Histoire de France (Jacques Bainville)/Chapitre I

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Nouvelle Librairie nationale (p. 297-305).

CHAPITRE PREMIER

PENDANT CINQ CENTS ANS LA GAULE PARTAGE LA VIE DE ROME


Il y a probablement des centaines de siècles que l’Homme s’est répandu sur la terre. Au delà de 2.500 ans, les origines de la France se perdent dans les conjectures et dans la nuit. Une vaste période ténébreuse précède notre histoire. Déjà, sur le sol de notre pays, des migrations et des conquêtes s’étaient succédé, jusqu’au moment où les Gaëls ou Gaulois devinrent les maîtres, chassant les occupants qu’ils avaient trouvés ou se mêlant à eux. Ces occupants étaient les Ligures et les Ibères, bruns et de stature moyenne, qui constituent encore le fond de la population française. La tradition des druides enseignait qu’une partie des Gaulois était indigène, l’autre venue du Nord et d’Outre-Rhin, car le Rhin a toujours paru la limite des Gaules. Ainsi, la fusion des races a commencé dès les âges préhistoriques. Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation.

Unique en Europe, la conformation de la France se prêtait à tous les échanges de courants, ceux du sang, ceux des idées. La France est un isthme, une voie de grande communication entre le Nord et le Midi. Il y avait, avant la conquête romaine, de prodigieuses différences entre la colonie grecque de Marseille et les Cimbres d’entre Seine et Loire ou les Belges d’entre Meuse et Seine. D’autres éléments, au cours des siècles, se sont ajoutés en grand nombre à ceux-là. Le mélange s’est formé peu à peu, ne laissant qu’une heureuse diversité. De là viennent la richesse intellectuelle et morale de la France, son équilibre, son génie.

On dit communément que, dans cette contrée fertile, sur ce territoire si bien dessiné, il devait y avoir un grand peuple. On prend l’effet pour la cause. Nous sommes habitués à voir à cet endroit de la carte un État dont l’unité et la solidité sont presque sans exemple. Cet État ne s’est pas fait tout seul. Il ne s’est pas fait sans peine. Il s’est fait de main d’homme. Plusieurs fois il s’est écroulé, mais il a été rebâti. La combinaison France nous paraît naturelle. Il y a eu, il aurait pu y avoir bien d’autres combinaisons.

Harmonieuse à l’œil, la figure de notre pays est défectueuse à d’autres égards. Du côté du Nord et de l’Est, la France a une mauvaise frontière terrestre qui l’expose aux invasions d’un dangereux voisin. De plus, Flandres, Allemagne, Italie, Espagne, l’inquiètent, la sollicitent, l’écartèlent presque. Si elle possède l’avantage unique de communiquer avec toutes les mers européennes, elle a, en revanche, des frontières maritimes trop étendues, difficiles à garder et qui exigent un effort considérable ou un choix pénible, l’Océan voulant une flotte et la Méditerranée une autre. Si la France n’est pas dirigée par des hommes d’un très grand bon sens, elle risque de négliger la mer pour la terre et inversement, ou bien elle se laisse entraîner trop loin, ce qui lui arrivera à maintes reprises. Si elle n’a soin d’être forte sur mer, elle est à la merci d’une puissance maritime qui alors met obstacle à ses autres desseins. Si elle veut y être forte, la même puissance maritime prend ombrage de ses progrès et c’est un nouveau genre de conflit. Près de mille ans d’une histoire qui n’est pas finie seront partagés entre la mer et la terre, entre l’Angleterre et l’Allemagne. Ainsi l’histoire de la France, c’est celle de l’élaboration et de la conservation de notre pays à travers des accidents, des difficultés, des orages, venus de l’intérieur comme de l’extérieur, qui ont failli vingt fois renverser la maison ou après lesquels il a fallu la reconstruire. La France est une œuvre de l’intelligence et de la volonté.


À quoi devons-nous notre civilisation ? À quoi devons-nous d’être ce que nous sommes ? À la conquête des Romains. Et cette conquête, elle eût échoué, elle se fût faite plus tard, dans des conditions différentes, peut-être moins bonnes, si les Gaulois n’avaient été divisés entre eux et perdus par leur anarchie. Les campagnes de César furent grandement facilitées par les jalousies et les rivalités des tribus. Et ces tribus étaient nombreuses : plus tard, l’administration d’Auguste ne reconnut pas moins de soixante nations ou cités. À aucun moment, même sous le noble Vercingétorix, la Gaule ne parvint à présenter un front vraiment uni, mais seulement des coalitions. Rome trouva toujours, par exemple chez les Rèmes (de Reims) et chez les Éduens de la Saône, des sympathies ou des intelligences. La guerre civile, le grand vice gaulois, livra le pays aux Romains. Un gouvernement informe, instable, une organisation politique primitive, balancée entre la démocratie et l’oligarchie ; ainsi furent rendus vains les efforts de la Gaule pour défendre son indépendance.

Les Français n’ont jamais renié l’alouette gauloise et le soulèvement national dont Vercingétorix fut l’âme nous donne encore de la fierté. Les Gaulois avaient le tempérament militaire. Jadis, leurs expéditions et leurs migrations les avaient conduits, à travers l’Europe, jusqu’en Asie-Mineure. Ils avaient fait trembler Rome, où ils étaient entrés en vainqueurs. Sans vertus militaires, un peuple ne subsiste pas ; elles ne suffisent pas à le faire subsister. Les Gaulois ont transmis ces vertus à leurs successeurs. L’héroïsme de Vercingétorix et de ses alliés n’a pas été perdu : il a été comme une semence. Mais il était impossible que Vercingétorix triomphât et c’eût été un malheur s’il avait triomphé.

Au moment où le chef gaulois fut mis à mort, après le triomphe de César (46 avant l’ère chrétienne), aucune comparaison n’était possible entre la civilisation romaine et cette pauvre civilisation gauloise, qui ne connaissait même pas l’écriture, dont la religion en était restée aux sacrifices humains. À cette conquête, nous devons presque tout. Elle fut rude : César avait été cruel, impitoyable. La civilisation a été imposée à nos ancêtres par le fer et par le feu et elle a été payée par beaucoup de sang. Elle nous a été apportée par la violence. Si nous sommes devenus des civilisés supérieurs, si nous avons eu, sur les autres peuples, une avance considérable, c’est à la force que nous le devons.

Les Gaulois ne devaient pas tarder à reconnaître que cette force avait été bienfaisante. Ils avaient le don de l’assimilation, une aptitude naturelle à recevoir la civilisation gréco-latine qui, par Marseille et la Narbonnaise, avait commencé à les pénétrer. Jamais colonisation n’a été plus heureuse, n’a porté de plus beaux fruits, que celle des Romains en Gaule. D’autres colonisateurs ont détruit les peuples conquis. Ou bien les vaincus, repliés sur eux-mêmes, ont vécu à l’écart des vainqueurs. Cent ans après César, la fusion était presque accomplie et des Gaulois entraient au Sénat romain.

Jusqu’en 472, jusqu’à la chute de l’empire d’Occident, la vie de la Gaule s’est confondue avec celle de Rome. Nous ne sommes pas assez habitués à penser que le quart de notre histoire, depuis le commencement de l’ère chrétienne, s’est écoulé dans cette communauté : quatre à cinq siècles, une période de temps à peu près aussi longue que de Louis XII à nos jours et chargée d’autant d’événements et de révolutions. Le détail, si l’on s’y arrêtait, ferait bâiller. Et pourtant, que distingue-t-on à travers les grandes lignes ? Les traits permanents de la France qui commencent à se former.

Il est probable que, sans les Romains, la Gaule eût été germanisée. Il y avait, au delà du Rhin, comme un inépuisable réservoir d’hommes. Des bandes s’en écoulaient par intervalles, poussées par le besoin, par la soif du pillage ou par d’autres migrations. Après avoir été des envahisseurs, les Gaulois furent à leur tour envahis. Livrés à eux-mêmes, eussent-ils résisté ? C’est douteux. Déjà, en 102 avant Jésus-Christ, il avait fallu les légions de Marius pour affranchir la Gaule des Teutons descendus jusqu’au Rhône. Contre ceux qu’on appelait les Barbares, un immense service était rendu aux Gaulois : il aida puissamment la pénétration romaine. L’occasion de la première campagne de César, en 58, avait été une invasion germanique. César s’était présenté comme un protecteur. Sa conquête avait commencé par ce que nous appellerions une intervention armée.

Dès que la conquête fut achevée, Rome se trouva associée aux Gaulois pour repousser les Germains. Avec l’attrait de la civilisation gréco-latine, rien n’a autant servi à former l’amitié gallo-romaine. En somme, on fut deux pour défendre le bien commun. C’est le sens du célèbre discours aux Gaulois que Tacite prête à Cérialis après sa victoire sur les Bataves : « Nous ne nous sommes pas établis sur le Rhin pour défendre l’Italie, mais pour empêcher un nouvel Arioviste de conquérir les Gaules… Les Germains ont toujours une même raison qui les pousse sur votre territoire : l’inquiétude, l’avidité, la passion du changement, passion naturelle quand, au lieu de leurs marais et de leurs déserts, ils espèrent posséder un sol d’une fertilité extrême et devenir vos maîtres. »

La politique romaine était si clairvoyante, l’Empire romain se rendait si bien compte du rôle qu’il jouait dans le monde que Tacite prêtait encore ces paroles au général Cérialis : « Supposez que les Romains soient chassés de leurs conquêtes ; qu’en peut-il résulter, sinon une mêlée générale de tous les peuples de la terre ? »

Ce jour devait venir. L’Empire romain tomberait. La digue serait rompue, la prophétie réalisée. Cette catastrophe, qui a laissé si longtemps aux Européens le regret de la paix romaine, nous enseigne que le progrès n’est ni fatal ni continu. Elle nous enseigne encore la fragilité de la civilisation, exposée à subir de longues éclipses ou même à périr lorsqu’elle perd son assise matérielle, l’ordre, l’autorité, les institutions politiques sur lesquelles elle est établie.

Jusqu’au siècle terrible où les Barbares submergèrent tout, la Gaule, de concert avec Rome, avait dû refouler de nombreuses invasions : annonce des luttes que la France de l’avenir aurait à soutenir contre l’Allemagne. En 275, l’empereur Probus repousse et châtie durement les Germains qui s’étaient avancés fort loin en Gaule et qui, en se retirant, avaient laissé derrière eux des ruines et un désert. Dans leur retraite, ils avaient même, comme en 1918, coupé les arbres fruitiers. Quatre-vingts ans plus tard, Julien, celui qui aimait tant le séjour de Paris, est assiégé par les Allemands jusque dans la ville de Sens, puis les chasse au delà du Rhin et leur impose un tribut pour la « réparation » (c’est déjà la chose et le mot) des destructions auxquelles ils s’étaient encore livrés.

À mesure que l’Empire s’affaiblissait, se consumait dans l’anarchie, ces invasions devenaient plus fréquentes et le nombre des Barbares qui se pressaient aux portes semblait croître. Il en surgissait toujours de nouvelles espèces, heureusement rivales : ainsi la Gaule fut nettoyée des Vandales par les Goths. Pourtant, au cinquième siècle, la collaboration de la Gaule et de Rome s’exprima encore d’une manière mémorable par Aétius, vainqueur d’Attila aux Champs Catalauniques. Le roi des Huns, le « fléau de Dieu » était à la tête d’un empire qu’on a pu comparer à celui des Mongols. Lui-même ressemblait à Gengis-Khan et à Tamerlan. Il commandait à des peuplades jusqu’alors inconnues. Aétius le battit près de Châlons avec l’aide des Wisigoths et des Francs, et cette victoire est restée dans la mémoire des peuples (451).

C’est la première fois que nous nommons les Francs destinés à jouer un si grand rôle dans notre pays et à lui donner leur nom. Il y avait pourtant de longues années qu’ils étaient établis le long de la Meuse et du Rhin et que, comme d’autres Barbares, ils servaient, à titre d’auxiliaires, dans les armées romaines. C’étaient des Rhénans et l’une de leurs tribus était appelée celle des Ripuaires parce qu’elle habitait la rive gauche du Rhin (Cologne, Trèves).

Pourquoi une aussi grande fortune était-elle réservée aux Francs ? Connus de Rome dès le premier siècle, ils lui avaient donné, non seulement des soldats, mais, peu à peu, des généraux, un consul, et même une impératrice. Ce n’était pourtant pas ce qui les distinguait des autres Barbares que Rome avait entrepris d’attirer, d’assimiler et d’utiliser contre les Allemands d’Outre-Rhin. Les Francs étaient même, d’une manière générale, en retard sur les peuples d’origine germanique installés comme eux dans les limites naturelles de la Gaule. Les Goths et les Burgondes, admis à titre d’ « hôtes » depuis longtemps, étaient plus avancés et plus dégrossis. Cette circonstance devait tourner à leur détriment.

Au moment où l’empire d’Occident disparut, les Francs, établis dans les pays rhénans et belges, étaient encore de rudes guerriers que rien n’avait amollis. Ils étaient soldats et leur gouvernement était militaire. Clodion, Pharamond, Mérovée n’étaient que des chefs de tribus, mais des chefs. Voilà pourquoi la tradition qui fait remonter à ces roitelets la fondation de la Monarchie française n’est pas absurde, bien que, dans la réalité, les rois francs, avant Clovis, aient compté, pour les Gallo-Romains, beaucoup moins que les chefs des Goths, Alaric et Ataulphe, ou Gondioc le Burgonde, père du fameux Gondebaud. Voilà ces Francs, peu nombreux mais ardents à la guerre, et qui se tiennent sur les points d’où l’on domine la France, ceux qui commandent les routes d’invasion et par où l’on va au cœur, c’est-à-dire à Paris. Ils étaient les mieux placés. Une autre circonstance leur fut peut-être encore plus favorable : les Francs n’étaient pas chrétiens. Cette raison de leur succès semble surprenante d’abord. On va voir par quel enchaînement naturel elle devait les servir.

La Gaule était devenue chrétienne et elle avait eu ses martyrs. L’Église de Lyon, illustrée par le supplice de Pothin et de Blandine, fut le centre de la propagande. De bonne heure, ce christianisme gallo-romain eut pour caractère d’être attaché à l’orthodoxie. Dès qu’elle avait commencé à se répandre, la religion chrétienne avait connu les hérétiques. Nulle part les dissidents ne furent combattus avec autant d’ardeur qu’en Gaule. Saint Irénée avait pris la défense du dogme contre les gnostiques. Saint Hilaire lutte contre une hérésie plus grave et qui faillit l’emporter : l’arianisme. Les Barbares déjà établis en Gaule, s’étant convertis, étaient tout de suite devenus ariens. Lorsque les Francs parurent à leur tour, il y avait une place à prendre. La Gaule elle-même les appelait. Et l’Église comprit que ces nouveaux venus, ces païens, rivaux naturels des Burgondes et des Goths, pouvaient être attirés dans la vraie croyance. Ce fut le secret de la réussite de Clovis et c’est une des raisons pour lesquelles on ne peut pas dire qu’il y ait eu de conquête franque.

Depuis longtemps déjà l’Empire romain agonisait. En mourant, il laissait une confusion épouvantable. Plus d’autorité. Elle tomba naturellement entre les mains de ceux qui possédaient l’ascendant moral : les évêques. On se groupa autour de ces « défenseurs des cités ». Mais l’Église savait bien que sa mission n’était pas d’exercer le pouvoir. Chez elle vivait une tradition, la distinction du temporel et du spirituel, et aussi une admiration, celle de l’ordre romain. Rétablir une autorité dans les Gaules, obtenir que cette autorité fût chrétienne et orthodoxe, telles furent l’idée et l’œuvre du clergé. Deux hommes d’une grande intelligence, le roi Clovis et l’archevêque de Reims, saint Remi, se rencontrèrent pour cette politique. Mais on aurait peine à en comprendre le succès si l’on ne se représentait l’angoisse, la terreur de l’avenir qui s’étaient emparées des populations gallo-romaines depuis que manquait Rome et sa puissante protection.

Ce pays fertile, industrieux, couvert de riches monuments, où une classe moyenne tendait toujours à se reconstituer comme un produit du sol après chaque tempête, était d’instinct conservateur. Il avait horreur de l’anarchie. Les communistes du temps, les Bagaudes, dont les tentatives révolutionnaires avaient toujours été vaincues, n’étaient pas moins redoutés que les Barbares du dehors. La Gaule romaine désirait un pouvoir vigoureux. C’est dans ces conditions que Clovis apparut.

À peine Clovis eut-il succédé à son père Childéric qu’il mit ses guerriers en marche de Tournai, sa résidence, vers le centre du pays. Il entreprenait de dominer les Gaules. À Soissons, gouvernait le « patrice » Syagrius, pâle reflet de l’Empire effondré. Saint Remi vit que le salut n’était pas là. Quelle autre force y avait-il que le Barbare du Nord ? Qu’eût-on gagné à lui résister ? Clovis eût tout brisé, laissé d’autres ruines, apporté une autre anarchie. Il y avait mieux à faire : accueillir ce conquérant, l’aider, l’entourer, pour le mettre dans la bonne voie. De toute évidence, c’était l’inévitable. Il s’agissait d’en tirer le meilleur parti pour le présent et pour l’avenir.

Clovis, de son côté, avait certainement réfléchi et mûri ses desseins. Il était renseigné sur l’état moral de la Gaule. Il avait compris la situation. Ce Barbare avait le goût du grand et son entreprise n’avait de chances de réussir, de durer et de se développer que s’il respectait le catholicisme, si profondément entré dans la vie gallo-romaine. L’anecdote fameuse du vase de Soissons prouve à quel point il voyait juste. L’exécution sommaire d’un soldat sacrilège fit plus que tout pour le triomphe de Clovis. On reconnaît le grand homme d’État à ces audaces qui créent des images immortelles.

Il fallait encore que Clovis se convertît. Sa conversion fut admirablement amenée. Ce Barbare savait tout : il recommença la conversion de l’empereur Constantin sur le champ de bataille. Seulement, lorsqu’à Tolbiac (496) il fit vœu de recevoir le baptême s’il était vainqueur, l’ennemi était l’Allemand. Non seulement Clovis était devenu chrétien, mais il avait mis en fuite l’envahisseur éternel, il avait chassé au delà du Rhin l’ennemi héréditaire. Dès lors, il était irrésistible pour la Gaule romanisée.

On peut dire que la France commence à ce moment-là. Elle a déjà ses traits principaux. Sa civilisation est assez forte pour supporter le nouvel afflux des Francs, pour laisser à ces Barbares le pouvoir matériel. Et elle a besoin de la force franque. Les hommes, elle les assimilera, elle les polira. Comme sa civilisation, sa religion est romaine, et la religion est sauvée : désormais le fonds de la France religieuse, à travers les siècles, sera le catholicisme orthodoxe. Enfin, l’anarchie est évitée, le pouvoir, tout grossier qu’il est, est recréé, en attendant qu’il passe en de meilleures mains, et ce pouvoir sera monarchique. Il tendra à réaliser l’unité de l’État, idée romaine aussi. Rien de tout cela ne sera perdu. À travers les tribulations des âges, ces caractères se retrouveront.

Cependant il s’en fallait encore de beaucoup que la France fût fondée et sûre de ses destins. La Monarchie franque n’avait été qu’un pis aller dans la pensée des hommes d’Église qui l’avaient accueillie. Malgré ses imperfections, elle va servir, pendant près de trois cents ans, à préserver les Gaules de la ruine totale dont les avait menacées la chute de l’Empire romain.