Histoire d’une famille de soldats 2/6

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Delagrave (p. 71-82).


CHAPITRE VI

à travers la poudre


Alger était donc à nous ! Le drapeau tricolore, surmonté du coq gaulois, flottait sur ses murailles. Le coq gaulois, pour la monarchie d’Orléans, remplaçait l’aigle du Premier Empire.

La puissance des Deys avait — du fait de l’occupation de leur capitale — reçu un coup irrémédiable ; l’objectif principal de l’expédition semblait donc atteint, puisque la sécurité des mers était assurée.

Mais un simple coup d’œil jeté sur la carte vous démontrera, mes enfants, mieux que ne pourrait le faire une longue explication, combien la situation du corps d’occupation était précaire malgré son beau succès.

Alger n’est point l’Algérie ; c’était certes un point d’appui, une excellente base d’opérations, mais le plus fort restait à faire.

En effet, si le Dey Hussein n’existait plus, s’il était parti en exil à Naples, en même temps que son vainqueur, Charles x, partait en exil pour l’Angleterre, il restait encore, sur tout le territoire algérien, les Beys, lieutenants de Hussein. Or, ceux-ci n’avaient point désarmé : ils commandaient à des populations animées contre notre pays des sentiments les plus hostiles, et imbues de ce fanatisme musulman qui leur eût suffi, à défaut de patriotisme, pour nous faire une guerre à mort.

Ces Arabes ne défendaient pas seulement leur sol, ils croyaient encore de leur devoir de combattre en nous des chrétiens, des roumis, comme ils nous appelaient.

C’était donc à la fois une guerre d’indépendance et une guerre de religion, poussée jusqu’au fanatisme, qu’ils allaient entreprendre contre nous.

Vous avez peut-être, mes enfants, de grands frères qui ont pris part à nos guerres coloniales actuelles : au Tonkin, à Madagascar, au Soudan.

Peut-être les avez-vous écoutés avec une attention admirative, lorsqu’ils racontaient, autour de la table de famille, les péripéties de leurs luttes et de leurs combats.

Eh bien, si rudes qu’aient été leurs épreuves, soyez sûrs que les conquérants de l’Algérie durent en subir de plus dures encore.

À cette époque, en effet, les progrès scientifiques adaptés aujourd’hui à la guerre, n’existaient pas. On en était encore au fusil à pierre, au canon de bronze se chargeant par la gueule, comme sous le Premier Empire.

Le service médical, malgré le dévouement de ceux qui le composaient, ne possédait ni les antiseptiques, ni les fébrifuges connus aujourd’hui ; or, de tous les ennemis, la fièvre est peut-être, pour le soldat en expédition coloniale, le plus redoutable des dangers.

Les Arabes étaient il est vrai mal armés, sans discipline ; mais ils avaient — pour eux le nombre, la connaissance de leur sol et surtout l’accoutumance du climat.

Enfin il surgit au milieu d’eux — ainsi qu’il arrive parfois chez les peuples aux heures de crise — un grand chef, l’Émir Abd-el-Kader, qui trouva moyen de les discipliner, en partie du moins, et qui fut pour nous un adversaire tout à fait redoutable.

Ajoutez à cela les difficultés pendantes en Europe et qui, détournant le gouvernement français de l’attention continue qu’il eût dû porter aux choses de l’Algérie, le prédisposaient à n’agir qu’avec lenteur au lieu de porter tout de suite un coup décisif.

Et vous ne serez pas étonnés que la conquête proprement dite de l’Algérie ait nécessité, de la part de nos généraux et de nos soldats, trente années d’efforts continus et une somme de bravoure invraisemblable.

Ce qui est certain, c’est que notre ami Henri Cardignac ne fut pas le dernier à donner de sa personne : de 1830 à 1836, c’est-à-dire en six ans, il ne revint en permission en France qu’une seule fois, en 1832, en congé d’un mois, et dans des circonstances particulièrement tristes, car c’était pour rendre à ses grands parents, Jacques et Catherine Bailly, les derniers devoirs.

L’ancienne cantinière de la 9e demi-brigade avait été, ainsi que son mari, emportée en deux jours par l’horrible épidémie de choléra qui sévit cruellement, cette année-là, à Paris et dans plusieurs grandes villes de France.

Le père de Henri, le colonel Cardignac, sa bonne mère Lise et son frère Jean avaient heureusement échappé à ce terrible fléau.


Lieutenant de chasseurs d’Afrique.

Entre temps, Jean, l’artilleur, avait, lui aussi, reçu le baptême du feu.

Il avait fait partie de l’expédition envoyée en Belgique pour aider ce pays à conquérir son indépendance sur les Hollandais. Jean avait pris part au siège d’Anvers et en était revenu sans blessure.

Rentré dans sa garnison, après cette courte campagne, il consacrait à la science tous les instants que lui laissait son service. Pour le moment il s’adonnait, de concert avec un ingénieur de ses amis, à des recherches sur l’application de la vapeur.

C’était maintenant un grand jeune homme au visage grave, aux traits sérieux.

Sa moustache blonde avait poussé, comme celle de son frère Henri, dont le brillant uniforme et le teint hâlé faisaient l’admiration du colonel.

Les deux frères avaient le double galon d’or sur la manche : Jean avait gagné son nouveau grade au siège d’Anvers ; Henri, à la première attaque du col de Mouzaïa ; et notre camarade était maintenant lieutenant aux chasseurs d’Afrique.

Ce régiment, nouvellement formé, devait fournir une bien glorieuse carrière. Il n’était du reste pas la seule nouveauté introduite par les nécessités de la guerre d’Afrique dans l’armée française, car un corps spécial d’infanterie avait été créé en même temps : le bataillon des zouaves.

Formé en 1830, à l’aide d’indigènes qui avaient fait leur soumission et qui, pour la plupart, provenaient d’une tribu nommée tribu des Zouaoua d’où venait son nom, ce bataillon, équipé avec un uniforme genre arabe, peu différent du costume actuel, avait d’abord excité la verve ironique des troupes françaises.

Mais le 4 octobre 1830, au cours d’un combat contre le Bey de Titteri, ce nouveau bataillon avait accompli des prodiges ; aussitôt, l’ironie fit place à l’admiration et ce fut, chez tous les officiers, à qui réussirait à se faire détacher aux zouaves.

Telle est l’origine de ce corps héroïque qui comprend aujourd’hui, vous le savez, quatre superbes régiments et qui, pour n’avoir que cinquante-huit ans d’existence, possède certainement les plus beaux états de service de toutes les troupes du globe.

Quant à la cavalerie nouvelle, elle avait compris un escadron d’indigènes sous la dénomination de chasseurs algériens. À leur tête Se trouvait un Turc, né de père Français, nommé Yusuf, brillant aventurier et cavalier admirable. Les chasseurs algériens devaient être, peu après, le noyau des spahis, évocation des anciens mameluks.

Enfin, les chasseurs de l’armée de débarquement avaient été transformés en un premier régiment de chasseurs d’Afrique, puis un second avait été créé ; car, au fur et à mesure des besoins, le nombre des régiments devait être augmenté.

Il est de six aujourd’hui.

Ce fut aussi vers la même époque que furent créés des régiments de « tirailleurs algériens ou turcos » et la « Légion étrangère ».

Celle-ci était composée, comme son nom l’indique, d’étrangers, déserteurs ou aventuriers de tous les pays, qui, poussés par le goût du pittoresque et de l’imprévu, venaient prendre du service en Algérie et ne restèrent pas en arrière au moment du danger.

Aujourd’hui, cette légion dédoublée comprend deux régiments, et, parmi les étrangers qu’elle reçoit, il en est qui ont droit à toute notre affection : ce sont nos frères d’Alsace-Lorraine qui, ne pouvant se résoudre à revêtir l’uniforme prussien, viennent servir la France qu’ils regardent toujours comme leur seule patrie.

Par ce rapide aperçu, vous connaissez, mes enfants, l’origine des corps de notre admirable armée d’Afrique. Ses uniformes ont relativement peu changé, sinon dans les détails, pour les turcos, les zouaves et les spahis ; mais il n’en est pas de même pour les chasseurs d’Afrique.


Un zouave.

À leur formation, en 1831, ils portaient la tunique bleu de ciel à longue jupe, avec collet jaune, et le haut képi rigide en drap rouge. Deux escadrons par régiment étaient armés de la lance et coiffés d’un képi à visière, rappelant l’ancien schapska des lanciers ; mais les chasseurs lanciers durèrent peu.


Chasseur lancier d’Afrique.

Les officiers portèrent, dès la formation, le joli spencer bleu à brandebourgs noirs qui fut ensuite adopté pour les hommes. Pour ceux-ci, le bonnet de police carré était remplacé par la chéchia arabe, rouge à gland bleu.

Quant aux généraux qui commandaient ces belles troupes, on les avait choisis pour la plupart parmi ceux qui, autrefois, avaient fait la campagne d’Égypte sous Bonaparte. Du reste, (et vous vous en rendrez compte quand, plus tard, vous lirez les détails de la conquête de l’Algérie, dans l’histoire qu’en a écrite Camille Rousset), l’idée de se modeler sur la campagne de Bonaparte a hanté les divers commandants supérieurs qui se sont succédé en Algérie, ainsi que les ministres de la guerre et le gouvernement tout entier.

Au surplus, pouvait-on choisir meilleur modèle ? De fait, c’est également sur les récits de son père, ancien « Égyptien », que se modelait Henri Cardignac.

Son congé terminé, notre ami venait de débarquer à Alger. La ville, sous l’impulsion du gouverneur et grâce au génie militaire, commençait à se transformer, à s’assainir. Henri constatait avec plaisir cet heureux et prompt changement, lorsqu’il se croisa avec Goelder qui venait au-devant de lui.

— Ma liétenant, dit le maréchal des logis, fus arrifez à bic !

— Comment cela, mon brave !… Le régiment part ?

— Non, ma liétenant, bas le réchiment, mais fous, moi et cinq maréchaux tes lochis. L’ortre du Gouferneur il être arrifé ce matin.

— Ah bah ! Et nous allons ?…

— À Arzew ! Aux spahis, afec Yusuf !

La physionomie du lieutenant s’éclaira.

— Bravo ! s’écria-t-il ; il me va, ce Turc : c’est un vrai chef de cavalerie !

C’était vrai. Malgré ses défauts multiples, malgré son ostentation et sa pose un peu vaniteuse, jamais homme ne fut mieux taillé que Yusuf pour la guerre à cheval en Algérie.

Il possédait, avec le coup d’œil, la connaissance profonde de l’ennemi qu’il avait à combattre ; de plus, il joignait à cela une audace parfois téméraire qui, par sa témérité même, réussissait souvent.

Audaces fortuna juvat, dit le proverbe latin, et il s’adaptait bien à ce beau sabreur qu’était Yusuf.

Henri, qui avait, lui aussi, la bravoure plutôt bouillante, fut donc enchanté de ce changement inopiné, d’autant qu’il s’y mêlait une pointe de coquetterie.

Les officiers des spahis portaient en effet l’uniforme arabe, étincelant, majestueux, et cela n’était pas pour lui déplaire.

Le malheur est que cet uniforme coûtait fort cher, parce que les officiers indigènes rivalisaient entre eux de splendeur dans leur tenue, et que les officiers français ne voulaient pas rester en arrière ; aussi dut-on, par la suite, afin de leur éviter des dépenses trop lourdes, remplacer ce coûteux uniforme par le spencer rouge et la large culotte bleue à plis.

Henri courut donc chez son colonel, reçut sa commission, et se rendit aussitôt chez un tailleur d’Alger qui lui fournit une superbe tenue arabe.

Le surlendemain, il embarquait pour Arzew, où il fut fort bien accueilli par son nouveau chef.


Lieutenant de spahis.

Il eut même le plaisir de retrouver aux spahis son ami Lakdar qui s’y était fait envoyer comme lieutenant, et à dater de ce jour, ils se quittèrent peu.

Le service était particulièrement rude. En dehors des reconnaissances, des escortes de convois, de la protection du train des équipages qui allait faire des fourrages, il fallait souvent se porter à la rencontre de l’ennemi qui nous enserrait, et qui, suivant l’expression consacrée, nous donnait du fil à retordre.

Ce furent des chevauchées épiques à travers la brousse, dans les plaines d’alfa.

Jamais un moment de répit ! Un danger de tous les instants, même la nuit.

Mais cette vie de mouvement, de grand air, accompagnée de coups de sabre, de coups de feu échangés, plaisait à Cardignac.

La chance du reste le favorisait toujours : il revenait sans une égratignure !

On eût dit que son triste début en Algérie l’avait rendu invulnérable, que la mort, qui l’avait frôlé de si près, ne voulait plus de lui.

Henri ne se ménageait pourtant pas dans cette campagne autour d’Oran, tantôt dans les marais de la Macta, tantôt sur les cimes des montagnes ; il ne ménageait pas non plus ses cavaliers arabes qui cependant l’adoraient.

Il s’était donné un but bien défini : prendre Abd-el-Kader. Ce n’était pas chose commode, et, à ce jeu-là, il faillit vingt fois y rester, car l’Émir était bien gardé !

Chef reconnu de toute l’Algérie insurgée, Abd-el-Kader était maintenant l’âme de la résistance.

Toujours à cheval sur les confins du Maroc, il se dérobait, lorsqu’on le serrait de trop près, pour revenir ensuite plus hardi, plus entreprenant, au milieu de ses guerriers, dont certains, qu’on nommait « les cavaliers rouges de l’Emir », s’étaient acquis une réputation justifiée de férocité autant que de bravoure.

Aussi la guerre s’éternisait, non seulement dans la province d’Oran, mais autour d’Alger et de Constantine.

Et les gouverneurs se succédaient, lançant vers l’intérieur du pays de nouvelles colonnes, qui glanaient de nouveaux lauriers, sans amener la pacification.

De la gloire, ah ! certes, mes enfants, chaque journée de la conquête compte de la gloire, même dans les insuccès ; car, dans l’armée française, on n’a jamais été vaincu sans honneur. Néanmoins, il faut bien reconnaître à chacun ses mérites et dire que nous n’avons pas toujours été victorieux.

Abd-el-Kader fut bien, à la longue, définitivement vaincu. Mais il a, lui aussi, sa part de gloire militaire dans la défense de son pays ; aussi nous nous honorons nous-mêmes, en disant qu’il fut un brave.

C’est ainsi qu’en juin 1835, il surprit, non loin d’Oran, dans les marais de la Macta, une colonne française, commandée par le général Trézel.

Henri qui commandait l’extrême pointe eut à subir les premiers coups de fusil.

C’étaient les fantassins réguliers de l’Émir qui, postés au haut de rochers abrupts, commençaient à tirer sur la colonne.

Leur première salve abattit cinq spahis et leurs chevaux ; les autres chevaux, effrayés, se cabrèrent ; il y eut un instant de confusion.

Énergique sous le feu, Henri rallia son monde, fit enlever en croupe trois des spahis qui n’étaient que blessés, envoya un cavalier prévenir à toute allure la colonne de ce qui se passait, et, posément, battit en retraite sous la fusillade.

Mais à peine avait-il rejoint le gros de la colonne française que le feu redoubla : les hauteurs étaient toutes occupées par l’ennemi.

Soudain, une charge à fond des cavaliers d’Abd-el-Kader arriva comme une trombe.


Il revint pourtant avec un trophée.

Il y eut un moment d’atroce panique.

Dans le tourbillonnement des burnous, au milieu des cris de guerre des assaillants, des coups de fusil à bout portant s’échangeaient ; les baïonnettes arrivaient à la parade des coups de yatagan ; des chevaux bondissaient à travers l’amoncellement des fantassins, écrasant, broyant, s’effondrant enfin, écharpés eux-mêmes, pris aux naseaux, à la crinière, par des mains crispées…

Les officiers réussirent pourtant à mettre un peu d’ordre dans cette cohue : on forma des carrés qui tinrent tête aux assaillants, pendant que le convoi, enlevant les blessés, s’éloignait péniblement à travers le terrain marécageux.

Puis un bataillon de « zéphyrs » fonça sur les Arabes et les repoussa ; le général, profitant de cette accalmie, commença la retraite.

Mais, hélas ! un retour offensif des cavaliers ennemis vint envelopper à nouveau la colonne qui rétrogradait.

Cette fois, ce fut abominable.

Cardignac, avec ses spahis, et le capitaine Riou avec ses chasseurs d’Afrique, couvraient le convoi des blessés. Pour sauver ces malheureux, il fallait des prodiges ; tous deux les accomplirent. Par leur attitude, par leur exemple, ils firent si bien que leurs hommes les imitèrent et soutinrent le choc pendant un bon moment.

Mais, sous l’effort de toute cette cavalerie, déchaînée comme un orage, des trouées se produisirent, et soudain les appels déchirants qui arrivaient du convoi firent comprendre à Henri que l’ennemi massacrait les blessés.

Alors une fureur l’empoigna. Sous ses coups d’éperon, son cheval sembla voler au-dessus du sol ; le sabre rougi que le jeune homme brandissait sembla dans sa main quelque chose d’irréel, tant ses moulinets étaient rapides. Hachant, sabrant, il parvint ainsi jusqu’aux voitures ; Goelder le suivait de près avec quelques spahis, et les Arabes intimidés rompirent.

Mais, à ce moment, les conducteurs du train, affolés, voulurent s’enfuir !

Leur chef, le maréchal des logis Fournié (son nom appartient à l’histoire), les menaça de les tuer s’ils lâchaient pied. Cardignac, pour l’exemple, fendit le crâne à l’un de ces poltrons. Devant cet acte de sauvage énergie, les autres obéirent.

Le convoi, moins les malheureux blessés achevés par l’ennemi, put enfin se remettre en marche, grâce à l’infanterie que le commandant de Maussion avait réussi, tant bien que mal, à reformer. On marcha alors pendant quatorze heures, sans cesse harcelés par les troupes d’Abd-el-Kader, et on finit par atteindre Arzew.

Hélas ! quand on fit l’appel, il y avait deux cent quatre-vingts manquants !… Sur les nombreux blessés, trois cent huit seulement avaient pu être sauvés, grâce à Cardignac.

Ce combat, qu’on nomme le désastre de la Macta, est un des plus graves que nous avons eu à soutenir pendant la conquête ; s’il ne le fut pas davantage, ce fut grâce à la valeur personnelle des officiers.

Henri, qui comme toujours en était sorti sans blessure, fut porté à l’ordre et proposé pour la croix ; mais il ne devait obtenir cette récompense que plus tard, à la retraite de Constantine.

Vous pensez, mes enfants, si le désastre de la Macta impressionna l’opinion publique en France ! Il eut du moins l’avantage d’attirer l’attention sur l’Afrique, et le fils du roi Louis-Philippe, le duc d’Orléans, obtint de son père l’autorisation de venir servir la France en Algérie.

C’était un gage de sollicitude donné par le roi à l’armée que de lui envoyer son fils : aussi, à dater de ce jour, s’occupa-t-on en haut lieu de mener au mieux les opérations.

Pourtant (pour employer une expression familière) ça n’alla pas tout seul.

On avait résolu d’atermoyer à Oran et de reporter l’effort sur Constantine. Ce fut le maréchal Clauzel qui organisa cette expédition.

Yusuf, rappelé d’Arzew, s’y trouvait déjà avec ses spahis, par conséquent avec Cardignac, qui prit part ainsi au premier siège de Constantine.

Malheureusement, l’effort tenté pour s’emparer de cette place avait été insuffisant.

Le siège dut être levé.

Une nouvelle retraite commença pour nous, retraite qui faillit, elle aussi, se transformer en désastre.

L’arrière-garde était sous les ordres du commandant Changarnier. Elle comprenait un bataillon d’infanterie, des chasseurs d’Afrique et quelques spahis que commandait encore Cardignac.

Soudain, une troupe de cavaliers arabes apparut, forte d’environ six mille hommes. Elle se déploya, prête à charger.

Heureusement Changarnier n’avait pas froid aux yeux.

Calme, souriant, imperturbable, il commanda :

— Formez le carré !

Puis il laissa approcher la trombe jusqu’à cent pas des faces et ordonna :

— Commencez le feu !

Ce fut un écroulement dans les premiers rangs des cavaliers : des cris, des malédictions retentirent ; mais, surprise, la masse s’arrêta net. Puis, brusquement, faisant volte-face, elle partit à toute bride.

Déjà, n’écoutant que son emballement, Henri, suivi seulement de quelques hommes, partait à la poursuite des Arabes ; mais heureusement pour lui, le gros des ennemis était loin, car il eût été écrasé sous le nombre.

Il revint pourtant avec un trophée : deux drapeaux et un prisonnier ; c’était un cheik blessé, qu’il avait pris de sa main.

— Eh bien ! mon brave lieutenant, vous n’y allez pas par quatre chemins lui dit Changarnier en riant. Savez-vous que je devrais vous flanquer aux arrêts pour avoir chargé sans mon ordre ?

— C’est ma foi vrai, mon commandant ; mais je rapporte de quoi me faire pardonner.

Le fait est que, le lendemain, sur le rapport du commandant, Henri Cardignac recevait, de la main du duc de Nemours, la croix pour laquelle il était proposé depuis déjà un an.

Quelques jours plus tard, le 1er novembre 1836, la colonne expéditionnaire rentrait à Bône, et notre camarade obtenait un congé. Il allait pouvoir embrasser sa mère, son vieux père, son frère, qu’il n’avait pas vus depuis quatre ans ! Il allait pouvoir leur montrer avec orgueil sa croix d’honneur, récompense de sa bravoure !

— Henri prit donc passage à bord du transport l’Aréthuse, et, fin décembre, il débarquait à Paris.