Histoire amoureuse des Gaules/Tome 2/Requête des filles d’honneur à madame de La Vallière

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REQUÊTE


DES


FILLES D’HONNEUR PERSÉCUTÉES


À MADAME DE LA VALLIÈRE.



Vénus de notre siècle, adorable déesse,
Vous qui d’un seul regard inspirez la tendresse,
Et savez surmonter le plus puissant des rois,
Depuis cinq ans entiers nous vivons sous vos lois ;
Nous vous avons connu la plus grande du monde ;
C’est à présent en vous que notre espoir se fonde.
Prenez les intérêts des filles de Cypris,
Et ne permettez pas qu’on en fasse mépris.
Nous vous reconnoissons pour notre impératrice.
Montrez-vous digne enfin d’en être protectrice.
À notre commun bien votre intérêt est joint ;
L’on ne vous verra point, si l’on ne nous voit point.
Nous sommes à l’État toutes trop nécessaires
Pour nous laisser en butte à des coups téméraires ;
Les jeunes gens sans nous, par un crime odieux,

Attireront encor la vengeance des Dieux.
Si notre tendre amour n’échauffoit point leurs âmes,
Ils se verroient brûler par d’effroyables flames ;
Les femmes, les maris, les filles, les enfans,
Les hommes les plus saints et les plus innocens,
Se verroient tous les jours exposés à leur rage ;
Ils enfreindroient les loix du plus saint mariage,
Et leur emportement et leur brutalité
Auroit toujours querelle avec l’honnêteté.
Le substitut des Dieux, en sait la conséquence ;
Dessus lui nous avons une entière licence,
Son empire est ouvert à des gens comme nous ;
Par prudence il permet les plaisirs les plus doux ;
La vertu ne nous fait ni de tort ni d’injure
De peur de renverser l’ordre de la nature ;
Dans ce royaume-ci comme dedans le sien,
Le mal que nous faisons se convertit en bien.
Vouloir être plus saint que la sainteté même,
C’est se tromper l’esprit par une erreur extrême,
Et l’on ne doit jamais faire cesser un mal
Quand il en étouffe un qui seroit plus fatal.
Faites donc retirer le bras qui nous oppresse ;
D’un jeune lieutenant[1] que la poursuite cesse ;
Empêchez désormais qu’on ne puisse offenser
Un corps qui sert au Roi plus qu’on ne peut penser :
Car nous entretenons par nos soins salutaires
La moitié de sa garde et de ses mousquetaires,
Et sans nous ces galans emplumés et poudrés,
Qui paroissent toujours plus jolis, plus dorés,
Que n’ont jamais été des hommes de théâtre,
Ces gens que leur habit fait qu’on les idolâtre
Seroient bientôt cassés ou quitteroient demain,

Si par quelque malheur nous resserrions la main.
Qu’on ne s’oppose plus avecque tant de peine
À ces commodités de la nature humaine ;
Qu’on finisse des soins pris si mal à propos ;
Que les femmes d’honneur puissent vivre en repos.
Aussi bien c’est en vain que le monde s’empresse ;
Chaque jour en produit une nouvelle espèce,
Et si l’on vouloit bien en purger tout Paris,
On verroit à louer quantité de maris.
Croyez-moi, c’est un sexe inconnu que le nôtre ;
Une femme de bien est faite comme une autre ;
L’honneur le plus brillant n’a que de faux appas,
Et souvent l’on paroît tout ce que l’on n’est pas.
Grande Reine, songez à votre chaste empire :
Dans ce triste séjour, sans vos soins, il expire ;
Mais si vous l’honorez de vos soins, désormais
Votre peuple galant ne finira jamais.

  1. Le lieutenant de police, M. Deffita.