Histoire d’une Marie/p2/01

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F. Rieder et Cie, éditeurs (p. 139-154).
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DEUXIÈME PARTIE





I



Il habitait à Forest, près de Bruxelles. Il aurait pu habiter ailleurs, mais c’était à Forest. Autrefois il habitait en ville. Un dimanche, il avait pris une voiture. Il avait dit : « Cocher, il me faut deux chambres, menez-moi quelque part, à la campagne. » Le cocher avait choisi Forest.

Il avait ses deux chambres : deux chambres et aussi deux fenêtres. La maison était neuve ; on lui avait promis un beau papier rouge pour son mur. En bas, on tenait une auberge.

La fenêtre la moins grande s’ouvrait sur le derrière de la maison : il y avait des champs… puis des champs… puis un mur d’arbres et, après, encore des champs : elle était la fenêtre de sa chambre à dormir.

La fenêtre la plus grande s’ouvrait sur le devant. En face, sur une pente, s’étalait un cimetière. Quand il s’agit d’un cimetière et qu’il descend en pente, on dit que les tombes dévallent. On se trompe. Les tombes sont lourdes et d’ailleurs maçonnées. Même sur une pente, elles se tiennent immobiles comme les morts qui dorment en dessous. Elles ont la forme de presse-papier : on dirait aussi d’autres pressoirs, des pressoirs à morts, et ce qui dévalle est peut-être du jus. Cela n’a pas d’importance : le jus des morts fait pousser les arbres. »

Les arbres qu’il voyait à gauche montaient haut, parce que les tombes en dessous étaient vieilles. Il n’apercevait plus ces ruines. Entre les saules et les ifs, sa pensée ouvrait son ombrelle et faisait la belle dame comme dans un vrai parc. Les arbres de droite étaient frais, jeunes, un peu mesquins comme les regrets éternels qui les avaient plantés. Il voyait, par-dessus leurs branches, des pierres, des couronnes ou quelques lettres d’épitaphes. Entre autres, sur une chapelle, il pouvait lire : « Sépulture de la famille Chaudecuve. » Il y avait même le buste en marbre de ce M. Chaudecuve.

En somme, un beau cimetière : l’été, il sentait bon les roses ; il y venait au moins trois corbillards par jour.

De sa fenêtre, il regardait les gens qui marchent derrière les corbillards ; ce sont des gens qui pleurent. Il riait. Ailleurs, devant une autre fenêtre, il aurait vu d’autres gens, qui sait ? des gens qui rient, et sans doute eût-il ri. Il aimait rire, mais cela ne se voyait pas : il riait à l’intérieur, il riait triste.

Il avait été riche, il était presque pauvre. Être riche et puis pauvre, cela arrive lorsqu’on est orphelin ; qu’on a, qui vous éduque, une bonne bigote de tante ; que les Pères Jésuites vous ont appris leur latin de collège ; et qu’ensuite votre bonne vieille bigote de tante vous envoie, dans la vie, goûter aux études universitaires. Il suffit d’être simple et de regarder, pour la première fois, une femme. Il avait eu des femmes comme on a des poux : à vous sucer du sang ; il ignorait l’hygiène qui vous lave des femmes.

À vingt-cinq ans, peut-être est-ce pour cela qu’il riait triste ? Il n’avait d’ailleurs plus que d’un tiers ou d’un quart sa maîtresse.

Presque pauvre, il était pourtant riche de certaines choses : il possédait un bahut et, dessus, une tête de mort. Il possédait pour cette tête une vieille pipe, à lui fourrer entre ses molaires de tête de mort. Il possédait le lit où l’on se couche, le fauteuil où l’on rêve. Il possédait une seconde armoire avec des livres. Il possédait aussi, en plâtre, des Vénus, une Victoire, puis sur la croix un Christ, parmi ses autres plâtres.

Vous devinez l’artiste. Du moins de l’artiste il portait les cheveux. Écrivain, il essayait. On peut dire qu’il étalait beaucoup de papiers sur sa table.

Il gagnait, au surplus, sa vie. À neuf heures il partait au bureau ; il en sortait à onze, déjà libre. Il touchait pour cette promenade cent francs par mois : un bel emploi quand on n’est pas de la race des domestiques. Il avait payé pour l’avoir ; il avait dit à son patron : « Il me reste dix mille francs, placez-les dans vos affaires. » Il se trouvait ainsi de moitié son propre patron.

Pour finir : il s’appelait Henry Boulant. Le nom de son père, le nom de son grand-père, le nom qu’il eût donné à ses enfants. C’était, en somme, un nom. Il n’y avait pas là de quoi être bien fier.

Un jour, au bas d’une lettre, il écrivit ce nom…

… La lettre était signée.

Les autres annonçaient : « Jules » ou « Victor » ou le « Bel Anonyme ». Celle-ci : « Henry Boulant ».

Il disait : « Madame, je vis seul. Comme vous un ami, je cherche une amie pour me promener le dimanche. » Il se dépeignait : « J’ai vingt-cinq ans, je ne suis pas beau, on me dit très doux. » Il donnait son adresse.

Une adresse inspire confiance. Elle déchira les autres lettres. Elle répondit : « Monsieur, comme vous me le proposez, je viendrai chez vous, dimanche vers dix heures. » Elle signa : « Montre or : 36739. Poste restante. »

Le samedi soir, en rentrant, elle sentit dans les jambes une grande fatigue. Elle avait piqué beaucoup de chemises. Elle réfléchit. Vingt-cinq ans pour un jeune homme, c’est peu, quand la femme en a presque trente. Et puis Forest, si loin ! Peut-être qu’elle n’irait pas. Tant pis, elle n’alla pas.

Le mardi, cependant, elle eut l’idée de passer par la poste. On lui remit une lettre : « Mademoiselle, que vous est-il arrivé ? Je vous ai attendue toute la journée. Je suis inquiet. Seriez-vous malade ?… »

Non, elle n’était pas malade. Il fallut bien répondre. Elle expliqua. Un peu de fatigue dans les jambes. Le repos l’avait remise. Alors, s’il le voulait, ils pourraient se voir le prochain dimanche. Elle signa de son nom : Marie Guillot. Elle ajouta l’adresse…

Il vint un mot : « Mademoiselle Marie, je suis content de connaître votre nom. J’aime qu’une femme s’appelle Marie. J’espère que votre jambe ne vous fait plus souffrir… Comme je vous aurais soignée, si je vous avais connue. Nous aurons perdu huit jours. Peut-être en est-il mieux ainsi : nous avons pu nous écrire. Quand nous nous verrons, nous serons déjà des amis… N’est-ce pas, Mademoiselle Marie ? »

Il écrivait comme on parle. Elle commença une réponse : « Monsieur Henry. » Comme il s’était dépeint, elle essaya de se dépeindre. Elle avait oublié d’indiquer qu’elle était lingère. Ensuite, elle voulut parler de son corps. Elle avait peur maintenant. Quelquefois, à se regarder dans une glace, son corps lui paraissait lourd. Après, elle se rassurait : « Mais non… évidemment je ne suis pas mince, pourtant je ne suis pas grosse. » Cela fit sur le papier une phrase à ratures : « Monsieur Henry, je dois vous dire que je suis grosse sans être très grosse ; mais, tout en étant grosse, je ne suis pas trop grosse… »

Le dimanche, il vint une autre lettre : « Chère Mademoiselle Marie. Depuis votre dernier mot, il me semble vous connaître déjà. Je vous devine… je suis impatient de voir si j’ai deviné juste… Venez sans crainte, venez tôt. Nous ferons une jolie promenade. Après, nous dînerons dans un restaurant que je sais… »

Elle partit. Elle avait sa belle jupe et son corsage à paillettes, comme au temps de François. Également ses trois bagues et sa montre avec sa chaîne en sautoir. Elle était curieuse.

Pourtant quand elle vit le cimetière, elle eut peur. N’est-ce pas pour un piège qu’on attire les femmes devant un cimetière ? Bah ! Elle y était, elle verrait bien.

— Monsieur Henry Boulant ?

— Ici, Madame, au premier.

Elle n’eut pas le temps de monter. Il ouvrait déjà sa porte. Il fit :

— Soyez la bienvenue, Mademoiselle Marie…

Il était maigre, les cheveux longs. Il avait une belle redingote, mais les jambes du pantalon s’effilochaient par le bas. Elle pensa : « Pauvre garçon. »

Il offrit un fauteuil et prit pour lui une chaise — à distance. On lui aurait donné plus que son âge, peut-être à cause des cheveux. Des cheveux longs vieillissent un homme. Il semblait avoir peur ; elle aussi avait un peu peur. Elle essaya de sourire. Alors il trouva :

— Mademoiselle Marie, je suis content que vous soyez venue…

Il voulut savoir si sa jambe allait mieux, quel tram elle avait pris. Elle avoua en montrant les tombes :

— Vous savez, à cause de cela, j’ai failli repartir.

Il parut surpris.

— Mademoiselle Marie, on prend vite l’habitude des morts ! Vous voyez, moi je loge ici…

Elle regarda : des murs sans papier, la table de travers, des statues cassées, on n’aurait pas dit une chambre. Ce qu’il avait de beau, c’était une belle armoire. Mais elle n’aurait pas mis une tête de mort là-dessus. Il suivait ses regards :

— Ça une Vénus, là une Victoire.

Elle dit :

— Vous avez quelque chose d’écrit sur votre mur.

— Oui, Mademoiselle, des vers…

Puis il la mena devant sa fenêtre. Il faisait plein soleil dans le ciel bleu. Le beau temps avait l’air de faire partie de sa chambre : elle en semblait plus grande.

Il dit :

— Mademoiselle Marie, pour un premier jour, nous avons de la chance. Si cela vous plaît, nous allons faire notre promenade.

Il commença par le cimetière. Il y marchait comme chez lui. C’est drôle : elle oublia tout de suite qu’elle se trouvait parmi des morts. On y voyait beaucoup de fleurs. Autrefois, au temps de François, elle avait appris à donner leur nom aux fleurs. Elle fit :

— Tiens, des balsamines. Oh ! un cognassier du Japon !

— Je vois, dit-il, que vous connaissez la botanique.

Elle répondit :

— J’aime beaucoup les fleurs.

Ils sortirent du cimetière, ils allèrent plus loin. Il poussait sur les haies d’autres fleurs, il en poussait dans les champs. Ils allaient côte à côte, pas trop près comme quand on ne se connaît pas encore, assez près cependant puisqu’ils se connaîtraient bientôt.

Elle s’arrêta pour regarder un hanneton.

— Mademoiselle Marie, voulez-vous que je vous prenne ce hanneton ?

Pour un jeune homme, ce sont de vilaines bêtes. Il avança des doigts qui avaient peur. Quand il l’eut décroché, elle fut contente parce qu’un homme avait pour elle surmonté sa peur…

Il dit ensuite.

— Mademoiselle Marie, si cela vous plaît, voici le restaurant.

Avec ses tables bien mises, ses nappes toutes blanches, le garçon qui vous sert, le restaurant est une fête qui vous reçoit dans un décor de fête. Et puis, les bonnes choses que l’on mange ! Autrefois, au temps de François, elle se permettait souvent de ces fêtes ! Elle raconta. Elle n’avait pas toujours été lingère ; elle avait eu dans sa vie un Monsieur très bien : il s’appelait François. Il dit :

— J’ai vu ça tout de suite que vous étiez une dame.

On apporta du poisson, on déboucha du vin. Justement, avec le poisson, elle adorait le vin. Elle dit :

— Je ne veux pas m’en cacher, mais avec du poisson, il faut un peu de vin.

On servit de la viande. Et justement comme le poisson, elle adorait la viande. Il expliqua : il était écrivain… Écrire, c’est composer des livres pour plus tard… Malheureusement on fait des bêtises, sinon…

Elle dit :

— Dans ce monde, qui n’a pas fait sa bêtise ? Prenez encore un morceau de viande.

Il vint du poulet. Le poulet prouve qu’on s’y entend à découper une volaille. Et puis, franchement, elle adorait la volaille.

— Monsieur Henry, laissez-moi faire. Je veux que vous mangiez cette cuisse ; c’est le meilleur.

— Je n’en ferai rien, Mademoiselle Marie ; permettez que je vous la passe…

— Alors, encore un peu de cette bonne sauce.

Elle adorait aussi les bonnes sauces…

On servit du homard et, sans mentir, ce qu’elle adorait par-dessus tout, c’était précisément le homard :

— Monsieur Henry, je suis bien contente de n’avoir pas eu peur du cimetière.

Il répondit :

— Mademoiselle Marie, vous me regardez avec de bien beaux yeux, par-dessus ce homard.

Il y eut ensuite des fraises, et, après, le café que l’on boit avec des liqueurs qui ont encore un goût de fraises. Elle qui adorait les fraises !

Elle lui souriait par-dessus la table. Il dit :

— Mademoiselle Marie, en votre honneur, je vais brûler un bon cigare.

Et justement, hum ! elle adorait les bons cigares… Elle dit :

— S’il n’y avait pas tout ce monde, je risquerais une cigarette.

Tant pis, elle risqua une cigarette…

Après, il s’ouvrit dans le cœur de Marie un petit œil pour voir. Il avait réclamé la note : il tira un billet qu’on eût dit préparé d’avance et qui vint seul, sans doute parce qu’il était le seul. Elle pensa aux franges de la culotte. Elle songea : « Pauvre garçon ! »

Ils sortirent.

Ce vin qu’on adore, le poisson qu’on adore, le homard qu’on adore, elle en était au point où, du temps de François, vite on rentrait en voiture compléter ce qu’elle appelait son dessert. Il ne l’eût pas choquée à parler des choses de ce dessert. Elle s’étonnait : « C’est drôle ! nous avons mangé ensemble, il m’a fait sur mes yeux un beau compliment, et il ne me touche même pas… »

Un peu plus loin, il osa. Ils marchaient dans un chemin, le long d’un mur, sous des arbres. Il ne passait personne. Il se rapprocha : « Marie », et avec ses lèvres qui prononçaient « Marie » la toucha dans le cou, juste à l’endroit où elle était si sensible. Elle devint comme une fleur qui attend qu’on la cueille. Elle répondit : « Chéri » ; elle l’étreignit à son tour. Puis elle regarda : là le mur… là cet arbre… ici tout le chemin. Elle pensa que plus tard s’ils pouvaient bien s’aimer, le chemin s’appellerait « le chemin des baisers ».

— Et maintenant, dit-il, si vous le voulez, nous rentrerons nous reposer un peu.

Ce baiser ! Elle en était encore plus au point où du temps de François… À rien, elle n’eût répondu non. Quand ils furent chez lui, il l’embrassa, en effet, à la place de tout à l’heure, dans le cou. Mais aussitôt, il s’écarta :

— Prenons garde, Marie, nous pourrions faire des bêtises.

Ils se retrouvèrent, comme le matin, elle dans le fauteuil, lui sur une chaise. Il montra sa table.

— Vous voyez ces papiers : c’est là-dessus que je travaille.

Elle aurait préféré qu’il parlât d’autre chose : on parle de baisers, on parle de l’amour, on parle du corps qui sert à l’amour. Elle essaya. Les mots disent mal ce qu’ils pensent :

— Vraiment, vous n’avez pas été déçu en me voyant ?

— Non, Marie, au contraire, je suis très content…

Elle réfléchit :

— Mais… ne trouvez-vous pas que je suis un peu trop grosse ?

— Marie, vous m’avez écrit là-dessus une drôle de phrase : je vous aimais déjà depuis cette phrase. Non, vous n’êtes pas trop grosse…

Alors elle osa davantage :

— Oui, comme vous me voyez dans ma robe… Mais que direz-vous quand vous me verrez sans ma robe ?

Elle ne l’avait pas fait exprès ; pourtant sa question voulait une réponse :

— Et quand vous verrai-je sans votre robe ?

Elle pensa : « Pourquoi pas tout de suite ? »

Elle le dit.

Ils passèrent dans l’autre chambre. Il n’avait rien préparé :

— Marie, ne regardez pas trop ma chambre…

— Mais non, fit-elle, je sais bien quand on vit seul ce que c’est qu’une chambre…

— Marie, dit-il ensuite, je suis honteux de mon lit.

— Mais non, tu vois, je suis déjà couchée…

Elle était, en effet, couchée.

— Marie, dit-il alors, fermez les yeux en attendant que je vienne.

Elle ferma les yeux. Le drôle de petit bonhomme. Elle l’enlaçait, qu’il tremblait encore. Elle dut le calmer :

— Ne t’énerve pas, chéri, ne t’énerve pas…

Après, elle songea : ils auraient peut-être mieux fait d’attendre. C’est bon le désir qui attend. Il y aurait eu des promenades : il y aurait eu des baisers, d’autres doigts vers les hannetons qui font peur. Et puis attendre, cela vous attache, paraît-il, un homme. Elle n’avait pas calculé : sa vie ne lui avait pas donné l’habitude de ces longues attentes.

Le soir, il la mena jusqu’à sa porte. Il supplia : « Marie, ne me laisse pas seul, cette nuit. » Elle ne voulait pas d’abord.

Elle avait un beau lit, beaucoup plus moelleux que le sien. Il s’y coula, il se fit aussitôt un coin entre ses deux bras de femme où c’est la place de l’homme. Il était maigre, il était frêle : il avait quelque chose d’un petit enfant.

Le matin, il fallut bien, elle le réveilla tôt pour qu’il parte. Le lundi on redevient lingère.

Elle le regarda partir. Il se retournait : ses cheveux sur ses oreilles pendaient comme des oreilles tristes de caniche. Vraiment un drôle de petit bonhomme.

Il avait dit : « C’est long, une semaine sans Marie. » Elle reçut des lettres. Une première disait : « Je suis rentré : comme j’étais seul ! Tu sais, ton boa, une petite plume s’en était détachée par terre ; je l’ai ramassée, je la garde en amour de toi. » Il était inquiet : « Marie, je rêve… Il me semble que tu ne pourras pas m’aimer ; moi, on ne m’a jamais aimé. » Il disait encore : « Marie, tu es ma maîtresse ; mais aussi, tu seras beaucoup ma maman. J’étais trop jeune, quand j’avais une maman… »

Il y a des mots. C’est à cause de ces mots que l’on aime.

Elle ne voulut pas attendre le dimanche. Elle le surprit un soir. Devant sa table, il écrivait :

— Oh ! Marie !

Elle fut maman. Dans un coin, elle trouva du linge : des camisoles percées, des chaussettes à trous, des serviettes d’un noir ! En tas. Cela puait. Pauvre garçon !

C’est à cause de ces misères que l’on aime.

Elle partit :

— Viens tôt dimanche.

Elle l’attendait. Il trottinait : de sa belle redingote les pans voletaient et, sur sa tête, ses longs cheveux d’artiste. Ils avaient maintenant leur premier jour en souvenir. Ils plaisantèrent :

— Comme nous étions sérieux, Marie.

À cause de ses boucles, elle l’avait pris d’abord pour un chef d’orchestre.

— Moi, tu avais écrit : « Je suis lingère. » Alors, j’attendais une petite lingère, tu sais, de petites bottines, une petite robe, pour trois francs cinquante de petit chapeau. Et, au lieu de cela, quelle madame !

— Oui, mais un peu grosse…

— Oh ! sans être trop grosse…

— Tout en étant grosse.

On mit la table. Elle l’avait montré : elle s’entendait à découper un poulet ; elle s’entendait de même à le rôtir : la preuve en fut faite. Il y eut aussi le café, puis le dessert — à la façon de Marie.

Après, elle devint sérieuse. Elle avait réfléchi. Quand on s’aime, on est nu : le corps et l’âme. Son corps était là ; son âme : voici. Elle fit :

— Écoute, il faut, dès les premiers jours, que tu saches…

— Elle commença par Hector et sa petite Yvonne. Elle dit Monsieur, puis Vladimir. À Londres, il y eut surtout d’Artagnan. Ensuite le Grand Neuf. Elle racontait cela comme des choses qu’on regrette à présent. Elle pleurait ; il l’embrassait : « Ma pauvre Marie. »

Quand ce fut tout :

— C’est drôle, Marie, après ce que tu m’as dit, il me semble, je vais t’aimer comme un fou.