Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 3/Chapitre 10

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capable de rassurer une personne qui n’est pas du pays, qui se trouve sans consideration, qui est d’ailleurs sans usage du monde, & qui sent qu’il a affaire à des gens de guerre rusés, que la compagnie de leurs camarades qui sont à leurs côtés, rend encore plus confiants. »

LIVRE 3 CHAPITRE 10

CHAPITRE X.

En quelle année Anthemius posta le corps de Bretons Insulaires qu’il mit dans le Berri. Trahison d’Arvandus. Rupture ouverte entre les Visigots & les Romains. Défaite des bretons. Les Francs se joignent aux Romains. Audoagrius revient sur la Loire ; il est défait par Childéric et par l’armée Impériale.


Anthemius n’ayant été reconnu Empereur d’Occident qu’au mois d’août de l’année quatre cens soixante et sept, il paroît impossible que le corps de Bretons qu’il posta dans le Berri, y ait été placé plûtôt qu’en l’année quatre cens soixante et huit. Il n’aura pas fallu moins de huit ou dix mois pour envoyer des personnes de confiance traiter dans la Grande Bretagne avec Riothame, et convenir avec lui d’une capitulation, pour y lever le corps de troupes qu’il aura promis d’amener au service de l’empire, pour ramasser les vaisseaux qui devoient transporter douze mille hommes dans les Gaules, et pour les faire marcher depuis le lieu où ils auront mis pied à terre jusques dans le Berri. Je ne croirois pas même qu’ils y eussent été postés dès cette année-là, si d’un côté il n’étoit pas certain qu’ils y étoient déja lorsqu’on découvrit la trahison d’Arvandus, et si d’un autre côté, il n’étoit point prouvé que ce fut en quatre cens soixante et neuf que la trahison d’Arvandus fut découverte, et qu’on lui fit son procès.

Il est facile de s’imaginer quelle étoit alors la situation des esprits dans celles des provinces des Gaules, qui se trouvoient encore gouvernées par des officiers et des magistrats que nommoit l’empereur ; Leon qu’elles ne connoissoient point, et Ricimer qu’elles n’aimoient gueres, parce qu’il avoit été la principale cause des malheurs d’Avitus, venoit de leur donner pour maître Anthemius, et il est probable qu’elles n’avoient point entendu parler de ce Grec avant sa proclamation. On n’attendoit point de lui qu’il chassât des Gaules les barbares. Ainsi les provinces obéïssantes devoient être remplies de citoyens, qui fatigués d’un côté de voir leur patrie en proye à tous les maux inévitables dans un païs partagé entre plusieurs souverains, souvent en guerre, et toujours en mauvaise intelligence, et qui n’esperant plus d’un autre côté que les officiers de l’empereur vinssent jamais à bout de renvoyer les barbares au-delà du Rhin, souhaitoient que les barbares renvoyassent du moins ces officiers au-delà des Alpes. Il est naturel que plusieurs de ces citoyens ne se contentassent point de faire des vœux pour l’accomplissement de leurs desirs, et qu’ils eussent recours à des moyens plus efficaces, et réellement capables de procurer à leurs compatriotes un repos durable. Le peu de mémoires qui nous restent sur l’histoire de ces tems-là, est cause que nous ne sçavons point ce que cent Romains des Gaules auront tenté dès lors, pour secouer le joug du Capitole, et pour se donner à un maître qui pût les défendre. Mais nous pouvons juger, par ce que fit Arvandus quand il étoit préfet du prétoire des Gaules pour la seconde fois, et par conséquent le premier officier dans ce département, de ce que bien d’autres auront tenté.

On intercepta donc dans les commencemens du regne d’Anthemius une lettre que cet Arvandus écrivoit au roi des Visigots, et dans laquelle il lui conseilloit de ne point vivre en amitié avec ce Grec, qu’on avoit fait monter sur le thrône d’Occident. Il est tems, ajoûtoit Arvandus, que les Visigots et les Bourguignons s’emparent des Gaules, et qu’ils les partagent entr’eux, comme ils sont en droit de le faire. Liguez-vous donc avec le roi Gundéric, et commencez l’exécution de votre traité par enlever le corps de Bretons qu’Anthemius a posté sur la Loire.

Les officiers qui servoient sous Arvandus s’assurerent de lui dès que les preuves de sa trahison leur furent tombées entre les mains. Le coupable fut ensuite conduit à Rome où ils envoyerent en même-tems trois députés, du nombre desquels étoit Tonantius Ferreolus, petit-fils d’Afranius Syagrius consul en trois cens quatre-vingt-deux, et qui lui-même avoit été préfet du prétoire d’Arles. Leur commission étoit de déferer Arvandus, et de l’accuser juridiquement au nom des Gaules. On fit donc le procès dans les formes à l’accusé, qui fut après les procedures usitées alors en pareils cas, condamné à mort comme coupable du crime de leze-majesté ; mais l’empereur usant de clémence, commua la peine, et la changea en celle d’un bannissement perpetuel.

Suivant Sidonius, il ne s’écoula qu’un petit espace de tems entre l’arrêt fait sur la personne d’Arvandus, son transport à Rome, l’instruction de son procès et la sentence renduë contre lui. Ainsi l’on peut placer tous ces évenemens dans la même année. Or suivant les fastes de Cassiodore, ce fut en l’année quatre cens soixante et neuf qu’Arvandus, qui s’étoit déclaré ennemi de l’empire, fut envoyé en exil par Anthemius. Il est vrai que dans l’édition de Cassiodore, que le Pere Garet nous donna en mil six cens soixante et dix-neuf, on ne lit point dans le passage que je viens de citer Arvandus, on y lit Ardaburius . Mais l’Ardaburius qui vivoit alors, et à qui l’on pourroit imputer d’abord, à cause du pouvoir dont il étoit revêtu, le crime d’Arvandus, étoit un officier de l’empire d’Orient, et par conséquent il n’étoit ni sujet ni justiciable d’Anthemius. D’ailleurs il est sensible par ce que nous allons rapporter, que Cassiodore avoit écrit Arvandus, et non pas Ardaburius, et que ce sont les copistes et les imprimeurs qui, à force d’alterer le nom d’Arvandus, en ont fait le nom d’Ardaburius.

On ne sçauroit douter que le Pere Sirmond n’ait vû des textes de Cassiodore où le nom d’Arvandus étoit presqu’encore dans son entier, puisqu’il écrit que Cassiodore et les croniqueurs qui l’ont suivi, appellent Aravundus, la même personne que Sidonius appelle Arvandus. Monsieur De Valois qui a fait imprimer son premier volume de l’histoire de France en mil six cens quarante-six, y observe que dans l’ancienne édition de Cassiodore on lisoit Arabundus au lieu d’Arbandus ou d’Arvandus, et que ce n’étoit que dans une édition posterieure qu’on avoit mis ardaburius . Je crois qu’en voilà suffisamment pour persuader aux lecteurs que Sidonius et Cassiodore ont parlé de la même personne l’un dans sa lettre, et l’autre dans sa cronique.

Dès que le corps de Bretons commandé par Riothame, étoit encore tranquille dans ses postes sur la Loire, quand l’intelligence d’Arvandus avec Euric fut découverte, et dès que cette intelligence ne fut découverte qu’en quatre cens soixante et neuf, on en peut inferer, comme je l’ai déja observé, que la guerre entre les Romains et les Visigots ne commença que l’année suivante. En effet il paroît qu’Euric ait fait les premiers actes d’hostilité ouverte contre l’empire, en surprenant et enlevant les quartiers de nos Bretons, qui veritablement se défioient bien de lui, mais qui ne prenoient point encore toutes les précautions que des troupes qui gardent une frontiere, ont coutume de prendre, quand la guerre est déclarée. Il est encore sensible en lisant avec attention la lettre de Sidonius à Riothame, qu’elle suppose un commerce lié depuis quelque-tems entre deux personnes qui exercent chacun un emploi important dans les lieux où elles se trouvent, et qui plusieurs fois ont eu déja relation l’une avec l’autre pour des incidens de même nature que celui dont il est parlé dans notre lettre. Ainsi nos Bretons auront été du moins un an tranquilles dans leurs quartiers, et la guerre qui se déclara par l’enlevement de ces quartiers, n’aura commencé que vers la fin de l’année quatre cens soixante et neuf ou l’année suivante. Le silence d’Idace, dont la chronique néanmoins, va jusqu’à la fin de l’année quatre cens soixante et neuf, porte encore à croire très-aisément, comme il a déja été dit, que la guerre dont il est question, n’ait commencé qu’en quatre cens soixante et dix.

Voici ce qu’écrit Jornandès sur l’enlevement des quartiers de Riothame : » Euric s’étant mis à la tête d’une nombreuse armée, il marcha droit aux Bretons qui étoient dans le Berri, & le combat fut très opiniâtré, quoiqu’il les eût si bien surpris, que le corps commandé par le Roi Riothame en personne, fûr défait avant que les troupes Romaines qui devoient le soutenir, eussent pû le joindre. Riothame perdit dans ces actions la meilleure partie de son armée, & après en avoir rallié ce qu’il put, il se retira dans les païs tenus par le Bourguignon, qui faisoit alors tout devoir de bon & de fidele Confédéré des Romains. » L’enlevement des quartiers des Bretons ne paroît-il pas une de ces surprises par lesquelles les souverains commencent souvent à faire la guerre avant que de l’avoir déclarée ? Gregoire de Tours, comme on va le voir, écrit que le principal quartier de Riothame étoit dans le lieu nommé le Bourgdeols ou le Bourgdieu, près du Château-Roux en Berry.

Nous avons déja exposé que le dix-huitiéme chapitre du second livre de l’histoire ecclésiastique des Francs, n’étoit qu’un tissu de titres ou de sommaires de chapitres, et voici bien de quoi le prouver encore. Gregoire de Tours après avoir parlé de la mort d’Egidius arrivée, comme on l’a vû, dès l’année quatre cens soixante et quatre, et de la capitulation que les Romains firent avec Audoagrius dès qu’Egidius fut mort, ajoute immédiatement à ce qu’il en a dit. « Les Visigots chasserent les bretons du Berry, et ils en tuerent auparavant un grand nombre au Bourgdieu. » Cependant, comme nous l’avons fait voir, cet évenement ne sçauroit être arrivé plûtôt que vers la fin de l’année quatre cens soixante et neuf, et cinq ans après la mort d’Egidius. On observera encore la brieveté avec laquelle Gregoire de Tours raconte cette défaite des Bretons qui donna lieu aux Visigots de s’emparer d’un quart de la Gaule. Il est donc évident que les narrations d’évenemens arrivés à plusieurs années l’une de l’autre, sont contiguës dans le chapitre dont il s’agit ici, et que son auteur n’y fait que des récits très succints, même de ceux des évenemens importans dont il juge à propos d’y faire mention ; en un mot que le dix-huitiéme chapitre du second livre de son histoire, n’est autre chose qu’un tissu de titres, ou de sommaires de chapitres. Nous avons dit dans notre discours préliminaire par quelle raison Gregoire de Tours avoit ainsi tronqué ses narrations, quand il lui avoit fallu parler de quelques évenemens de notre histoire, antérieurs au batême de Clovis.

Autant qu’on peut en juger par les évenemens arrivés dans la suite, et dont le lecteur trouvera la narration ci-dessous, les troupes Romaines qui devoient joindre Riothame, auront sauvé la ville de Bourges, et une partie de la province Sénonoise, mais ç’aura été dans le cours de cette guerre que les Visigots auront occupé l’Espagne Terragonoise, la cité de Marseille, la cité d’Arles, les cités de la seconde Aquitaine qu’ils ne tenoient pas encore, la ville et une partie de la cité de Tours ; ç’aura été alors qu’ils étendirent leurs quartiers dans six des huit cités, dont la premiere Aquitaine étoit composée, je veux dire, dans le Rouergue, l’Albigeois, le Querci, le Limosin, le Gévaudan et le Velay, de maniere qu’il ne sera demeuré à l’empereur que deux cités dans cette province ; sçavoir, celle d’Auvergne, et celle de Bourges, qui en étoit la métropole. En effet on verra dans la suite que ce ne fut qu’en quatre cens soixante et quinze, que l’Auvergne fut occupée par les Visigots. Quant au Berry, si les Visigots en chasserent les Bretons vers quatre cens soixante et dix, les Visigots ne le conquirent pas pour cela. Une chose montre que ces barbares ne s’en emparerent point immédiatement après la défaite des Bretons, c’est qu’il étoit encore au pouvoir des Romains en l’année quatre cens soixante et douze : en voici la preuve. Sidonius Apollinaris ne fut fait évêque de l’Auvergne que cette année-là. Cependant il devoit être déja évêque, quand les habitans de Bourges l’appellerent dans leur ville pour y présider à l’élection et à l’installation du sujet qu’on alloit choisir pour remplir le siege de cette métropole, actuellement vacant. Sidonius ne fut donc appellé à Bourges au plûtôt, qu’à la fin de l’année quatre cens soixante et douze. Or Sidonius nous dit lui-même qu’il étoit le seul évêque appellé à Bourges, et qu’il ne fut le seul appellé, que parce qu’il étoit le seul évêque dans la premiere Aquitaine, de qui la cité se trouvât encore sous l’obéissance de l’empereur. L’Auvergne étoit la seule cité de cette province qui appartînt encore au même maître que la métropole. Le motif qui fit appeller Sidonius à Bourges durant la vacance dont il s’agit, prouve suffisamment, que l’Auvergne et Bourges étoient alors sous la même domination. Nous avons outre la lettre que je viens de citer[1], deux autres lettres de Sidonius, qui concernent l’élection d’un sujet pour remplir le siege de Bourges, lors de la vacance dont nous parlons, et nous avons même le discours que Sidonius prononça devant les habitans du Berri en cette occasion. Il paroît encore en lisant ces trois écrits que ces habitans n’étoient point pour lors sous la puissance des Visigots. Il y a plus, on voit par un endroit de Gregoire de Tours que les Visigots n’étoient point encore maîtres du Berri en quatre cens quatre-vingt-un. Notre auteur dit, en parlant d’un Victorius, à qui le roi Euric donna cette année-là, qui étoit la quatorziéme année de son regne, un commandement en vertu duquel l’Auvergne obéïssoit à cet officier : Euric donna à Victorius, le commandement sur sept cités ; et Victorius se rendit aussi-tôt en Auvergne. Quels étoient ces cités, si ce n’est les sept cités de la premiere Aquitaine, dont l’Auvergne étoit une, et desquelles les Visigots étoient devenus maîtres ? S’ils eussent tenu le Berri en quatre cens quatre-vingt-un, comme ils eussent été maîtres en ce cas-là de toute la province, qui ne comprenoit que ces huit cités, Gregoire de Tours au lieu de chercher une périphrase qui dît précisement ce qu’il vouloit dire, eût écrit simplement ; qu’Euric avoit donné à Victorius le gouvernement de la premiere Aquitaine. Je crois donc qu’il est très-probable que la ville de Bourges et la plus grande partie du Berri, n’appartinrent jamais aux Visigots qui, comme on le verra, n’étendirent plus leurs quartiers dans les Gaules, après la pacification faite vers l’année quatre cens soixante et dix-sept, et que le Berri a été une des contrées que les troupes Romaines remirent à Clovis lorsqu’elles firent leur capitulation avec lui en l’année quatre cens quatre-vingt dix-sept. Il en sera parlé en son tems. Revenons à ce qui dut arriver dans les Gaules immédiatement après la défaite de Riothame.

Quel parti auront pris les Romains dans cette conjoncture. à en juger par les faits qui vont être rapportés, il paroît que les Romains s’allierent plus étroitement que jamais avec les Bourguignons, comme avec les Francs ; que ces alliés firent deux corps d’armée : le premier composé d’une partie des troupes Romaines et des Bourguignons, aura veillé à la sureté des pays situés à la gauche du bas-Rhône qui étoient encore libres, et à celle de l’Auvergne. Le second corps d’armée composé des Romains des provinces obéïssantes comme des Romains des provinces confédérées et des Francs, aura gardé les pays voisins de la Loire et du Loir, qui étoient devenus la barriere de l’empire du côté des Visigots, et qui lui rendoient contre ces barbares le même service, que le Rhin lui avoit rendu pendant plusieurs siecles contre les Germains.

Lorsque je donne aux Romains dans tout le cours de cette guerre les provinces conféderées ou les Armoriques pour alliés, je ne suis pas fondé uniquement sur les convenances. Procope dit positivement : que durant la guerre dans laquelle les Visigots tâcherent de se rendre maîtres de toutes les provinces de l’Espagne, et dans laquelle ils envahirent encore les pays situés au-delà du Rhône par rapport au lieu où cet historien écrivoit, c’est-à-dire, les pays situés à la droite de ce fleuve, les Armoriques portoient les armes pour la défense de l’empire, et qu’ils lui rendoient tous les services qu’on peut attendre d’un bon allié. Comme on le verra encore plus clairement par la suite de l’histoire, il est impossible de mieux caracteriser celle des guerres entre les Romains et les Visigots, qui commença par l’enlevement du corps des Bretons commandé par Riothame, que Procope l’a caracterisée.

Gregoire de Tours immédiatement après avoir parlé de l’expulsion des bretons insulaires hors du Berri, ajoute : « Paulus qui exerçoit l’emploi de comte ayant été joint par les Francs, attaqua les Visigots, et remporta plusieurs avantages sur eux. » Ces actions de guerre se passerent-elles l’année quatre cens soixante et dix ou l’année suivante ? Qui peut le dire. Ce qu’il y a de plus apparent concernant l’année où Childeric et Paulus battirent les Visigots, et concernant les années où arriverent les évenemens que nous allons raconter, c’est qu’elles ont été anterieures à l’année quatre cens soixante et quinze, tems où l’empereur Julius Nepos ceda l’Auvergne à Euric, parce que cette cession rétablit, comme on le verra, une espece de paix dans les Gaules. Ainsi quoique nous sçachions bien l’ordre où sont arrivés les évenemens dont nous parlerons dans le reste de ce chapitre et dans le chapitre suivant, nous n’en pouvons point sçavoir la date précise. Malheureusement pour nous cette date n’est pas encore la seule circonstance de ces évenemens importans, qui nous soit inconnuë.

Il paroît que ce qui empêcha Paulus et Childéric de profiter des avantages qu’ils avoient remportés sur les Visigots, ce fut la diversion qu’Audoagrius fit en leur faveur. Ce roi des Saxons allié des Visigots avec qui nous avons vû qu’il étoit ligué, lorsqu’il fit sa premiere descente sur les rives de la Loire en quatre cens soixante et quatre, et à qui peut-être les Romains n’avoient point encore payé les sommes qu’ils avoient promises après la mort d’Egidius, pour engager ce prince à se rembarquer, y sera revenu vers quatre cens soixante et onze et dès qu’il aura eu nouvelle que ses confedérés avoient recommencé la guerre contre l’ennemi commun.

Gregoire de Tours dit immédiatement après avoir parlé des avantages que les Romains et les Francs remporterent sur les Visigots. » Audoagrius vint attaquer Angers dont il se rendit maître après que le Comte Paulus eût été tué, car le Roi Childéric ne put arriver que le lendemain de l’action. Le jour de la prise d’Angers, le Cloître de l’Eglise de Tours fut brûlé. » Notre historien ayant fini par cet incendie son dix-huitiéme chapitre, commence le dix-neuviéme, qui comme le précedent n’est qu’un tissu de sommaires, en disant. » Ensuite les Romains firent la guerre avec tant de vigueur aux Saxons, qu’ils les obligerent à évacuer le pays. Dans la retraite un grand nombre de ces Barbares fut passé au fil de l’épée par les Romains qui les poursuivoient. Les Francs prirent encore les Isles des Saxons où ils firent beaucoup de captifs, & où ils rompirent les digues. »

Cet endroit de l’histoire de Gregoire de Tours étant entendu comme je viens de l’interpreter, éclaircit le commencement de nos annales, au lieu qu’il les obscurcit lorsqu’on l’explique comme l’ont fait jusques ici tous les auteurs qui l’ont employé. En supposant comme ils le supposent, qu’il faille entendre de Childéric ce que l’historien dit d’Audoagrius, et en voulant que ç’ait été le roi des Francs, et non point le roi des Saxons qui ait pris Angers après avoir tué Paulus, ils embrouillent le tissu de notre histoire, au lieu qu’il est très-clair en suivant mon interprétation. Mais, comme ces auteurs ne se sont pas déterminés au parti qu’ils ont pris, sans avoir des raisons très-spécieuses, je vais employer un chapitre entier à réfuter leur sentiment et à établir mon opinion. Il faut néanmoins avant que de commencer ce chapitre, que je dise quelque chose concernant les Isles des Saxons, dont il est parlé dans l’endroit de l’histoire de Gregoire de Tours, qui vient d’être rapporté, et qu’il s’agit ici d’expliquer.

Quelques auteurs du dix-septiéme siecle ont imaginé que ces Isles des Saxons que les Francs prirent et dont ils rompirent les digues, étoient des isles situées dans le lit de la Loire et où s’étoit retranché Audoagrius lorsqu’il vint faire sa premiere descente sur la rive de ce fleuve vers l’année quatre cens soixante et trois. Ils supposent que ce prince y fut toujours demeuré depuis et que ce furent ces isles que les Francs prirent sur lui, quand les Saxons après la mort de Paulus, eurent été obligés par l’armée impériale à évacuer l’Anjou et qu’ils eurent été battus en se rembarquant. Je ne vois que deux choses qui ayent pû engager nos auteurs à donner l’être à ces isles imaginaires. L’une de n’avoir point sçû que dès le tems de Ptolomée on donnoit le nom d’ isles des Saxons à Nostrand et à quelques autres isles de l’ocean Germanique qui sont au septentrion de l’embouchure de l’Elbe. Nous avons suffisamment parlé dans le premier livre de cet ouvrage de la situation de ces isles et des avantages qu’en tiroient les saxons dans leurs guerres piratiques. La seconde chose qui ait pû engager nos auteurs du dix-septiéme siecle à placer dans la Loire les Isles des Saxons, c’est qu’ils auront pensé qu’Audoagrius devoit être resté dans les Gaules durant le tems qui s’écoula entre ses deux expéditions, celle qu’il fit du vivant d’Egidius en quatre cens soixante et quatre, et celle qu’il y fit vers quatre cens soixante et onze. Nos auteurs croyant ce tems beaucoup plus court qu’il ne l’a été, et ne faisant point attention à la facilité avec laquelle les Saxons faisoient leurs voyages, ont supposé donc, que les Saxons fussent restés sur la Loire durant le tems qui s’écoula entre leurs deux expeditions. Or nous venons de voir qu’il a dû y avoir aumoins six ans entre la premiere et la seconde expedition d’Audoagrius sur les rives de la Loire, et nous avons vû dès le premier livre de cet ouvrage que les voyages par mer ne coûtoient rien aux Saxons. Ainsi les Isles des Saxons que les Francs prirent sous le regne de Childéric, celles qu’ils saccagerent alors et dont ils percerent les digues, sont Nostrand où il y a beaucoup de terres basses sujettes aux inondations et les isles adjacentes ; que les Francs pour déconcerter quelque projet des Saxons ayent tenté alors une entreprise difficile, mais nécessaire, et qu’ils ayent fait une descente avec succès dans les Isles des Saxons ; c’est la chose du monde la plus probable. Il y avoit alors des Francs établis à l’embouchure du Rhin dans l’ocean, et ils se seront joints à Childéric pour faire cette expédition. Dès le premier livre de cet ouvrage nous avons rapporté plusieurs passages d’auteurs du quatriéme siecle et des siecles suivans, lesquels font foi, que les Francs étoient d’aussi bons hommes de mer que les Saxons mêmes. Ces Francs pouvoient-ils rendre un meilleur service aux Gaules que d’aller ruiner, que de mettre sous l’eau, les Isles des Saxons qui étoient le repaire de ces pirates et le lieu où s’assembloient les flottes qui venoient saccager chaque jour quelque canton de cette grande province de l’empire ?

  1. Lib. 1, Ep. 8. & 9.