Histoire amoureuse des Gaules/Tome 3/Les vieilles Amoureuses

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LES VIEILLES AMOUREUSES.


Avis DU LIBRAIRE AU LECTEUR.

Cette histoire s’étant trouvée dans un cabinet longtemps après qu’elle a été composée, je n’ai pas jugé à propos d’y toucher, pour la laisser dans son naturel. Ainsi, le lecteur n’attribuera pas à l’auteur qu’il a eu peu de connoissance des choses du monde, lorsqu’il parle de certaines gens qui sont morts comme s’ils étoient encore vivants. Madame de Cœuvres[1] est de celles-là ; et il faudroit qu’il ne sût guère ce qui se passe, s’il ne savoit qu’elle est morte peu de temps après son malheur. Quand il fait dire au duc de Sault qu’on va bâtir les Invalides, c’est encore une marque que cette histoire n’est pas écrite depuis peu. Cependant il semble par la même raison qu’il ne devoit point appeler ce seigneur que comte, puisqu’il n’a été fait duc que quelques années devant que de mourir. Ce n’est pas qu’il ne le fût de naissance, puisqu’il étoit fils aîné d’un père qui l’étoit ; on sait aussi qu’il ne lui fallut pas attendre après sa mort pour le devenir, et que le Roi fit cela pour lui afin de lui donner un rang qu’il méritoit mieux que beaucoup d’autres. Quoi qu’il en soit, ce que j’en dis ici n’est que pour excuser l’auteur envers ceux qui ne feroient pas toutes ces réflexions. Le lecteur saura donc que, quand on l’appelle duc avant le temps, c’est moi qui ai réformé le manuscrit en cela, afin qu’on ne crût pas que ce fût d’un autre duc de Sault dont on fît mention, que du dernier mort.

LES VIEILLES AMOUREUSES.


Sous le règne du grand Alcandre[2], la plupart des femmes, qui étoient naturellement coquettes, l’étant encore devenues davantage par la fortune où elles voyoient monter celles qui avoient le bonheur de lui plaire, il n’y en eut point qui ne tâchât de lui donner dans la vue ; mais comme, quelques belles parties qui fussent en lui, il lui étoit impossible de satisfaire toutes celles qui lui en vouloient, il y en eut beaucoup qui lui échappèrent, non pas manque d’appétit, mais peut-être de puissance.

Celles qui ne furent pas du nombre des élues ne s’en désespérèrent pas, surtout celles qui recherchoient le plaisir de la chair, et qui avoient moyen de prendre parti ailleurs : car elles considéroient qu’excepté leur ambition, qu’elles ne pourroient contenter, elles trouveroient peut-être mieux leur compte avec un autre, et qu’à bien examiner toutes choses, un roi valoit quelquefois moins sur l’article qu’une personne de la plus basse condition ; que, d’ailleurs, elles auroient le plaisir de changer, si elles ne se trouvoient pas bien, ce qui ne leur auroit pas été permis si leur destinée les eût appelées à l’amour de ce monarque.

Entre celles-là, il n’y en eut point qui en furent plus tôt consolées que la maréchale de la Ferté[3] et madame de Lionne[4]. Elles étoient déjà assez vieilles toutes deux pour renoncer aux vanités du monde ; mais comme il y en a que le péché n’abandonne point, elles voulurent, après avoir eu des pensées si relevées, faire voir qu’elles valoient encore quelque chose : ainsi, sans songer à ce qu’on en pourroit dire, elles se mirent sur les rangs, et il ne tint pas à elles qu’elles ne fissent des conquêtes.

De Fiesque[5] étoit amant aimé de madame de Lionne il y avoit longtemps, et, pour les plaisirs qu’il lui donnoit, elle le secouroit dans sa pauvreté ; de sorte que par son moyen elle tâchoit de se soutenir comme les autres. Il n’auroit pas été fâché qu’elle eût eu le désir de plaire au Roi, et il auroit été encore plus aise qu’elle y eût réussi ; mais, voyant que, sans songer qu’il lui rendoit service depuis sa jeunesse, elle vouloit se pourvoir ailleurs, il lui dit franchement qu’elle songeât bien à ce qu’elle alloit faire ; qu’il étoit déjà assez rebuté d’avoir les restes de son mari, pour ne pas vouloir avoir ceux d’un autre ; que, s’il avoit donné les mains à l’amour du Roi, elle savoit bien que ce n’étoit que sous promesse que ce monarque ne partageroit que les plaisirs du corps, sans partager son affection ; que ce qu’elle faisoit tous les jours lui montroit assez qu’elle cherchoit quelque nouveau ragoût ; que ce procédé ne lui plaisoit pas, et qu’en un mot, si elle ne réformoit sa conduite, elle pouvoit s’attendre à tout le ressentiment qu’un amant outragé est capable de faire éclater en pareille occasion.

Ces reproches ne plurent point à la dame ; et comme elle croyoit qu’en le payant comme elle avoit toujours fait, il seroit encore très heureux de lui rendre service, elle lui dit qu’il étoit fort plaisant de lui parler de la sorte ; que ce seroit tout ce que son mari pourroit faire ; mais qu’elle voyoit bien d’où lui venoit cette hardiesse ; que les bontés qu’elle avoit pour lui lui faisoient présumer qu’elle ne pouvoit jamais se retirer de ses mains ; qu’elle lui feroit bien voir le contraire devant qu’il fût peu, et qu’elle y alloit travailler. De Fiesque se moqua de ses menaces, et comme le commerce qu’il avoit avec elle depuis si longtemps lui avoit fait croire qu’il ne l’aimoit pas davantage qu’un mari fait sa femme, il crut qu’à l’intérêt près il se consoleroit facilement de sa perte. Mais il éprouva un retour de tendresse surprenant ; il ne fut pas plutôt sorti de chez elle qu’il souhaita d’y retourner, et, si un reste de fierté ne l’eût retenu, il lui auroit été demander pardon à l’heure même. Cependant il ne se put empêcher de lui écrire, et il le fit en ces termes :

Lettre de M. de Fiesque a Mme de Lionne.


Si j’eusse pu souffrir votre procédé sans être jaloux, ce seroit une marque que je ne vous aurois guère aimée. Mais aussi tout doit être de saison, et ce seroit outrer les choses que de demeurer plus longtemps en colère. Je vous avoue que je ne puis cesser de vous aimer, toute coquette que vous êtes. Cependant, faites réflexion que, si je vous pardonne si aisément, ce n’est que parce que je me flatte que j’ai pu me tromper ; mais sachez aussi qu’il n’en seroit pas de même si vous aviez ajouté les effets à l’intention.

Soit que madame de Lionne trouvât quelque nouvelle offense dans cette lettre, ou, comme il est plus vraisemblable, qu’elle eût trop bon appétit pour se contenter du comte de Fiesque, qui avoit la réputation d’être plus gentil que vigoureux, elle jeta sa lettre dans le feu, et dit à celui qui la lui avoit apportée qu’elle n’avoit point de réponse à y faire. Ce fut un redoublement d’amour pour cet amant. Il s’en fut en même temps chez elle, et lui dit qu’il venoit mourir à ses pieds si elle ne lui pardonnoit ; qu’après tout il ne l’avoit point tant offensée, qu’il ne dût y avoir un retour à la miséricorde ; que la femme de son notaire, nommé Le Vasseur, venoit bien de pardonner à son mari, qui l’avoit fait déclarer P… par arrêt du Parlement, et qui, outre cela, l’avoit tenue longtemps enfermée dans les Madelonnettes ; que son crime n’étoit pas de la nature de celui de ce mari ; que les maris, quoi qu’ils pussent voir, doivent garder le silence, que c’étoit un article de leur contrat de mariage ; mais que pour les amants, il ne se trouvoit point de loi qui les assujettit à cette contrainte ; qu’au contraire, la plainte en avoit toujours été permise, et que de la leur ôter, ce seroit entreprendre sur leurs droits.

Quoique toute la différence qu’il y eût entre madame de Lionne et la femme de Le Vasseur, c’est que l’une étoit femme d’un notaire, et l’autre d’un ministre d’État, que celle-là d’ailleurs étoit déclarée P…, comme je viens de dire, par arrêt du Parlement, au lieu que celle-ci ne l’étoit encore que par la voix de Dieu, cependant la comparaison ne lui plut pas. Elle dit à de Fiesque qu’il étoit bien effronté de la mettre en parallèle avec une femme perdue. De Fiesque lui auroit bien pu dire là dessus tout ce qu’il savoit de sa vertu ; mais, étant parti de chez lui dans le dessein de se raccommoder, à quoi il étoit peut-être porté par l’utilité qu’il en retiroit, il continua sur le même ton qu’il avoit commencé, ce qui néanmoins ne lui servit de rien : car madame de Lionne, qui ne vouloit pas être gênée, et qui, après avoir fait banqueroute à la vertu, ne se soucioit plus de garder les apparences, lui dit que pour le faire enrager elle feroit un amant à sa barbe, et que plus elle verroit qu’il y prendroit de part plus elle y prendroit de plaisir. De Fiesque, après une réponse si rude, fut tellement outré de douleur qu’il prit un luth qui étoit dans sa chambre, avec quoi il avoit coutume de la divertir, et le cassa en mille pièces. Il lui dit que, puisqu’elle lui plongeoit ainsi le poignard dans le sein, il vouloit s’en venger sur cet instrument, qui lui avoit donné autrefois tant de plaisir ; que comme il se pourroit faire qu’elle choisiroit peut-être quelqu’un qui le touchât aussi bien que lui, du moins il étoit bien aise que tout ce qui lui avoit servi ne servît pas à un autre. Mais à peine eût-il lâché la parole qu’elle lui répondit, « que celui qu’elle choisiroit n’auroit pas besoin, comme lui, de s’animer par ces préludes ; qu’elle avoit feint plusieurs fois de prendre plaisir à ce jeu, parce qu’elle savoit que sans cela il n’y avoit rien à espérer avec lui, mais qu’elle n’en avoit pas moins pensé pour cela ; qu’il avoit bien fait de casser ce luth, parce qu’en le voyant elle n’auroit pu s’empêcher de se ressouvenir de sa foiblesse ; que maintenant que cet objet n’y étoit plus, rien ne pouvoit rappeler une idée si désagréable ; et qu’enfin il n’avoit fait en cela que prévenir le dessein qu’elle en avoit.

Comme un reproche en attire un autre, cette conversation, quelque désagréable qu’elle pût être, n’auroit pas fini si tôt, si le duc de Sault[6] ne fût entré. Il aperçut d’abord les débris du luth, ce qui lui fit juger qu’il y avoit quelque querelle sur le tapis. Son soupçon se convertit en certitude dès qu’il eut jeté ses yeux sur ces amants ; et comme il étoit libre de lui-même et qu’il se plaisoit à rire aux dépens d’autrui : « Madame, dit-il à madame de Lionne, à ce que je vois l’on n’est pas toujours bien ensemble, et l’un de vous deux s’est vengé sur ce pauvre luth, qui n’en pouvoit mais. Si c’est vous qui l’avez fait, continua-t-il, peut-être en avez-vous eu vos raisons, et je ne veux pas vous en blâmer ; mais si c’est notre ami, il a eu tous les torts du monde, et il n’a pas vécu jusqu’aujourd’hui sans savoir qu’on amuse souvent une femme avec peu de chose ; il devoit savoir, dis-je, que cela nous donne le temps de nous préparer à leur rendre service. »

Ce discours étoit assez intelligible pour offenser une femme délicate, ou même une qui ne l’auroit été que médiocrement. Mais madame de Lionne, qui trouvoit le duc de Sault à son gré, ne songea qu’à lui persuader qu’elle rompoit pour jamais avec le comte de Fiesque, afin que, si le cœur lui en disoit, comme elle eût bien désiré, il ne perdît point de temps. C’est pourquoi, sans prendre garde qu’elle alloit se déshonorer elle-même, et que d’ailleurs un amant délicat aimoit mieux se douter de quelque intrigue de sa maîtresse que d’en être éclairci, et encore par elle-même : « Que voulez-vous, Monsieur ? lui dit-elle ; les engagements ne peuvent pas toujours durer. Je ne me défends pas d’avoir eu de la considération pour monsieur le comte de Fiesque ; mais c’est assez que nous soyons liées pour toute notre vie à nos maris, sans l’être encore à nos amants : autrement ce seroit être encore plus malheureuses que nous ne sommes. L’on ne prend un amant que pour s’en servir tant qu’il est agréable ; et cela seroit étrange qu’il nous fallût le garder quand il commence à nous déplaire. — Ajoutez, Madame, dit le duc de Sault, quand il commence à ne plus vous rendre de service. C’est pour cela uniquement que vous autres femmes les choisissez ; et quelle tyrannie seroit-ce que d’apprêter à parler au monde sans en recevoir l’utilité pour laquelle on se résout de sacrifier sa réputation ! Pour moi, continua-t-il, j’approuverois fort que, selon la coutume des Turcs, l’on fît bâtir des sérails ; non pas à la vérité pour y renfermer, comme ils le font, les femmes invalides, car ils me permettront de croire, avec tout le respect que je leur dois, que, quelque âge qu’elles aient, elles ont encore meilleur appétit que moi, qui crois en avoir beaucoup, mais pour servir de retraite aux pauvres amants qui se font tellement user au service de leurs maîtresses qu’ils sont incapables de leur en rendre davantage. Si cela étoit, et que j’eusse quelque part à cette direction, je vous assure que je donnerois dès à présent ma voix à notre ami pour y loger. Qu’en dites-vous, Madame ? cela ne lui est-il pas bien dû ? et dans les Invalides qu’on dit que le Roi va faire bâtir[7], n’y entrera-t-il pas tous les jours des personnes qui se porteront bien mieux que lui ? — Que vous êtes fou ! monsieur le duc, répondit aussitôt madame de Lionne ; et si l’on ne savoit que vous n’entendez pas malice à ce que vous dites, qui est-ce qui ne rougiroit pas des discours que vous tenez ? » Elle mit aussitôt un éventail devant son visage, pour lui faire accroire qu’elle étoit encore capable d’avoir de la confusion ; mais le duc de Sault, qui savoit combien il y avoit de temps qu’elle étoit dépaysée, se moqua en lui-même de ses façons, sans se soucier de la pousser davantage.

Le comte de Fiesque avoit écouté tout cela sans prendre part à la conversation, et il éprouvoit qu’une longue attache est presque comme un mariage, dont on ne ressent jamais la tendresse que quand les liens sont près de se rompre. Il rêvoit, il soupiroit, et la présence du duc de Sault n’étoit pas capable de le jeter dans le contraire : car, comme ils étoient bons amis, ils s’étoient dit mille fois leurs affaires, et il n’y avoit pas deux jours que ce duc l’avoit même prié de le servir auprès de la marquise de Cœuvres, fille de madame de Lionne[8]. Ce fut pour cela qu’il résolut de s’en aller à l’heure même, espérant que le duc de Sault parleroit plus sérieusement en son absence. Mais lui, à qui ce caractère ne convenoit pas avec les femmes, ne se mit pas en peine des intérêts de son ami ; au contraire, il voulut voir jusques où pourroit aller la folie de madame de Lionne. Elle lui donna beau jeu, sitôt qu’elle vit le comte de Fiesque sorti ; elle lui dit cent choses qui tendoient à lui découvrir sa passion, non pas à la vérité en termes formels, mais qui étoient assez intelligibles pour être entendus d’un homme qui auroit eu moins d’esprit que lui. Aussi, si le duc de Saux n’eût pas appréhendé qu’en la contentant elle eût mis obstacle à l’amour qu’il avoit pour la marquise de Cœuvres, il n’étoit ni assez cruel ni assez scrupuleux pour la faire languir davantage ; mais, craignant qu’après cela cette jeune marquise, qui n’avoit pas encore l’âme si dure que sa mère, ne se fît un scrupule de l’écouter, il fit la sourde oreille, et aima mieux passer pour avoir l’esprit bouché que de se faire une affaire avec sa maîtresse.

Il trouva, en sortant, le comte de Fiesque qui l’attendoit au coin d’une rue et qui lui demanda s’il n’avoit rien fait pour lui. « Non, mon pauvre comte, lui dit-il, car je ne te crois pas assez fou pour prendre tant d’intérêt à une vieille p…… Mais maintenant que je connois ton foible, je te dirai en deux mots que, si tu ne me sers auprès de la marquise de Cœuvres, je te desservirai si bien auprès d’elle qu’il n’y aura plus de retour pour toi. Ecoute, entre nous, je crois que mon gras de jambe et mes épaules larges commencent à lui plaire davantage que ton air dégagé et ta taille mince, et si elle en goûte une fois, c’est à toi à juger ce que tu deviendras. » Le comte de Fiesque le pria de parler sérieusement ; le duc de Saux lui dit qu’il le prît comme il le voudroit, mais qu’il lui disoit la vérité. L’autre étant obligé de le croire, après plusieurs serments qu’il lui en fit, il le conjura de ne pas courir sur son marché, lui avouant ingénuement qu’il l’aimoit par plusieurs raisons, c’est à dire parce qu’elle lui donnoit de l’argent et du plaisir. Si le comte de Fiesque eût fait cet aveu à un autre, il auroit couru risque d’exciter en lui des désirs plutôt que de les amortir, toute la jeunesse de la Cour s’étant mise sur le pied d’escroquer les dames ; mais le duc de Sault, qui étoit le plus généreux de tous les hommes, lui dit en même temps de dormir en repos sur l’article ; qu’il ne vouloit ni du corps ni de l’argent de madame de Lionne, et qu’excepté le plaisir qu’il pouvoit avoir de faire un ministre d’État cocu, il trouvoit que, quelque récompense qu’on lui pût donner, on le payoit encore moins qu’il le méritoit ; cependant, qu’il ne s’assurât pas tellement sur cette promesse qu’il négligeât le service qu’il attendoit de lui ; qu’on faisoit quelquefois par vengeance ce qu’on ne faisoit pas par amour ; qu’en un mot, s’il ne lui aidoit à le bien mettre avec la marquise de Cœuvres, il se mettroit bien avec la mère, et qu’après cela il lui seroit difficile, comme il lui avoit dit, de redevenir le patron.

Quoique tout cela fût dit en riant, il ne laissa pas de faire impression sur l’esprit du comte de Fiesque ; mais comme il lui étoit impossible de vivre sans savoir si sa maîtresse étoit infidèle, il lui écrivit ces paroles comme si c’eût été le duc de Sault. Ainsi il fut obligé d’emprunter une autre main que la sienne, qui étoit trop connue de madame de Lionne pour pouvoir s’en servir :


Vous aurez fait un bien méchant jugement de moi, de la manière que j’ai reçu toutes les honnêtetés que vous m’avez faites. Mais en vérité, Madame, quand on est entre les mains des chirurgiens, ne fait-on pas mieux de ne pas faire semblant d’entendre, que d’exposer une dame à des repentirs qui font, avec juste raison, succéder la haine à l’amour ? Si l’on me dit vrai, je serai hors d’affaire dans huit jours ; c’est bien du temps pour un homme qui a quelque chose de plus que de la reconnoissance dans le cœur. Mais souffrez que j’interrompe cet entretien : il excite en moi des mouvements qu’on veut qui me soient contraires jusqu’à une entière guérison. Je souhaite que ce soit bientôt, et souvenez-vous que je suis encore plus à plaindre que vous ne sauriez l’imaginer, puisque ce qui seroit un signe de santé pour les autres est pour moi un signe de maladie, ou du moins que cela aggrave la mienne.

Il est impossible de dire si, à la vue de cette lettre, madame de Lionne eut plus de tristesse que de joie : car, si, d’un côté, elle étoit bien aise des espérances qu’on lui donnoit, d’un autre, elle fut fâchée de l’accident qui l’obligeoit d’attendre. Ainsi partagée entre l’un et l’autre, elle fut un peu de temps sans savoir si elle feroit réponse ; mais celui qui lui avoit apporté la lettre la pressant de se déterminer, son tempérament l’emporta sur toutes choses, et, croyant de bonne foi avoir affaire au duc de Sault, elle prit de l’encre et du papier et lui écrivit ces paroles :

Lettre de Mme de Lionne au Duc de Sault.


Je croyois, il n’y a qu’un moment, que le plus grand de tous les maux étoit d’avoir affaire à une bête ; mais, à ce que je puis voir, celui d’avoir affaire à un débauché est encore autre chose. Si vous n’étiez que bête, j’aurois pu espérer, en vous parlant françois encore mieux que je n’avois fait, vous faire entendre mon intention ; mais que me sert maintenant que vous l’entendiez, si vous n’y sauriez répondre ? Je suis au désespoir de cet accident ; et qui m’assurera qu’on puisse jamais prendre confiance en vous ? Il y a tant de charlatans à Paris ! Et si par malheur vous êtes tombé entre leurs mains, à quelle extrémité réduiriez-vous celles qui tomberont ci-après entre les vôtres ? Si la bienséance vouloit que je vous envoyasse mon chirurgien, c’est un habile homme et qui vous tireroit bientôt d’affaire. Mandez-moi ce que vous en pensez ; car, puisque je vous pardonne déjà une faute comme la vôtre, je sens bien que je ne me pourrai jamais défendre de faire tout ce que vous voudrez.

« Oh ! la folle ! oh ! l’emportée ! oh ! la gueuse ! s’écria le comte de Fiesque dès le moment qu’il eut vu cette lettre ; et ne faudroit-il pas que j’eusse le cœur aussi lâche qu’elle si je la pouvois jamais aimer après cela ? » — S’imaginant que c’étoit là son véritable sentiment, il mit cette lettre dans sa poche et s’en fut chez elle, où étant entré avec un visage composé et contraint : « Comme j’ai été longtemps de vos amis, Madame, lui dit-il, il m’est impossible de renoncer si tôt à vos intérêts ; je viens vous en donner des marques en vous offrant un homme qui est à moi et qui est incomparable sur de certaines choses. Je veux parler de mon chirurgien ; vous ne le devez pas refuser, et vous en aurez affaire sans doute avant qu’il soit peu, prenant le chemin que vous prenez. »

Ce discours embarrassa fort madame de Lionne ; elle se douta au même temps de quelque surprise. Mais le comte de Fiesque, à qui la couleur étoit montée au visage, et qui n’étoit pas si tranquille qu’il le croyoit : « Infâme ! continua-t-il en tirant sa lettre et la lui montrant, voilà donc les preuves que vous me deviez donner toute votre vie de votre amitié ! Qui est la femme, quelque perdue qu’elle fût, qui voulût écrire en ces termes ? Il faut que M. de Lionne le sache, et c’est une vengeance que je me dois. Il m’en fera raison, puisque je ne puis me la faire moi-même ; et s’il a la lâcheté de le souffrir, j’aurai le plaisir du moins de le dire à tant de monde, que je vous ferai connoître pour ce que vous êtes à tout Paris. »

Il lui fit bien d’autres reproches, qu’elle souffrit avec une patience admirable : car, comme elle étoit convaincue et qu’elle se voyoit entre ses mains, elle avoit peur encore de l’irriter. Elle eut recours aux pleurs ; mais il y parut insensible, de sorte qu’il sortit tout furieux. Ses larmes, qui n’étoient qu’un artifice, furent bientôt essuyées ; elle envoya quérir en même temps le duc de Sault, qu’elle conjura de la sortir de cette affaire, lui disant que, comme on la lui avoit faite en se servant de son nom, il y étoit engagé plus qu’il ne pensoit. Pour l’obliger à ne lui pas refuser son secours, elle lui promit le sien auprès de sa fille, et lui tint parole en femme d’honneur : car, après avoir su du duc de Sault les termes où il en étoit avec elle, elle acheva de disposer son esprit, qui étoit déjà prévenu en sa faveur.

Cependant elle stipula avec lui que cette intrigue se feroit sans préjudicier à ses droits ; et, pour s’assurer contre l’avenir, elle lui demanda des arrhes de ses promesses. Le duc de Sault avoit passé la nuit avec Louison d’Arquien[9], fameuse courtisane, et n’étoit guère en état de lui en donner ; mais, croyant qu’un homme de son âge avoit de grandes ressources, il lui demanda si elle vouloit de l’argent comptant ou remettre le paiement à la nuit suivante. Madame de Lionne, qui savoit que tout le monde est mortel, crut que l’argent comptant étoit préférable à toutes choses ; elle lui dit pourtant que, s’il n’avoit pas toute la somme sur lui, elle lui feroit crédit du reste jusqu’au temps qu’il lui demandoit.

Le duc de Sault entendit bien ce que cela vouloit dire. On prit une pile de carreaux pour faire une table où compter l’argent ; mais lorsqu’il vint à tirer sa bourse, elle se trouva vide, au grand étonnement de l’un et à la grande confusion de l’autre. Elle se déroba de ses bras avec un dépit plus aisé à comprendre qu’à représenter ; et comme il faisoit quelques efforts pour la retenir et qu’il lui donnoit encore des baisers languissants : « Que voulez-vous faire, Monsieur ? lui dit-elle, et cherchez-vous à me donner de plus grandes marques de votre impuissance ! — Je cherche à mourir, Madame, lui répondit le duc de Sault, ou à réparer mon honneur ; et il faut que l’un ou l’autre m’arrive dans un moment. — Est-ce d’une mort violente que vous prétendez mourir ? lui dit-elle en se moquant de lui. Si cela est, vous avez besoin d’une corde, car il ne faut pas croire que votre épée suffise pour cela. Et de fait, après n’avoir pas trouvé une seule goutte de sang sur vous lorsque vous en aviez tant besoin, à plus forte raison n’en trouveriez-vous pas davantage lorsque vous vous porteriez à une action si contraire à la nature. » Elle fut se jeter sur une autre pile de carreaux en achevant ces paroles, et, pour cacher son dépit, elle prit entre ses mains un écran qui se trouva par hasard auprès d’elle. Le hasard voulut encore justement que ce fût un de ceux où les barbouilleurs qui travaillent à ces sortes de choses avoient peint l’histoire du marquis de Langey[10], qui avoit été démarié à cause de son impuissance. Le congrès ordonné par le Parlement y étoit marqué comme le reste, et madame de Lionne y ayant jeté les yeux : « Vous voici dépeint, lui dit-elle, on ne peut pas mieux, et si vous vous souvenez de ce que vous nous disiez l’autre jour en parlant de vos forces, vous trouverez que, sans avoir demandé le congrès, comme l’homme que voici, vous avez aussi bien opéré l’un que l’autre. Vous n’avez plus qu’à vous marier après cela : c’est le moyen d’étendre votre réputation bien loin, et je ne désespère pas de vous voir aussi bien que lui sur ma cheminée.

— Vous ayez raison, Madame, lui dit le duc de Sault, de m’insulter comme vous faites, et mon offense est d’une nature à ne me la jamais pardonner. Pour moi, je ne me connois plus, et après avoir bien rêvé à mon malheur, je ne puis l’attribuer qu’à une chose. Vous connoissez, continua-t-il, la poudre de Polville ? j’en ai mis ce matin partout. Que maudit soit La Vienne[11], qui m’a donné cette belle invention, et qui, pour me faire sentir bon, me fait devenir insensible ! Mais, Madame, le charme ne durera que jusqu’à ce que je me sois baigné. Donnez moi ce temps-là, je vous conjure, et si j’ai manqué à vous satisfaire quand j’y étois obligé, j’en payerai plutôt l’intérêt. Souvenez-vous cependant que je ne suis pas le seul que La Vienne ait engagé dans cette malheureuse affaire : il en est arrivé autant au comte de S. Pol[12] ; et, pour marque que je vous dis vrai, c’est que l’autre jour il demeura court, comme moi, auprès d’une belle fille. J’avois traité cela de bagatelle ; mais après l’avoir éprouvé moi-même, à mon grand regret, ce seroit une hérésie que de ne le pas croire. » Ces paroles consolèrent madame de Lionne ; elle avoit ouï parler de l’aventure du comte de S. Pol, et, en ayant demandé les particularités au duc de Sault, il lui dit ce qu’il en savoit. Cependant, pour lui donner encore plus d’impression de la vérité, il lui chanta un couplet de chanson qui avoit été fait sur cette aventure. C’étoit sur un air du ballet de Psyché[13]. En voici les paroles :

Qui l’eût cru qu’à vingt et deux ans,
Le plus vigoureux des amants
Fût tombé aux pieds d’une fille
Sans vigueur et sans mouvement ?
Foin du Polville,
Quand on a poudré son devant !

Elle lui laissa achever ce couplet sans l’interrompre, car elle vouloit entendre tout au long l’effet, non pas de cette admirable poudre, mais de cette poudre qu’elle jugeoit bien plus digne du feu que les ouvrages de Petit, qui avoient été condamnés, néanmoins, par arrêt du Parlement[14]. Cependant, quand il voulut poursuivre la chanson, qui avoit un autre couplet : « Halte-là, lui dit-elle, monsieur le duc ; quoique vous ayez une des qualités les plus nécessaires à un musicien, toutes les autres vous manquent, hors celle-là. Ainsi l’on peut dire que vous êtes de ceux à qui l’on donneroit une pistole pour chanter et dix pour se taire. » Le duc de Sault lui fit réponse qu’il n’avoit rien à dire contre ses reproches ; qu’après ce qu’il avoit fait elle ne le maltraitoit pas encore assez. Cependant, comme il s’humilioit si fort, il sentit une partie en lui qui commençoit à le vouloir dédire, et, croyant que sans attendre le bain il pourroit rétablir sa réputation, il vint aux approches, qui lui donnèrent encore l’espérance d’un heureux succès. Madame de Lionne fut extrêmement surprise et grandement aise en même temps d’un changement si inopiné. Néanmoins, se défiant de son bonheur, elle voulut mettre la main dessus pour n’en plus douter ; mais, comme il est difficile de la tromper sur l’article, elle n’eut pas plutôt touché qu’elle connut bien que ce seroit se repaître de chimères que de se flatter d’une meilleure fortune. Le duc de Saux en jugea de même, voyant que cette partie commençoit à pleurer lorsqu’il s’attendoit à lui voir prendre une figure plus décente. Il s’en alla dans un désespoir où il ne s’étoit jamais vu, et peu s’en fallut qu’il n’en donnât de tristes marques.

Madame de Lionne ne le voulut pas laisser sortir sans lui faire une nouvelle raillerie : « Au moins, lui dit-elle, ne croyez pas que pour ce qui vient d’arriver je ne veuille pas être de vos amies. Une marque de cela, c’est que je vous ménagerai auprès de ma fille ; bien loin de lui dire que vous l’aimez, je ferai en sorte que vous ne vous trouviez jamais tête à tête avec elle. Ce sera le moyen de conserver votre réputation et d’entretenir la bonne opinion qu’elle peut avoir de vous. Je crois, continua-t-elle, que c’est le meilleur service que je vous puisse rendre en l’état où vous êtes, et je prétends bien aussi que vous m’en ayez obligation. »

Le duc de Sault ne jugea pas à propos de lui répondre, et s’en étant allé du même pas chez La Vienne : « Tu me viens de perdre de réputation, lui dit-il, avec ton maudit Polville, et je brûlerai la maison, et toi dedans tout le premier, si tu ne promets de jeter dans l’eau tout ce qui t’en reste. » La Vienne, qui le voyoit en colère, ne savoit ce que cela vouloit dire ; mais le duc de Sault lui ayant conté son malheur, sans lui dire néanmoins le nom de la personne : « Ma foi, lui dit La Vienne, vous nous la donnez belle avec votre Polville ; demeurez ici seulement trois ou quatre jours sans voir Louison d’Arquien, le comte de Tallard[15] ni personne qui leur ressemble, et vous verrez si c’est ma poudre qui vous empêche de faire votre devoir. C’est une excuse, ajouta-t-il, qu’inventa assez adroitement le comte de S. Pol pour se disculper envers la Mignard, qu’il pressoit depuis longtemps de lui accorder un rendez-vous, mais qui, après avoir promis monts et merveilles à cette pauvre fille, ne put jamais faire la troisième partie de ce que je ferois, moi qui ai deux fois plus d’âge que lui. Je ne lui veux pas de mal de s’être tiré d’affaire comme il a pu ; mais je lui aurois été plus obligé de ne le pas faire à mes dépens. J’ai pour dix mille écus de Polville chez moi, et vous n’avez qu’à débiter comme lui vos rêveries pour m’envoyer à l’hôpital. »

La Vienne étoit sur le point, de longue main, de dire à ces messieurs-là toutes leurs petites vérités, tellement que le duc de Sault ne se fâcha point de s’entendre dire les siennes. Il lui dit au contraire qu’il vouloit éprouver s’il avoit plus de raison que lui, et que, pour cela, il ne vouloit pas sortir de sa maison de quatre jours ; qu’il seroit témoin lui-même qu’il s’abstiendroit de voir le comte de Tallard et Louison d’Arquien, et qu’il eût soin seulement de faire tirer en bouteilles une pièce de vin de Champagne que ses gens avoient découverte dans le cimetière Saint-Jean, aux Deux Torches[16] ; que pour ne la lui pas laisser boire tout seul, il allât avertir le marquis de Sablé[17] et deux ou trois autres de ses amis qu’il leur donneroit à manger chez lui ; qu’ils y pouvoient amener madame Du Mesnil, s’ils étoient assez habiles pour détourner la bête de l’enceinte de son vieux maréchal[18], qui se vantoit d’avoir une partie sur son corps aussi dure que sa jambe de bois ; que s’il demandoit cette femme, ce n’étoit pas pour faire la débauche avec elle ; que les restes du maréchal de Grancey n’étoient bons que pour le marquis de Sablé, et non pas pour lui, qui aimeroit mieux coucher avec une femme médiocrement belle, et qui eût un galant bien fait, qu’avec une qui seroit toute charmante et qui se produiroit comme elle à un aussi vilain homme qu’étoit ce maréchal.

La Vienne lui dit qu’il faisoit bien d’être si délicat, et qu’il le donnoit assez à connoître en couchant tous les jours avec Louison d’Arquien, qui étoit le reste de toute la terre ; qu’au reste, comme ce n’étoient pas ses affaires, il n’avoit garde d’en parler ; mais qu’à l’égard de la Du Mesnil, il étoit bien aise de l’avertir de bonne heure de ne la pas faire venir chez lui pour faire de sa maison une maison de scandale et de débauche ; qu’ils y boiroient et mangeroient tout leur saoul, mais, pour le reste, il n’avoit que faire de s’y attendre.

Il s’en fut après cela où le duc de Sault lui avoit dit ; et les conviés n’ayant pas manqué de s’y rendre avec la Du Mesnil, on fit si bonne chère que le duc de Sault sentit dès ce jour-là que le charme du Polville ne dureroit pas longtemps. Sur la fin du repas, c’est-à-dire entre la poire et le fromage, on leur vint dire qu’un homme demandoit le marquis de Sablé. On lui fit dire d’entrer s’il vouloit ; et l’on fut tout surpris de voir un garde de messieurs les maréchaux de France[19]. Il dit au marquis de Sablé qu’il avoit ordre de le mener au Fort-l’Evêque[20], ce qui effraya la compagnie, qui ne savoit pas qu’il lui fût arrivé aucune affaire. Pour lui, il n’en fit que rire ; et comme on s’apprêtoit de lui en demander le sujet : « Va, va, retourne t’en, dit-il à ce garde, dire à ton vieux fou de maréchal que nous allons boire à sa santé, qu’après cela nous baiserons sa maîtresse, et que, s’il en veut avoir sa part, il faut qu’il nous vienne trouver. Qu’on lui donne à boire, dit-il en même temps, s’adressant au buffet ; voilà tout ce qu’il a la mine d’avoir de sa course. »

Chacun connut bien, à ce qu’avoit dit ce marquis, que le compliment venoit du maréchal de Grancey ; et devant que le garde eût le temps de boire son coup, l’on en fit tant de railleries que, quoiqu’il fût un des fieffés ivrognes qu’il y eût dans toute la connétablie, il laissa la moitié de son verre pour dire à ces messieurs qu’ils prissent garde à ne pas manquer de respect envers monseigneur le maréchal. Chacun lui rit au nez à ce discours, et le duc de Sault, qui étoit le plus près du buffet, se leva, sous prétexte de lui faire boire le reste de son vin ; mais il le lui répandit malicieusement sur ses habits et sur son linge. Le garde voulut se fâcher, mais le marquis de Sablé le rapaisa en lui présentant une autre rasade et le priant de la boire à la santé de monsieur le maréchal. On lui en donna une autre après celle-là, et enfin, dans un moment, on l’enivra si bien qu’il étoit le premier à médire de celui qui l’avoit envoyé. Quand ils l’eurent mis de si belle humeur, ils le renvoyèrent ; et comme le maréchal de Grancey, impatient de savoir quel succès auroit eu sa députation, l’avoit conduit lui-même jusqu’à cent pas de la porte, il ne le vit pas plus tôt revenir qu’il se jeta hors de la portière de son carrosse pour lui demander d’où venoit qu’il avoit été si longtemps. Il reconnut à la première parole que lui dit le garde qu’il étoit saoul, et, se mettant dans une colère non pareille, il demanda s’il n’y avoit pas de canne dans son carrosse. Ne s’en étant point trouvé, il dit à un de ses domestiques, nommé Gendarme, qui lui servoit de valet de chambre et de secrétaire, quoiqu’il ne sût ni lire ni écrire, qu’il lui défit sa jambe de bois et qu’elle lui serviroit de bâton. Mais Gendarme lui ayant dit que cela ne se pouvoit pas, il se jeta sur sa perruque et déchargea sa colère sur lui. Gendarme se vengea en lui écartant la dragée ; et comme il étoit aussi grand parleur que son maître, il eut le plaisir de lui disputer le terrain à coups de langue. Le maréchal, étant saoul de le battre, fit approcher le garde, qui s’étoit écarté, et, l’ayant interrogé de nouveau, sa colère fut bien plus grande quand il apprit que la Du Mesnil étoit de la débauche ; car jusque-là, tout ce qui l’avoit fâché étoit de savoir qu’elle eût vu le marquis de Sablé en particulier, et il n’avoit point eu d’autre sujet de vouloir l’envoyer en prison.

Sitôt que le garde eut lâché la parole, il s’écria qu’il étoit perdu, et tenant la main à Gendarme : « Çà, lui dit-il, oublions le passé, et dis-moi si je ne suis pas bien malheureux. Que ferons-nous, mon ami ? Et surtout ne va pas dire cela à ma femme : car tu sais qu’elle ne cesse de me dire que cette carogne ne vaut rien. » Gendarme n’eût pas voulu, pour les coups qu’il avoit reçus, que cela ne lui fût arrivé. Il se prit à rire dans sa barbe, et ne lui vouloit point répondre. Le maréchal le conjura encore une fois de mettre toute sorte de rancune à bas, et, pour l’obliger à être de belle humeur, il lui promit l’habit qu’il portoit ce jour-là. Gendarme se radoucit à cette promesse ; néanmoins, étant bien aise de le mortifier : « Ne vous l’avois-je pas bien dit, lui dit-il, aussi bien que madame la maréchale[21], que ce n’étoit qu’une p…. ! Si j’étois à votre place, je chasserois, dès que je serois au logis, ce coquin de bâtard qui ne vous appartient pas et que vous nourrissez cependant de la meilleure foi du monde, pendant que vous avez des filles qui, faute d’avoir de quoi, peut-être autant que par inclination….. ; mais il ne s’agit pas de cela maintenant, c’est pourquoi….. — Ah traître ! interrompit le maréchal, tu raisonneras donc toujours ? Quoi ! mon fils[22] n’est pas à moi ? il ne me ressemble pas comme deux gouttes d’eau ? il n’a pas les oreilles de Grancey[23], marque indubitable qu’il est de la maison ? Je te ferai pendre, et, après t’avoir sauvé de la corde à Thionville, il faut que je te renvoie à ta première destinée. »

Gendarme ne put s’empêcher de répondre à ces invectives, quand même il eût su qu’il l’eût dû encore plus maltraiter qu’il n’avoit fait. « Voilà qui est beau, vraiment, lui dit-il, de prendre le parti d’un bâtard et d’abandonner celui de ses filles. Je croyois que toute cette colère ne venoit que de ce que j’avois dit d’elles ; mais, à ce que je vois, c’est de quoi vous vous souciez le moins. Il est vrai, il a vos grandes oreilles, mais est-ce une marque si indubitable qu’il vous appartient, comme vous croyez ? Combien de femmes mettent d’enfans au monde qui ont quelque chose de particulier, parce que les mères se sont arrêtées à quelque objet désagréable ? Votre m… ne peut-elle pas avoir regardé….. » Il vouloit dire un âne, mais il n’osa lâcher la parole et se mit à bredouiller entre ses dents. Comme cela lui étoit naturel, le maréchal n’y prit pas garde, et s’étant radouci, parce qu’il lui avoit accordé les oreilles : « Eh bien ! que ferons-nous donc ? lui dit-il ; et laisserai-je entre les mains de ces scélérats une enfant qu’ils ont sans doute enlevée par force ? » Gendarme, qui les savoit en débauche et qui avoit soif à force d’avoir parlé et craché, crut qu’il pourroit gagner quelques verres de vin au buffet, s’il pouvoit obliger le maréchal à les aller trouver ; c’est pourquoi, après avoir fait semblant de rêver en lui-même, pour faire l’homme d’importance : « Ma foi, si vous me croyez, lui dit-il, nous irons de ce pas où ils sont ; cela servira à deux fins : l’une, que vous ramènerez madame Du Mesnil chez elle ; l’autre, que vous empêcherez peut-être qu’il n’arrive quelque chose qui ne vous plairoit pas : car, que sait-on ? il y en a quelquefois qui ont le vin paillard et qui font rage dans ces sortes d’occasions. — Mais n’est-ce point trop me compromettre ? lui répondit le Maréchal. — La belle délicatesse que voilà ! lui dit Gendarme ; et vous qui allez tous les jours où vous savez, ne pouvezvous pas entrer chez La Vienne, où vont tous les gens de qualité ? »

Ces raisons suffirent pour résoudre le maréchal ; mais, étant bien aise de se faire accompagner d’un garde, il voulut que celui qui étoit venu avec lui le suivît. Cependant il ne se trouva point, et il étoit allé se reposer sur une boutique, où il étoit si bien enseveli dans le sommeil, que lorsqu’on l’eut trouvé, il fut impossible de le réveiller. Le maréchal étoit d’avis que Gendarme endossât son harnois ; mais celui-ci, qui ne vouloit point être obligé de faire aucun compliment fâcheux à des gens dont il n’étoit assuré ni de la discrétion ni du respect, le fit ressouvenir qu’il étoit trop connu de la compagnie pour se revêtir d’une autre figure. Le maréchal s’étant rendu à ses raisons, il laissa cuver le vin à ce garde, sans interrompre son sommeil.

Etant arrivé chez La Vienne, il monta aussitôt en la chambre où étoient ces messieurs, sans qu’on eût le temps de les avertir de sa venue. Ils furent extrêmement surpris de le voir ; mais celle qui le fut le plus fut madame Du Mesnil, et elle crut bien qu’après cela il ne fourniroit plus à l’appointement. Le duc de Sault, comme le plus considérable, prit la parole le premier et dit au Maréchal, « qu’ayant voulu faire débauche, il avoit été prendre ceux qu’il voyoit, et que de là ils avoient été enlever madame Du Mesnil, laquelle s’étoit extrêmement défendue ; que cela les avoit obligés de la porter sur leurs bras jusque dans le carrosse ; mais qu’on voyoit bien que leur compagnie ne lui plaisoit pas ; qu’elle n’avoit ni bu ni mangé, et qu’une autre fois ils n’amèneroient jamais personne par force. »

Le maréchal goba ce discours, et, étant bien aise de le faire remarquer à Gendarme, qu’il croit derrière lui, mais qui étoit déjà au buffet à trousser un verre de vin, il donna un coup sur le bras d’un laquais qui apportoit un ragoût pour le faire boire, et le fit tomber. Cela interrompit le discours qui étoit sur le tapis, et il se crut obligé de s’excuser de ce qu’il avoit fait. Ils lui dirent tous que ce n’étoit rien, et qu’ils avoient fait si grande chère, qu’il y en avoit encore assez pour lui et pour eux. Au même temps le duc de Sault le prit par le bras et l’obligea de s’asseoir entre madame Du Mesnil et lui, si bien qu’on recommença à manger de plus belle et à boire de même. La Du Mesnil, qui en avoit jusqu’à la gorge, affecta une grande sobriété et une grande mélancolie ; en quoi elle se contraignoit plus en l’un qu’en l’autre. Chacun lui disoit qu’elle devoit manger maintenant qu’elle avoit ce qu’elle aimoit auprès d’elle ; mais, comme le maréchal ne lui en parloit point, et qu’elle voulut que ce fût lui, elle se défendoit avec un air languissant, ce qui donnoit sujet de rire à tous ceux qui savoient comment elle s’en étoit acquittée avant qu’il entrât. Le maréchal, qui mouroit de faim, ne songeoit qu’à remplir sa panse, et lâchoit bien quelquefois quelque parole pour l’obliger à en faire de même, mais elle vouloit qu’il l’en pressât davantage. Enfin, après qu’il eut rassasié sa grosse faim, il fut plus galant et eut plus soin d’elle. Elle fit mine de se rendre à ce qu’il vouloit, et quoique cela fût capable de lui faire mal, elle recommença à manger.

Chacun se récria là-dessus, et dit qu’on voyoit bien ceux qui avoient du pouvoir sur elle. Cela faisoit rire sous cape le maréchal, et il donna si bien dans le panneau, qu’il ne fit que marcher sur les pieds de sa dame, en signe d’amitié. On poussa la débauche jusqu’à l’excès, et, après avoir médit de tout le genre humain, ils médirent d’eux-mêmes. Le maréchal dit au duc de Sault qu’il ne falloit pas s’étonner s’il étoit si gros et si gras, et le marquis de Ragni[24], son frère, si mince et si maigre ; qu’il avoit été fait entre deux portes, au lieu que l’autre avoit été fait dans un lit ; que les coups fourrés étoient toujours mieux fournis que les autres, et qu’il l’avertissoit, s’il ne le savoit pas, qu’il étoit obligé de porter respect au duc de Roquelaure[25], comme à son propre père. Le duc de Sault, pour lui rendre le change, lui dit qu’il ne pouvoit pas lui parler si précisément du sien, parce que sa mère[26] avoit eu tant de galans, qu’il étoit impossible de dire auquel il devoit sa naissance ; que c’étoit dommage que les filles du maréchal de Grancey n’eussent été élevées de la main d’une si habile femme ; qu’elles ne seroient pas si glorieuses ; que cependant il n’y avoit point de différence entre leur tempérament et celui de leur grand’mère, sinon qu’elles avoient deux princes pour galans, au lieu qu’elle avoit toujours le premier venu ; que cependant le bruit étoit qu’elles n’avoient pas eu toujours le cœur si relevé ; que, si l’on en croyoit la médisance, elles n’avoient pas haï un de leurs domestiques ; qu’il n’en falloit pas parler de peur de leur faire tort, et que même il étoit prêt de signer, pour leur faire plaisir, que ce n’étoit qu’un conte inventé par quelque médisant.

Le maréchal de Grancey jura que c’étoit une fausseté ; qu’il étoit bien vrai que ce domestique leur étoit plus agréable que les autres, parce qu’il étoit bien fait de sa personne, qu’il se mettoit bien et qu’il avoit de l’esprit ; mais que, voyant qu’on en parloit dans le monde, il l’avoit chassé pour couper racine à toutes ces médisances. Pour autoriser ce qu’il venoit de dire, il demanda du vin, et dit qu’il vouloit boire encore quatre coups d’une main et autant de l’autre ; qu’après cela il jureroit la même chose, et que c’étoit une preuve qu’il n’avoit rien dit contre la vérité, puisqu’on savoit bien que les ivrognes n’avoient pas l’esprit de la déguiser. On n’eut garde de lui contester une chose si authentique, et l’on se retrancha sur l’amour de Monsieur[27], pour mademoiselle de Grancey, et sur celui de monsieur le Duc[28] pour la comtesse de Maré sa sœur[29]. Cela donna lieu à un de la compagnie de faire cette chanson, qu’il chanta à l’heure même, sur l’air d’un Noël :

Laissez baiser vos filles,
Illustre maison de Grancey,
Laissez baiser vos filles,
Leur cœur est bien placé ;
Leur bonheur n’eut jamais d’égal,
C’est lui qui fait par leur canal
Couler chez vous le sang royal.
Ces deux beautés si tendres
Pouvoient-elles, dans leur saison,
Vous procurer deux gendres
De meilleure maison[30] ?

Le maréchal étoit tellement en pointe, qu’il voulut apprendre la chanson, et la chanta avec les autres. Ils firent chorus longtemps sur le même air, après quoi chacun prit le parti de s’en retourner chez soi. Le duc de Sault, sans se souvenir de ce qu’il avoit promis à La Vienne, monta en carrosse, résolu d’aller coucher avec la Du Mesnil, si le maréchal de Grancey, qui l’avoit fait entrer dans le sien, la pouvoit laisser en liberté. Pour cet effet il commanda à un de ses laquais de les suivre et de lui en venir dire la réponse à un endroit qu’il lui marqua. Le laquais ne tarda guère à revenir, et lui ayant appris que le maréchal, après l’avoir ramenée chez elle, s’en étoit retourné chez lui, il s’y fit mener et y passa la nuit.

Comme il y avoit du vin sur le jeu, et qu’il n’étoit pas sur le pied de se beaucoup contraindre, il ne s’aperçut pas si le charme du Polville étoit rompu, et remit toutes choses au lendemain. Mais il étoit encore endormi lorsque Gendarme vint à la porte ; et comme c’étoit de la part du patron et qu’on ne pouvoit pas la lui refuser, la Du Mesnil n’eut le temps que de l’éveiller et de le prier de se cacher derrière le rideau. Gendarme, qui, pour faire enrager son maître, remarquoit jusqu’aux moindres choses, aperçut, en lui faisant son compliment, qu’il y avoit une autre place que la sienne qui étoit foulée ; et, impatient de l’aller redire au vieillard, il courut plus vite qu’à l’ordinaire, si bien que, quand il arriva à l’hôtel de Grancey, il étoit tout hors d’haleine.

Le maréchal lui demanda pourquoi il étoit si échauffé ? « Pour vous dire, répondit-il, que vous êtes la plus grande dupe qu’il y eut jamais ; que pendant que vous dormez ici tranquillement on vous fait de belles affaires ; que tous les enfants que vous pensez à vous ont d’autres pères malgré leurs belles oreilles, et qu’en un mot, vous êtes cocu. Levez-vous seulement, continua-t-il, et vous verrez encore la bête au gîte, ou tout du moins le gîte si bien marqué qu’il sera aisé de la suivre à la piste. » Le maréchal, qui savoit le plaisir qu’il prenoit à lui donner des soupçons, lui dit qu’il prît garde à ce qu’il disoit, qu’il y alloit de sa vie et qu’il ne le lui pardonneroit plus. Cependant il demandoit sa jambe, son caleçon et ses habits ; et il étoit si pressé de se lever, Gendarme si pressé de lui montrer ce qu’il avoit promis, que l’un oublia de lui demander son brayer, et l’autre de lui mettre.

Le branle du carrosse fit que le maréchal s’aperçut le premier de la bévue ; il fallut retourner au logis pour le quérir, et pendant ce temps-là le duc de Sault s’habilla et sortit. La Du Mesnil, qui savoit que Gendarme ne l’aimoit pas, fit refaire son lit en même temps et se coucha tout au beau milieu. Ce fut un opéra que d’accommoder le brayer dans le carrosse. Gendarme juroit comme un charretier que le maréchal l’avoit fait exprès pour donner le temps à l’oiseau de prendre l’essor ; le maréchal, au contraire, que cela venoit de lui pour avoir une excuse ; enfin c’étoit quelque chose de fort divertissant que de voir leur dispute, et ils parloient si haut que le monde s’amassoit déjà autour du carrosse. Les laquais, qui étoient accoutumés à ce manége, ayant fait retirer ceux qui vouloient s’arrêter, le maréchal tira ses rideaux pour ne pas faire voir son infirmité à ceux qui ne la savoient pas.

La chose s’étant achevée avec grand’peine, ils continuèrent leur chemin, et étant arrivés chez la Du Mesnil, Gendarme fut fort étonné de ne voir qu’une place foulée au lieu de deux qu’il avoit remarquées. Le maréchal, qui s’aperçut de sa surprise, eut peur qu’il ne voulût enfiler la porte, et, pour le prévenir, y courut avec précipitation ; mais, n’ayant pas la jambe sûre, il tomba et se fit beaucoup de mal. Gendarme, qui vit bien que, quoiqu’il n’eût pas tort, tout alloit tomber sur lui, prit ce temps-là pour s’échapper ; ce qui mit le maréchal dans une furieuse colère. Il jura qu’il le feroit pendre, ce qui rassura la Du Mesnil, qui avoit eu peur d’abord qu’il n’eût plus de créance en lui qu’en elle.

Elle lui donna la main pour se relever, et quand il eut repris haleine il lui avoua franchement ce qui s’étoit passé et lui demanda pardon de son soupçon. Comme elle le vit en si beau chemin, elle lui fit une forte réprimande, lui demanda si c’étoit là la récompense de ce qu’elle faisoit tous les jours pour lui, et n’oublia rien de ce qui pouvoit lui prouver son innocence et engendrer en lui un extrême repentir.

Il lui en donna toutes les marques qu’elle pouvoit souhaiter ; mais rien ne la persuada tant qu’un cierge d’une livre qu’il envoya quérir à l’heure même pour le porter aux Quinze-Vingts, en reconnoissance, disoit-il, de ce que Dieu avoit permis qu’il eût découvert la méchanceté de Gendarme ; car, quoi qu’il fît tous les jours une offrande de même nature à cette église, comme celle-ci étoit plus forte de moitié que les autres, elle jugea qu’il étoit véritablement touché.

Pendant que le maréchal se reposoit tranquillement à l’ombre de sa bonne fortune, le duc de Sault songeoit à rétablir sa réputation auprès de madame de Lionne. Cependant, quelque confiance qu’il eût en son tempérament et en sa jeunesse, non seulement il s’abstint de voir le comte de Tallard et Louison, mais il mangea encore de tout ce qui pouvoit contribuer à une vigoureuse santé. Ne doutant plus alors qu’il ne fût en état de combattre, il s’en fut sur le champ de bataille ; mais il y trouva un autre combattant. Le comte de Fiesque étoit revenu plus amoureux que jamais ; et quoique ce qu’il avoit fait lui dût donner un grand mépris pour madame de Lionne, et que madame de Lionne, de son côté, ne dût pas souhaiter de le revoir, ils ne s’étoient pas plutôt vus qu’ils s’étoient raccommodés. Il n’eut pas lieu d’en douter en arrivant. Comme on savoit qu’il étoit des amis de la maison, on le laissa entrer sans annoncer sa venue, et, ne trouvant personne dans la chambre, il s’avisa de regarder au travers de la serrure du cabinet. Il vit là qu’ils étoient aux prises, ce qui ne l’auroit pas étonné s’il n’eût su leur querelle. Cependant, quoiqu’il vînt pour la même chose et qu’il ne dût pas être content de voir la place prise, il s’assit tranquillement dans un fauteuil, se doutant bien que, comme le comte de Fiesque n’étoit pas un rude joueur, il auroit bientôt achevé sa partie. En effet, elle ne fut pas plutôt faite qu’ils vinrent tous deux dans la chambre, et leur surprise fut grande de voir un homme qu’ils n’attendoient pas et qu’ils n’avoient eu garde de demander.

Le duc de Sault, qui savoit que le silence augmenteroit encore leur confusion, voulut les tirer de celle où il les voyoit en le rompant ; et comme il n’y avoit que de la débauche à son fait, il avoit pris son parti à l’heure même, si bien qu’il se trouvoit une certaine liberté d’esprit, qu’il n’eût eu garde d’avoir si son cœur eût pris le moindre intérêt à son aventure. « Je vous croyois de mes amis tous deux, leur dit-il. Sur ce pied-là je m’attendois que vous ne feriez point de réjouissance sans moi. Vous savez qu’un raccommodement vaut une noce, et cependant vous venez de vous donner les joies du paradis sans m’y avoir appelé. Je n’ai jamais été curieux qu’aujourd’hui ; mais j’en suis rebuté pour toute ma vie. La sotte chose, de voir le plaisir des autres par le trou d’une serrure ! Et je crois que, si j’eusse été encore au collége, il m’en auroit coûté un péché mortel. Que ne laissez-vous du moins, Madame, dit-il en s’adressant à madame de Lionne, quelque femme de chambre ici ? On s’amuseroit à peloter en attendant partie. C’est un conseil que je vous donne, et dont vous vous trouverez fort bien. Cela ôtera du moins la curiosité qu’on peut avoir, et vos affaires pourroient tomber entre les mains d’un homme qui n’en usera pas aussi bien que moi. »

Quelque banqueroute qu’on ait faite à la vertu, il reste toujours une certaine confusion dès que nos affaires sont découvertes, surtout à une femme, qui a la pudeur en partage. Le duc de Sault put remarquer cette vérité en madame de Lionne : elle fut encore plus confuse qu’auparavant, et, quand ç’auroit été son mari qui lui eût parlé, je ne sais si elle auroit fait une autre figure ; elle avoit les yeux baissés, et, si elle les levoit quelquefois, ce n’étoit que pour regarder le comte de Fiesque, qu’elle sembloit exciter à prendre sa défense ; mais il étoit encore plus sot qu’elle ; tellement que voyant qu’il n’avoit pas l’esprit de la tirer de ce mauvais pas : « Voilà de quoi vos folies sont cause, dit-elle à ce comte. Vous avez fermé la porte contre ma volonté, et monsieur le duc aura vu sans doute que vous vous êtes émancipé à quelque bagatelle. — Pardonnez-moi, Madame, en vérité, lui répondit le duc de Sault, ce n’est point une bagatelle que ce que j’ai vu, à moins que vous n’appeliez de ce nom-là ce que nous appelons, nous autres, bonne fortune. Mais n’en rougissez pas : le comte de Fiesque en vaut bien la peine, et avouez-moi seulement que le plaisir en est tout autre quand on a eu quelque petite brouillerie. »

Madame de Cœuvres entra sur ces entrefaites, et tira sa mère d’un grand embarras : car le duc de Sault, qui se sentoit pour elle, non pas une grande passion, mais du moins assez d’attachement pour prendre plaisir à l’entretenir, la tira dans la ruelle et donna moyen à ces amants de se remettre de leur trouble. Madame de Lionne, qui avoit le cœur grand, c’est-à-dire à qui un seul amant ne suffisoit pas, ne fut pas plutôt sortie d’une inquiétude qu’elle entra dans une autre. En effet, quoiqu’elle eût promis secours au duc, il lui sembla que sa fille écoutoit trop attentivement ses raisons, et à chaque parole qu’il lui disoit, elle prêtoit l’oreille pour voir si elle ne se trompoit point.

Le comte de Fiesque remarqua sa distraction, et lui en fit la guerre ; mais il lui fut impossible de la détourner de son dessein. Enfin elle s’aperçut effectivement, comme elle se l’étoit imaginé, que sa fille étoit tout attendrie, et elle n’en douta plus, principalement quand elle vit que sans se faire aucune violence, elle lui donnoit sa main à baiser. Le duc de Sault sortit dans le même temps, ce qui lui fit présumer que leurs affaires étoient bien avancées et que c’étoit sans doute des arrhes d’une plus grande promesse. Elle se résolut, si cela étoit, de traverser ces amants de tout son pouvoir, et, s’étant défaite du comte de Fiesque, elle envoya quérir une chaise à porteurs et fit semblant d’avoir affaire ce jour-là à des emplettes. Cependant elle ne sortit point qu’elle ne vît les chevaux au carrosse de sa fille, et, s’étant mise dans sa chaise, elle se défit de ses laquais, sous prétexte de quelque commission. Cette affaire faite, elle fit arrêter les porteurs au coin de la rue, et leur commanda de suivre le carrosse quand il sortiroit. Elle ne fut pas longtemps en embuscade : le carrosse fut aux Tuileries, du côté des écuries du Roi[31], et elle y fut presque aussitôt que sa fille.

Comme elle s’étoit déguisée, elle espéra qu’elle ne la reconnoîtroit pas. Néanmoins, se défiant de sa taille et de son air coquet, qui la faisoient remarquer entre mille autres, elle fit la boiteuse et la suivit. La marquise de Cœuvres fit deux tours d’allée, pour dépayser quelques personnes qu’elle avoit reconnues en entrant ; mais après cela elle prit le chemin de la porte du Pont Rouge[32], ce qui obligea sa mère de doubler ses pas. Comme elle avoit laissé quelque distance entre deux, il lui fut impossible d’y arriver sitôt qu’elle eût voulu, tellement que quand elle vint à la porte, sa fille étoit déjà disparue. Elle jeta les yeux de tous côtés, pour voir si elle n’en reconnoîtroit point du moins les vestiges ; mais tout ce qu’elle vit fut un carrosse sans armes et sans couleurs, qui s’éloigna si fort dans un moment, qu’elle l’eut bientôt perdue de vue. Elle fut fort fâchée de n’avoir pas une voiture toute prête pour le suivre, et elle résolut de n’y être pas attrapée la première fois, se doutant bien que, si ses soupçons étoient véritables, ces amants n’en demeureroient pas à cette entrevue.

Mais elle n’avoit garde de se tromper, elle étoit trop habile sur cette matière, et c’étoit justement dans ce carrosse qu’étoient entrés la marquise et le duc. Il la mena à Auteuil, dans une maison que le maréchal de Grancey avoit louée à la Du Mesnil, et dont elle lui permettoit de disposer quand il vouloit.

Ils n’y furent pas plutôt arrivés, qu’il voulut voir s’il étoit encore ensorcelé. Mais il trouva que deux ou trois jours de repos aux hommes de son âge étoient un remède merveilleux contre toutes sortes de charmes. Après l’avoir caressée deux fois, il fut bien aise de l’entretenir de quelque chose de divertissant, et il crut que rien ne le pouvoit être davantage que ce qui lui étoit arrivé avec sa mère. La marquise de Cœuvres lui dit que cela ne se pouvoit pas, et que sa mère étoit trop attachée au comte de Fiesque pour avoir voulu essayer ses forces. Mais comme l’histoire n’étoit pas trop à son avantage, et qu’il n’y avoit point de serments qu’il ne fit pour la lui assurer, elle fut obligée d’y ajouter foi, et l’empêcha par là de jurer davantage.

Cependant elle eut encore d’autres marques que c’étoit la vérité, mais dont elle se seroit bien passée. Je veux dire que, le duc de Sault ayant voulu recommencer à la caresser, le charme se renouvela sur toutes les parties de son corps, de sorte qu’il devint perclus de ses membres. La marquise de Cœuvres, qui étoit une des plus jolies femmes de Paris, crut que c’étoit lui faire affront et s’en sentit touchée. Elle ne se contenta pas de lui en faire paroître quelque chose sur son visage, mais elle lui témoigna encore son ressentiment en ces termes : « Je n’ai jamais été gourmande sur l’article, et si vous saviez ce que monsieur de Cœuvres dit de moi là-dessus, vous verriez bien que ce n’est pas ce qui me fait parler. Aussi ai-je de la peine quelquefois à le souffrir, et cela lui fait dire souvent que je ne suis pas fille de ma mère et qu’il faut qu’on m’ait changée en nourrice. Cependant, quoique ma froideur le doive rebuter, il ne m’a jamais fait l’affront que vous me faites ; je ne l’ai jamais vu demeurer en chemin, et il me souvient que la première nuit de mes noces…. Mais je n’ai garde de vous le dire, je vous ferois trop de honte ; cependant c’est un mari, et vous êtes un amant. Mais quel amant ! un amant qui n’a pris ce nom-là que pour m’abuser, et qui, dès la première entrevue, me fait voir quelle confiance je dois avoir en lui. Mais encore vaut-il mieux que je n’aie pas été trompée plus longtemps ; il y a remède partout, et je sais le parti que je dois prendre. » Le duc de Sault n’étoit guère honteux de lui-même, toutefois il le fut à ces reproches, et pria madame de Cœuvres de se laisser voir à découvert, lui assurant que cela rétabliroit toutes ses forces.

C’étoit quelque chose qu’une promesse comme celle-là, et il y en auroit eu à sa place qui n’auroient pas hésité à lui accorder ce qu’il demandoit ; mais, soit qu’elle se défiât de ses beautés cachées, ou qu’elle crût cela fort inutile, elle n’en voulut rien faire : de sorte que dès cette première entrevue ils commencèrent à être mécontents l’un de l’autre.

S’étant séparés de la sorte, ils ne prirent pas d’autre rendez-vous sitôt ; ce qui désespéra madame de Lionne, qui étoit tellement alerte sur ce qui les regardoit, que le marquis de Cœuvres n’eût su l’être davantage. Cependant, comme ce qu’elle avoit vu ne lui permettoit pas de douter de leur intelligence, elle crut qu’ils étoient encore plus fins qu’elle, et prit un étrange parti là-dessus : ce fut de faire avertir le marquis de Cœuvres de prendre garde à la conduite de sa femme. C’étoit un si pauvre homme que ce marquis, qu’on résolut d’assembler sa famille sur cette affaire. Tout y fut mandé, jusqu’au grand-père le maréchal[33] ; et comme son rang et son âge lui acquéroient sans contestation la première place dans le conseil, il écouta attentivement tout ce qu’on disoit, sans découvrir la moindre chose de son sentiment. La plupart furent d’avis qu’il falloit mettre la marquise en religion, et dirent que c’étoit là ce qu’on devoit attendre d’un mariage si mal assorti ; qu’il ne falloit jamais s’encanailler[34], et que, si leur parent avoit épousé une personne de sa condition, il ne seroit pas réduit, comme il étoit maintenant, à demander justice. Quelques-uns renchérirent encore là-dessus, et dirent qu’un méchant arbre ne portoit jamais que de méchants fruits ; que, la mère ayant fait profession toute sa vie de galanterie, il falloit bien s’attendre que sa fille lui ressembleroit ; qu’il y avoit déjà assez de p…… dans leur race, sans y mettre encore celle-là ; qu’il falloit non-seulement la mettre en religion, mais encore lui empêcher de porter jamais le nom de la maison.

Le bonhomme le maréchal avoit rougi pendant ce discours, et tout ce qu’il y avoit de gens dans la compagnie, qui l’avoient remarqué, avoient cru que c’étoient à cause du ressentiment qu’il en avoit ou de quelque mal inopiné qui lui étoit venu. Mais on vit bien, lorsqu’on eut cessé de parler, que ce n’étoit rien moins que cela, et l’on n’en put plus douter sitôt qu’on lui eut ouï tenir ce discours : « J’enrage, corbleu ! quand je vous entends parler de la sorte. Vous faites bien les délicats, vous qui ne seriez pas ici, non plus que moi[35], si nos mères n’avoient forligné. Nous savons ce que nous savons, mais sachez que le plus beau de notre nez ne vient que d’emprunt, et nous en avons en ligne directe, aussi bien qu’en collatérale, tant de sujet de nous louer des habiles femmes que nous avons dans notre maison, que je m’étonne que vous en vouliez bannir celles qui leur ressemblent. Quand j’ai marié mon petit-fils de Cœuvres avec mademoiselle de Lionne, croyez-vous que j’aie considéré, ni qu’elle étoit fille d’un ministre d’État, ni qu’elle avoit du bien, ni qu’elle avoit du crédit ? Ce sont des vues trop bornées pour un homme de mon âge et de mon expérience ; et toute ma pensée a été qu’étant belle comme elle étoit, elle pourroit faire revivre la grandeur de notre maison, laquelle, comme vous savez, tire sa considération, non pas du côté des mâles, mais du côté des femelles. Si je me suis trompé, ce n’est pas ma faute ; mon intention a été bonne en cela, aussi bien que dans mon mariage avec mademoiselle de Manicamp[36]. En effet, ma femme étoit assez belle pour faire notre fortune à tous ; mais la réputation de son frère[37] lui a beaucoup préjudicié. Devant que je l’eusse épousée, je sais qu’on lui fit une proposition qui ne lui fut pas agréable, parce qu’elle a l’esprit tourné du bon côté, et non pas comme son frère. Depuis cela, il lui est encore arrivé la même chose ; mais elle aimeroit mieux mourir que ne se pas conformer aux sentiments de la maison où elle est entrée. La maison d’Estrées, pour être voisine de Villers-Coterets, ne s’accommode pas à son usage ; nous allons droit à Saint-Germain, et si la marquise de Cœuvres a fait autrement, c’est en cela que je me déclare son ennemi capital. A-t-elle commerce avec le

chevalier de Lorraine[38] ? qu’on la brûle ! A-t-elle commerce avec le chevalier de Châtillon[39] ? qu’on la noye ! A-t-elle commerce avec le duc de Luxembourg[40] ? qu’on la pende ! Et enfin, si c’est de cela qu’on la veut accuser, on n’a que faire de chercher d’autre bourreau. Mais si ce n’est que d’avoir recherché les plaisirs que la nature nous permet, je me déclare son protecteur. Que tout cela cependant se passe entre nous, sans que la Cour en soit abreuvée ; les plus courtes folies sont les meilleures, et nous n’avons que faire que tout le monde rie à nos dépens. »

Le commencement de ce discours avoit scandalisé toute la compagnie, mais elle trouva tant de bon sens dans la fin, qu’elle résolut de s’y conformer. On n’eut pas le temps néanmoins de recueillir les voix, car, un laquais étant venu dire au maréchal que Lessé, du Bail[41], et deux ou trois autres fameux joueurs de trois dez, l’attendoient, il tira la révérence, en disant qu’il cassoit tout ce qu’ils feroient au préjudice de sa déclaration.

L’évêque de Laon[42] demeura le président du conseil de guerre, après que son père fut sorti ; et comme il étoit tout politique, et qu’il prétendoit que la faveur de monsieur de Lionne ne lui nuiroit pas à lui faire obtenir le chapeau de cardinal, qu’il a eu depuis, il dit qu’il s’étonnoit extrêmement de deux choses : l’une, qu’on fît le procès à sa nièce sur un simple soupçon ; l’autre, qu’on médît de sa famille ; que pour l’un, il falloit que les choses fussent claires comme le jour, avant que d’en venir là ; que pour l’autre, l’on savoit bien que la maison de Lionne s’étoit toujours distinguée parmi les autres maisons de noblesse de la province du Dauphiné ; que la malice qu’on avoit de nier une chose si avérée étoit une preuve assez authentique du peu de foi qu’il falloit ajouter à tout ce qui se disoit d’ailleurs ; que, tant qu’il avoit été à Paris, il lui avoit tenu assez bonne compagnie, pour remarquer s’il y eût eu quelque dérèglement dans sa conduite, mais qu’il ne lui avoit jamais reconnu que des sentiments dont toute sa famille devoit être contente ; qu’il y alloit prendre garde encore de plus près, et que, tant que les négociations où il étoit appelé lui permettroient de demeurer auprès d’elle, il s’y attacheroit tellement qu’il en pourroit répondre mieux que personne.

Le marquis de Cœuvres se crut obligé de le remercier de la peine qu’il vouloit bien se donner, et en lui faisant son compliment il lui dit qu’on voyoit bien peu d’oncles prendre les choses si fort à cœur qu’il faisoit. Mais il fut le seul de la compagnie qui ne pénétrât pas son dessein. Le bon prélat étoit devenu amoureux de sa nièce, et, comme il n’avoit pas le temps de filer le parfait amour, il avoit résolu de lui faire valoir ce service et d’en demander une prompte récompense. En effet, l’assemblée ne fut pas plutôt rompue, qu’il fut trouver la marquise, et la prévenant par un regard qui découvroit assez quelle en étoit la source, pour peu qu’elle y eût pris garde : « Je ne sais, Madame, lui dit-il, si vous ne vous êtes point déjà aperçue de l’extrême passion que j’ai pour vous. Si je vous en avois parlé dès le moment que je l’ai sentie, ç’auroit été dès le premier jour que je vous ai vue ; mais ces sortes de déclarations n’appartiennent qu’à des étourdis, et j’ai toujours cru, pour moi, qu’avant que d’en venir là, il falloit avoir prévenu la personne par quelque service considérable. Si vous avez bien remarqué mon procédé, je n’ai guère laissé passer d’occasion sans le faire ; cependant ç’a toujours été si peu de chose, en comparaison de ce que j’aurois voulu, que je n’ai pas eu la hardiesse de me découvrir jusqu’ici. Aujourd’hui les choses changent de face : je viens de réduire dans le devoir une famille qui se déchaînoit contre vous et qui ne parloit pas moins que de vous envoyer en religion. Je sais bien, madame, qu’on ne vous rendoit pas justice ; mais enfin c’en étoit fait, si je n’eusse pris votre parti. Cela mériteroit quelque récompense pour un autre ; mais pour moi, je serai toujours trop satisfait si vous me permettez seulement de vous voir et de vous aimer. »

La marquise de Cœuvres avoit été tellement étonnée de sa déclaration, qu’elle avoit eu peine à croire ce qu’elle entendoit. Mais comme elle étoit sur le point de lui témoigner son ressentiment, ce qu’il lui venoit de dire d’ailleurs la surprit si fort, qu’elle oublia tout le reste pour lui demander ce qu’elle avoit fait pour être si maltraitée. « Je ne vous le puis dire, Madame, lui répondit l’évêque, si ce n’est que votre mari est jaloux. Il ne spécifie rien cependant de particulier, et tout ce que je puis comprendre, c’est que vous avez quelqu’un qui vous veut du mal et qui vous a desservie auprès de lui. Mais n’appréhendez rien, il se repose maintenant sur tout ce que je lui dirai de votre conduite, et je me suis chargé de vous éclairer de si près, que rien n’échappera à ma pénétration. » Là-dessus il lui fit le détail de tout ce qui s’étoit passé dans l’assemblée, à la réserve néanmoins de ce qu’avoit dit le bonhomme le maréchal ; car il vouloit que ce fût à lui seul qu’elle eût de l’obligation de l’avoir tirée d’affaire.

La marquise fut ravie qu’on n’eût rien découvert de son intrigue ; c’est pourquoi, se tenant bien forte : « Je suis bien malheureuse, Monsieur, dit-elle, de me voir accusée injustement, et, quoique je ne veuille pas nier que je ne vous sois obligée, vous me permettrez néanmoins de vous dire que vous effacez bientôt cette obligation par votre procédé. Vous devriez vous ressouvenir de votre caractère et de ce que je dois à mon mari. Mais je vois bien ce que c’est : les contes qu’on a faits de moi vous ont donné cette audace, et j’aurois encore lieu de vous estimer, si vous n’aviez cru qu’ayant déjà quelque penchant au crime, j’aurois moins d’horreur pour celui que vous me proposez. — Je ne vous propose rien de criminel, répondit aussitôt l’évêque, et vous avez tort de m’en accuser. — Mais que demandez-vous donc ? lui dit madame de Cœuvres. — Que vous souffriez seulement que je vous adore, répliqua l’évêque, et que je cherche toutes les occasions de vous rendre service. — Quoi donc ! lui répondit-elle, vous traitez de bagatelles qu’un évêque aime une femme mariée, et qu’un oncle tâche de séduire sa nièce ? Croyez-moi, si j’ai quelque cas à consulter, vous ne serez jamais mon casuiste. Cependant obligez-moi, non pas de ne me voir jamais, puisqu’il n’est pas en mon pouvoir de l’empêcher, mais de ne me tenir jamais de tels discours ; car je n’aurois peut-être pas assez de discrétion pour le cacher à monsieur de Cœuvres. »

Ces paroles furent un coup de foudre pour cet évêque, et, quelque esprit qu’il eût, il demeura si court qu’il ne put dire un seul mot. Un pauvre malheureux prestolet, qui sollicitoit un démissoire depuis longtemps, s’étant présenté à lui un moment après, essuya tout son chagrin : il lui dit mille choses fâcheuses ; et ses gens, qui ne l’avoient jamais vu de si méchante humeur, ne surent à quoi attribuer un si grand changement. Cependant ils eurent eux-mêmes à souffrir de ce qui lui étoit arrivé. Quand il fut à table, il trouva tout si mauvais, qu’il demanda si on le vouloit empoisonner. Enfin, s’il eût osé, il auroit battu tout le monde.

Son amour ne s’éteignit pas pour cela ; au contraire, il augmenta par la difficulté ; mais, n’osant plus rien dire à la marquise, de la manière qu’il en avoit été reçu, il résolut de veiller de si près à sa conduite, qu’il fit faire par crainte ce qu’il n’avoit pu lui faire faire par amour.

Cet argus, malgré tous ses yeux, ne put rien découvrir de quelques jours ; et, quoique le duc de Sault vînt à toute heure dans la maison, comme on le croyoit bien avec madame de Lionne, et qu’il la demandoit le plus souvent, il prit si bien le change, que ce fut celui qu’il soupçonna le moins. Cependant, comme il est difficile de tromper longtemps un amant, l’évêque s’imagina bientôt que madame de Lionne ne servoit que de prétexte, et que la marquise recevoit les offrandes. Le duc de Sault, qui n’avoit pas encore trouvé moyen de se raccommoder avec elle, en cherchoit toutes les occasions. C’étoit pour cela qu’il venoit si souvent voir la mère, et comme il connoissoit le caractère de son esprit, et les nécessités de son tempérament : « Madame, lui dit-il dès la première fois qu’il la revit, voici un criminel qui se vient justifier devant vous, et, quoique j’aye à mon tour à vous accuser, comme c’est moi qui ai fait la première faute, il est bien juste que je calme votre ressentiment pour rendre le mien légitime. — De quoi vous plaignez-vous ? Monsieur, lui répondit-elle ; est-ce de m’avoir trouvée avec monsieur de Fiesque ? Quel intérêt y prenez-vous, et, après ce que j’ai vu, voulez-vous encore vous moquer de moi ? » Le duc de Sault, croyant qu’elle vouloit lui reprocher son impuissance : « Je n’ai rien à dire, Madame, lui dit-il, et je vous ai déjà avoué que j’étois le plus criminel de tous les hommes. Mais à tout péché miséricorde, et me voici tout prêt à réparer ma faute. » A ces mots il se mit en état de faire ce qu’il disoit ; mais, quoique madame de Lionne n’eût jamais refusé personne sur l’article, elle lui dit d’un air méprisant qu’il se méprenoit et qu’elle n’étoit pas madame de Cœuvres. « Que voulez-vous dire, Madame, répondit le duc de Saux en s’arrêtant, et pourquoi citer ici une femme qui ne songe pas à nous et à qui nous ne devrions pas songer aussi ? — Me prenez-vous pour une bête, lui dit madame de Lionne, et ne la vis-je pas entrer moi-même l’autre jour avec vous, quoique le carrosse fût masqué aussi bien que vos laquais ? Ne la suivis-je pas jusqu’à la porte des Tuileries, et cela m’empêcha-t-il de démêler toute l’intrigue ? — Vous l’avez vue, Madame ? lui dit le duc de Saux d’un air résolu. — Oui, Monsieur, répondit madame de Lionne d’un même air, et de mes propres yeux. — Eh bien ! Madame, lui dit-il d’un grand sérieux en lui tendant la main, frappez là : nous n’avons rien à nous reprocher l’un et l’autre, et j’ai vu aussi bien que vous des choses dont il n’est pas besoin de rappeler la mémoire. Ne vous souvenez plus de l’aventure du carrosse, j’oublierai celle du cabinet. Qu’en dites-vous, et n’est-ce pas là se mettre à la raison ? »

Cet entretien parut trop cavalier à la dame pour lui accorder aucune faveur, et, continuant de se picoter l’un l’autre, ils se séparèrent si chagrins, qu’ils crurent tous deux n’avoir jamais rien à se demander. Le duc de Sault, s’en étant retourné chez lui, n’y fut pas un quart d’heure, qu’il reçut ce billet de la marquise de Cœuvres.

Lettre de Mme de Cœuvres au Duc de Saux.


J’avois dessein, il n’y a qu’une heure ou deux, d’envoyer savoir comment vous vous portiez de votre paralysie ; mais je vous ai vu monter si gaiement dans votre carrosse, en sortant de chez madame de Lionne, que j’ai cru qu’il seroit inutile de vous envoyer faire mon compliment. Une autre que moi s’étonneroit qu’elle eût fait ce miracle, après avoir essayé inutilement d’en venir à bout ; mais je vois bien ce que c’est : je n’ai pas l’expérience qu’elle a en beaucoup de choses ; outre qu’il faut avoir beaucoup d’accès auprès des saints, de quoi je ne me vante pas. Mandez-moi si elle a découvert la châsse pour cela, et si vous avez eu beaucoup de dévotion pour les reliques.

Le duc de Sault ne fut point surpris de la guerre qu’elle lui faisoit. Cependant, comme le comte de Tallard étoit à la campagne depuis quelques jours, que Louison d’Arquien étoit malade pour avoir été trop dévote, et qu’enfin il se sentoit d’humeur à ne pas demeurer plus longtemps sans compagnie, il lui fit cette réponse :

Lettre du Duc de Saux à Mme de Cœuvres.


Si j’ai été chez madame de Lionne, ce n’étoit que pour vous y voir ; mais les personnes comme vous ne se mettent pas à tous les jours, et il suffit qu’elles sachent qu’on meurt pour elles, pour prendre plaisir à la mort d’un malheureux. Je vous cherche depuis mon malheur pour vous dire qu’il n’y a que vous qui me puissiez guérir ; si vous en voulez faire l’expérience sur les deux heures après minuit, je sais un secret infaillible de me rendre à la porte de votre appartement. Vous savez que vous ne risquez rien, votre époux ne devant revenir de Versailles que demain au soir. Pour peu que vous aimiez ma santé, vous accepterez le parti ; vous savez qu’un vieux mal est dangereux, et si vous laissez davantage enraciner le mien, prenez garde qu’il ne devienne incurable.

Madame de Cœuvres n’étoit pas si fâchée, qu’une offre comme celle-là n’apaisât sa colère. C’est pourquoi elle dit à celui qui lui avoit donné cette lettre, qu’il n’avoit qu’à venir. Cependant celui-ci, s’en étant retourné à l’hôtel de Lesdiguières[43], ne prit pas garde que l’évêque de Laon étoit entré dans le cabinet du duc de Sault, où il écrivoit une lettre, et lui cria dès la porte : « Bonne nouvelle ! bonne nouvelle ! » Le duc de Sault lui fit signe des yeux de ne rien dire ; mais c’en étoit assez pour cet évêque, qui étoit alerte, et qui redoubla ses soupçons quand il vit que celui qui avoit parlé étoit l’agent d’amour du duc. Il ne put pourtant asseoir aucun jugement ; mais, comme il se doutoit que c’étoit quelque rendez-vous pour la nuit suivante, il résolut de faire si bonne garde qu’il pût reconnoître si sa nièce n’y avoit point de part : car, comme j’ai dit ci-devant, il s’étoit déjà douté de la vérité, et cela parce que ce duc, qui étoit l’indiscrétion même, avoit lâché des paroles devant lui qui lui faisoient connoître qu’il n’avoit pas assez d’estime pour madame de Lionne pour lui rendre tant de visites. Ayant quitté le duc, il eut beaucoup d’impatience que la nuit fût venue ; et, quoique le plus grand déplaisir qui lui pût arriver fût de voir ce qu’il cherchoit, toutefois son unique espérance fut qu’il découvriroit bientôt tout le mystère. L’heure qu’il souhaitoit étant enfin arrivée, il fit le pied de grue autour de l’hôtel de Lionne, et, pour ne se point tromper, dès qu’il passoit quelqu’un, il l’alloit regarder sous le nez. Cela n’étoit pas trop beau pour un évêque, et encore pour lui qui faisoit tant le sérieux ; mais il avoit eu soin d’en ôter le scandale, s’étant défait de sa croix et ayant couvert sa couronne d’une perruque, tellement que, comme il avoit l’épée au côté, on l’eût pris pour un cavalier d’importance.

Voilà de quoi l’amour étoit cause. Mais ce n’étoit pas dans sa tête seulement qu’il rouloit, et le bonhomme monsieur de Lionne, malgré toutes ses occupations et son âge, qui étoit déjà avancé, n’en étoit pas plus exempt que les autres. Soit qu’il soit impossible à un homme de se passer de femme, ou qu’il crût faire enrager la sienne en faisant une maîtresse, il en avoit une qui étoit la femme d’un bon bourgeois ; et pendant qu’il avoit donné à son mari un emploi qui l’éloignoit de sa maison, il se délassoit avec elle des grandes affaires dont le Roi se reposoit sur lui. Il arriva que ce soir même il venoit de la quitter, et, comme il s’en revenoit tout seul à pied avec un valet de chambre de qui il se servoit dans son amour, l’évêque, qui croyoit que tout le monde dût être le duc de Sault, s’en fut à lui pour le regarder sous le nez, et le valet de chambre de monsieur de Lionne, qui craignoit que ce fut un voleur, lui appuya en même temps sur le ventre un pistolet qu’il tenoit sous son manteau. L’évêque, dont le métier n’étoit pas d’être brave, dit à ce valet de chambre, qu’il prit de son côté pour un voleur, de ne le pas tuer, et que, s’il ne falloit que lui donner la bourse, il étoit prêt à le faire. Comme il étoit tous les jours chez monsieur de Lionne, sa voix fut aussitôt reconnue du maître et du valet ; si bien que ce dernier, tout surpris, lui répondit aussitôt qu’il n’avoit rien à craindre, et que c’étoit monsieur de Lionne. Monsieur de Lionne, qui vouloit se cacher, fut fâché que son valet de chambre l’eût découvert par son imprudence ; mais, comme la chose étoit faite et qu’il avoit aussi reconnu la voix de l’évêque, il prit la parole et lui demanda par quelle aventure il s’étoit déguisé comme il étoit. Le bon prélat fut au désespoir de cette rencontre, et, quoiqu’il passât pour avoir l’esprit présent en toutes choses, il fut fort embarrassé. S’il eût pu s’esquiver, il l’auroit fait volontiers ; mais monsieur de Lionne et son valet de chambre avoient reconnu son visage aussi bien que sa voix, malgré le déguisement ; et le dernier lui demandoit déjà pardon de lui avoir présenté le pistolet, lui disant qu’il n’étoit pas si criminel, personne ne pouvant le reconnoître en l’état qu’il étoit.

Ces excuses donnèrent le temps au bon prélat de prendre son parti, et ayant avoué une partie de la vérité à monsieur de Lionne, c’est-à-dire qu’il étoit là pour prendre garde si le duc de Sault ne viendroit point, qu’il soupçonnoit de vouloir débaucher la marquise de Cœuvres, il lui tut l’autre, qui étoit pourtant la véritable cause de la peine qu’il se donnoit. Monsieur de Lionne, qui connoissoit la foiblesse humaine, et qui par conséquent croyoit sa fille capable de tout, loua son zèle et s’offrit de faire pied de grue avec lui. Cependant il envoya toujours devant son valet de chambre, à qui l’évêque n’avoit pas jugé à propos de découvrir son secret, ayant parlé exprès tout bas à l’oreille de son maître. Ils se séparèrent tous deux pour mieux découvrir les allants et les venants ; mais leurs peines auroient été inutiles, si le valet de chambre, qui étoit curieux de son naturel, n’eût veillé de son côté pour voir ce que tout cela vouloit dire.

Comme il avoit les yeux alertes de toutes parts, il vit qu’un homme escaladoit les murailles du jardin, ce que les sentinelles ne purent voir pour estre d’un autre côté ; de là il le vit entrer par une fenêtre qui répondoit sur le parterre, qu’on lui tenoit ouverte ; après quoi ayant disparu, ce lui fut un sujet d’une profonde méditation. En effet, comme il se doutoit bien qu’il falloit qu’il y eût de l’amour sur le jeu, et qu’il ne pouvoit l’appliquer qu’à sa maîtresse ou à la fille du logis, il étoit incertain s’il en devoit aller avertir son maître, à qui il ne savoit si son avis seroit agréable ou non. Pendant qu’il raisonnoit en lui-même sur ce qu’il devoit faire, le duc de Sault, qui étoit entré, tâchoit de se couler dans l’appartement de la marquise de Cœuvres, qui n’étoit pas éloigné de là ; mais il se sentit tout d’un coup arrêté par le bras, et celle qui l’arrêtoit étoit madame de Lionne, qui avoit donné rendez-vous au comte de Fiesque et qui croyoit que c’étoit lui. « Est-ce toi, lui dit-elle en même temps, mon cher comte ! Hé que tu as tardé à venir ! »

Le duc de Sault, qui reconnoissoit bien la voix de madame de Lionne, garda le silence ; ce qui la surprit, craignant qu’elle ne se fût méprise. Pour s’en éclaircir, elle lui jeta ses bras au col, et ayant senti qu’il étoit plus gros et plus gras que son ami, elle fit un grand cri, qui auroit réveillé toute la maison, si chacun, à la réserve du valet de chambre, n’eût été enseveli dans un profond sommeil. Le duc de Sault, qui avoit peur que son imprudence ne leur fît des affaires à tous deux, prit alors le parti de rompre le silence, ce qu’il fit en ces termes, mais le plus bas qu’il lui fut possible : « A quoi pensez-vous, Madame, lui dit-il, et n’avez-vous pas le jugement de voir que vous nous allez perdre ? S’il n’y avoit que mon intérêt qui me fît parler, je ne dirois rien, et me tirerois d’affaire comme je pourrois ; mais que dira votre mari, et, quelque excuse que vous puissiez chercher, ne croira-t-il pas que c’est vous qui m’avez fait venir ? »

Ces paroles, cette voix, qu’il lui fut facile de reconnoître, firent faire réflexion à madame de Lionne qu’il avoit raison. « Quoi ! c’est donc vous, monsieur le duc ? lui dit-elle ; et que venez-vous chercher ici ? — Je ne vous mentirai point, Madame, lui dit-il : je ne vous cherchois, non plus que ce n’étoit pas moi que vous cherchiez ; c’est pourquoi, si vous m’en croyez, vous me laisserez continuer mon aventure, de peur que je n’interrompe la vôtre ; et voilà comme, entre gens comme nous, il faut vivre dans le siècle où nous sommes. » La proposition étoit fort honnête et fort raisonnable, comme il est aisé de juger ; mais, soit qu’il y eût déjà longtemps qu’elle eût envie de tâter de lui, ou que, le temps du rendez-vous du comte de Fiesque étant passé, il lui fût insupportable de passer la nuit toute seule, pendant que sa fille la passeroit en compagnie : « Non, non, monsieur le duc, disoit-elle, cela n’ira pas comme vous le pensez. Je sais que c’est à ma fille que vous en voulez ; mais, ne lui en déplaise, ni à vous, je profiterai de l’occasion, puisqu’elle s’offre sans que j’y pense. Apparemment le charme du Polville est passé, et il faut que vous m’en donniez des marques tout à l’heure. »

A ces mots, qui se disoient le plus bas qu’elle pouvoit, de peur que quelqu’un ne l’écoutât, elle voulut l’amener dans sa chambre ; mais lui, qui ne pouvoit consentir au change : « Ah ! Madame, lui dit-il en se faisant tirer de force, j’ai promis à madame de Cœuvres que je l’irois trouver, je ne puis lui manquer de parole, et permettez du moins que je m’aille dégager d’avec elle, après quoi je vous promets de vous donner toute sorte de contentement. » La dame ne fut pas si crédule qu’elle se voulût fier à lui ; comme elle avoit éprouvé ses forces et qu’elle savoit qu’elles n’étoient pas suffisantes pour toutes deux, elle ne voulut jamais souffrir qu’il la quittât. Mais lui, de son côté, s’étant obstiné à n’en rien démordre, elle proposa un milieu à cela, qui fut d’aller quérir elle-même sa fille. Il accepta sa proposition, ne se pouvant tirer autrement de ses mains. Mais, avant qu’elle y allât, elle le conduisit dans sa chambre, où elle l’obligea de se mettre au lit, lui disant qu’elle alloit amener sa fille, et qu’il coucheroit entre deux. Si le scrupule eût été grand chez le duc de Sault, une pareille proposition étoit capable de l’effrayer ; mais, les gens de Cour n’ayant peur de rien, il lui fit réponse qu’il les attendoit de pied ferme, et qu’il y avoit longtemps qu’il n’avoit mis du Polville. La dame étoit si pressée de ses nécessités, qu’elle eût vu volontiers à l’heure même s’il lui disoit vrai ou non ; mais, lui n’en étant pas d’accord, il lui fallut aller quérir sa fille, qui attendoit le duc en bonne dévotion. Ainsi elle ne fut point surprise d’entendre marcher dans son antichambre ; mais, quand au lieu de lui elle vit sa mère, elle le fut beaucoup. Si madame de Lionne n’eût pas craint de perdre le temps, elle lui auroit demandé volontiers pourquoi elle veilloit si tard, et si c’étoit son mari qu’elle attendoit ; mais, [le temps] lui étant extrêmement cher, elle ne lui fit point de questions inutiles. En effet, tout son compliment aboutit qu’elle vînt dans sa chambre, et qu’elle avoit quelque chose de conséquence à lui apprendre.

Quoique ce compliment fût positif, madame de Cœuvres, qui appréhendoit de manquer son rendez-vous, chercha à s’en excuser ; mais sa mère lui ayant dit encore une fois la même chose, et même y ayant ajouté que c’étoit pour son bien, elle se conforma à sa volonté. Ce ne fut pas cependant sans une crainte extraordinaire, ne pouvant s’imaginer autre chose sinon que ses affaires étoient découvertes, et que c’étoit sans doute quelque avis qu’elle avoit à lui donner touchant sa conduite. Cette pensée, joint à cela l’heure indue qu’il étoit, l’ayant fait marcher sans dire une seule parole, elles arrivèrent dans la chambre, où la marquise de Cœuvres fut grandement surprise de trouver le duc de Sault au lit. Cependant elle entra en même temps dans une furieuse colère contre lui, croyant qu’il l’avoit sacrifiée, et elle alloit un peu décharger sa bile, quand madame de Lionne, qui voyoit que la nuit s’avançoit, et qui n’en vouloit pas perdre les restes inutilement, lui dit, le plus succinctement qu’il lui fut possible, comme elle avoit trouvé le duc, et de quoi ils étoient convenus ensemble. Cela apaisa un peu la colère de la jeune dame, et, quoiqu’elle fût fâchée d’être obligée de faire part à sa mère d’une chose à quoi elle s’étoit attendue toute seule, elle l’aima néanmoins encore mieux que si le duc lui eût fait une infidélité. Cependant elle fit beaucoup de façons devant que de se résoudre à accepter le parti qu’on lui proposoit. Mais madame de Lionne, qui voyoit que cela lui faisoit perdre du temps, l’ayant menacée de la perdre si elle n’obéissoit, et le duc de Sault l’en conjurant d’un autre côté, elle se déshabilla, moitié par obéissance, moitié parce qu’elle eût déjà voulu être au lit. Madame de Lionne en fit autant de son côté, et, comme elles savoient bien toutes deux qu’il leur devoit arriver cette nuit-là une bonne fortune, elles s’étoient munies d’un habit fort aisé à ôter, tellement que cela fut bientôt fait ; on eût dit même qu’on auroit promis quelque grande récompense à celle qui seroit déshabillée la première, tant elles paroissoient pressées.

Pendant que cela se passoit, l’évêque et monsieur de Lionne faisoient toujours le pied de grue, mais beaucoup plus inquiets l’un que l’autre : car, quoique monsieur de Lionne fût homme d’honneur, et que l’infamie dont l’évêque l’avoit averti lui donnât quelques alarmes, ce n’étoit rien toutefois en comparaison de celle que celui-ci ressentoit par sa jalousie. Toutes les pensées qu’il avoit rouloient sur sa vengeance, et, s’il eût été aussi bien homme d’épée qu’homme d’église, le duc de Sault ne seroit jamais mort que de sa main. Comme monsieur de Lionne se tenoit loin de lui, par les raisons que j’ai dites ci-devant, cela lui donnoit moyen de s’entretenir dans ses pensées, qui le flattoient tantôt, et tantôt le désespéroient ; mais comme il y étoit plongé le plus avant, monsieur de Lionne, qui venoit d’être averti par son valet de chambre de ce qu’il avoit vu, le releva de sentinelle, lui disant que ses soupçons étoient bien fondés, et qu’un homme étoit entré dans sa maison. « Mor…. ! lui dit en même temps l’évêque, en jurant ; quoi ! vous demeurez si tranquille après un tel avis, comme si l’affront ne vous regardoit pas aussi bien que moi ? » Ce fut là la réponse qu’il fit à monsieur de Lionne, après quoi il demanda au valet de chambre ce qu’il avoit vu. Celui-ci l’ayant instruit de la plus grande partie de ce que je viens de dire, il demanda pour une seconde fois à monsieur de Lionne s’il laisseroit une injure comme celle-là impunie. « J’en suis d’avis, lui répondit froidement monsieur de Lionne ; il faut que ce soit ma femme ou ma fille, et le moindre éclat que je ferois nous perdroit tous de réputation. Il vaut mieux que la chose demeure entre nous trois : je connois la discrétion de mon valet de chambre, et je réponds de son secret. » Monsieur de Lionne ne pouvoit prendre dans le fond un meilleur parti ; mais l’évêque, qui prenoit feu à chaque parole : « Mor…. ! lui dit-il, jurant encore une fois comme un charretier, vous n’avez que ce que vous méritez, puisque vous voyez si tranquillement votre infamie. Mais pour moi, il ne sera pas dit que je la souffre sans me remuer ; et comme je crois que la chose regarde ma nièce aussi bien que votre femme, vous trouverez bon que je n’aie pas la même tranquillité. » A ces mots, il dit au valet de chambre, qui, pour les intrigues amoureuses de son maître, avoit une clef d’une fausse porte, de la lui venir ouvrir ; et monsieur de Lionne, se sentant piqué d’honneur, le suivit par complaisance plutôt que par inclination.

Comme le valet de chambre, après avoir vu monter le duc de Sault par dessus la muraille, avoit épié ce qu’il étoit devenu, il avoit remarqué le manége des deux dames, et, sachant dans quelle chambre elles étoient positivement, il y mena son maître et l’évêque, après que monsieur de Lionne, qui avoit une double clef de tous ses appartements, l’eût ouverte. Le duc de Sault et nos deux dames étoient si bien occupés de leurs affaires, qu’ils n’entendirent pas ouvrir la porte, tellement qu’ils se trouvèrent pris, pour ainsi dire, comme dans un blé. Madame de Lionne se jeta aux pieds de son mari et le conjura de lui pardonner, lui faisant mille belles promesses de n’y retourner de sa vie. La marquise de Cœuvres, qui n’étoit pas moins confuse, ne savoit que dire de son côté ; néanmoins, s’étant approchée de l’oreille de l’évêque, qui vouloit que l’on tuât tout : « Ne me perdez pas de réputation, lui dit-elle, et, pourvu que vous apaisiez mon père et que vous cachiez la chose à mon mari, je vous promets de n’en être pas ingrate. » Monsieur de Lionne étoit si étonné par la nouveauté du fait, qu’il ne disoit pas une seule parole. Il avoit bien cru être cocu, mais d’avoir trouvé un homme couché entre la mère et la fille, c’étoit quelque chose de si étrange pour lui, qu’il n’auroit pas été plus étonné quand les cornes lui fussent venues à la tête. Tout ce qu’il put dire fut ce peu de paroles : « Malheureuse femme ! malheureuse fille ! » A quoi elles n’eurent garde de répondre.

Cependant l’évêque s’étoit grandement apaisé par les promesses qui lui avoient été faites, et comme il désiroit d’en voir l’effet à l’heure même : « Je crois que vous aviez raison, dit-il froidement à monsieur de Lionne, quand vous vouliez que nous n’approfondissions pas davantage notre infamie. Le moins de bruit qu’on peut faire dans ces sortes de choses est toujours le meilleur, comme vous me disiez fort bien ; et si vous m’en croyez, nous en demeurerons là. Il nous doit suffire de savoir ce que nous savons, sans en abreuver le public. » Cet avis, étant du goût de monsieur de Lionne, fut suivi tellement qu’ils congédièrent le duc de Sault, qui, tout brave qu’il étoit, fut ravi de se voir hors de leurs mains. Après cela l’évêque, sous prétexte d’aller faire une correction à sa nièce, la mena dans la chambre, où, l’ayant sommée de lui tenir parole, elle ne l’osa refuser, de peur qu’il ne la perdît auprès de son mari et de toute sa famille. En ayant obtenu ce qu’il désiroit, comme il ne pouvoit ignorer qu’elle ne l’avoit fait que par crainte, il eut peur qu’elle ne retournât à ses premières affections ; si bien que, pour la dépayser, il fit en sorte que son mari l’envoyât dans ses terres, qui étoient voisines de son évêché. Cela produisit un bon effet, car il fit une résidence plus exacte qu’il n’avoit fait encore dans son diocèse. Ce petit commerce dura un an ou deux ; mais des intrigues d’État l’ayant appelé hors du royaume[44], l’ambition prit la place de l’amour, et finit un inceste à quoi la marquise ne s’étoit abandonnée qu’à son corps défendant.

Pour ce qui est de madame de Lionne, son mari ; ne la pouvant plus souffrir devant ses yeux, la mit en religion ; ce qui donna lieu de causer au public, qui ne douta point néanmoins que ce ne fût pour quelque amourette : car la dame avoit la réputation d’être fragile, en quoi certes l’on ne se trompoit pas. Cependant, comme chacun étoit en peine de savoir au vrai tous les tenants et tous les aboutissants, le duc de Sault prit soin de les apprendre. Il publia lui-même son aventure, et, quoiqu’il crût bien que cela ne lui donneroit pas bonne réputation, il aima mieux passer pour indiscret que de se priver du plaisir de parler. Le bruit s’en étant répandu dans Paris, on trouva cette aventure si rare, que ce fut le sujet de tout l’entretien pendant quelques jours ; et cela donna lieu à un homme de la Cour de faire ces deux couplets de chanson, sur le même air qu’étoient faits ceux touchant le Polville.

Un jour, de Lionne, dit-on,
Trouva de Sault en caleçon,
Qui portoit son sac et ses quilles,
Sans appréhender le hola.
Pour du Polville,
Il n’en avoit point ce jour-là.
D’abord il voulut faire gille[45] ; (bis)
Mais, l’arrêtant en courroux,
Lui dit : Pourquoi fuyez-vous ?
Si vous cherchez ma fille,
Profitons du rendez-vous ;
Mais accordons-nous :
Faisons cocu mon époux,
Et puis je la laisse à vous ;
Mais accordons-nous,
Je suis mère facile,
Profitons du rendez-vous.

Ainsi finit l’intrigue du duc de Sault et de madame de Lionne et de sa fille. Pour ce qui est de monsieur de Lionne, il mit sa femme en religion, et conçut tant de regret de ce qu’il avoit vu, qu’il en mourut bientôt après[46]. Elle ne fut pas fâchée de sa mort ; mais elle est devenue si vieille et si couperosée, qu’elle est obligée maintenant de se contenter du comte de Fiesque, que la nécessité oblige de son côté de passer par dessus beaucoup de choses qui n’accommoderoient pas un amant plus délicat. Pour ce qui est de sa fille, soit que son mari ait eu quelque avis secret de son intrigue, ou qu’il soit inconstant de son naturel, il ne paroît pas beaucoup s’en soucier, si bien qu’elle est presque toujours à la campagne[47].

  1. V. les notes du texte.
  2. V. tome II, p. 361.
  3. V. tome I, p. 5, et tome II, p. 403.
  4. Paule Payen, femme de Hugues de Lionne (voy. ce vol., p. 47), ministre d’État, lequel mourut le 1er septembre 1671. Madame de Lionne, née en 1630, s’étoit mariée à l’âge de quinze ans. Elle mourut fort âgée, en 1704.
  5. Le comte de Fiesque étoit fort jeune encore. Né en 1647, il avoit à peine vingt-trois au temps où se passe cette histoire. Il étoit fils de Charles-Léon, comte de Fiesque, et de madame de Fiesque, bien connue dans la société des précieuses sous le nom de la reine Gillette. Elle étoit Gilonne d’Harcourt, veuve du marquis de Piennes. La gêne où étoit le jeune comte Jean-Louis de Fiesque s’explique par le désordre où la négligence de ses parents avoit mis leur fortune. Louis XIV lui fit payer par les Génois une somme de 300,000 livres, en échange du comté de Lavagne, qui avoit été confisqué sur ses ancêtres par la république génoise. (Voy. t. I, p. 52.)
  6. Emmanuel-François de Bonne de Créqui, duc de Lesdiguières ; petit-fils du maréchal de Créqui, il étoit fils de Charles de Bonne de Créqui, gouverneur du Dauphiné, et de sa seconde femme Anne de La Magdelaine de Ragny. Le duc Emmanuel-François, connu sous le nom de comte de Sault jusqu’à la mort de son père, épousa, le 12 mars 1675, Paule-Françoise-Marguerite de Gondi de Retz, nièce du cardinal de Retz, et mourut en 1681.
  7. Les premiers fondements de l’Hôtel des Invalides furent jetés le 30 novembre 1691, sur les dessins de l’architecte Libéral Bruant.
  8. Madelaine de Lionne, fille de Hugues de Lionne, secrétaire d’État, et de Paule Payen, épousa, le 10 février 1670, François-Annibal d’Estrées, troisième du nom, marquis deCœuvres, petit-fils du maréchal et fils de ce marquis de Cœuvres dont le premier volume de l’Histoire amoureuse a déjà parlé. (Voy. I, 244.) Madame de Cœuvres mourut le 18 septembre 1684, laissant un garçon et quatre filles. (Voy. II, 405.)
  9. Voy. ci-dessus, t. II, p. 431.
  10. Voy. ci-dessus, t. II, p. 436.
  11. La Vienne étoit barbier-étuviste. On ne prenoit pas seulement des bains chez lui, comme chez ses autres confrères moins connus, on y logeoit (voy. Furetière, Dict., vo Baigneur), etc. L’on y recevoit tous les soins de toilette : La Vienne rasoit, frisoit, parfumoit, coiffoit ; il partageoit, comme baigneur, la réputation de Prud’homme ; comme coiffeur, celle de Champagne. (Voy. madame de Sévigné, Lettre du 4 avril 1671.) La Vienne avoit un emploi à la cour. Il étoit un des huit barbiers du Roi, servant par quartier, aux gages de six cents livres ; il faisoit son service dans le trimestre d’avril. Au-dessus de lui étoit un barbier ordinaire aux gages de 800 livres : c’étoit Prud’homme.
  12. Sur le comte de Saint-Paul, voy. II, 197, 402, 403.
  13. Le ballet de Psyché, paroles de Benserade, fut dansé par le Roi en 1656. Une autre pièce de Psyché, paroles de Quinault, de Molière et de Corneille, fut jouée aux Tuileries, dans la salle des machines, pendant le carnaval de 1670.
  14. Claude Petit, condamné au feu par le Parlement, à cause de couplets impies qu’il avoit publiés, fut brûlé en Grève. (Voy. Mémoires de Jean Rou, publiés par la Société de l’histoire du protestantisme françois, t. 2.)
  15. Camille d’Hostun, duc de Haston, marquis de La Beaune, comte, et, en janvier 1703, maréchal de Tallard, étoit fils de Roger d’Hostun, comte de Tallard, et de Catherine de Bonne. Né en 1652, le comte de Tallard avoit à peine dix-sept ou dix-huit ans à l’époque qui nous occupe. Nous le retrouverons dans La France devenue italienne.
  16. Le cimetière Saint-Jean étoit situé au bout de la rue de la Verrerie, dans le quartier Sainte-Avoie. Malgré son nom, qu’il conservoit toujours, le cimetière Saint-Jean étoit devenu un marché dès l’année 1391, et il étoit entouré de nombreux cabarets. (Voy. l’Histoire des hôtelleries et cabarets, par M. Ed. Fournier, et les Variétés historiques et littéraires de la Bibliothèque elzevirienne publiées par lui, passim.)
  17. Le marquisat de Sablé étoit alors passé de la maison de Laval à la maison de Servien. Abel Servien, oncle de M. de Lionne, dont il est parlé ici, étoit marquis de Sablé. C’est de son fils qu’il est ici question. Celui-ci, né en 1644, mourut sans alliance en 1710 ; il fut, après son père, sénéchal d’Anjou.
  18. Jacques Rouxel de Grancey, maréchal de France, gouverneur de Thionville, né en 1602, étoit fils de Pierre de Grancey et d’une fille du maréchal de Fervaques. Marié une première fois à Catherine de Mouchy, sœur du maréchal d’Hocquincourt, il épousa en secondes noces Charlotte de Mornay, fille de P. de Villarceaux. Il ne laissa pas moins de dix-neuf enfants, dont sept du premier lit, douze du second. Le maréchal de Grancey mourut le 20 novembre 1680.
  19. Voy. t. 2, p. 443.
  20. Le fort l’Evêque étoit surtout une prison pour dettes. Il étoit situé au milieu de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois. Antérieurement, c’étoit le siége de la juridiction épiscopale ; mais, dit Hurtaut, comme il y avoit dans Paris dix-neuf juridictions de seigneurs, l’incertitude de leurs limites causoit souvent des conflits. Par édit de février 1674, toutes ces juridictions furent réunies à celle du Châtelet. On conserva seulement les justices d’Enclos, comme celles de l’archevêché, etc. A l’époque qui nous occupe, il semble qu’il reçut les gentilshommes punis par le tribunal d’honneur des maréchaux de France.
  21. Il s’agit ici de la seconde femme du maréchal, Charlotte de Mornai. (Voy. l’avant-dernière note. Cf. I, 113.)
  22. Nous avons dit dans une note précédente (voy. ci-dessus, p. 230) que le Maréchal de Grancey avoit eu dix-neuf enfants. Il nous seroit difficile de dire de quelles filles et de quel fils entend parler l’auteur.
  23. De grandes oreilles plates. (Note du texte.)
  24. Charles-Nicolas de Bonne de Lesdiguières, marquis de Ragny, par sa mère, Anne de la Madelaine de Ragny, seconde femme de son père.
  25. Sur Gaston, marquis, puis duc de Roquelaure, fils du maréchal, voyez une longue et savante note de M. P. Boiteau, t. 1, p. 163.
  26. La mère du maréchal de Grancey étoit Charlotte de Hautemer, comtesse de Grancey, fille de Guillaume, seigneur de Fervaques, maréchal de France.
  27. Monsieur, duc d’Anjou, frère de Louis XIV.
  28. M. le duc, fils du grand Condé.
  29. La comtesse de Maré étoit Marie-Louise Rouxel de Grancey, mariée le 11 novembre 1665 à Joseph Rouxel, fils de Guillaume Rouxel, lequel étoit frère du maréchal. A l’époque où nous sommes arrivés, madame de Maré étoit veuve depuis 1668, année où son mari fut tué, à Candie. Après la mort de sa mère, madame de Maré fut gouvernante de mademoiselle d’Orléans, depuis duchesse de Lorraine, puis des princesses filles de Philippe, duc d’Orléans, régent.
  30. Cette chanson se trouve partout. C’est une longue suite de couplets où paroît à plusieurs reprises madame de Maré, et, à côté d’elle, madame de Grignan, madame d’Alluye, madame de Fiesque, madame de Lamothe, madame de Belin, etc., etc. On attribue à cette pièce la date de 1670.
  31. La grande écurie du Roi étoit située derrière le grand pavillon du château des Tuileries, du côté de la rue Saint-Honoré, entre cette rue et le logement du grand écuyer. Quant à la petite écurie, elle étoit entre la rue d’Enghien et la rue de la Michodière. C’est de la grande écurie qu’il est ici question.
  32. Le Pont-Rouge, autrefois, étoit le pont qui relioit la cité et l’île Notre-Dame. Depuis, et au temps qui nous occupe, on appeloit Pont-Rouge, après l’avoir appelé pont Barbier et pont Sainte-Anne, le pont que nous appelons maintenant pont des Tuileries. Ce pont fut longtemps, et encore à la fin du dix-huitième siècle, le seul qui traversât la Seine dans toute sa largeur. Jusqu’en 1685, qu’il fut emporté et remplacé par un pont de pierre, ce pont resta construit en bois peint en rouge, et de là son nom.
  33. Voy. t. 1, p. 244. — Le vieux maréchal étant mort le 5 mai 1670, cette date aide à fixer l’époque où fut composé ce pamphlet, qui ne peut être antérieur à 1669.
  34. Le mot s’encanailler est signalé dans le Dictionnaire des Précieuses comme ayant été inventé par la comtesse de Maulny.
  35. La mère du maréchal d’Estrées étoit Françoise Babou de la Bourdaisière, et il étoit frère de Gabrielle, marquise de Monceaux, duchesse de Beaufort, maîtresse de Henri IV.
  36. Le maréchal d’Estrées eut trois femmes. Il épousa d’abord Marie de Béthune-Charost, morte en 1628 ; puis Anne-Hubert de Montmort, veuve de Charles de Thémines, morte le 25 juillet 1661 ; et enfin Gabrielle de Longueval, fille d’Achille, seigneur de Manicamp, qui mourut le 11 février 1687, dix-sept ans après lui. Mademoiselle de Longueval étoit sœur de Bernard de Longueval, marquis de Manicamp.
  37. Sur Bernard de Longueval, marquis de Manicamp, voy. une longue note, t. 1, p. 68.
  38. Le chevalier de Lorraine, trop connu par sa liaison avec Monsieur, frère de Louis XIV (voy. t. 1, p. 8), étoit second fils de Henri de Lorraine, chef de la maison d’Armagnac, et de Marguerite de Cambout, veuve du duc de Puylaurens. Né l’an 1643, le chevalier de Lorraine mourut le 8 décembre 1702. Il portoit le titre de chevalier, comme chevalier de Malte. Nous le retrouverons dans plusieurs pamphlets. (V. I, 113, etc.)
  39. Le chevalier de Chastillon n’appartenoit pas à la famille de Coligny, dont faisoit partie une branche de Chastillon qui s’éteignit pendant la Fronde, mais à la famille de Chastillon, tronc non moins illustre d’où sortirent aussi plusieurs branches. Le chevalier de Chastillon dont il est parlé ici étoit Claude Elzéar, fils de François de Chastillon, seigneur de Bois-Rogues. Claude Elzéar fut premier gentilhomme de la chambre de Philippe de France, duc d’Orléans.
  40. François-Henri de Montmorency, comte de Bouteville, duc de Piney-Luxembourg par suite de son mariage avec Catherine de Clermont-Tallard, héritière du Luxembourg. Il étoit fils de ce malheureux comte de Boutteville qui fut puni de mort à la suite de son duel avec le comte des Chapelles, et père de la belle duchesse de Chastillon.
  41. La seigneurie de Lessai étoit dans la famille de Briçonnet. Nous ne saurions dire duquel des Lessai il est ici question ; seulement, par exclusion, nous pouvons écarter deux personnages de ce nom dont l’un fut maître d’hôtel du Roi beaucoup plus tôt, et l’autre enseigne des gardes du corps beaucoup plus tard. (M. Dubail nous est inconnu.)
  42. César d’Estrées, alors évêque et duc de Laon, fut nommé cardinal en 1671.
  43. L’hôtel de Lesdiguières étoit cette superbe maison qu’avoit fait construire Sébastien Zamet dans la rue de la Cerisaie. François de Bonne, premier duc de Lesdiguières, l’avoit achetée de lui.
  44. Le cardinal d’Estrées fit, en effet, plusieurs voyages à Rome, postérieurement à l’époque qui nous occupe.
  45. Faire gilles, s’enfuir.
  46. M. de Lionne mourut le 1er septembre 1671, à l’âge de soixante ans.
  47. L’édition de 1754 ajoute : « avec Monseigneur. »