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Histoire de France (Jacques Bainville)/Avant-propos

La bibliothèque libre.
Nouvelle Librairie nationale (p. 293-296).

AVANT-PROPOS



Si les lecteurs veulent bien le lui permettre, l’auteur de ce livre commencera par une confession. Quand il était au collège, il n’aimait pas beaucoup l’histoire. Elle lui inspirait de l’ennui. Et quand le goût lui en est venu plus tard, il s’est rendu compte d’une chose : c’est qu’il répugnait à la narration des faits alignés les uns au bout des autres. On ne lui avait jamais dit, ou bien on ne lui avait dit que d’une manière convenue et insuffisante, pourquoi les peuples faisaient des guerres et des révolutions, pourquoi les hommes se battaient, se tuaient, se réconciliaient. L’histoire était un tissu de drames sans suite, une mêlée, un chaos où l’intelligence ne discernait rien.

Est-il vrai qu’il faille enseigner l’histoire aux enfants sans qu’ils la comprennent et de façon à meubler leur mémoire de quelques dates et de quelques événements ? C’est extrêmement douteux. On ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait tuer l’intérêt. En tout cas, un âge vient, et il vient très vite, où l’on a besoin d’un fil conducteur, où l’on soupçonne que les hommes d’autrefois ressemblaient à ceux d’aujourd’hui et que leurs actions avaient des motifs pareils aux nôtres. On cherche alors la raison de tout ce qu’ils ont fait et dont le récit purement chronologique est insipide ou incohérent.

En écrivant une histoire de France, c’est à ce besoin de l’esprit que nous avons essayé de répondre. Nous avons voulu d’abord y répondre pour nous-même et, à cette fin, dégager, avec le plus de clarté possible, les causes et les effets.

Nous n’avons pas tenté une œuvre originale : on peut éclaircir l’histoire, on ne la renouvelle pas. Nous n’avons pas non plus soutenu de thèse. Nous nous sommes efforcé de montrer comment les choses s’étaient produites, quelles conséquences en étaient résultées, pourquoi, à tel moment, telle décision avait été prise plutôt que telle autre. Ce qu’on découvre, au bout de cette analyse, c’est qu’il n’est pas facile de conduire les peuples, qu’il n’est pas facile non plus de fonder et de conserver un État comme l’État français, et l’on en garde, en définitive, beaucoup d’indulgence pour les gouvernements.

Peut-être ce sentiment est-il la garantie de notre impartialité. Mais comment serions-nous de parti pris puisque notre objet est de présenter dans leur enchaînement les événements de notre histoire ? Nous ne pouvons la juger que par ses résultats. Et, comparant notre condition à celle de nos ancêtres, nous sommes amenés à nous dire que le peuple français doit s’estimer heureux quand il vit dans la paix et dans l’ordre, quand il n’est pas envahi et ravagé, quand il échappe aux guerres de destruction et à ces guerres civiles, non moins redoutables, qui, au cours des siècles, ne l’ont pas épargné.

Cette conception de l’histoire est simple. C’est celle du bon sens. Pourquoi juger la vie d’un pays d’après d’autres règles que celle d’une famille ? On peut écrire l’histoire à bien des points de vue. Il nous semble que l’accord général peut s’établir sur celui-là.

Les éléments d’un tel livre se trouvent partout. On demandera seulement s’il est possible, en cinq cents pages, de raconter, d’une manière à peu près complète, deux mille ans d’histoire de France. Nous répondons hardiment : oui. La tâche de l’historien consiste essentiellement à abréger. S’il n’abrégeait pas, — et la remarque n’est pas nouvelle, — il faudrait autant de temps pour raconter l’histoire qu’elle en a mis à se faire. Toutefois chaque génération a une tendance naturelle à donner plus d’importance à la période contemporaine qu’aux temps plus reculés. C’est la preuve que de grandes quantités de souvenirs tombent en route. Au bout de quatre ou cinq cents ans, on commence à ne plus guère apercevoir que les sommets et il semble que les années aient coulé jadis beaucoup plus vite que naguère. Nous avons tâché de maintenir une juste proportion entre les époques, et, pour la plus récente, puisque cette histoire va jusqu’à nos jours, de dégager les grandes lignes que l’avenir, peut-être, retiendra.

Nous ne voulons pas terminer cette brève introduction et confier ce livre au public sans dire quels sont les ouvrages que nous avons consultés avec le plus de fruit. Nous n’énumérerons pas ici tout ce qui est classique, ni tout ce qui est trop particulier. Nous dirons seulement que Michelet, dans son Moyen Âge, — en tenant compte des rectifications que Fustel de Coulanges et son école ont apportées sur nos origines, — reste digne d’être lu et donne en général une impression juste. À partir du seizième siècle, s’il est gâté par de furieux partis pris, ses vues sont encore parfois pénétrantes : c’est l’avantage et la supériorité des historiens qui ont du talent, même quand leurs théories sont contestables. Mais quel dommage que Sainte-Beuve n’ait pas écrit notre histoire nationale ! Ses Lundis et ses Nouveaux Lundis sont remplis de traits de lumière et c’est lui, bien souvent, dans une étude, dans un portrait, qui donne la clef de ce qui, ailleurs, reste inexpliqué ou obscur. Nul n’a mieux montré que l’histoire était de la psychologie.

C’est aussi de la politique, ce qui revient un peu au même. À cet égard, il faut réhabiliter le Consulat et l’Empire de Thiers. On a pris l’habitude de railler cet ouvrage. La mode en est passée. Mais ce qui est aussi passé de mode, c’est d’exposer les motifs et les intentions des hommes qui conduisent les grandes affaires et c’est pourtant ce qui importe le plus à la clarté des événements. On peut dire que Thiers y excelle. Avec un esprit plus philosophique, dans l’Europe et la Révolution française, Albert Sorel l’a seulement corrigé. Pour la Restauration et la monarchie de Juillet, l’œuvre de M. Thureau-Dangin est essentielle, comme celle de M. de la Gorce pour le second Empire. Enfin, pour les origines et les débuts de la troisième République (au delà de 1882, il n’y a encore rien), les quatre volumes de M. Gabriel Hanotaux sont infiniment précieux.

Nous nous en voudrions de ne pas citer, parmi les autres livres dont nous avons tiré profit, la Formation de l’Unité française, d’Auguste Longnon, et la grande Histoire de France de Dareste qu’Albert Sorel recommandait comme la plus honnête qu’on eût écrite de nos jours et qui s’arrête malheureusement un peu tôt. Il y a enfin, pour les personnes curieuses d’étendre leurs connaissances, trois ouvrages que nous ne voulons pas oublier. Chacun d’eux se place à un point de vue d’où l’on n’a pas l’habitude de considérer notre histoire, ce qui est un grand tort. Ce sont les points de vue diplomatique, maritime et financier. Le Manuel historique de Politique étrangère de M. Émile Bourgeois, le Manuel d’histoire maritime de la France de M. Joannès Tramond, l’Histoire financière de la France aux dix-septième et dix-huitième siècles de M. Marcel Marion, montrent bien des choses sous un aspect ignoré ou méconnu et, en plus d’un endroit, nous ont permis de trouver ce qui nous paraît le plus intéressant et le plus utile, ce qui anime l’inerte matière historique, ce que nous nous efforçons de dégager à chaque page : l’explication des faits.

J. B.