en doit pas être moins tendre.
Pour moi, je tiens que c’est abus,
Et conseille alors l’inconstance,
Ne trouvant point de différence
Entre aimer moins ou n’aimer plus.

Sçavoir s’il ne se faut rien pardonner en amour.

On seroit fort brutal de ne pardonner rien
Aux gens qu’on aime bien.
Au contraire, il est vraisemblable
Qu’après avoir été coupable
On sera désormais de faillir moins capable ;
Mais, Iris, quand on voit qu’on retombe toujours,
On doit compter alors sur de foibles amours,
Et, sur de telles conjectures,
On peut prendre d’autres mesures.

Sçavoir pour quelles raisons et de quelle manière on cesse d’aimer.

Je veux dire comment l’on peut quitter un jour,
Afin que les sots n’en abusent.
L’infidélité rompt l’amour,
Et les petites fautes l’usent.

Sçavoir de quelle manière il faut qu’une maîtresse rompe avec son amant qui l’aime encore.

Si vous voulez rompre vos chaînes
D’accord avecque votre amant,
Vous le pouvez fort aisément
Sans donner ni souffrir de peines ;
Mais, si vous avez projeté
De faire une infidélité
Ou de quitter par lassitude
Un amant encore entêté,
Iris, il y faut de l’étude.
Faites naître quelque embarras ;
Changez-vous, de peur d’un fracas,
En diseuse de patenôtres ;
Mais ne faites point de faux pas,
Et surtout qu’il ne pense pas
Que vous l’abandonnez pour d’autres.

Sçavoir de quelle manière on doit user sur les présens qu’on s’est faits après qu’on a rompu avec aigreur.

Lorsque le commerce amoureux
Finit enfin avec rudesse,
Si l’amant, du temps de ses feux,

A fait des dons à sa maîtresse,
Il ne doit rien redemander,
Ni la maîtresse rien garder.

Sçavoir comment on en doit user avec une maîtresse décriée, quoique sage au fond.

Je ne dis pas, Iris, qu’un amant délicat
Rompe avec sa maîtresse, et même avec éclat,
Lorsque pour un rival l’infidèle soupire :
Cela s’en va sans dire ;
Mais, si tout le monde en médit,
Encor que son amant connoisse
L’injustice au fond de ce bruit,
Qui ne vient que de l’air dont elle se conduit,
Il faut que sa délicatesse
Le force à quitter sa maîtresse.

Sçavoir si une dame doit redemander ses lettres après qu’on a rompu avec elle.

Demander vos poulets quand vous avez rompu
N’est pas d’une personne habile.
Cette demande est inutile,
Car on n’a jamais tout rendu ;
Il vaut bien mieux, Iris, obliger au silence
Par une entière confiance.

Sçavoir si l’on peut avec raison refuser d’écrire à un amant à qui on a accordé les dernières faveurs.

Quand une dame, en se donnant soi-même,
Par une défiance extrême
Refuse à son amant des lettres de sa main,
Elle fait voir, tant elle est bête,

Qu’elle s’apprête
À le quitter du jour au lendemain,
Et mérite, en suivant cette fausse maxime,
De rencontrer un amant qui la prime,
Et qui, découvrant son secret,
Se fasse prendre sur le fait.

Sçavoir de quelle conséquence sont les lettres en amour.

Amans aimés, qui n’avez d’autre envie
Que de passer en aimant votre vie,
Écrivez et matin et soir,
Écrivez quand vous allez voir,
Et, quoique vous alliez dire : Ha ! que je vous aime !
Écrivez-le et donnez votre lettre vous-même.
Écrivez la nuit et le jour :
Les lettres font vivre l’amour.

Sçavoir si une dame doit demander à son amant qu’il brûle ses lettres ou qu’il les lui renvoie.

À votre amant ne demandez jamais
Qu’il vous envoie ou brûle vos poulets :
On doit estimer quand on aime,
Et l’on a tort de s’engager
Quand la défiance est extrême,
Ou seulement qu’on peut songer,
Iris, qu’un amant peut changer.

Sçavoir comment un amant en doit user sur les lettres qu’il reçoit de sa maîtresse.

Gardez, amant plein de tendresse,
Les lettres de votre maîtresse,
Non pour en abuser un jour,

Mais comme gage de l’amour ;
Et là-dessus prenez bien garde
Que la belle ne vous regarde
Comme un impérieux vainqueur
Qui dans une injuste contrainte
La voudroit tenir par la crainte
Plutôt que par son propre cœur ;
Et, pour lui mieux lever toutes les défiances,
Laissez entre ses mains, dans vos moindres absences,
Ses faveurs, ses lettres d’amour,
Le tout jusqu’à votre retour.

Sçavoir s’il est vrai, comme quelques uns disent, que l’amour s’use dans un cœur sans qu’on en sçache la raison.

Quand un amant vous dit que l’amour, malgré soi,
S’est usé dans son cœur, et qu’il ne sçait pourquoi,
Il vous dit une menterie ;
Mais la raison qu’a cet amant
De finir sa galanterie
Vaut si peu qu’il n’a pas assez d’effronterie
Pour vous la dire librement.
Il craindroit de vous faire une trop grande offense
S’il vous disoit que l’inconstance
Vient de sa propre volonté :
Si bien qu’il croit vous moins déplaire
En vous parlant de cette affaire
Comme d’une nécessité.
Mais cependant la vérité,
Iris, est que, comme en soi-même
On sçait toujours pourquoi l’on aime,
Pour peu qu’on l’ait examiné,

Aussi jamais on ne se quitte
Sans raison, ou grande, ou petite.

Sçavoir si, dans un grand sujet de plainte, un amant peut s’emporter avec excès en parlant à sa maîtresse.

Lorsque une maîtresse coquette
Vous forcera de vous aigrir,
Il ne faut pas vous retenir ;
Mais, dedans quelque état que le dépit vous mette,
Fuyez les termes insolens,
Qu’avec respect votre colère éclate.
Je ne défends pas qu’on la batte,
Car c’est affaire aux paysans,
Et je parle aux honnêtes gens.

Sçavoir de quelle manière il se faut conduire avec la personne qu’on aime quand on lui a donné sujet de se plaindre.

Lorsque l’on a fâché la personne qu’on aime,
Il faut avec un soin extrême
Tâcher de se raccommoder.
Si la chose peut succéder,
Il faut redoubler de caresses,
D’empressemens et de tendresses,
Et considérer un amant
Comme un pauvre convalescent,
De qui la santé délicate
Mérite bien que l’on le flatte.

Sçavoir de quelle manière il faut que les amans aimés en usent avec les maîtresses qui n’ont pas assez de soin de chasser leurs rivaux.

Auprès de la belle Climène,
Dont vous aurez gagné le cœur,
Si quelque rival vous fait peine,
Pour vous en délivrer employez la douceur ;
Priez-la de vous en défaire.
Tircis, c’est là qu’il faut pleurer,
Ou, plutôt que de lui déplaire,
Offrez-lui de vous retirer.
Je suis fort trompé si la belle,
Pour n’aimer que vous seul, ne chasse l’autre amant ;
Mais quand cette beauté voudroit être infidèle,
Vous travailleriez vainement
À la garder en dépit d’elle.

Sçavoir pourquoi les amans se plaignent toujours.

Ce qui fait que dans nos amours
Nous nous plaignons quasi toujours,
C’est ma faute, Iris, ou la vôtre.
Examinons un peu nos feux,
Et nous verrons que l’un des deux
A toujours plus d’amour que l’autre.

Sçavoir pourquoi on aime mieux après les réconciliations.

Après les raccommodemens
On voit croître toujours la flamme des amans
Et se surpasser elle-même :
Nous l’avons cent fois éprouvé.

C’est qu’on avoit perdu quelque temps ce qu’on aime,
Et qu’on est trop heureux de l’avoir retrouvé.

Sçavoir si, quand on se raccommode en amour, on doit garder quelque chose sur le cœur.

Au moment qu’on se raccommode
Sur quelque différent d’amour,
Iris, il est vrai, c’est la mode
D’oublier tout jusqu’à ce jour,
Et je la trouve assez commode ;
Mais lorsque de faillir on a recommencé,
On rappelle tout le passé.

Sçavoir comment les choses se passent d’ordinaire dans les brouilleries.

Vous prétendez être offensé
Et voulez qu’on vous satisfasse.
Tircis, c’est à vous mal pensé ;
Il faut plutôt demander grâce.
J’ai vu du moins jusqu’à ce jour
Qu’en pareil cas on la demande,
Et je sçais que c’est en amour
Que les battus payent l’amende.

Sçavoir si les amans qui se plaignent avec emportement n’aiment plus.

Pauvres amans qui criez nuit et jour
Et qui vous plaignez d’une ingrate,
Je ne crois pas votre cœur sans amour.
Quoique votre fureur éclate.
On voit toujours l’amour dans le dépit,
Et jamais dans l’indifférence ;

Et, lorsque l’on fait tant de bruit,
On aime encor plus qu’on ne pense.

Sçavoir si la régularité de l’amour contraint les amans.

Iris, la régularité
Que donne une amoureuse flamme
Ne détruit point la liberté.
Par exemple, quand une dame
Donne un rendez-vous quelque jour,
Elle y va pleine de tendresse,
Non pas pour tenir sa promesse,
Mais pour contenter son amour.

Sçavoir s’il est bon à une maîtresse d’obliger son amant à faire servir une autre de prétexte.

Quand, pour cacher ses amourettes,
La dame ordonne à son amant
De conter ailleurs des fleurettes,
Elle raisonne faussement :
Car, si celle à qui l’on s’adresse
Égale en beauté la maîtresse,
Celle-ci beaucoup risquera ;
Si la maîtresse est la plus belle,
Jamais personne ne croira
Que son amant soit infidèle.

Sçavoir à quoi principalement une dame peut connaître si son amant est toujours amoureux.

Lorsqu’un amant aimé vous deviendra suspect,
Que pour quelques raisons vous douterez qu’il aime,

Examinez s’il a toujours un grand respect,
Et croyez en ce cas que sa flamme est extrême.

Sçavoir à quoi l’on peut connaître si l’on est aimé.

Si, pendant une longue absence,
L’objet qui cause tous vos feux
Ne perd jamais une occurrence
De vous reconfirmer ses vœux ;
S’il est aise de vous revoir,
Mais de cette aise naturelle
Qu’on ne peut montrer sans l’avoir,
Assurez-vous qu’il est fidèle.

Sçavoir ce qui prouve bien qu’un amant aimé aime.

Lorsqu’un amant près de sa dame,
Qui brûle aussi des mêmes feux,
Lui parle toujours de sa flamme,
Il faut qu’il soit fort amoureux.

Sçavoir lequel, de l’amant ou de la maîtresse, donne de plus grandes marques d’amour ?

Quand, blessés des mêmes coups,
Nos ardeurs sont mutuelles,
Les dames font plus pour nous
Que nous ne faisons pour elles.
Nous ne pouvons pour ces belles
Rien faire équivalant un de leurs billets doux.

Sçavoir s’il suffit entre les amans de se faire les plaisirs qu’ils se sont promis.

À son amant aimé donner ce qu’il demande,
La faveur n’est pas grande ;

Mais, Iris, pour lui faire un extrême plaisir,
Il le faut prévenir :
Car, enfin, je soutiens devant toute la terre
Qu’on se fait peu valoir,
En amour ainsi qu’à la guerre,
Quand on ne fait que son devoir.

Sçavoir si, quand on aime quelqu’un, on peut dire tout de bon à un autre : « Que ne puis-je être à deux sans me rendre infidèle, Ou que ne suis-je à moi pour me donner à vous ! »

Ou l’on se moque d’une belle
À qui l’on tient ces propos doux :
« Que ne puis-je être à deux sans me rendre infidèle,
Ou que ne suis-je à moi pour me donner à vous ! »
Ou, si l’on parle sans feintise,
On veut reprendre sa franchise
Et faire quelque méchant tour :
Car, enfin, si tôt qu’on souhaite
De partager ou quitter son amour,
Je tiens l’affaire déjà faite.

Sçavoir laquelle on devroit le mieux aimer, d’une maîtresse médiocrement tendre, mais égale, ou d’une inégale qui auroit quelquefois plus de tendresse.

J’aimerois mieux un peu moins de caresses
Avec beaucoup d’égalité
Que d’être un jour accablé de tendresses
Et l’autre de sévérité.

Sçavoir pourquoi, de deux amans qui s’aiment bien, il y en a toujours un qui aime plus que l’autre.

Vous demandez d’où vient qu’il est comme impossible
Qu’on se puisse jamais aimer également :
C’est que l’un plus que l’autre à l’amour est sensible,
Et cela, belle Iris, vient du tempérament.

Sçavoir s’il pourroit y avoir une galanterie qui durât toujours.

Vous demandez, belle Sylvie,
Si l’on ne peut s’aimer tout le temps de sa vie
Quoiqu’il soit rarement d’éternelles amours,
Si deux esprits bien faits faisoient galanterie,
Ils s’aimeroient toujours.

Sçavoir si une dame peut être gaie en l’absence de son amant.

Il est ridicule de voir
Un chagrin public en l’absence,
Ne parler que de désespoir ;
Mais aussi, belle Iris, je pense
Qu’il est contre l’honnêteté
De pencher à la gayeté.

Sçavoir si l’absence fait vivre ou mourir l’amour.

On parle fort diversement
Des effets que produit l’absence :
L’un dit qu’elle est contraire à la persévérance,
Et l’autre qu’elle fait aimer plus longuement.

Pour moi, voici ce que j’en pense :
L’absence est à l’amour ce qu’est au feu le vent ;
Il éteint le petit, il allume le grand.

Sçavoir ce que fait l’absence en amour.

La longue absence en amour ne vaut rien ;
Mais, si l’on veut que son feu s’éternise,
Il faut se voir et quitter par reprise :
Un peu d’absence fait grand bien.

Sur le même sujet.

Lorsqu’un amant, au bout de quelque temps,
Revoit l’objet qui rend ses vœux contens,
Je vous apprens, Iris (qu’il ne vous en déplaise),
Qu’il n’a pas dans le cœur de plus fortes amours,
Mais qu’il est mille fois plus aise
Que s’il la voyoit tous les jours.

Sur la même question.

En amour, comme en mariage,
Iris, quand on s’est rapproché
Après quelque petit voyage,
Le cœur n’en est pas plus touché,
Mais les sens le sont davantage.

Sçavoir comme il en faut user dans les absences, quand il arrive quelque sujet de se plaindre les uns des autres.

S’il arrive dans vos absences
Des sujets d’éclaircissement,
Amans, faites vos diligences

Pour vous éclaircir promptement ;
Mais si vous n’osez pas librement vous écrire,
Jusqu’à votre retour il faut là tout laisser
Plutôt que de ne pas tout dire,
Et par là vous embarrasser.

Sçavoir si les amans se doivent laisser aller à leur douleur quand ils se disent adieu, ou s’ils ne se le doivent point dire, pour s’épargner des chagrins.

L’amour ne perd rien de ses droits ;
On lui doit aux adieux des soupirs et des larmes,
Et quand deux amans quelquefois
Se sont en se quittant déguisé leurs alarmes,
Ils tirent, en doublant leurs mortels déplaisirs,
Un tribut plus amer de pleurs et de soupirs.

Sçavoir si l’amant n’est pas obligé, comme la maîtresse, de lui garder son corps aussi bien que son cœur.

Je sçais fort bien que la débauche,
Tantôt à droit, tantôt à gauche,
Deshonore infailliblement
La maîtresse plus que l’amant ;
Cependant je tiens pour maxime
Qu’à tous deux, en amour, c’est un aussi grand crime,
Et que le commerce des sens
Où l’on n’a point d’engagemens
N’est pas moins contre la tendresse
De l’amant que de la maîtresse.

Sur la même question.

Vous vous trompez fort lourdement
Quand vous prônez comme evangile
Qu’à vous seul, trop injuste amant,
Il est permis d’être fragile.
Philis auroit raison de vous répondre ainsi :
Et moi je suis fragile aussi.

Sçavoir si c’est par la faute d’une dame qu’un amant s’opiniâtre à l’aimer, ou s’il dépend d’elle de s’en défaire.

La dame, Iris, la plus légère,
Ne sçauroit jamais si bien faire
Que, lorsqu’il plait à quelque amant,
On ne lui parle tendrement ;
Mais quand cet amant persévère,
Elle y donne consentement.

Sçavoir si l’on se peut donner des leçons en amour.

Encor que l’amour seul apprenne à bien aimer,
Il n’est pourtant pas mal que les amans s’instruisent.
Ils feront donc fort bien si parfois ils se disent
Ce qu’ils croiront utile à se bien enflammer.

Sçavoir si, dans les éclaircissemens d’amour, il faut entrer dans quelque détail.

Quand, après quelque fâcherie,
On vient à l’éclaircissement,
Il faut parler profondément
Du sujet de la brouillerie :

Car d’en parler en général,
Cela ne guérit point le mal.

Sçavoir combien la sincérité est nécessaire en amour.

De la sincérité j’entends qu’on fasse vœu
En honnête galanterie ;
J’excuse volontiers et bien plutôt j’oublie
Un crime dont on fait l’aveu
Qu’une bagatelle qu’on nie.

Sçavoir si on peut bien aimer et n’être pas sincère.

Une honnête maîtresse, et qui tâche de plaire,
Est sur toutes choses sincère ;
Elle craint plus, lorsqu’elle ment,
D’être elle-même sa partie
Que de déplaire à son amant
S’il la trouvoit en menterie.

Sur la même question.

Une honnête maîtresse aime la vérité
Et prend toujours plaisir à la sincérité ;
Mais si, pour s’excuser auprès de ce qu’elle aime,
Elle parle une fois moins véritablement,
Elle craint plus en ce moment
Ce qu’elle se dit à soi-même
Que ce que lui dit son amant.

Sçavoir si une maîtresse peut avoir quelque raison de cacher à son amant qu’on lui a parlé ou écrit d’amour.

C’est m’offenser, Iris, que de ne me pas dire
Lorsque pour vous quelqu’un soupire.

Si c’est une faute en amour
De n’être pas toujours sincère
Avec des gens pour qui l’on doit aimer le jour,
Encor que le secret ne leur importe guère,
Vous jugez bien quel crime c’est
De ne m’en pas dire un où j’ai tant d’intérêt.

Sçavoir lequel est le plus opposé à l’amour, de la haine ou de l’indifférence.

Haïr après avoir aimé donne espérance,
Que l’on pourra d’aimer recommencer un jour.
Je trouve bien plus de distance
De l’amour à l’indifférence
Que de la haine à l’amour.

Sçavoir s’il y a des fautes en amour qu’on puisse traiter de bagatelles.

Tout ce qui détruit la constance,
Tout ce qui peut l’amour nourrir,
Tout ce qui le peut amoindrir,
Tout ce qui le peut agrandir,
Tout est d’extrême conséquence.
Enfin, pour vous le faire court,
Rien n’est bagatelle en amour.

Sçavoir si l’on se doit tutoyer en amour, ou non.

Au commencement d’une affaire
On n’a jamais manqué de se traiter de vous ;
Puis après il dépend de nous
De le faire toujours ou faire le contraire,
L’un et l’autre est indifférent ;
Je n’en voudrois aucun prescrire ni défendre :

Le vous me paroît plus galant,
Mais je trouve le toi plus tendre.

Sçavoir s’il y a des rencontres où un amant doive hasarder sa réputation pour sa maîtresse.

Si quelque fantasque maîtresse,
Par caprice ou par vanité,
Vous vouloit obliger de faire une bassesse
Qui choquât votre honneur et votre probité,
Donnez-vous garde de la croire ;
Rompez plutôt, il en est temps,
Et sçachez que l’amour ne va qu’après la gloire
Dans le cœur des honnêtes gens.
Si pourtant l’aimable Sylvie
Avoit besoin de votre vie
Pour la tirer d’un mal, ou lui faire un grand bien,
Alors ne ménagez plus rien.

Sçavoir s’il y a des rencontres où une dame doive hasarder sa réputation pour son amant.

S’il falloit hasarder sa réputation
Pour ôter quelque impression
Qui d’un amant jaloux pourroit troubler la tête,
Il seroit mal d’avoir un moment hésité ;
Et ce seroit alors qu’il seroit fort honnête
De n’avoir point d’honnêteté.

Sçavoir si l’on peut vouloir mourir pour sauver la personne qu’on aime.

Iris, lorsque vous n’aimez pas,
Ne croyez point à ces paroles :
« Pour vous je courrois au trépas. »

Ma foi, ce sont des hyperboles.
Mais lorsque votre cœur ressent les mêmes coups,
Je comprends bien par moy que l’on mourroit pour vous.

Sçavoir ce qu’on préféreroit, ou la mort ou l’infidélité de son amant.

Vous demandez avec instance
Ce que je choisirois plutôt en mon amant,
De la mort ou de l’inconstance.
Croyez-vous qu’en cela je balance un moment ?
J’aimerois mieux mourir, Sylvie,
Que s’il avoit perdu le jour ;
Mais je l’aimerois mieux sans vie
Que sans amour.

Sçavoir s’il faut que les amans cherchent à se voir le plus qu’ils peuvent et le plus commodément.

Vous qui ne croyez pas, imbéciles amans,
Voir jamais assez vos maîtresses,
Vous pourriez bien, par vos empressemens,
Trouver la fin de vos tendresses.
Laissez donc des difficultés,
Ne levez point tous les obstacles ;
Autrement, sans de grands miracles,
Vous serez bien tôt dégoûtés.

Sçavoir si les amans qui se voient commodément en particulier doivent chercher encore à se voir souvent en public.

Il faut voir souvent sa maîtresse
Loin des témoins, hors de la presse,

Mais en public fort rarement ;
Et voici mon raisonnement :
Si sa flamme a trop de lumière,
Le mari la voit, ou la mère,
Et ce malheur peut être grand ;
Si son air est indifférent,
L’amant peut croire qu’en la belle
L’indifférence est naturelle.

Sçavoir s’il faut épouser sa maîtresse publiquement, clandestinement, ou ne la point épouser du tout.

Qui veut épouser sa maîtresse
Veut la pouvoir haïr un jour.
Le peché fait vivre l’amour,
Et l’hymen mourir la tendresse ;
Mais si l’on craint fort le péché,
Il faut que l’hymen soit caché.

Sçavoir s’il est possible que les amans qui se marient s’aiment encore longtemps après.

L’amour n’est fait que de mystère,
De respects, de difficultés ;
L’hymen est plein d’autorités,
Peut tout et ne daigne rien faire :
Assembler l’hymen et l’amour,
C’est mêler la nuit et le jour.

Sur la même question.

Croyez-moi, belle Iris, je m’y connais un peu,
L’amour dans l’hymen perd son feu ;

Et, quand vous m’alléguez que Céladon soupire
Et fait encor le serviteur,
C’est par honte de s’en dédire :
Il n’aime plus que par honneur.

Sur la même question.

Votre extrême ardeur sans cesse
De vous épouser me presse.
Ne blâmez point mon refus,
Iris, en voici la cause :
Epouser et n’aimer plus,
En amour c’est même chose.

Sur la même question.

Si vous avez bien envie
D’aimer toujours votre Sylvie,
Laissez là le sacrement.
Vouloir épouser la belle,
C’est vouloir rompre avec elle
Un peu plus honnêtement
Que par votre changement.

Sçavoir si la mauvaise fortune ou la perte de la beauté peuvent rendre excusable le changement des amans.

Lorsque deux vrais amans se sont trouvés aimables,
Rien de leur passion ne les peut affranchir.
Devenir laids, Iris, devenir misérables,
Tout cela ne fait que blanchir.

Sçavoir comment une maîtresse en doit user quand son amant est malheureux, et que leur amour a fait du bruit.

Quand votre amour, Iris, a fait un peu de bruit,
Et que votre galant tombe en quelque disgrâce,
Un désespoir seroit de fort mauvaise grâce,
Il seroit mal à vous de pleurer jour et nuit ;
Mais, Iris, votre indifférence
Choqueroit plus la bienséance.

Sçavoir ce que les malheurs peuvent faire sur l’esprit d’un amant fort amoureux et fort aimé.

Tant qu’un amant fort amoureux
Est sûr du cœur de sa maîtresse,
La fortune la plus traîtresse
Ne le peut rendre malheureux.
Sa prison ne sçauroit ébranler sa constance ;
Il la sent aussi peu que s’il étoit brutal,
Et même son exil ne lui paraît un mal
Que parcequ’il est une absence.

Sçavoir si l’on peut avoir toujours de l’amour pour une dame sans en recevoir les dernières faveurs.

Belle Iris, lorsque je vous presse
De m’accorder les grands plaisirs,
Vous me dites qu’au seul désir
Je devrois borner ma tendresse,
Que mille gens n’aiment pas autrement.
Chacun, Iris, aime comme il l’entend ;
Mais, quant à moi, j’ai moins de continence,

Et, quand l’amour dure sans jouissance,
Je crois que c’est la faute de l’amant.

Sçavoir si l’amour peut durer lorsqu’il n’y a point de jouissance, ou lorsque la brutalité est extrême.

Chacun aime à sa guise,
Adorable Bélise.
L’un veut aimer, mais chastement ;
L’autre, sans s’attacher, veut de l’emportement.
Tous ces gens-là prennent l’amour à gauche
Et lui donnent un méchant tour.
On se lasse à la fin d’espérer nuit et jour,
On se lasse encor plus de la seule débauche ;
Mais il nous faut mêler la débauche à l’amour.

Sçavoir si l’amour se détruit par la jouissance.

Je comprends fort bien qu’un amant
Qui trouve des défauts après la jouissance
Se guérit assez promptement ;
Mais quand un corps bien fait, quand de la complaisance,
Se trouve avec un cœur rempli de passion,
En ce cas la reconnoissance
Se joint à l’inclination,
Et l’on tire de la constance
Une longue possession.

Sçavoir lequel est le plus honnête à une dame, de se retenir ou de se laisser aller à sa passion.

Quand vous aimez passablement,
On vous accuse de folie ;
Quand vous aimez infiniment,

Iris, on en parle autrement :
Le seul excès vous justifie.

Sur la même question.

Pour être une maîtresse aimable,
Il faut que votre flamme augmente nuit et jour,
Et l’excès, ailleurs condamnable,
Est la mesure raisonnable
Que l’on doit donner à l’amour.

Sur la même question.

Vous me dites que votre feu
Est assez grand, belle Climène.
Vous ignorez donc, inhumaine,
Qu’en amour assez est trop peu ;
Cependant la chose est certaine,
Et, si sur ce chapitre on croit les plus sensés,
Quand on n’aime pas trop, on n’aime pas assez.

Sçavoir s’il faut dire tout ce qu’on sçait à la personne qu’on aime, ou avoir quelque chose de réservé pour elle.

Une maîtresse à son amant,
Encor que quelques-uns en parlent autrement,
Doit de tous ses secrets un entier sacrifice,
Et, lorsqu’un de ses amis sçait
Qu’elle a découvert son secret,
Il faut qu’il se fasse justice.
Quand on se donne, il doit juger
Qu’on n’a plus rien à ménager.

Sçavoir l’usage qu’une femme doit faire de la pudeur et de l’emportement.

Il faut qu’une maîtresse honnête
Ait, pour être selon mon cœur,
De l’emportement tête à tête,
Partout ailleurs de la pudeur ;
Que les apparences soient belles,
Car on ne juge que par elles.

Sçavoir de quelle manière il faut que les amans qui s’aiment se parlent entre eux.

Amans, quand vous vous parlerez,
Dans tout ce que vous vous direz
Jamais un seul mot de rudesse,
Dans la voix même point d’aigreur :
Car l’amour naît par la tendresse
Et s’entretient par la douceur.

Sçavoir ce qu’il faut faire pour empêcher sa passion de finir.

Si vous voulez, Iris, que votre affaire dure,
Ne vous relâchez point dans sa prospérité,
Et, pour amuser la nature,
Qui se plaît à la nouveauté,
Recommencez vos soins jusques aux bagatelles :
En amour, c’est la vérité,
Les recommencemens valent choses nouvelles.

Sçavoir d’où vient que les amours ne durent pas long-temps.

Ce qui fait que les amans
N’aiment jamais fort long-temps,

C’est que les premiers jours qu’une affaire commence,
On a de la complaisance,
De la tendresse et du soin,
Et qu’ensuite on s’en dispense.
Dans la longue jouissance,
On en a bien plus besoin.

Sçavoir de quelle manière il faut que les dames qui ont un amant en usent avec les gens qui leur ont témoigné de l’amour et qu’elles ne veulent pas aimer.

Iris, les honnêtes maîtresses
Traitent d’un plus grand sérieux
Ceux qui leur ont offert des vœux
Que ceux qui n’ont point eu pour elles de tendresses :
Car des civilités pour des indifférens
Sont des faveurs pour les amans.

Sçavoir si l’amour change les tempéramens.

Je ne crois pas qu’un amant
Change son tempérament
Pour se rendre tout semblable
À ce qu’il trouve d’aimable.
L’amour du matin au soir
Ne va pas du blanc au noir ;
Mais si l’humeur sérieuse
Me prend l’autre extrémité,
Du moins cette impérieuse
A moins de sévérité.

Sçavoir si, lorsqu’on est éperdûment amoureux, on trouve quelque chose de plus beau que sa maîtresse.

Il est vrai, je vous le confesse,
Vous l’emportez sur ma maîtresse :
Vous avez de plus beaux cheveux,
Rien n’est comparable à vos yeux ;
Mais, quoiqu’enfin vous soyez bien plus belle,
Vous ne me plaisez pas tant qu’elle.

Sçavoir s’il est bon d’avoir un confident en amour.

Un confident, Tircis, n’est pas fort nécessaire,
Si l’on s’en peut passer on ne fait pas trop mal ;
Mais si vous en prenez, qu’il vous soit inégal,
Car autrement, pour l’ordinaire,
Un confident devient rival.

Sçavoir laquelle est la plus grande, de la première ou de la seconde passion.

Le premier amour est extrême,
Mais les feux ne sont pas constans ;
Et la seconde fois qu’on aime,
On aime moins, mais plus long-temps.

Sçavoir si l’on peut être en repos quand on doute de l’état auquel on est avec la personne qu’on aime.

L’incertitude est le plus grand des maux :
Quand vous aurez sur votre affaire
Un éclaircissement à faire,
Jusqu’à ce qu’il soit fait, n’ayez point de repos.

Sçavoir si l’on ne voit pas bien, quand on commence d’aimer, que l’amour ne durera pas toujours.

Encor qu’il soit fort peu d’éternelles amours,
Il n’est point d’honnête maîtresse
Qui croie en s’embarquant voir finir sa tendresse :
On se flatte, et l’on croit qu’on aimera toujours.

Sçavoir auquel on se doit prendre, de son rival ou de sa maîtresse, de l’infidélité de celle-ci.

Quand un rival nous presse
Et nous fait trop de mal,
C’est contre une maîtresse
Qu’il faut être brutal,
Et non contre un rival.

Sçavoir si l’on peut aimer long-temps une maîtresse coquette.

Je veux au cœur de ma maîtresse
La dernière délicatesse.
Je suis sur ce sujet de l’avis de César,
Et ce n’est pas assez, Iris, à mon égard,
Qu’elle soit au fond innocente :
Je veux que du soupçon
Elle soit même exempte.

Sçavoir de quelle manière il faut que les amans aimés se conduisent avec les maris de leurs maîtresses.

Il se voit des maris qu’on peut apprivoiser ;
Il en est d’autres peu dociles.
Vous, amans qui serez habiles,

Verrez comme il en faut user ;
Mais enfin, de quelque manière
Que les pauvres cocus soient faits,
Ou d’humeur douce, ou d’humeur fière,
Avec eux en public ne vous couplez jamais.

Sçavoir si une femme peut être bonne fortune deux fois en sa vie.

Prude insensible à l’amoureuse ardeur,
Grâce à ton extrême froideur,
Cesse de nous vanter ta vertu non commune.
Je n’estime pas moins l’autre tempérament,
Pourvu qu’il aime honnêtement.
On est toujours bonne fortune
Quand on aime bien son amant.

Sçavoir si, quand on s’aime, la maîtresse peut prétendre que son amant fasse des choses pour elle qu’elle ne feroit pas pour lui.

Tant que, sans être aimés, nous ne sommes qu’amans,
C’est à nous seuls, Iris, à souffrir les tourmens ;
Mais, après que notre maîtresse
A pris pour nous de la tendresse,
Tous les soins doivent être égaux :
De même que les biens, on partage les maux.

Sçavoir s’il est vrai que l’amour frappe un cœur comme un coup de foudre qu’on ne peut éviter.

Pour excuser votre foiblesse,
Vous dites que l’amour vous blesse,
Que tous ses coups sont imprévus.

Climène, c’est un pur abus.
Je crois qu’une aimable présence
Peut, nous trouvant sans résistance,
Insensiblement nous charmer ;
Mais je tiens pour chose certaine
Que nous n’aimons jamais, Climène,
Que nous ne voulions bien aimer.

Sçavoir si l’on peut aimer sans estimer.

Quand on méprise ce qu’on aime,
La passion est dans le sang,
Et, sa chaleur fût-elle extrême,
On ne sçauroit aimer long-temps.

Sçavoir de quelle manière les amans en doivent user ensemble sur l’intérêt.

Celle qui me vendra la dernière faveur
N’aura jamais mon cœur ;
Mais, après avoir eu des faveurs de Carite
Par la force de mon mérite,
Si cette belle avoit besoin
Ou de mon bien, ou de ma vie,
Je n’aurois pas de plus grand soin
Que de contenter son envie.
Les amans sur le bien font comme les Chartreux :
Tout doit être commun entre eux.

Sçavoir si la délicatesse des amans et des maîtresses sur leur conduite doit être égale.

Vous devez à votre conduite
Des soins qui me sont superflus.
Quand on dit que j’aime Carite,

Iris, je vous contente en ne la voyant plus.
Mais, lorsque le bruit court que vous aimez Orante,
Vous me montrez en vain que vous ête innocente.
Si le public n’en voit autant,
Je ne puis pas être content.

Sur le même sujet.

Apprenez de moi, s’il vous plaît,
De nos devoirs la différence :
Je ne puis vous blesser, Iris, que par l’effet ;
Vous pouvez m’offenser par la seule apparence.

Sçavoir si les dames peuvent être excusables de faire les avances.

Je mépriserois une dame
De qui le cœur rempli de flamme
Paroîtroit le premier charmé.
L’avance en vous est condamnable,
Et, si quelque raison la peut rendre excusable,
C’est quand vos cœurs, Iris, n’ont jamais rien aimé.

Sçavoir s’il est vrai que l’amour égale les conditions.

L’amour égale sous sa loi
La bergère avecque le roi.
Si tôt qu’il en fait sa maîtresse,
Si tôt qu’elle a pu l’engager,
La bergère devient princesse,
Ou le prince devient berger.

Sçavoir qui a le plus de plaisir dans une affaire réglée, ou celui qui aime, le plus, ou celui qui aime le moins.

Lorsque deux cœurs unis brûlent des mêmes feux,
Vous croyez peut-être, Sylvie,

Que des deux le moins amoureux
Goûte en paix la plus douce vie.
Ce n’est pas là mon sentiment,
Et je crois plutôt que l’amant
Dont l’ame d’amour toute pleine
A de plus violens désirs
Ressent quelquefois plus de peine,
Mais bien souvent plus de plaisirs.

Sçavoir si le plus amoureux est toujours le plus content.

Belle Iris, le plus amoureux
N’est pas toujours le plus heureux.
La moindre négligence blesse
Son extrême délicatesse ;
Quoi qu’on fasse pour luy de bien,
Quoi qu’à luy plaire on se dispose,
Si l’on manque à la moindre chose,
Il ne compte cela pour rien.
Cependant, quand il voit qu’assurément on l’aime,
Son plaisir est extrême,
Et, pour avoir, Iris, beaucoup moins de tourment,
Il ne voudroit jamais aimer moins tendrement.

Sçavoir s’il faut tenir sa maîtresse par d’autres choses que par elle-même.

Je ne comprends pas qu’un amant,
Par une jalousie extrême,
Veuille empêcher celle qu’il aime
De voir le monde librement.
Je tiens que c’est une foiblesse,
Et je croirois que ma maîtresse
Me garderoit alors sa foi
Par la nécessité de ne rien voir que moi.

Sçavoir si une dame qui fait fort valoir les faveurs qu’elle fait à son amant lui persuade qu’elle l’aime beaucoup.

Afin d’augmenter sa chaleur,
Vous faites valoir la faveur
Que vous donnez à Théagène ;
Mais, d’un autre côté, c’est trahir votre feu :
Car, en lui témoignant, Climène,
Que vous la donnez avec peine,
Vous montrez que vous aimez peu.

Sçavoir quel est le plus sûr moyen de s’aimer long-temps et agréablement.

Pour qu’une affaire dure et toujours dans les ris,
Il faut que la maîtresse, Iris,
Avec ces gens qui vont prônant partout leurs flammes,
Ait un peu de rusticité,
Et qu’aussi le galant, avec toutes les dames,
N’ait que de la civilité.

Sçavoir si l’on peut avoir deux grandes passions en sa vie.

Je demeure d’accord, adorable Sylvie,
Que l’on rencontre rarement
Quelqu’un aimant deux fois fortement en sa vie,
Parce qu’on voit malaisément
Quelqu’un aimer bien tendrement ;
Mais, à ceux de qui le cœur tendre
Ne sçauroit vivre sans amour,
Il est aisé de se reprendre,
Et plus fort que le premier jour.

Sçavoir ce que cela fait sur le cœur d’un amant aimé que sa maîtresse soit accablée des caresses de son mari.

Que jour et nuit votre époux
Fasse l’amant auprès de vous,
Cela n’est point à la mode.
Pour moi, j’en souffre nuit et jour :
Car enfin, Iris, son amour
Vous plaît ou vous incommode.

Sçavoir comment un mari doit faire pour se faire aimer d’une jolie femme qu’il a épousée sans l’avoir connue auparavant.

Damon, tu te plains que ta femme
Ne répond pas bien à ta flamme :
Te mocques-tu des gens d’espérer ces douceurs ?
Elle commence à te connoître
Sous le titre de son maître :
Ce n’est pas sous ce nom que l’on gagne les cœurs.
Prends l’air d’amant, sers-toi de cette amorce :
Cela te fera des appas.
On peut prendre le corps par force,
Mais le cœur ne s’insulte pas[4].

Sçavoir s’il suffit à un amant d’avoir souvent donné des marques de son amour à la personne qu’il aime, sans se soucier de recommencer tous les jours.

Belle Iris, lorsque je vous presse
De me donner à tous momens

Des marques de votre tendresse,
Vous me répondez brusquement :
« N’êtes-vous pas encor content
De tout ce que j’ai pu vous dire,
De ce que j’ai pu vous écrire,
À tous les quarts d’heure du jour,
Sur le sujet de mon amour ? »
Non, belle Iris, je parle avec franchise,
Le passé chez l’amant ne se compte pour rien ;
Il veut qu’à toute heure on lui dise
Ce qu’il sçait déjà fort bien.

Sçavoir si les amans doivent être en alarme de voir leurs maîtresses extrêmement caressées par leurs maris.

L’autre jour, près de Climène,
Je voyois son mari sans cesse sur ses bras.
Cette belle vit ma peine,
Et me dit ceci tout bas :
« Remets le calme en ton âme,
Et sçache que l’empressement
D’un mari que hait sa femme
Fait plus aimer son amant. »

Sçavoir lequel il vaudroit mieux pour une fille qui se marieroit sans amour, que son mari en eût beaucoup pour elle ou point du tout.

Dieu vous veuille garder, la belle,
D’un grand amour de votre époux !
Il seroit mal qu’il vous fût infidèle,
Mais il seroit plus mal qu’il fût jaloux de vous,
Et l’amour le rendroit jaloux.

Sçavoir si un mari fort laid a raison de souhaiter que sa femme le regarde.

Tu te plains incessamment
De ne point attirer les regards d’Ennemonde.
Laisse-la, pauvre innocent,
Plutôt que toi regarder tout le monde.
Qu’elle envisage son devoir :
Par là tu te pourras sauver du cocuage ;
Mais si c’est toi qu’elle envisage,
Cela n’est pas en ton pouvoir.

Sçavoir ce qui est préférable en une belle maîtresse, ou le cœur, ou le corps.

Un brutal pour ton cœur ne feroit nuls efforts,
Il aimeroit mieux la personne ;
Mais, pour moi, je n’aime ton corps
Qu’autant que ton cœur me le donne.

Sçavoir si une femme peut aimer son mari, quoi qu’il vive bien avec elle, quand elle aime son amant.

Philis disoit un jour à l’aimable Climène :
« N’aimez-vous pas bien votre époux ?
Il est complaisant, il est doux,
—Non, dit-elle,—Et d’où vient, dit Philis, votre haine ?
Vous avez un si bon cœur,
Tant de justice et de douceur !
Vous avez tant de pente à la reconnoissance !
—Il est vrai, dit Climène, il seroit mon ami
S’il n’étoit pas mon mari ;
Mais je n’ai rien pour lui que de la complaisance.
Avecque lui je vis honnêtement ;

Je ne l’aime qu’en apparence,
Et dans le fond du cœur je le hais fortement,
Comme un rival de mon amant.

Sçavoir ce que fait la présence et l’absence de ce qu’on aime.

Absent d’Iris, mon chagrin est extrême ;
La voir est mon plus grand bien :
Il n’est rien tel que d’être avecque ce qu’on aime ;
Tout le reste n’est rien.

  1. Dans quelques Almanachs d’amour du temps, à la fin des poésies de madame de La Suze, et dans quelques unes des éditions hollandaises de l’Histoire amoureuse, on trouve, plus ou moins nombreuses, des Maximes d’amour. J’ai imprimé celles-ci d’après le texte que les Mémoires de Bussy nous donnent. Tout cela est coulant, gracieux et de bonne mine.
  2. Le marquis de Langeais, déclaré impuissant en justice.
  3. Celui qui contentoit tout le monde et sa femme.
  4. Vi capitur corpus, non cor insilitur. Décidément tout ce style n’est pas du premier venu.