Histoire d’un conscrit de 1813/4

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IV


Lorsque j’entrai le lendemain, vers sept heures, dans la chambre de M. Goulden pour me remettre à l’ouvrage, il était encore au lit et tout abattu.

« Joseph, me dit-il, je ne suis pas bien, toutes ces terribles histoires m’ont rendu malade ; je n’ai pas dormi.

— Est-ce qu’il faut vous faire du thé ? lui demandai-je.

— Non, mon enfant, non, c’est inutile ; arrange seulement un peu le feu, je me lèverai plus tard. Mais, à cette heure, il faudrait aller régler les horloges en ville, nous sommes au lundi ; je ne peux pas y aller, car de voir tant d’honnêtes gens dans une désolation pareille, des gens que je connais depuis trente ans, cela me rendrait tout à fait malheureux. Écoute Joseph, prends les clefs pendues derrière la porté, et vas-y ; cela vaudra mieux. Moi, je vais tâcher de me remettre, de dormir un peu.. Si je pouvais dormir une heure ou deux, cela me ferait du bien

— C’est bon, monsieur Goulden, lui dis-je, je pars tout de suite. »

Après avoir mis du bois au fourneau, je pris le manteau et les moufles, je tirai les rideaux du lit de M. Goulden, et je sortis, le trousseau de clefs dans ma poche. L’indisposition du père Melchior me chagrinait bien un peu, mais une idée me consolait ; je me disais en moi-même : « Tu vas grimper sur le clocher de la ville, et tu verras de là-haut la maison de Catherine et de la tante Grédel. » En songeant à cela j’arrivai chez le sonneur de cloches Brainstein, qui demeurait au coin de la petite place, dans une vieille baraque décrépite ; ses deux garçons étaient tisserands, et dans ce vieux nid on entendait grincer les métiers et siffler les navettes du matin au soir. La grand-mère, tellement vieille qu’on ne voyait plus ses yeux, dormait dans un antique fauteuil, au haut duquel perchait une pie. Le père Brainstein, quand il n’avait pas à sonner les cloches pour un baptême, un enterrement ou un mariage, lisait dans son almanach, derrière les petites vitres rondes de la croisée.

À côté de leur baraque était une cassine, sous le toit de la vieille halle, où travaillait le savetier Koniam, et plus loin se trouvait l’étalage des bouchers et des fruitières.

J’arrivai donc chez les Brainstein ; et le vieux en me voyant se leva, disant :

« C’est vous, monsieur Joseph ?

— Oui, père Brainstein, je viens à la place de M. Goulden, qui n’est pas bien.

— Ah ! bon… bon… c’est la même chose. »

Il mit son vieux tricot et son gros bonnet de laine, en chassant le chat qui dormait dessus ; puis il prit la grosse clef du clocher dans un tiroir, et nous sortîmes, moi, bien heureux de me trouver au grand air, malgré le froid, car dans ce trou tout était gris de vapeur, et l’on avait autant de peine à respirer que dans une marmite ; je n’ai jamais compris comment ces gens pouvaient vivre de la sorte.

Enfin nous remontâmes la rue, et le père Brainstein me dit :

« Vous connaissez le grand malheur de la Russie, monsieur Joseph ?

— Oui, père Brainstein ; c’est terrible !

— Ah ! fit-il, bien sûr ! Mais ça rapportera beaucoup de messes à l’église ; car, voyez-vous, tout le monde voudra faire dire des messes pour ses enfants, d’autant plus qu’ils sont morts dans un pays de païens.

— Sans doute, sans doute », lui dis-je.

Nous traversions alors la place, et devant la maison commune, en face du corps de garde, stationnaient déjà plusieurs personnes, des paysans et des gens de la ville, qui lisaient une affiche. Nous montâmes le perron et nous entrâmes dans l’église, où plus de vingt femmes, jeunes et vieilles, étaient à genoux sur le pavé, malgré le froid épouvantable.

« Voyez-vous, fit Brainstein, qu’est-ce que je vous disais ? Elles viennent déjà prier, et je suis sûr que la moitié sont là depuis cinq heures. »

II ouvrit la petite porte de la tour par où l’on monte aux orgues, et nous nous mîmes à grimper dans les ténèbres. Une fois dans les orgues, nous prîmes à gauche du soufflet, et nous montâmes jusqu’aux cloches.

Je fus bien content de revoir le ciel bleu et de respirer le grand air, car la mauvaise odeur des chauves-souris qui vivent dans ces boyaux vous étouffait presque. Mais quel froid épouvantable dans cette cage ouverte à tous les vents, et quelle lumière éblouissante par ces temps de neige, où la vue s’étendait sur vingt lieues de pays ! Toute la petite ville de Phalsbourg, avec ses six bastions, ses trois demi-lunes, ses deux avancées, ses casernes, ses poudrières, ses ponts, ses glacis et ses remparts, sa grande place d’armes et ses petites maisons bien alignées, se dessinait là comme sur un papier blanc. On voyait jusqu’au fond des cours, et moi qui n’étais pas encore habitué à cela, je me tenais bien au milieu de la plate-forme, de peur d’avoir l’idée de m’envoler, comme on le raconte de certaines gens qui deviennent fous par les grandes hauteurs. Je n’osais m’approcher de l’horloge, dont le cadran est peint derrière avec ses aiguilles, et, si Brainstein ne m’avait pas donné l’exemple, je serais resté là, cramponné à la poutre des cloches ; mais il me dit : « Venez, monsieur Joseph, et regardez ; est-ce que c’est l’heure ? »

Alors je sortis la grosse montre de M. Goulden, qui marquait les secondes, et je vis qu’il y avait beaucoup de retard. Brainstein m’aidait à tirer les poids, et nous réglâmes aussi les touches.

« L’horloge est toujours en retard les hivers, dit-il, à cause du fer qui travaille. »

Après m’être un peu familiarisé avec ces choses, je me mis à regarder les environs : les Baraques du bois de chênes, les Baraques d’en haut, le Bigelberg, et finalement je reconnus les Quatre-Vents sur la côte en face, et la maison de la tante Grédel. Justement la cheminée fumait comme un fil bleu qui monte au ciel. Et je revis la cuisine : je me représentai Catherine en sabots et en petite jupe de laine, filant au coin de l’âtre, en pensant à moi ! J’étais tellement attendri, que je ne sentais plus le froid ; je ne pouvais pas détacher mes yeux de cette cheminée.

Le père Brainstein, qui ne savait ce que je regardais, dit :

« Oui… oui, monsieur Joseph, maintenant, malgré la neige, tous les chemins sont couverts de monde ; la grande nouvelle s’est déjà répandue, et chacun arrive pour savoir au juste son malheur. »

Je vis qu’il avait raison : tous les chemins, tous les sentiers étaient couverts de gens qui venaient en ville ; et, regardant sur la place, j’aperçus la foule qui grossissait devant le corps de garde de la mairie et devant la poste aux lettres. On entendait comme de grandes rumeurs.

Enfin, après avoir regardé de nouveau la maison de Catherine, il fallut bien descendre, et nous nous mîmes à tourner dans l’escalier sombre, comme dans un puits. Une fois dans l’ orgue, nous vîmes du balcon que la foule avait aussi beaucoup grossi dans l’église : toutes les mères, toutes les sœurs, toutes les vieilles grand-mères, les riches et les pauvres, étaient à genoux dans les bancs, au milieu du plus grand silence, elles priaient pour ceux de là-bas… offrant tout pour les revoir encore une fois !

D’abord je ne compris pas bien cela ; mais tout à coup la pensée me vint que, si j’étais parti l’année d’avant, Catherine serait aussi là pour prier et me redemander à Dieu ; cela me traversa le cœur, je sentis tout mon corps grelotter.

« Allons-nous-en ! allons-nous-en ! dis-je à Brainstein ; c’est épouvantable !

— Quoi ? fit-il.

— La guerre. »

Nous descendions alors l’escalier sous la grande porte, et je traversai la place pour aller chez M. le commandant Meunier, pendant que Brainstein reprenait le chemin de sa maison.

Au coin de l’Hôtel de Ville, je vis un spectacle que je me rappellerai toute ma vie. C’est là qu’était la grande affiche ; plus de cinq cents personnes : des gens de la ville et des paysans, des hommes et des femmes, serrés les uns contre les autres, tout pâles et le cou tendu, la regardaient en silence comme quelque chose de terrible. Ils ne pouvaient pas la lire, et de temps en temps l’un ou l’autre disait en allemand ou en français :

« Ils ne sont pourtant pas tous morts !… il en reviendra tout de même. »

D’autres criaient :

« Mais on ne voit rien… on ne peut pas approcher ! »

Une pauvre vieille, derrière, levait les mains en criant :

« Christophe… mon pauvre Christophe !… »

D’autres, comme indignés de l’entendre, disaient :

« Faites donc taire cette vieille ! »

Chacun ne pensait qu’à soi.

Derrière, il en venait toujours d’autres par la porte d’Allemagne.

À la fin, Harmentier, le sergent de ville, sortit de la voûte du corps de garde, et se mit au haut des marches, avec une affiche toute pareille à celle du mur ; quelques soldats le suivaient. Alors tout le monde courut de son côté, mais les soldats écartèrent les premiers, et le père Harmentier se mit à lire cette affiche, qu’on appelait le 29e Bulletin, et dans laquelle l’Empereur racontait que, pendant la retraite, les chevaux périssaient toutes les nuits par milliers.-- Il ne disait rien des hommes !

Le sergent de ville lisait lentement, personne ne soufflait mot ; la vieille, qui ne comprenait pas le français, écoutait comme les autres. On aurait entendu voler une mouche. Mais, quand il en vint à ce passage : — « Notre cavalerie était tellement démontée, que l’on a dû réunir les « officiers auxquels il restait un cheval pour en former quatre compagnies de « cent cinquante hommes chacune. Les généraux faisaient les fonctions de « capitaines et les colonels celles de sous-officiers » — Quand il lut ce passage, qui en disait plus sur la misère de la grande armée que tout le reste, les cris et les gémissements se firent entendre de tous les côtés deux ou trois femmes tombèrent… on les emmenait en les soutenant par les bras.

Il est vrai que l’affiche ajoutait : « La santé de Sa Majesté n’a jamais été meilleure » et c’était une grande consolation. Malheureusement ça ne pouvait pas rendre la vie aux trois cent mille hommes enterrés dans la neige ; aussi les gens s’en allaient bien tristes ! D’autres venaient par douzaines, qui n’avaient rien entendu, et, d’heure en heure, Harmentier sortait pour lire le bulletin. Cela dura jusqu’au soir, et, chaque fois, c’était la même chose. Je me sauvai… j’aurais voulu ne rien savoir de tout cela.

Je montai chez M. le commandant de place. En entrant dans son salon, je le vis qui déjeunait. C’était un homme déjà vieux, mais solide, la face rouge et de bon appétit.

« Ah ! c’est toi ! fit-il ; M. Goulden ne vient donc pas ?

— Non, monsieur le commandant, il est malade à cause des mauvaises nouvelles.

— Ah ! bon… bon… je comprends ça, fit-il en vidant son verre ; oui, c’est malheureux. »

Et tandis que je levais le globe de la pendule, il ajouta :

« Bah ! tu diras à M. Goulden que nous aurons notre revanche… On ne peut pas toujours avoir le dessus, que diable ! Depuis quinze ans que nous les menons tambour battant, il est assez juste qu’on leur laisse cette petite fiche de consolation… Et puis l’honneur est sauf, nous n’avons pas été battus : sans la neige et le froid, ces pauvres Cosaques en auraient vu des dures… Mais un peu de patience, les cadres seront bientôt remplis, et alors gare ! »

Je remontai la pendule ; il se leva et vint regarder, étant grand amateur d’horlogerie. Il me pinça l’oreille d’un air joyeux ; puis, comme j’allais me retirer, il s’écria en reboutonnant sa grosse capote, qu’il avait ouverte pour manger :

« Dis au père Goulden de dormir tranquille, la danse va recommencer au printemps ; ils n’auront pas toujours l’hiver pour eux, les Kalmoucks ; dis-lui ça !

— Oui, monsieur le commandant », répondis-je en fermant la porte.

Sa grosse figure et son air de bonne humeur m’avaient un peu consolé ; mais, dans toutes les maisons où j’allai ensuite, chez les Harwich, chez les Frantz-Toni, chez les Durlach, partout on n’entendait que des plaintes. Les femmes surtout étaient dans la désolation les hommes ne disaient rien et se promenaient de long en large, la tête penchée, sans même regarder ce que je faisais chez eux.

Vers dix heures, il ne me restait plus que deux personnes à voir : M. de la Vablerie-Chamberlan, un ancien noble, qui demeurait au bout de la grand-rue avec Mme Chamberlan d’Ecof et Mlle Jeanne, leur fille. C’étaient des émigrés revenus depuis trois ou quatre ans. Ils ne fréquentaient personne en ville, et ils ne voyaient que trois ou quatre vieux curés des environs. M. de la Vablerie-Chamberlan n’aimait que la chasse ; il avait six chiens au fond de sa cour et une voiture à deux chevaux ; le père Robert, de la rue des Capucins, leur servait de cocher, de palefrenier, de domestique et de piqueur. M. de la Vablerie portait toujours une veste de chasse, une casquette en cuir bouilli et des bottes à éperons. Toute la ville l’appelait le braque ; mais on ne disait rien de Mme ni de Mlle de Chamberlan.

J’étais bien triste en poussant la lourde porte à poulie, dont le grelottement se prolongeait dans le vestibule ; aussi quelle ne fut pas ma surprise d’entendre, au milieu de cette désolation générale, un air de chant et de clavecin ! M. de la Vablerie chantait et Mlle Jeanne l’accompagnait. Je ne savais pas, dans ce temps, que le malheur des uns fait le bonheur des autres, et je me dis, la main sur le loquet : « Ils ne connaissent pas encore les nouvelles de Russie. »

Mais comme j’étais ainsi, la porte de la cuisine s’ouvrit, et Mlle Louise, leur servante, penchant la tête, demanda :

« Qui est là ?

— C’est moi, mademoiselle Louise.

— Ah ! c’est vous, monsieur Joseph, passez par ici. »

Ces gens avaient leur pendule dans un grand salon où l’on n’entrait que rarement ; les hautes fenêtres à persiennes donnant sur la cour restaient fermées ; mais on y voyait assez pour ce que j’avais à faire. Je passai donc par la cuisine, et je réglai l’antique pendule, une pièce magnifique en marbre blanc. Mlle Louise regardait.

« Vous avez du monde, mademoiselle Louise ? lui dis-je.

— Non, mais monsieur m’a prévenue de ne laisser entrer personne.

— Ils sont bien joyeux, chez vous…

— Ah ! oui ! fit-elle, c’est la première fois depuis des années ; je ne sais pas ce qu’ils ont. »

Je remis le globe, et je sortis, rêvant à ces choses qui me paraissaient extraordinaires. L’idée ne me vint pas que ceux-ci se réjouissaient de notre défaite.

En partant de là, je tournai le coin de la rue pour me rendre chez le père Féral, qu’on appelait Porte-Drapeau, parce qu’à l’âge de quarante-cinq ans, étant forgeron et père de famille depuis longtemps, il avait porté le drapeau des volontaires de Phalsbourg en 92, et n’était revenu qu’après la campagne de Zurich. Il avait ses trois garçons à l’armée de Russie : Jean, Louis et Georges Féral ; Georges était commandant dans les dragons, les deux autres officiers d’infanterie.

Je me figurais d’avance le chagrin du père Féral ; mais ce n’était rien auprès de ce que je vis en entrant dans sa chambre. Ce pauvre vieux, aveugle et tout chauve, était assis dans le fauteuil derrière le fourneau, la tête penchée sur la poitrine, et ses grands yeux blancs écarquillés comme s’il avait vu ses trois garçons étendus à ses pieds ; il ne disait rien, mais de grosses gouttes de sueur coulaient de son front sur ses longues joues maigres, et sa figure était tellement pâle qu’on aurait dit qu’il allait rendre l’âme. Quatre ou cinq de ses anciens camarades du temps de la République : le père Desmarets, le père Nivoi, le vieux Paradis, le grand Froissard, étaient arrivés pour le consoler. Ils se tenaient autour de lui dans le plus grand silence, fumant des pipes et faisant des mines désolées.

De temps en temps l’un ou l’autre disait :

« Allons, Féral, allons, est-ce que nous ne sommes plus des anciens de l’armée de Sambre-et-Meuse ? »

Ou bien :

« Du courage, Porte-Drapeau, du courage !… Est-ce que nous n’avons pas enlevé la grande batterie de Fleurus au pas de course ? »

Ou quelque autre chose de semblable.

Mais il ne répondait rien ; seulement, de minute en minute, il soupirait, ses vieilles joues creuses se gonflaient, puis il se penchait et les autres se faisaient des signes, hochant la tête comme pour dire :

« Ça va mal. »

Je me dépêchai de régler l’horloge et de m’en aller, car, de voir ce pauvre vieux dans une telle désolation, cela me déchirait le cœur.

En rentrant chez nous, je trouvai M. Goulden à son établi.

« Te voilà, Joseph, dit-il ; eh bien ?

— Eh bien, monsieur Goulden, vous avez eu raison de rester : c’est terrible ! »

Et je lui racontai tout en détail.

« Oui, je savais cela, dit-il tristement, mais ce n’est que le commencement de plus grands malheurs : ces Prussiens, ces Autrichiens, ces Russes, ces Espagnols, et tous ces peuples que nous avons pillés depuis 1804, vont profiter de notre misère pour tomber sur nous. Puisque nous avons voulu leur donner des rois qu’ils ne connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, et dont ils ne voulaient pas, ils vont nous en amener d’autres, avec des nobles et tout ce qui s’ensuit. De sorte qu’après nous être fait saigner aux quatre membres pour les frères de l’Empereur, nous allons perdre tout ce que nous avions gagné par la Révolution. Au lieu d’être les premiers, nous serons les derniers des derniers. Oui, voilà ce qui va nous arriver maintenant. Pendant que tu courais la ville, je n’ai fait que rêver à cela ; c’est presque immanquable : — puisque les soldats étaient tout chez nous et que nous n’avons plus de soldats, nous ne sommes plus rien ! »

Alors il se leva, je dressai la table, et comme nous dînions en silence, les cloches de l’église se mirent à sonner.

« Quelqu’un est mort en ville, dit M. Goulden.

— Oui… Je n’en ai pas entendu parler. »

Dix minutes après, le rabbin Rôse entra pour faire mettre un verre à sa montre.

« Qui donc est mort ? lui demanda M. Goulden.

— C’est le vieux Porte-Drapeau.

— Comment ! le père Féral ?

— Oui, depuis une demi-heure, vingt minutes. Le père Desmarets et plusieurs autres voulaient le consoler ; à la fin, il leur demanda de lui lire la dernière lettre de son fils Georges, le commandant de dragons, qui lui disait qu’au printemps prochain il espérait venir l’embrasser avec les épaulettes de colonel. En entendant cela, tout à coup il voulut se lever, mais il retomba la tête sur ses genoux ; cette lettre lui avait crevé le cœur ! »

M. Goulden ne fit aucune réflexion.

« Voici, monsieur Rôse, dit-il en remettant sa montre au rabbin, c’est douze sous. »

M. Rôse sortit, et nous continuâmes à dîner en silence.