Histoire d’une grande dame au XVIIIe siècle, La comtesse Hélène Potocka/Introduction

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Calmann Lévy (2p. i-iv).

INTRODUCTION


Quand nous avons terminé le premier volume de l’Histoire d’une grande dame au XVIIIe siècle, notre intention était d’en rester là. L’abondance des documents qui nous ont été envoyés postérieurement nous a fait changer d’avis. Notes, lettres, renseignements, traditions de famille, rien ne nous a manqué. Il nous a semblé, en les lisant, que l’étude d’une passion si profonde et si vraie était curieuse à poursuivre. Il est rare de pouvoir ainsi explorer, pénétrer les replis secrets du cœur humain, non pas grâce à des confessions menteuses ou à des mémoires infidèles, écrits. pour l’édification de la postérité, mais grâce à des notes tracées chaque jour, sans suite et sans style, grâce à une correspondance qui embrasse vingt années et à des documents dont l’authenticité ne saurait être douteuse.

Ces éléments divers dormaient épars, dans cent endroits différents et une fois rassemblés, ils se sont servis mutuellement de correctifs et de contrôle.

La comtesse Hélène n’est pas une femme supérieure ; nous la savons instruite, intelligente, spirituelle, mais elle ne s’élève guère au-dessus de la moyenne aristocratique de son temps. Ce qui la distingue, c’est ce sentiment rare, profond, sincère qui résistera aux années et aux déceptions, qui lui donnera des forces imprévues pour supporter les privations, le dénuement, les pertes les plus cruelles. Et, chose étrange, cette passion a pour objet un homme inférieur en tout point à la femme qui l’adore, elle-même un jour, le jugera tel, on pourra croire que le charme une fois rompu, la passion va disparaître, il n’en sera rien. La plume qui la veille aura tracé le véridique portrait de ce mari médiocre et indigne, lui exprimera le lendemain, et dans quels termes brûlants ! l’amour qu’il méritait si peu.

La princesse Hélène n’a pas laissé de mémoires rédigés, sauf ses mémoires d’enfant

À parlir de son mariage, nous possédons seulement des notes elliptiques et incorrectes, assez semblables aux dépêches de nos jours. Non seulement il était impossible de les publier textuellement au point de vue de la forme, mais plus encore au point de vue de la clarté. Nous avons dû les rédiger, et c’est au prix d’un long travail et en lisant près de deux mille lettres d’Hélène, de son mari, de sa fille, de son gendre, de la comtesse Anna, du prince de Ligne et de bien d’autres encore, que nous sommes parvenu à démêler et à renouer tous les fils qui ont servi de trame à notre récit.

Il ne fallait pas songer davantage à publier intégralement la volumineuse correspondance de la comtesse et de son mari. Hélène n’est point une Sévigné ; d’ailleurs, ses lettres contiennent forcément quantité de détails d’affaires ou de vulgaires incidents d’intérieur qui n’offrent aucun intérêt. Nous avons dû en éliminer les trois quarts, et ne conserver que ce qui touche de près à notre héroïne ou à l’histoire de son temps : nous avons fait ces extraits avec beaucoup de soin et une scrupuleuse fidélité. En ce qui concerne l’histoire, nous laissons au comte et à la comtesse l’entière responsabilité de leurs appréciations, ils ont été, en général, témoins oculaires des faits qu’ils racontent où particulièrement intéressés à connaître la vérité ; ils nous fournissent des documents que nous mettons sous les yeux du public, c’est à lui d’en apprécier la valeur : Toutes les phrases placées entre guillemets sont textuelles.

Il nous reste à exprimer notre reconnaissance aux personnes qui ont bien voulu nous prêter leur concours, soit en nous communiquant des lettres et des documents, soit en nous donnant des renseignements de vive voix. Nous remercions en particulier M. Adolphe Gaiffe, dont la riche bibliothèque est aussi inépuisable que son obligeance, le prince de Ligne, le prince Czartoryski, le comte Alfred Potocki, le comte André Potocki, M. Walizewski, la comtesse Diodali, M. de Grot, le baron de Wilke, M. Lucien Faucou et enfin MM. les conservateurs de la Bibliothèque nationale et de celle de l’Institut, toujours si aimables et d’un secours si efficace pour les chercheurs.