Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil/10

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CHAPITRE X


Des animaux, venaisons, gros lezards, serpens, et autres bestes monstrueuses de l’Amerique.


J’advertiray en un mot, au commencement de ce chapitre, que pour l’esgard des animaux à quatre pieds, non seulement en general, et sans exception, il ne s’en trouve pas un seul en ceste terre du Bresil en l’Amerique, qui en tout et par tout soit semblable aux nostres : mais qu’aussi nos Toüoupinambaoults n’en nourrissent que bien rarement de domestiques. Pour doncques descrire les bestes sauvages de leur pays, lesquelles quant au genre sont nommées par eux Soó, je commenceray par celles qui sont bonnes à manger. La premiere et plus commune est une qu’ils appellent Tapiroussou, laquelle ayant le poil rougeastre, et assez long, est presque de la grandeur, grosseur et forme d’une vache : toutesfois ne portant point de cornes, ayant le col plus court, les aureilles plus longues et pendantes, les jambes plus seiches et deliées, le pied non fendu, ains de la propre forme de celuy d’un asne, on peut dire que participant de l’un et de l’autre elle est demie vache et demie asne. Neantmoins elle differe encore entierement de tous les deux, tant de la queue qu’elle a fort courte (et notez en cest endroit qu’il se trouve beaucoup de bestes en l’Amerique qui n’en ont point du tout) que des dents, lesquelles elle a beaucoup plus trenchantes et aigues : cependant pour cela, n’ayant aucune resistance que la fuite, elle n’est nullement dangereuse. Les sauvages la tuent, comme plusieurs autres, à coups de flesches ; ou la prennent à des chausses-trapes et autres engins qu’ils font assez industrieusement.

Au reste, cest animal, à cause de sa peau est merveilleusement estimé d’eux : car, quand ils l’escorchent, coupans en rond tout le cuir du dos, apres qu’il est bien sec, ils en font des rondelles aussi grandes que le fond d’un moyen tonneau, lesquelles leur servent à soustenir les coups de flesches de leurs ennemis quand ils vont en guerre. Et de faict, ceste peau ainsi seichée et accoustrée est si dure, que je ne crois pas qu’il y ait flesche, tant rudement descochée fust-elle, qui la sceut percer. Je rapportois en France par singularité deux de ces Targes, mais quand à nostre retour, la famine nous print sur mer, apres que tous nos vivres furent faillis, et que les Guenons, Perroquets, et autres animaux que nous apportions de ce pays-là, nous eurent servi de nourriture, encor nous fallut-il manger nos rondelles grillées sur les charbons, voire, comme je diray en son lieu, tous les autres cuirs et toutes les peaux que nous avions dans nostre vaisseau.

Touchant la chair de ce Tapiroussou, elle a presque le mesme goust que celle de boeuf : mais quant à la façon de la cuire et apprester, nos sauvages, à leur mode, la font ordinairement boucaner. Et parce que j’ay ja touché cy devant, et faudra encore que je reitere souvent cy apres ceste façon de parler boucaner : à fin de ne tenir plus le lecteur en suspens, joint aussi que l’occasion se presente icy maintenant bien à propos, je veux declarer quelle en est la maniere.

Nos Ameriquains doncques, fichans assez avant dans terre quatre fourches de bois, aussi grosses que le bras, distantes en quarré d’environ trois pieds, et esgalement hautes eslevées de deux et demi, mettans sur icelles des bastons à travers, à un pouce ou deux doigts pres l’un de l’autre, font de ceste façon une grande grille de bois, laquelle en leur langage ils appellent Boucan. Tellement qu’en ayant plusieurs plantez en leurs maisons, ceux d’entr’eux qui ont de la chair, la mettans dessus par pieces, et avec du bois bien sec, qui ne rend pas beaucoup de fumée, faisant un petit feu lent dessous, en la tournant et retournant de demi quart en demi quart d’heure, la laissent ainsi cuire autant de temps qu’il leur plaist. Et mesmes parce que ne sallans pas leurs viandes pour les garder, comme nous faisons par deçà, ils n’ont autre moyen de les conserver sinon les faire cuire, s’ils avoyent prins en un jour trente bestes fauves, ou autres telles que nous les descrirons en ce chapitre, à fin d’eviter qu’elles ne s’empuantissent, elles seront incontinent toutes mises par pieces sur le boucan : de maniere qu’ainsi que j’ay dit, les virans et revirans souvent sur iceluy, ils les y laisseront quelques fois plus de vingtquatre heures, et jusques à ce que le milieu et tout aupres des os soit aussi cuit que le dehors. Ainsi font-ils des poissons, desquels mesmes quand ils ont grande quantité (et nommément de ceux qu’ils appellent Piraparati, qui sont francs mulets, dont je parleray encor ailleurs) apres qu’ils sont bien secs, ils en font de la farine. Brief, ces Boucans leur servans de salloirs, de crochets et de garde-manger, vous n’iriez guere en leurs villages que vous ne les vissiez garnis, non seulement de venaisons ou de poissons, mais aussi le plus souvent (comme nous verrons cy apres) vous les trouveriez couverts tant de cuisses, bras, jambes que autres grosses pieces de chair humaine des prisonniers de guerre qu’ils tuent et mangent ordinairement. Voila quant au Boucan et Boucannerie, c’est à dire rostisserie de nos Ameriquains : lesquels au reste (sauf la reverence de celuy qui a autrement escrit) ne laissent pas quand il leur plaist de faire bouillir leurs viandes.

Or, à fin de poursuyvre la description de leurs animaux, les plus gros qu’ils ayent apres l’Asne-vasche, dont nous venons de parler, sont certaines especes, voirement de cerfs et biches qu’ils appellent Seouassous : mais outre qu’il s’en faut beaucoup qu’ils soyent si grans que les nostres, et que leurs cornes aussi soyent sans comparaison plus petites, encore different-ils en cela qu’ils ont le poil aussi grand que celuy des chevres de par deça.

Quant au sanglier de ce pays-là, lequel les sauvages nomment Taiassou, combien qu’il soit de forme semblable à ceux de nos forests, et qu’il ait ainsi le corps, la teste, les oreilles, jambes et pieds : mesmes aussi les dents fort longues, crochues, pointues, et par consequent tres dangereuses, tant y a qu’outre qu’il est beaucoup plus maigre et descharné, et qu’il a son grongnement et cri effroyable, encor a-il une autre difformité estrange : assavoir naturellement un pertuis sur le dos par où (ainsi que j’ay dit que le marsouin a sur la teste) il souffle, respire et prent vent quand il veut. Et à fin qu’on ne trouve cela si estrange, celuy qui a escrit l’Histoire generale des Indes dit qu’il y a aussi au pays de Nicaragua, pres du Royaume de la nouvelle Espagne, des porcs qui ont le nombril sur l’eschine : qui sont pour certain de la mesme espece que ceux que je viens de descrire. Les trois susdits animaux, assavoir le Tapiroussou, le Seouassou, et Taiassou sont les plus gros de ceste terre du Bresil.

Passant donc outre aux autres sauvagines de nos Ameriquains, ils ont une beste rousse qu’ils nomment agouti, de la grandeur d’un cochon d’un mois, laquelle a le pied fourchu, la queuë fort courte, le museau et les oreilles presques comme celles d’un lievre, et est fort bonne à manger.

D’autres de deux ou trois especes, que ils appellent Tapitis, tous assez semblables à nos lievres, et quasi de mesme goust : mais quant au poil, ils l’ont plus rougeastre.

Ils prennent semblablement par les bois certains Rats, gros comme escurieux et presque de mesme poil roux, lesquels ont la chair aussi delicate que celle des connils de garenne.

Pag, ou pague (car on ne peut pas bien discerner lequel des deux ils proferent) est un animal de la grandeur d’un moyen chien braque, a la teste bigerre et fort mal faite, la chair presque de mesme goust que celle de veau : et quant à sa peau, estant fort belle et tachetée de blanc, gris, et noir, si on en avoit par deçà, elle seroit fort riche et bien estimée en fourreure.

Il s’en voit un autre de la forme d’un putoy, et de poil ainsi grisastre, lequel les sauvages nomment Sarigoy : mais parce qu’il put aussi, eux n’en mangent pas volontiers. Toutesfois nous autres en ayant escorchez quelques-uns, et cognus que c’estoit seulement la graisse qu’ils ont sur les rongnons qui leur rend ceste mauvaise odeur, apres leur avoir ostée, nous ne laissions pas d’en manger : et de fait la chair en est tendre et bonne.

Quant au Tatou de ceste terre du Bresil, cest animal (comme les herissons par deçà) sans pouvoir courir si viste que plusieurs autres, se traisne ordinairement par les buissons : mais en recompense il est tellement armé, et tout couvert d’escailles si fortes et si dures, que je ne croy pas qu’un coup d’espée luy fist rien : et mesmes quand il est escorché, les escailles jouans et se manians avec la peau (de laquelle les sauvages font de petits cofins qu’ils appellent Caramemo), vous diriez, la voyant pliée, que c’est un gantelet d’armes : la chair en est blanche et d’assez bonne saveur. Mais quant à sa forme, qu’il soit si haut monté sur ses quatre jambes que celuy que Belon a representé par portrait à la fin du troisiesme livre de ses observations (lequel toutesfois il nomme Tatou du Bresil), je n’en ay point veu de semblable en ce pays-là.

Or outre tous les susdits animaux qui sont les plus communs pour le vivre de nos Ameriquains : encores mangent-ils des Crocodiles, qu’ils nomment Jacaré, gros comme la cuisse de l’homme, et longs à l’avenant : mais tant s’en faut qu’ils soyent dangereux, qu’au contraire j’ay veu plusieurs fois les sauvages en rapporter tous en vie en leurs maisons, à l’entour desquels leurs petits enfans se jouoyent sans qu’ils leur fissent nul mal. Neantmoins j’ay ouy dire aux vieillards, qu’allans par pays ils sont quelquefois assaillis, et ont fort affaire de se deffendre à grans coups de flesches contre une sorte de Jacaré, grans et monstrueux : lesquels les appercevans, et sentans venir de loin, sortent d’entre les roseaux des lieux aquatiques où ils font leurs repaires.

Et à ce propos, outre ce que Pline et autres recitent de ceux du Nil en Égypte, celuy qui a escrit l’Histoire generale des Indes, dit qu’on a tué des crocodiles, en ces pays-là, pres la ville de Panama, qui avoyent plus de cent pieds de long : qui est une chose presque incroyable. J’ay remarqué en ces moyens que j’ay veu, qu’ils ont la gueule fort fendue, les cuisses hautes, la queue non ronde ny pointue, ains plate et desliée par le bout. Mais il faut que je confesse que je n’ay point bien prins garde si, ainsi qu’on tient communément, ils remuent la maschoire de dessus.

Nos Ameriquains, au surplus, prennent des lezards qu’ils appellent Touous, non pas verds, ainsi que sont les nostres, ains gris et ayans la peau licée, comme nos petites lezardes : mais quoy qu’ils soyent longs de quatre à cinq pieds, gros de mesme, et de forme hideuse à voir, tant y a neantmoins que se tenans ordinairement sur les rivages des fleuves et lieux marescageux comme les grenouilles, aussi ne sont-ils non plus dangereux. Et diray plus, qu’estant escorchez, estripez, nettoyez, et bien cuicts (la chair en estant aussi blanche, delicate, tendre, et savoureuse que le blanc d’un chappon), c’est l’une des bonnes viandes que j’ay mangé en l’Amerique. Vray est que du commencement j’avois cela en horreur, mais apres que j’en eus tasté, en matiere de viandes, je ne chantois que de lezards.

Semblablement nos Toüoupinambaoults ont certains gros crapaux, lesquels Boucanez avec la peau, les tripes et les boyaux leur servent de nourriture. Partant attendu que nos medecins enseignent, et que chacun tient aussi par deçà, que la chair, sang et generalement le tout du crapau est mortel, sans que je dise autre chose de ceux de ceste terre du Bresil, que ce que j’en vien de toucher, le lecteur pourra de là aisément recueillir, qu’à cause de la temperature du pays (ou peut-estre pour autre raison que j’ignore) ils ne sont vilains, venimeux ni dangereux comme les nostres.

Ils mangent au semblable des serpens gros comme le bras, et longs d’une aune de Paris : et mesmes j’ay veu les sauvages en traîner et apporter (comme j’ay dit qu’ils font des crocodiles), d’une sorte de riollée de noir et de rouge, lesquels encor tous en vie ils jettoyent au milieu de leurs maisons parmi leurs femmes et enfans, qui au lieu d’en avoir peur les manioyent à pleines mains. Ils apprestent et font cuire par tronçons ces grosses anguilles terrestres mais pour en dire ce que j’en sçay, c’est une viande fort fade et douçastre.

Ce n’est pas qu’ils n’ayent d’autres sortes de serpens, et principalement dans les rivieres où il s’en trouve de longs et desliez, aussi verts que porrées, la piqueure desquels est fort venimeuse : mais aussi par le recit suyvant vous pourrez entendre qu’outre ces Toüous dont j’ay tantost parlé, il se trouve par les bois une espece d’autres gros lezards qui sont tres-dangereux.

Comme donc deux autres François et moy fismes un jour ceste faute de nous mettre en chemin pour visiter le pays, sans (selon la coustume) avoir des sauvages pour guides, nous estans esgarez par les bois, ainsi que nous allions le long d’une profonde vallée, entendans le bruit et le trac d’une beste qui venoit à nous, pensans que ce fust quelque sauvage, sans nous en soucier ni laisser d’aller, nous n’en fismes pas autre cas. Mais tout incontinent à dextre, et à environ trente pas de nous, voyant sur le costau un lezard beaucoup plus gros que le corps d’un homme, et long de six à sept pieds, lequel paroissant couvert d’escailles blanchastres, aspres et raboteuses comme coquilles d’huitres, l’un des pieds devant levé, la teste haussée et les yeux estincelans, s’arresta tout court pour nous regarder. Quoy voyans et n’ayant lors pas un seul de nous harquebuzes ni pistoles, ains seulement nos espées, et à la maniere des sauvages chacun l’arc et les flesches en la main (armes qui ne nous pouvoyent pas beaucoup servir contre ce furieux animal si bien armé), craignans neantmoins si nous nous enfuiyons qu’il ne courust plus fort que nous, et que nous ayant attrappez il ne nous engloutist et devorast : fort estonnez que nous fusmes en nous regardans l’un l’autre, nous demeurasmes ainsi tous cois en une place. Ainsi apres que ce monstrueux et espouvantable lezard en ouvrant la gueule, et à cause de la grande chaleur qu’il faisoit (car le soleil luisoit et estoit lors environ midi), soufflant si fort que nous l’entendions bien aisément, nous eut contemplé pres d’un quart d’heure, se retournant tout à coup, et faisant plus grand bruit et fracassement de fueilles et de branches par où il passoit, que ne feroit un cerf courant dans une forest, il s’enfuit contre mont. Partant nous, qui ayans eu l’une de nos peurs, n’avions garde de courir apres, en louant Dieu qui nous avoit delivrez de ce danger, nous passasmes outre. J’ay pensé depuis, suyvant l’opinion de ceux qui disent que le lezard se delecte à la face de l’homme, que cestuylà avoit prins aussi grand plaisir de nous regarder que nous avions eu peur à le contempler.

Outre plus, il y a en ce pays-là une beste ravissante que les sauvages appellent Jan-ou-are, laquelle est presque aussi haute enjambée et legere à courir qu’un levrier : mais comme elle a de grands poils à l’entour du menton, et la peau fort belle et bigarrée comme celle d’une Once, aussi en tout le reste luy ressemble-elle bien fort. Les sauvages, non sans cause, craignent merveilleusement ceste beste car vivant de proye, comme le Lion, si elle les peut attrapper, elle ne faut point de les tuer, puis les deschirer par pieces et les manger. Et de leur costé aussi comme ils sont cruels et vindicatifs contre toute chose qui leur nuit, quand ils en peuvent prendre quelques-unes aux chaussestrapes (ce qu’ils font souvent) ne leur pouvans pis faire ils les dardent et meurtrissent à coups de flesches, et les font ainsi longuement languir dans les fosses où elles sont tombées, avant que les achever de tuer. Et à fin qu’on entende mieux comment ceste beste les accoustre : un jour que cinq ou six autres François et moy nous passions par la grande isle, les sauvages du lieu nous advertissans que nous nous dormissions garde du Jan-ou-are, nous dirent qu’il avoit ceste semaine-là mangé trois personnes en l’un de leurs villages.

Au surplus il y a grande abondance de ces petites guenons noires, que les sauvages nomment Cay, en ce terre du Bresil : mais parce qu’il s’en voit assez par deçà je n’en feray icy autre description. Bien diray-je toutesfois qu’estant par les bois en ce pays-là, leur naturel estant de ne bouger gueres de dessus certains arbres, qui porte un fruict ayant gousses presques comme nos grosses febves de quoy elles se nourrissent, s’y assemblans ordinairement par troupes, et principalement en temps de pluye (aie que font quelques fois les chats sur les toits par deçà) c’est un plaisir de les ouyr crier et mener leurs sabbats sur ces arbres.

Au reste cest animal n’en portant qu’un d’une ventrée, le petit a ceste industrie de nature, que sitost qu’il est hors du ventre, embrassant et tenant ferme le col du pere ou de la mere : s’ils se voyent pourchassez des chasseurs, sautans et l’emportans ainsi de branche en branche ils le sauvent en ceste façon. Tellement qu’à cause de cela les sauvages n’en pouvans aysément prendre ni jeunes ni vieilles, ils n’ont autre moyen de les avoir sinon qu’à coups de flesches ou de matterats les abbatre de dessus les arbres : d’où tombans estourdies et quelques fois bien blecées, apres qu’ils les ont gueries et un peu apprivoisées en leurs maisons, ils les changent à quelques marchandises avec les estrangers qui voyagent par-delà. Je di nommément apprivoisées, car du commencement que ces guenons sont prises, elles sont si farouches que mordans les doigts, voire transperçans de part en part avec les dents les mains de ceux qui les tiennent, de la douleur qu’on sent on est contraint à tous coups de les assommer pour leur faire lascher prinse.

Il se trouve aussi en ceste terre du Bresil, un marmot, que les sauvages appellent Sagouin, non plus gros qu’un escurieu, et de semblable poil roux : mais quant à sa figure, ayant le muffle, le col, et le devant, et presque tout le reste ainsi que le Lion : fier qu’il est de mesme, c’est le plus joli petit animal que j’aye veu par-delà. Et de fait, s’il estoit aussi aisé à repasser la mer qu’est la Guenon, il seroit beaucoup plus estimé : mais outre qu’il est si delicat qu’il ne peut endurer le branlement du navire sur mer, encor est-il si glorieux que pour peu de fascherie qu’on luy face, il se laisse mourir de despit. Cependant il s’en voit quelques uns par-deça, et croy que c’est de ceste beste, de quoy Marot fait mention, quand introduisant son serviteur Fripelipes parlant à un nommé Sagon qui l’avoit blasmé, il dit ainsi,


Combien que Sagon soit un mot
Et le nom d’un petit marmot.


Or combien que je confesse (nonobstant ma curiosité) n’avoir point si bien remarqué tous les animaux de ceste terre d’Amerique que je desirerois, si est-ce neantmoins que pour y mettre fin j’en veux encor descrire deux, lesquels sur tous les autres sont de forme estrange et bigerre.

Le plus gros que les sauvages appellent Hay, est de la grandeur d’un gros chien barbet, et a la face ainsi que la guenon, approchante de celle de l’homme, le ventre pendant comme celuy d’une truye pleine de cochons, le poil gris enfumé ainsi que laine de mouton noir, la queuë fort courte, les jambes velues comme celle d’un Ours, et les griffes fort longues.

Et quoy que quand il est par les bois il soit fort farouche, tant y a qu’estans prins il n’est pas mal aisé à apprivoiser. Vray est qu’à cause de ses griffes si aiguës nos Toüoupinambaoults, tousjours nuds qu’ils sont, ne prennent pas grand plaisir de se jouer avec luy. Mais au demeurant (chose qui semblera possible fabuleuse) j’ay entendu non seulement des sauvages, mais aussi des truchemens qui avoyent demeuré long temps en ce pays-là, que jamais homme, ni par les champs, ni à la maison ne vid manger cest animal : tellement qu’aucuns estiment qu’il vit du vent.

L’autre, dont je veux aussi parler, lequel les sauvages nomment Coati, est de la hauteur d’un grand lievre, a le poil court, poli et tacheté, les oreilles petites, droites et pointues : mais quant à la teste, outre qu’elle n’est gueres grosse, ayant depuis les yeux un groin long de plus d’un pied, rond comme un baston, et s’estressissant tout à coup, sans qu’il soit plus gros par le haut qu’aupres de la bouche (laquelle aussi il a si petite qu’a peine y mettroit-on le bout du petit doigt) ce museau, di-je, ressemblant le bourdon ou le chalumeau d’une cornemuse, il n’est pas possible d’en voir un plus bigerre, ni de plus monstrueuse façon. Davantage parce que quand ceste beste est prinse, elle se tient les quatre pieds serrez ensemble, et par ce moyen panche tousjours d’un costé ou d’autre, ou se laisse tomber tout à plat, on ne la sçauroit ni faire tenir debout, ni manger, si ce n’est quelques fourmis, de quoy aussi elle vit ordinairement par les bois. Environ huict jours apres que nous fusmes arrivez en l’isle où se tenoit Villegagnon, les sauvages nous apporterent un de ces coati, lequel à cause de la nouvelleté fut autant admiré d’un chacun de nous que vous pouvez penser. Et de faict (comme j’ay dit) estant estrangement defectueux, eu esgard à ceux de nostre Europe, j’ay souvent prié un nommé Jean Gardien, de nostre compagnie, expert en l’art de pourtraiture de contrefaire tant cestuy-là que beaucoup d’autres, non seulement rares, mais aussi du tout incognus par deçà, à quoy neantmoins à mon bien grand regret, il ne se voulut jamais adonner.

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