Histoire d’une Marie/p1/18

La bibliothèque libre.
F. Rieder et Cie, éditeurs (p. 135-137).
◄  XVII.
I.  ►


XVIII



Après, que fit Marie ? Au Grand Neuf ? Hors de la Société où sont les mecs à toge ? Elle y pensa. Madame lui avait promis : « Blanche, quand tu voudras… » Mais redevient-on « Blanche » quand on a repris « Marie », mieux « Petite-Marie » ?

François le disait : « Tu n’étais pas faite pour ce genre d’existence. » Elle devait à François plus que ses meubles ; quelque chose qu’on aurait dû lui donner dès l’enfance : un métier. Avec une machine à coudre votre métier est lingère. Alors, voilà, elle serait lingère.

Où l’on t’a porté sans la couronne de Marie, dors en paix, François. Peut-être un noceur, peut-être usé par la vie, mais l’homme est un saint, François, qui d’une femme indolente dans un lit, fait une femme attentive à l’aiguille de sa machine à coudre.

Elle l’avait remarqué : on découvre dans les journaux la dame qui demande : lingère peu exigeante pour raccommodage ; la dame qui demande : lingère très expérimentée pour chemises d’homme. Raccommodages, trousseaux, chemises, Marie connaissait la besogne. Sa tâche le matin l’attendait. C’était dans une annexe, ou dans la véranda, d’autres fois, où il fait plus triste, dans les sous-sols près de la cuisine :

— Bonjour, Madame. Voici une pièce de toile, calculez bien, vous en tirerez douze chemises. Voici des mouchoirs à ourler. Regardez ces pantalons, ils étaient neufs : les blanchisseuses ne respectent rien avec leur chlore.

— Bien, Madame.

Elle travaillait. Culottes, mouchoirs, chemises, elle avait toujours ce besoin qu’on fût satisfait de sa besogne.

On l’appréciait. Une dame a rencontré le malheur et, avec des ciseaux et du fil, tâche de se refaire une existence. C’est louable, on en profite. Au bout de la journée, après douze heures de linge, on lui remettait deux francs cinquante. Ceux qui étaient bons allaient jusqu’à trois :

— Oh ! merci, Madame !

Le soir elle retrouvait ses meubles. Ils étaient beaux, en chêne, avec des glaces qui reluisent. Sur la cheminée, en portrait, François debout, une main en poche, tel qu’il aimait se tenir. Elle avait mis un crêpe autour du cadre. Pauvre homme, n’était-elle pas un peu sa veuve ? Elle pensait à lui. Il y avait dans sa vie une époque : au temps de François.

Il était mort au mois d’août… Ce fut l’automne, la vraie saison des veuves : le ciel qui pleure, les arbres qui s’effeuillent, des chrysanthèmes que l’on porte, par un jour de brouillard, sur une tombe. Elle savait où reposait François.

Ci-Git
Monsieur François Sonveur
mort à l’âge de 45 ans
R. I. P.

… Il n’y eut que ses fleurs.

Ce fut l’hiver. Le premier jour de l’an : les autres s’amusent ; seule, on est triste. Puis la pluie, la neige : le soir, elle rentrait vite ; elle ferait un gros feu dans sa chambre.

Ce fut le printemps : les feuilles qui font signe, des odeurs de campagne, des couples que l’on remarque quand on n’est pas de ce couple. Cela vous fait quelque chose. Elle pensait aux promenades, elle pensait à François, elle pensait aux promenades que l’on pourrait faire comme au temps de François…

Alors, un matin, dans un journal, on put lire des paroles :

« Dame désintéressée désire rencontrer Monsieur
pour se promener le dimanche. »