Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Moyen Âge/Livre 5/Chapitre 2

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Œuvres complètes de J. Michelet
(Histoire de Francep. 25-84).

CHAPITRE II

Philippe-le-Bel. — Boniface VIII (1285-1304).


« Je fus la racine de la mauvaise plante qui couvre toute la chrétienté de son ombre. De mauvaise plante, mauvais fruit…

« J’eus nom Hugues-Capet. De moi sont nés ces Louis, ces Philippe, qui depuis peu règnent en France.

« J’étais fils d’un boucher de Paris[1] ; mais quand les anciens rois manquèrent, hors un qui prit la robe grise, je me trouvai tenir les rênes, et j’avais tels amis, telles forces que la couronne veuve retomba à mon fils[2]. De lui sort cette race où les morts font reliques[3].

« Tant que la grande dot provençale ne leur ôta toute vergogne, peu valaient-ils ; du moins faisaient-ils peu de mal.

« Mais dès lors ils poussèrent par force et par mensonge, et puis par pénitence ils prirent Normandie et Gascogne.

« Charles passe en Italie, et puis, par pénitence, égorge Conradin. — Par pénitence encore, il renvoie saint Thomas au ciel.

« Un autre Charles sortira tantôt de France. Sans armes, il sort, sauf la lance du parjure, la lance de Judas. Il en frappe Florence au ventre[4].

« L’autre, captif en mer, fait traite et marché de sa fille ; le corsaire du moins ne vend que l’étranger.

« Mais voici qui efface le mal fait et à faire… Je le vois entrer dans Anagni, le fleurdelisé !… Je vois le Christ captif en son vicaire ; je le vois moqué une seconde fois ; il est de nouveau abreuvé de fiel et de vinaigre. Il est mis à mort entre des brigands[5]. »

Cette furieuse invective gibeline, toute pleine de vérités et de calomnies, c’est la plainte du vieux monde mourant, contre ce laid jeune monde qui lui succède. Celui-ci commence vers 1300 ; il s’ouvre par la France, par l’odieuse figure de Philippe-le-Bel.

Au moins quand la monarchie française, fondée par Philippe-Auguste et Philippe-le-Bel, finit en Louis XVI, elle eut dans sa mort une consolation. Elle périt dans la gloire immense d’une jeune république qui, pour son coup d’essai, vainquit l’Europe et la renouvela. Mais ce pauvre moyen âge, papauté, chevalerie, féodalité, sous quelle main périssent-ils ? Sous la main du procureur, du banqueroutier, du faux monnayeur.

La plainte est excusable ; ce nouveau monde est laid. S’il est plus légitime que celui qu’il remplace, quel œil, fût-ce celui de Dante, pourrait le découvrir à cette époque ? Il naît sous les rides du vieux droit romain, de la vieille fiscalité impériale. Il naît avocat, usurier ; il naît gascon, lombard et juif.

Ce qui irrite le plus contre ce système moderne, contre la France, son premier représentant, c’est sa contradiction perpétuelle, sa duplicité d’instinct, l’hypocrisie naïve, si je puis dire, avec laquelle il va attestant tour à tour et alternant ses deux principes, romain et féodal. La France est alors un légiste en cuirasse, un procureur bardé de fer ; elle emploie la force féodale à exécuter les sentences du droit romain et canonique.

Fille obéissante de l’Église, elle s’empare de l’Italie et de l’Église même ; si elle bat l’Église, c’est comme sa fille, comme obligée en conscience de corriger sa mère.


Le premier acte du petit-fils de saint Louis avait été d’exclure les prêtres de l’administration de la justice, de leur interdire tout tribunal, non seulement au parlement du roi et dans ses domaines, mais dans ceux des seigneurs (1287). « Il a été ordonné par le conseil du seigneur roi que les ducs, comtes, barons, archevêques et évêques, abbés, chapitres, collèges, gentilshommes (milites), et en général, tous ceux qui ont en France juridiction temporelle, instituent des laïques pour baillis, prévôts et officiers de justice ; qu’ils n’instituent nullement des clercs en ces fonctions, afin que, s’ils manquent (delinquant) en quelque chose, leurs supérieurs puissent sévir contre eux. S’il y a des clercs dans les susdits offices, qu’ils en soient éloignés. — Item, il a été ordonné que tous ceux qui, après le présent parlement, ont ou auront cause en la cour du seigneur roi, et devant les juges séculiers du royaume, constituent des procureurs laïques. Enregistré ce jour, au parlement de la Toussaint, l’an du Seigneur 1287. »

Philippe-le-Bel rendit le parlement tout laïque. C’est la première séparation expresse de l’ordre civil et ecclésiastique ; disons mieux, c’est la fondation de l’ordre civil.

Les prêtres ne se résignèrent pas. Il semble qu’ils aient essayé de forcer le parlement et d’y reprendre leurs sièges. En 1289, le roi défend « à Philippe et Jean, portiers du parlement, de laisser entrer nully des prélats en la chambre sans le consentement des maistres (présidents)[6]. »

Constitué par l’exclusion de l’élément étranger, ce corps s’organisa (1291), par la division du travail, par la répartition des fonctions diverses. Les uns durent recevoir les requêtes et les expédier, les autres eurent la charge des enquêtes. Les jours de séance furent fixés, les récusations déterminées, ainsi que les fonctions des officiers du roi. Un grand pas se fit vers la centralisation judiciaire. Le parlement de Toulouse fut supprimé, les appels du Languedoc furent désormais portés à Paris[7] ; les grandes affaires devaient se décider avec plus de calme loin de cette terre passionnée, qui portait la trace de tant de révolutions.

Le parlement a rejeté les prêtres. Il ne tarde pas à agir contre eux. En 1288, le roi défend qu’aucun juif soit arrêté à la réquisition d’un prêtre ou moine, sans qu’on ait informé le sénéchal ou bailli du motif de l’arrestation, et sans qu’on lui ait présenté copie du mandat qui l’ordonne. Il modère la tyrannie religieuse sous laquelle gémissait le Midi : il défend au sénéchal de Carcassonne d’emprisonner qui que ce soit sur la seule demande des inquisiteurs[8]. Sans doute, ces concessions étaient intéressées. Le juif était chose du roi ; l’hérétique son sujet, son taillable, n’eût pu être rançonné par lui, s’il l’eût été par l’inquisition. Ne nous informons pas trop du motif. L’ordonnance paraît honorable à celui qui la signa. On y entrevoit la première lueur de la tolérance et de l’équité religieuses.

La même année 1291, le roi frappa sur l’Église un coup plus hardi. Il limita, ralentit cette terrible puissance d’absorption qui, peu à peu, eût fait passer toutes les terres du royaume aux gens de mainmorte. Morte en effet pour vendre ou donner, la main du prêtre, du moine, était ouverte et vivante pour recevoir et prendre. Il porta à trois, quatre ou six fois la rente, ce que devait payer l’acquéreur ecclésiastique, en compensation des droits sur mutations que l’État perdait. Ainsi toute donation d’immeubles faite aux églises profita désormais au roi. Le roi, ce nouveau Dieu du monde civil, entra en partage dans les dons de la piété avec Jésus-Christ, avec Notre-Dame et les saints.

Voilà pour l’Église. La féodalité, tout armée et guerrière qu’elle est, n’est pas moins attaquée. D’elle-même se dégage le principe qui doit la ruiner. Ce principe est la royauté comme suzeraineté féodale. Saint Louis dit expressément dans ses Établissements (liv. II, c. xxvii) : Se aucun se plaint en la court le roy de son saignieur de dete que son saignieur li doie, ou de promesses, ou de convenances que il li ait fetes, li sires m’aura mie la cour : car nus sires ne doit estre juges, ne dire droit en sa propre querelle, selonc droit escrit en Code : « Ne quis in sua causa judicet », en la loi unique qui commence Generali, el rouge, et el noir, etc. Les Établissements de saint Louis étaient faits pour les domaines du roi. Beaumanoir, dans la Coutume de Beauvoisis, dans un livre fait pour les domaines d’un fils de saint Louis, de Robert de Clermont, ancêtre de la maison de Bourbon, écrit sous Philippe-le-Bel que le roi a droit de faire des établissements, non pour ses domaines seulement, mais pour tout le royaume. Il faut voir dans le texte même avec quelle adresse il présente cette opinion scandaleuse et paradoxale[9].

Philippe-le-Hardi avait facilité aux roturiers l’acquisition des biens féodaux. Il enjoignit aux gens de justice « de ne pas molester les non nobles qui acquerront des choses féodales. » Le non-noble ne pouvant s’acquitter des services nobles qui étaient attachés au fief, il fallait le consentement de tous les seigneurs médiats, de degré en degré jusqu’au roi. Philippe III réduisit à trois le nombre des seigneurs médiats dont le consentement était requis.


La tendance de cette législation s’explique aisément quand on sait quels furent les conseillers des rois aux treizième et quatorzième siècles, quand on connaît la classe à laquelle ils appartenaient.

Le chambellan, le conseiller de Philippe-le-Hardi, fut le barbier ou chirurgien de saint Louis, le Tourangeau Pierre La Brosse. Son frère, évêque de Bayeux, partagea sa puissance et aussi sa ruine. La Brosse avait accusé la seconde femme de Philippe III d’avoir empoisonné un fils du premier lit. Le parti des seigneurs, à la tête duquel était le comte d’Artois, soutint que le favori calomniait la reine, et que de plus il vendait aux Castillans les secrets du roi. La Brosse décida le roi à interroger une béguine, ou mystique de Flandre. Le parti des seigneurs opposa à la béguine les dominicains, généralement ennemis des mystiques. Un dominicain apporta au roi une cassette où l’on vit ou crut voir des preuves de la trahison de La Brosse. Son procès fut instruit secrètement. On ne manqua pas de le trouver coupable. Les chefs du parti de la noblesse, le comte d’Artois, une foule de seigneurs, voulurent assister à son exécution.

En tête des conseillers de saint Louis, plaçons Pierre de Fontaines, l’auteur du Conseil à mon ami, livre en grande partie traduit des lois romaines. De Fontaines, natif du Vermandois, en était bailli l’an 1253. Nous le voyons ensuite parmi les Maistres du parlement de Paris. En cette qualité, il prononce un jugement en faveur du roi contre l’abbé de Saint-Benoît-sur-Loire, puis un autre, et toujours favorable au roi contre les religieux du bois de Vincennes. Dans ces jugements, nous le trouvons nommé après le chancelier de France[10]. Il s’intitule chevalier. Ce qui, dès cette époque, ne prouve pas grand’chose. Ces gens de robe longue prirent de bonne heure le titre de chevaliers ès lois.

Rien n’indique non plus que Philippe de Beaumanoir, bailli de Senlis, l’auteur de ce grand livre des Coutumes de Vermandois, ait été de bien grande noblesse. La maison du même nom est une famille bretonne, et non picarde, qui apparaît dans les guerres des Anglais au quatorzième siècle, mais qui ne fait pas remonter régulièrement sa filiation plus haut que le quinzième.

Les deux frères Marigni, si puissants sous Philippe-le-Bel, s’appelaient de leur vrai nom de famille Le Portier[11]. Ils étaient Normands, et achetèrent dans leur pays la terre de Marigni. Le plus célèbre des deux, chambellan et trésorier du roi, capitaine de la Tour du Louvre, est appelé Coadjuteur et gouverneur de tout le royaume de France. « C’était, dit un contemporain, comme un second roi, et tout se faisait à sa volonté[12]. » On n’est pas tenté de soupçonner ce témoignage d’exagération lorsqu’on sait que Marigni mit sa statue au Palais de Justice à côté de celle du roi[13].

Au nombre des ministres de Philippe-le-Bel, il faut placer deux banquiers florentins, auxquels sans doute on doit rapporter en grande partie les violences fiscales de ce règne. Ceux qui dirigèrent les grands et cruels procès de Philippe-le-Bel furent le chancelier Pierre Flotte, qui eut l’honneur d’être tué, tout comme un chevalier, à la bataille de Courtrai. Il eut pour collègues ou successeurs Plasian et Nogaret. Celui-ci, qui acquit une célébrité si tragique, était né à Caraman en Lauraguais. Son aïeul, si l’on en croit les invectives de ses ennemis, avait été brûlé comme hérétique. Nogaret fut d’abord professeur de droit à Montpellier, puis juge mage de Nîmes. La famille Nogaret, si fière au seizième siècle, sous le nom d’Épernon, n’était pas encore noble en 1372, ni de l’une, ni de l’autre ligne. Peu après cette expédition hardie où Guillaume Nogaret alla mettre la main sur le pape, il devint chancelier et garde des sceaux. Philippe-le-Long révoqua les dons qui lui avaient été faits par Philippe-le-Bel ; mais il ne fut pas enveloppé dans la proscription de Marigni. On eût craint sans doute de porter atteinte à ses actes judiciaires, qui avaient une si grande importance pour la royauté.

Ces légistes qui avaient gouverné les rois anglais dès le douzième siècle, au treizième saint Louis, Alphonse X et Frédéric II, furent, sous le petit-fils de saint Louis les tyrans de la France. Ces chevaliers en droit, ces âmes de plomb et de fer, les Plasian, les Nogaret, les Marigni, procédèrent avec une horrible froideur dans leur imitation servile du droit romain et de fiscalité impériale. Les Pandectes étaient leur Bible, leur Évangile. Rien ne les troublait dès qu’ils pouvaient répondre à tort ou à droit : Scriptum est… Avec des textes, des citations, des falsifications, ils démolirent le moyen âge, pontificat, féodalité, chevalerie. Ils allèrent hardiment appréhender au corps le pape Boniface VIII ; ils brûlèrent la croisade elle-même dans la personne des Templiers.

Ces cruels démolisseurs du moyen âge sont, il coûte de l’avouer, les fondateurs de l’ordre civil aux temps modernes. Ils organisent la centralisation monarchique. Ils jettent dans les provinces des baillis, des sénéchaux, des prévôts, des auditeurs, des tabellions, des procureurs du roi, des maîtres et peseurs de monnaie. Les forêts sont envahies par les verdiers, les gruiers royaux. Tous ces gens vont chicaner, décourager, détruire les juridictions féodales. Au centre de cette vaste toile d’araignée, siège le conseil des légistes sous le nom de parlement (fixé à Paris en 1302). Là, tout viendra peu à peu se perdre, s’amortir sous l’autorité royale. Ce droit laïque est surtout ennemi du droit ecclésiastique. Au besoin, les légistes appelleront à eux les bourgeois. Eux-mêmes ne sont pas autre chose, quoiqu’ils mendient l’anoblissement, tout en persécutant la noblesse.

Cette création du gouvernement coûtait certainement fort cher. Nous n’avons pas ici de détails suffisants ; mais nous savons que les sergents des prévôts, c’est-à-dire les exécuteurs, les agents de cette administration si tyrannique à sa naissance, avaient d’abord, le sergent à cheval trois sols parisis, et plus tard six sols ; le sergent à pied dix-huit deniers, etc. Voilà une armée judiciaire et administrative. Tout à l’heure vont venir des troupes mercenaires. Philippe-de-Valois aura à la fois plusieurs milliers d’arbalétriers génois. D’où tirer les sommes énormes que tout cela doit coûter ? L’industrie n’est pas née encore. Cette société nouvelle se trouve déjà atteinte du mal dont mourut la société antique. Elle consomme sans produire. L’industrie et la richesse doivent sortir à la longue de l’ordre et de la sécurité. Mais cet ordre est si coûteux à établir, qu’on peut douter pendant longtemps s’il n’augmente pas les misères qu’il devait guérir.

Une circonstance aggrave infiniment ces maux. Le seigneur du moyen âge payait ses serviteurs en terres, en produits de la terre ; grands et petits, ils avaient place à sa table. La solde, c’était le repas du jour. L’immense machine du gouvernement royal qui substitue son mouvement compliqué aux mille mouvements naturels et simples du gouvernement féodal ; cette machine, l’argent seul peut lui donner l’impulsion. Si cet élément vital manque à la nouvelle royauté, elle va périr, la monarchie se dissoudra, et toutes les parties retomberont dans l’isolement, dans la barbarie du gouvernement féodal.

Ce n’est donc pas la faute de ce gouvernement s’il est avide et affamé. La faim est sa nature, sa nécessité, le fond même de son tempérament. Pour y satisfaire, il faut qu’il emploie tour à tour la ruse et la force. Il y a ici en un seul prince, comme dans le vieux roman, maître Renard et maître Isengrin.

Ce roi, de sa nature, n’aime pas la guerre, il est juste de le reconnaître ; il préfère tout autre moyen de prendre, l’achat, l’usure. D’abord il trafique, il échange, il achète ; le fort peut dépouiller ainsi honnêtement des amis faibles. Par exemple, dès qu’il désespère de prendre l’Espagne avec des bulles du pape, il achète du moins le patrimoine de la branche cadette d’Aragon, la bonne ville de Montpellier, la seule qui restât au roi Jacques. Le prince, avisé et bien instruit en lois, ne se fit pas scrupule d’acquérir ainsi le dernier vêtement de son prodigue ami, pauvre fils de famille qui vendait son bien pièce à pièce, et auquel sans doute il crut devoir en ôter le maniement en vertu de la loi romaine : Prodigus et furiosus[14]

Au Nord, il acquit Valenciennes, qui se donna à lui (1293). Et sans doute il y eut encore de l’argent en cela. Valenciennes l’approchait de la riche Flandre, si bonne à prendre, et comme riche, et comme alliée des Anglais. Du côté de la France anglaise, il avait acheté au nécessiteux Édouard Ier le Quercy, terre médiocre, sèche et montagneuse, mais d’où l’on descend en Guyenne. Édouard était alors empêtré dans les guerres de Galles et d’Écosse, où il ne gagnait que de la gloire. C’eût été beaucoup, il est vrai, de fonder l’unité britannique, de se fermer dans l’île. Édouard y fit d’héroïques efforts, et commit aussi d’incroyables barbaries. Mais il eut beau briser les harpes de Galles, tuer les bardes, il eut beau faire périr le roi David du supplice des traîtres, et transporter à Westminster le palladium de l’Écosse, la fameuse pierre de Scone, il ne put rien finir ni dans l’île ni sur le continent. Chaque fois qu’il regardait vers la France et voulait y passer, il apprenait quelque mauvaise nouvelle du Border écossais ou des Marches de Galles, quelque nouveau tour de Leolyn ou de Wallace. Wallace était encouragé par Philippe-le-Bel, le chef héroïque des clans par le roi procureur. Celui-ci n’avait que faire de bouger. Il lui suffisait de relancer Édouard par ses limiers d’Écosse. Il le laissait volontiers s’immortaliser dans les déserts de Galles et de Northumberland, procédait contre lui à son aise, et le condamnait par défaut.

Ainsi, quand il le vit occupé à contenir l’Écosse sous Baillol, il le somma de répondre des pirateries de ses Gascons sur nos Normands. Il ajourna ce roi, ce conquérant, à venir s’expliquer par-devant ce qu’il appelait le tribunal des pairs. Il le menaça, puis il l’amusa, lui offrit une princesse de France pour prix d’une soumission fictive, d’une simple saisie, qui arrangerait tout. L’arrangement fut que l’Anglais ouvrit ses places, que Philippe les garda, et retira ses offres. Cette grande province, ce royaume de Guyenne, fut escamoté.

Édouard cria en vain. Il demanda et obtint contre Philippe l’alliance du roi des Romains, Adolphe de Nassau, celle des ducs de Bretagne et de Brabant, des comtes de Flandre, de Bar et de Gueldres. Il écrivit humblement à ses sujets de Guyenne, leur demandant pardon d’avoir consenti à la saisie[15]. Mais, trop occupé en Écosse, il ne vint pas lui-même en Guyenne, et son parti n’éprouva que des revers. Philippe eut pour lui le pape (Boniface VIII), qui lui devait la tiare, et qui, pour lui donner un allié, délia le roi d’Écosse des serments qu’il avait prêtés au roi d’Angleterre. Enfin, il fit si bien que les Flamands, mécontents de leur comte, l’appelèrent à leur secours. Pour soutenir la guerre, les deux rois comptaient sur la Flandre. La grasse Flandre était la tentation naturelle de ces gouvernements voraces. Tout ce monde de barons, de chevaliers, que les rois de France sevraient de croisades et de guerres privées, la Flandre était leur rêve, leur poésie, leur Jérusalem. Tous étaient prêts à faire un joyeux pèlerinage aux magasins de Flandre, aux épices de Bruges, aux fines toiles d’Ypres, aux tapisseries d’Arras.

Il semble que Dieu ait fait cette bonne Flandre, qu’il l’ait placée entre tous pour être mangée des uns ou des autres. Avant que l’Angleterre fût cette chose colossale que nous voyons, la Flandre était une Angleterre ; mais de combien déjà inférieure et plus incomplète ! Drapiers sans laine, soldats sans cavalerie, commerçants sans marine. Et aujourd’hui, ces trois choses, bestiaux, chevaux, marine, c’est justement le nerf de l’Angleterre ; c’est la matière, le véhicule, la défense de son industrie.

Ce n’est pas tout. Ce nom, les Flandres, n’exprime pas un peuple, mais une réunion de plusieurs pays fort divers, une collection de tribus et de villes. Rien n’est moins homogène. Sans parler de la différence de race et de langue, il y a toujours eu haine de ville à ville, haine entre les villes et les campagnes, haine de classes, haine de métiers, haine entre le souverain et le peuple[16]. Dans un pays où la femme héritait et transférait la souveraineté, le souverain était souvent un mari étranger. La sensualité flamande, la matérialité de ce peuple de chair, apparaît dans la précoce indulgence de la coutume de Flandre pour la femme et pour le bâtard[17]. La femme flamande amena ainsi par mariage des maîtres de toute nation, un Danois, un Alsacien ; puis un voisin du Hainaut, puis un prince de Portugal, puis des Français de diverses branches : Dampierre (Bourbon), Louis de Mâle (Capet), Philippe-le-Hardi (Valois) ; enfin Autriche, Espagne, Autriche encore. Voici maintenant la Flandre sous un Saxon (Cobourg).

La Flandre se plaignait du comte français Gui Dampierre. Philippe s’offrit comme protecteur aux Flamands. Gui s’adressa aux Anglais, et voulut donner sa fille Philippa au fils d’Édouard. Ce mariage contre le roi de France ne pouvait, selon la loi féodale, se faire sans l’assentiment du roi de France, suzerain de Gui Dampierre. Philippe cependant ne réclama pas ; il déclara hypocritement qu’étant parrain de la jeune fille, il ne pouvait lui laisser passer le détroit sans l’embrasser[18]. Refuser, c’était déclarer la guerre, et trop tôt. Venir, c’était risquer de rester à Paris. Gui vint en effet et resta. Le père et la fille furent retenus à la Tour du Louvre. Philippe enleva à Édouard son allié et sa femme, comme il avait fait la Guyenne. Le comte s’échappa, il est vrai, dans la suite. La jeune fille mourut, au grand dommage de Philippe, qui avait intérêt à garder un tel otage et qu’on accusa de sa mort.

Édouard croyait avoir ameuté tout le monde contre son déloyal ennemi. L’empereur Adolphe de Nassau, pauvre petit prince, malgré son titre, eût volontiers guerroyé aux gages d’Édouard, comme autrefois Othon de Brunswick pour Jean, comme plus tard Maximilien pour Henri VIII à cent écus par jour. Les comtes de Savoie, d’Auxerre, Montbéliard, Neuchâtel, ceux de Hainaut et de Gueldres, le duc de Brabant, les évêques de Liège et d’Utrecht, l’archevêque de Cologne, tous promettaient d’attaquer Philippe, tous recevaient l’argent anglais, et tous restèrent tranquilles, excepté le comte de Bar. Édouard les payait pour agir, Philippe pour se reposer.

La guerre se faisait ainsi sans bruit ni bataille. C’était une lutte de corruption, une bataille d’argent, à qui serait le premier ruiné. Il fallait donner aux amis, donner aux ennemis. Faibles et misérables étaient les ressources des rois d’alors pour suffire à de telles dépenses. Édouard et Philippe chassèrent, il est vrai, les juifs, en gardant leurs biens[19]. Mais le juif est glissant, il ne se laisse pas prendre. Il écoulait de France, et trouvait moyen d’emporter. Le roi de France, qui avait des banquiers italiens pour ministres, s’avisa, sans doute par leur conseil, de rançonner les Italiens, les Lombards, qui exploitaient la France, et qui étaient comme une variété de l’espèce juive. Puis, pour atteindre plus sûrement encore tout ce qui achetait et vendait, le roi essaya pour la première fois de ce triste moyen si employé dans le quatorzième siècle, l’altération de la monnaie. C’était un impôt facile et tacite, une banqueroute secrète au moins dans les premiers moments. Mais bientôt tous en profitaient ; chacun payait ses dettes en monnaie faible. Le roi y gagnait moins que la foule des débiteurs sans foi. Enfin, l’on eut recours à un moyen plus direct, l’impôt universel de la maltôte[20].

Ce vilain nom, trouvé par le peuple, fut accepté hardiment du roi même. C’était un dernier moyen, une invention par laquelle, s’il restait encore quelque substance, quelque peu à sucer dans la moelle du peuple, on y pouvait atteindre. Mais on eut beau presser et tordre. Le patient était si sec, que la nouvelle machine n’en put exprimer presque rien. Le roi d’Angleterre ne tirait rien des siens non plus. Sa détresse le désespérait ; dans l’un de ses parlements on le vit pleurer.

Entre ce roi affamé et ce peuple étique, il y avait pourtant quelqu’un de riche. Ce quelqu’un, c’était l’Église. Archevêques et évêques, chanoines et moines, moines anciens de Saint-Benoît, moines nouveaux dits mendiants, tous étaient riches et luttaient d’opulence. Tout ce monde tonsuré croissait des bénédictions du ciel et de la graisse de la terre. C’était un petit peuple heureux, obèse et reluisant, au milieu du grand peuple affamé qui commençait à le regarder de travers.

Les évêques allemands étaient des princes et levaient des armées. L’Église d’Angleterre possédait, dit-on, la moitié des terres de l’île. Elle avait, en 1337, sept cent trente mille marcs de revenus. Aujourd’hui, il est vrai, l’archevêque de Cantorbery ne reçoit par an que douze, cent mille francs, et celui d’York huit cent mille. Lorsque la Restauration préparait l’expédition d’Espagne, en 1822, l’on apprit que l’archevêque de Tolède faisait distribuer chaque jour à la porte de ses fermes et de ses palais dix mille soupes, et celui de Séville six mille[21].

La confiscation de l’Église fut la pensée des rois depuis le treizième siècle, la cause principale de leurs luttes contre les papes ; toute la différence, c’est que les protestants prirent, et que les catholiques se firent donner. Henri VIII employa le schisme, François Ier le Concordat.

Qui donc, au quatorzième siècle, du roi ou de l’Église, devait désormais exploiter la France ? telle était la question. Déjà, lorsque Philippe mit sur le peuple le terrible impôt de la maltôte, lorsqu’il altéra les monnaies, lorsqu’il dépouilla les Lombards, sujets ou banquiers du Saint-Siège, il frappait Rome directement ou indirectement, il la ruinait, il lui coupait les vivres[22].

Boniface usa enfin de représailles. En 1296, dans sa bulle Clericis laïcos, il déclare excommuniés de fait tout prêtre qui payera, tout laïque qui exigera subvention, prêt ou don sans l’autorisation du Saint-Siège ; et cela sans qu’aucun rang, aucun privilège puisse les excepter. Il annulait ainsi un privilège important de nos rois, qui, tout excommuniés qu’ils étaient comme rois, pouvaient toujours, dans leur chapelle et portes closes, entendre la messe et communier.

Au même moment, sous prétexte de la guerre d’Angleterre, Philippe défendait d’exporter du royaume or, argent, armes, etc. C’était frapper Rome bien plus que l’Angleterre.

Rien de plus mystiquement hautain, de plus paternellement hostile que la bulle en réponse : « Dans la douceur d’un ineffable amour (Ineffabilis amoris dulcedine sponso suo), l’Église, unie au Christ, son époux, en a reçu les dons, les grâces les plus amples, spécialement le don de liberté. Il a voulu que l’adorable épouse régnât, comme mère, sur les peuples fidèles. Qui donc ne redoutera de l’offenser, de la provoquer ? Qui ne sentira qu’il offense l’époux dans l’épouse ? Qui osera porter atteinte aux libertés ecclésiastiques, contre son Dieu et son Seigneur ? Sous quel bouclier se cachera-t-il, pour que le marteau de la puissance d’en haut ne le réduise en poudre et en cendre ?… O mon fils, ne détourne point l’oreille de la voix paternelle, etc. »

Il engage ensuite le roi à bien examiner sa situation : « Tu n’as point considéré avec prudence les régions et les royaumes qui entourent le tien, les volontés de ceux qui les gouvernent, ni peut-être les sentiments de tes sujets dans les diverses parties de tes États. Lève les yeux autour de toi, et regarde, et réfléchis. Songe que les royaumes des Romains, des Anglais, de l’Espagne, t’entourent de toutes parts ; songe à leur puissance, à la bravoure, à la multitude de leurs habitants, et tu reconnaîtras aisément que ce n’était pas le temps, que ce n’était pas le jour d’attaquer, d’offenser et nous et l’Église par de telles piqûres… Juge toi-même quelles ont dû être les pensées du Siège apostolique, lorsque dans ces jours même où nous étions occupés de l’examen et de la discussion des miracles qu’on attribue à l’invocation de ton aïeul de glorieuse mémoire, tu nous as envoyé de tels dons qui provoquent la colère de Dieu, et méritent, je ne dis pas seulement notre indignation, mais celle de l’Église elle-même…

« Dans quel temps tes ancêtres et toi-même avez-vous eu recours à ce Siège, sans que votre pétition fût écoutée ? Et si une grave nécessité menaçait de nouveau ton royaume, non seulement le Saint-Siège t’accorderait les subventions des prélats et des personnes ecclésiastiques ; mais, si le cas l’exigeait, il étendrait ses mains jusqu’aux calices, aux croix et aux vases sacrés, plutôt que de ne pas défendre efficacement un tel royaume, qui est si cher au Saint-Siège, et qui lui a été si longtemps dévoué… Nous exhortons donc Ta Sérénité royale, la prions et l’engageons à recevoir avec respect les médicaments que t’offre une main paternelle, à acquiescer à des avis salutaires pour toi et pour ton royaume, à corriger tes erreurs, et à ne point laisser séduire ton âme par une fausse contagion. Conserve notre bienveillance et celle du Saint-Siège, conserve une bonne renommée parmi les hommes, et ne nous force point à recourir à d’autres remèdes, à des remèdes inusités ; lors même que la justice, nous y forcerait, nous en ferait un devoir, nous ne les emploierions qu’à regret et malgré nous[23]. »

Ces graves paroles, mêlées de douceur et de menaces, devaient faire impression. Aucun pontife n’avait été jusque-là plus partial pour nos rois que Boniface. La maison de France l’avait fait pape, il est vrai ; mais, en retour, il la faisait reine, autant qu’il était en lui. Il avait appelé en Italie Charles-de-Valois, et, en attendant l’empire latin de Constantinople, il l’avait créé comte de Romagne, capitaine du patrimoine de saint Pierre, seigneur de la marche d’Ancône. Il obtint aux princes français le trône de Hongrie ; il fit ce qu’il put pour leur procurer le trône impérial et celui de Castille. En 1298, pris pour arbitre entre les rois de France et d’Angleterre, il essaya de les rapprocher par des mariages, et, par une sentence provisoire, il ajourna les restitutions que Philippe devait à l’Anglais.

La papauté, toute vieillie qu’elle était déjà, apparaissait encore comme l’arbitre du monde. Boniface VIII avait été appelé à juger entre la France et l’Angleterre, entre l’Angleterre et l’Écosse, entre Naples et l’Aragon, entre les empereurs Adolphe de Nassau et Albert d’Autriche. N’y avait-il pas lieu pour le pape de se faire illusion sur ses forces réelles ?

L’infatuation fut au comble, lorsqu’en l’an 1300 Boniface promit rémission des péchés à tous ceux qui viendraient visiter pendant trente jours les églises des Saints-Apôtres. Ce Jubilé rappelait tout à la fois celui des Juifs et les fêtes séculaires de Rome païenne. On sait que le Jubilé mosaïque, revenant tous les cinquante ans, devait rendre la liberté aux esclaves, les terres aliénées à leur premier possesseur ; il devait annuler l’histoire, défaire le temps, pour ainsi dire, au nom du seul Éternel. La vieille Rome, dans un tout autre point de vue, emprunta des Étrusques la doctrine des Âges[24] ; mais ce ne fut point pour y reconnaître la mobilité de ce monde, la mortalité des empires. Rome se croyait Dieu, elle se jugeait immortelle comme invincible, et, au retour de chaque siècle, solennisait son éternité.

En l’an 1300, la foi était grande encore. La foule fut prodigieuse à Rome[25]. On compta les pèlerins par cent mille, et bientôt il n’y eut plus moyen de compter. Ni les maisons, ni les églises ne suffirent à les recevoir ; ils campèrent par les rues et les places, sous des abris construits à la hâte, sous des toiles, sous des tentes et sous la voûte du ciel. On eût dit que, les temps étant accomplis, la chrétienté venait par-devant son juge dans la vallée de Josaphat.

Pour se représenter l’effet de ce prodigieux spectacle, il faut encore voir Rome, toute déchue qu’elle est, il faut la voir pendant les fêtes de Pâques. On oublierait presque que c’est bien là la triste Rome, la veuve de deux antiquités.

Quel qu’ait été le motif de Boniface VIII, fiscal ou politique, je ne lui en veux pas pour cette invention du Jubilé. Des milliers d’hommes l’en ont, j’en suis sûr, remercié du cœur. C’était mettre une pierre sur la route du temps, placer un point d’arrêt dans sa vie, entre les regrets du passé et les espérances d’un meilleur, d’un moins regrettable avenir ; c’était s’arrêter en montant cette rude pente, souffler un peu à midi, Nel mezzo cammin di nostra vita.

Ces âges candides croyaient qu’on pouvait fuir le mal en changeant de lieu, voyager du péché à la sainteté, laisser le diable avec l’habit qu’on dépose pour prendre celui du pèlerin. N’est-ce donc pas quelque chose d’échapper à l’influence des lieux, des habitudes, de se dépayser, de s’orienter à une vie nouvelle ? N’y a-t-il pas une mauvaise puissance d’infatuation et d’aveuglement dans ces lieux où le cœur se prend, que ce soit les Charmettes de Jean-Jacques, ou la Pinada de Byron, ou ce lac d’Aix-la-Chapelle dont, selon la tradition, Charlemagne fut ensorcelé ?

Ne nous étonnons pas si nos aïeux aimèrent tant les pèlerinages, s’ils attribuèrent à la visite des lointains sanctuaires une vertu de régénération. « Le vieillard, tout blanc et chenu, se sépare des lieux où il a fourni sa carrière, et de sa famille alarmée qui se voit privée d’un père chéri. — Vieux, faible et sans haleine, il se traîne comme il peut, s’aidant de bon vouloir, tout rompu qu’il est par les ans, par la fatigue du chemin. — Il vient à Rome pour y voir la semblance de Celui que, là-haut encore, il espère bien revoir au ciel[26]… »

Mais il en est qui n’arrivent pas, qui restent en chemin… La plupart de nos lecteurs se rappellent ici ce petit tableau de Robert, la pèlerine romaine assise dans la campagne aride ; elle ne voit ni ses pieds ensanglantés, ni son nourrisson sur ses genoux, altéré et haletant, pourvu qu’elle atteigne la colline bénie qui plane au loin à l’horizon : Monte di gioia !

Et quand le but du voyage, c’était Rome ! quand au renouvellement du siècle, au moment solennel où sonnait une heure de la vie du monde, on atteignait la grande ville, et que ces monuments, ces vieux tombeaux, jusque-là seulement ouïs et célébrés, on les voyait, on les touchait ; alors, se retrouvant contemporain de tous les siècles, et des consuls et des martyrs, ayant de station en station, du Colisée au Capitole et du Panthéon à Saint-Pierre, revécu toute l’histoire, ayant vu toute mort et toute ruine, on s’en allait, on se remettait en marche vers la patrie, vers le tombeau natal, mais avec moins de regret, et d’avance tout consolé de mourir.

L’Église, comme ces milliers d’hommes qui venaient la visiter, trouva dans ce Jubilé de l’an 1300 le point culminant de sa vie historique. La descente commença dès lors. Dans cette foule même se trouvaient les hommes redoutables qui allaient ouvrir un monde nouveau. Les uns, froids et impitoyables politiques, comme l’historien Jean Villani ; les autres, chagrins et superbes, comme Dante, qui, lui aussi, allait se faire son Jubilé. Le pape avait appelé à Rome tous les vivants ; le poète convoqua dans sa Comédie tous les morts ; il fit la revue du monde fini, le classa, le jugea. Le moyen âge, comme l’antiquité, comparut devant lui. Rien ne lui fut caché. Le mot du sanctuaire fut dit et profané. Le sceau fut enlevé, brisé : on ne l’a pas retrouvé depuis. Le moyen âge avait vécu ; la vie est un mystère, qui périt lorsqu’il achève de se révéler. La révélation, ce fut la Divina Commedia, la cathédrale de Cologne, les peintures du Campo Santo de Pise. L’art vient ainsi terminer, fermer une civilisation, la couronner, la mettre glorieusement au tombeau.

N’accusons pas le pape, si cet octogénaire, vieil avocat, et nourri dans les ruses et les plus prosaïques intrigues[27], se laissa gagner lui-même à la grandeur, à la poésie de ce moment, où il vit le genre humain réuni à Rome et à genoux devant lui… Il est d’ailleurs une sombre puissance de vertige dans cette ville tragique. Les souverains de Rome, ses Empereurs, ont paru souvent comme fous. Et même au quatorzième siècle, Cola Rienzi, le fils d’une blanchisseuse, devenu tribun de Rome, ne tournait-il pas son épée vers les trois parties du globe, en disant : « Ceci et ceci, cela encore, est à moi ? »

À plus forte raison, le pape se croyait-il le maître du monde. Lorsque Albert d’Autriche se fit empereur par la mort d’Adolphe de Nassau, Boniface, indigné, mit la couronne sur sa tête, saisit une épée, et s’écria : « C’est moi qui suis César, c’est moi qui suis l’empereur, c’est moi qui défendrai les droits de l’Empire. » Au Jubilé de 1300, il parut, au milieu de cette multitude de toute nation, avec les insignes impériaux ; il fit porter devant lui l’épée et le sceptre sur la boule du monde, et un héraut allait criant : « Il y a ici deux épées ; Pierre, tu vois ici ton successeur ; et vous, ô Christ ! regardez votre vicaire. » Il expliquait ainsi les deux épées qui se trouvèrent dans le lieu où Jésus-Christ fit la Cène avec ses apôtres.

Cette outrecuidance pontificale devait perpétuer la guerre des deux puissances, ecclésiastique et civile. La lutte qui semblait finie avec la maison de Souabe, est reprise par celle de France. Guerre d’idées, non de personnes, de nécessité, non de volonté. Le pieux Louis IX la commence, le sacrilège Philippe IV la continue.

« Reconnaître deux puissances et deux principes, dit Boniface dans sa bulle Unam sanctam, c’est être hérétique et manichéen… » Mais le monde du moyen âge est manichéen, il mourra tel ; toujours il sentira en lui la lutte des deux principes. — Que cherches-tu ? — La paix. C’est le mot du monde. L’homme est double ; il y a en lui le Pape et l’Empereur[28].

La paix ! Elle est dans l’harmonie, sans doute ; mais, d’âge en âge, on l’a cherchée dans l’unité. Dès le second siècle, saint Irénée écrit contre les Gnostiques son livre : De l’unité du principe du monde : De Monarchia. C’est encore le titre de Dante : De Monarchia : De l’unité du monde social[29].

Le livre de Dante est bizarre. Sa formule, c’est la paix, comme condition du développement, la paix sous un monarque unique. Ce monarque, possédant tout, ne peut rien désirer, et partant, il est impeccable. Ce qui fait le mal, c’est la concupiscence ; où il n’y a plus limite, que désirer ? quelle concupiscence peut naître[30] ? tel est le raisonnement de Dante. Reste à prouver que cet idéal peut être réel, que ce réel est le peuple romain[31] ; qu’enfin le peuple romain a transmis sa souveraineté à l’empereur d’Allemagne.

Ce livre est une belle épitaphe gibeline pour l’Empire allemand : l’Empire en 1300, ce n’est plus exclusivement l’Allemagne : c’est désormais tout empire, toute royauté ; c’est le pouvoir civil en tout pays, surtout en France. Les deux adversaires sont maintenant l’Église et le fils aîné de l’Église. Des deux côtés, prétentions sans bornes : deux infinis en face. Le roi, s’il n’est pas le seul roi, est du moins le plus grand roi du monde ; le plus révéré encore depuis saint Louis. Fils aîné de l’Église, il veut être plus âgé que sa mère : « Avant qu’il n’y eût des clercs, dit-il, le roi avait en garde le royaume de France[32]. »

La querelle s’était déjà émue à l’occasion des biens d’Église ; mais il y avait d’autres motifs d’irritation. Boniface avait décidé entre Philippe et Édouard, non comme ami et personne privée, mais comme pape. Le comte d’Artois, indigné de la partialité du pontife pour les Flamands, arracha la bulle au légat et la jeta au feu. En représailles, Boniface favorisa Albert d’Autriche contre Charles-de-Valois, qui prétendait à la couronne impériale. De son côté, Philippe mit la main sur les régales de Laon, de Poitiers et de Reims. Il accueillait les mortels ennemis de Boniface, les Colonna, ces rudes gibelins, ces chefs des brigands romains contre les papes.

L’explosion eut lieu au sujet d’un bien mal acquis, que depuis un siècle se disputaient le pape et le roi. Je parle de cette sanglante dépouille du Languedoc. Boniface VIII paya pour Innocent III. L’hommage de Narbonne, rendu directement au roi par le vicomte, était vivement réclamé par l’archevêque (1300). L’archevêque eût voulu s’arranger. Le pape le menaça d’excommunication, s’il traitait sans la permission du Saint-Siège. Il cita à Rome l’homme du roi, et, de plus, menaça Philippe, s’il ne se désistait du comté de Melgueil, dont ses officiers dépouillaient l’église de Maguelone.

Ce n’est pas tout : le pape avait, malgré Philippe, créé, dans ce dangereux Languedoc, à la porte du comte de Foix et du roi d’Aragon, un nouvel évêché pris sur le diocèse de Toulouse, l’évêché de Pamiers. Il avait fait évêque un homme à lui, Bernard de Saisset. Ce fut justement ce Saisset qu’il envoya au roi pour lui rappeler sa promesse d’aller à la croisade, et le sommer de mettre en liberté le comte de Flandre et sa fille. De telles paroles ne se disaient pas impunément à Philippe-le-Bel.

Ce Saisset, qui parlait si hardiment, était déjà désigné au roi, par l’évêque de Toulouse, comme l’auteur d’un vaste complot qui eût enlevé tout le Midi aux Français. Saisset appartenait à la famille des anciens vicomtes de Toulouse. Il était l’ami de tous les hommes distingués, de toute la noblesse municipale de cette grande cité. Il rêvait la fondation d’un royaume de Languedoc au profit du comte de Foix, ou du comte de Comminges, qui descendait des Raimonds de Toulouse, tant regrettés de leurs anciens sujets[33].

Ces grands seigneurs du Midi n’avaient ni les forces, ni l’amour du pays, ni la hauteur de courage, qu’une telle entreprise eût demandés. Le comte de Comminges se signa, en entendant des propositions si hardies : « Ce Saisset est un diable, dit-il, plutôt qu’un homme[34]. » Le comte de Foix joua un rôle plus odieux. Il reçut les confidences de Saisset, pour les transmettre au roi par l’évêque de Toulouse[35]. On sut par lui que Saisset se chargeait de demander pour le fils du comte de Foix la fille du roi d’Aragon, qui, disait-il, était son ami. Il avait dit encore : « Les Français ne feront jamais de bien, mais plutôt du mal au pays. » Il ne voulait pas terminer avec le comte de Foix les démêlés de son évêché, à moins que ce seigneur ne s’arrangeât avec les comtes d’Armagnac et de Comminges, et ne réunît ainsi tout le pays sous son influence.

On attribuait à Saisset des mots piquants contre le roi : « Votre roi de France, disait-il, est un faux monnayeur. Son argent n’est que de l’ordure… Ce Philippe-le-Bel n’est ni un homme, ni même une bête ; c’est une image, et rien de plus… Les oiseaux, dit la fable, se donnèrent pour roi le duc, grand et bel oiseau, il est vrai, mais le plus vil de tous. La pie vint un jour se plaindre au roi de l’épervier, et le roi ne répondit rien (nisi quod flevit). Voilà votre roi de France ; c’est le plus bel homme qu’on puisse voir, mais il ne sait que regarder les gens… Le monde est aujourd’hui comme mort et détruit, à cause de la malice de cette cour… Mais saint Louis m’a dit plus d’une fois que la royauté de France périrait en celui qui est le dixième roi, à partir d’Hugues-Capet. »

Deux commissaires de Philippe, un laïque et un prêtre, étant venus en Languedoc pour instrumenter contre Saisset, il comprit son danger et voulut se sauver à Rome. Les hommes du roi ne lui en laissèrent pas le temps. Ils le prirent de nuit, dans son lit, et l’enlevèrent à Paris, avec ses serviteurs, qui furent mis à la torture. Cependant le roi envoyait au pape, non pour se justifier d’avoir violé les privilèges de l’Église, mais pour demander la dégradation de l’évêque, avant de le mettre à mort. La lettre du roi respire une étrange soif de sang : « Le roi requiert le souverain pontife d’appliquer tel remède, d’exercer le dû de son office, de telle sorte que cet homme de mort (dictus vir mortis), dont la vie souille même le lieu qu’il habite, il le prive de tout ordre, le dépouille de tout privilège clérical, et que le seigneur roi puisse, de ce traître à Dieu et aux hommes, de cet homme enfoncé dans la profondeur du mal, endurci et sans espoir de correction, que le roi en puisse par voie de justice faire à Dieu un excellent sacrifice. Il est si pervers que tous les éléments doivent lui manquer dans la mort, puisqu’il offense Dieu et toute créature[36]. »

Le pape réclama l’évêque, déclara suspendre le privilège qu’avaient les rois de France de ne pouvoir être excommuniés et convoqua le clergé de France à Rome pour le 1er novembre de l’année suivante. Enfin il adressa au roi la bulle Ausculta, fili : « Écoute, mon fils, les conseils d’un père tendre… » Le pape commençait par ces paroles irritantes, dont ses adversaires surent bien profiter : « Dieu nous a constitué, quoique indigne, au-dessus des rois et des royaumes, nous imposant le joug de la servitude apostolique, pour arracher, détruire, disperser, dissiper, et pour édifier et planter sous son nom et par sa doctrine… » Du reste, la bulle était, sous forme paternelle, une récapitulation de tous les griefs du pape et de l’Église.

Le chancelier Pierre Flotte se chargea de porter la réponse au pape. La réponse, c’était que le roi ne lâchait pas son prisonnier, qu’il le remettait seulement à garder à l’archevêque de Narbonne, que l’or et l’argent ne sortiraient plus de France, que les prélats n’iraient point à Rome. Ce fut une rude insulte pour le pape encore triomphant de son Jubilé, quand ce petit avocat borgne[37] vint lui parler si librement. L’altercation fut violente. Le pape le prit de haut : « Mon pouvoir, dit-il, renferme les deux. » Pierre Flotte répondit par un aigre distinguo : « Oui, mais votre pouvoir est verbal, celui du roi réel. » Le Gascon Nogaret, qui était venu avec Pierre Flotte, ne put se contenir ; il parla avec la violence et l’emportement méridional sur les abus de la cour pontificale, sur la conduite même du pape. Ils sortirent ainsi de Rome, enragés dans leur haine d’avocats contre les prêtres, ayant outragé le pape, et sûrs de périr s’ils ne le prévenaient.

Pour soulever tout le monde contre Boniface, il fallait tirer quelques propositions bien claires et bien choquantes du doucereux bavardage où la cour de Rome aimait à noyer sa pensée. Ils arrangèrent donc entre eux une brutale petite bulle où le pape exprimait crûment toutes ses prétentions. En même temps, ils faisaient courir une fausse réponse à la fausse bulle, où le roi parlait au pape avec une violence et une grossièreté populacières. Cette réponse, bien entendu, n’était pas destinée à être envoyée, mais elle devait avoir deux effets. D’abord elle avilissait le pouvoir sacro-saint, auquel on jetait impunément cette boue. Ensuite, elle indiquait que le roi se sentait fort, ce qui est le moyen de l’être en effet.

« Boniface, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Philippe, roi des Francs. Crains Dieu et observe ses commandements. Nous voulons que tu saches que tu nous es soumis dans le temporel comme dans le spirituel ; que la collation des bénéfices et des prébendes ne t’appartient point ; que si tu as la garde des bénéfices vacants, c’est pour en réserver les fruits aux successeurs. Que si tu en as conféré quelqu’un, nous déclarons cette collation invalide, et nous la révoquons si elle a été exécutée, déclarant hérétiques tous ceux qui pensent autrement. Donné au Latran, aux nones de décembre, l’an 7 de notre pontificat. » C’est la date de la bulle Ausculta, fili.

« Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Français, à Boniface, qui se donne pour pape, peu ou point de salut. Que ta Très grande Fatuité sache que nous ne sommes soumis à personne pour le temporel ; que la collation des églises et des prébendes vacantes nous appartient par le droit royal ; que les fruits en sont à nous ; que les collations faites et à faire par nous sont valides au passé et à l’avenir ; que nous maintiendrons leurs possesseurs de tout notre pouvoir, et que nous tenons pour fous et insensés ceux qui croiront autrement. »

Ces étranges paroles qui eussent, un siècle plus tôt, armé tout le royaume contre le roi, furent bien reçues de la noblesse et du peuple des villes. On fit alors un pas de plus ; on compromit directement la noblesse avec le pape. Le 11 février 1302, en présence du roi et d’une foule de seigneurs et de chevaliers, au milieu du peuple de Paris, la petite bulle fut brûlée, et cette exécution fut ensuite criée à son de trompe par toute la ville[38]. Encore deux cents ans, un moine allemand fera de son autorité privée ce que Pierre Flotte et Nogaret font maintenant au nom du roi de France.

Mais il fallait engager tout le royaume dans la querelle. Le pape avait convoqué les prélats à Rome pour le 1er novembre ; le roi convoqua les États pour le 10 avril ; non plus les États du clergé et de la noblesse, non plus les États du Midi, comme saint Louis les avait rassemblés, mais les États du Midi et du Nord, les États des trois ordres : clergé, noblesse et bourgeoisie des villes. Ces États généraux de Philippe-le-Bel sont l’ère nationale de la France, son acte de naissance. Elle a été ainsi baptisée dans la basilique de Notre-Dame, où s’assemblèrent ces premiers États[39]. De même que le Saint-Siège, au temps de Grégoire VII et d’Alexandre III, s’était appuyé sur le peuple, l’ennemi du Saint-Siège appelle maintenant le peuple à lui. Ces bourgeois, maires, échevins, consuls des villes, sous quelque forme humble et servile qu’ils viennent d’abord répéter les paroles du roi et des nobles, ils n’en sont pas moins la première apparition du peuple.

Pierre Flotte ouvrit les États (10 avril 1302) d’une manière habile et hardie. Il attaqua les premières paroles de la bulle Ausculta, fili : « Dieu nous a constitué au-dessus des rois et des royaumes… » Puis il demanda si les Français pouvaient, sans lâcheté, se soumettre à ce que leur royaume, toujours libre et indépendant, fût ainsi placé dans le vasselage du pape. C’était confondre adroitement la dépendance morale et religieuse avec la dépendance politique, toucher la fibre féodale, réveiller le mépris de l’homme d’armes contre le prêtre. Le bouillant comte d’Artois, qui déjà avait arraché au légat et déchiré la bulle Ausculta, prit la parole et dit que, s’il convenait au roi d’endurer ou de dissimuler les entreprises du pape, les seigneurs ne les souffriraient pas. Cette flatterie brutale, sous forme de liberté et de hardiesse, fut applaudie des nobles. En même temps, on leur fit signer et sceller une lettre en langue vulgaire, non au pape, mais aux cardinaux. La lettre était probablement tout écrite d’avance par les soins du chancelier, car elle est datée du 10 avril, du jour même où les États furent assemblés. Dans cette longue épître, les seigneurs, après avoir souhaité aux cardinaux « continuel accroissement de charité, d’amour et de toutes bonnes aventures à leur désir », déclarent que, quant aux dommages que « celuy qui en présent est ou siège du gouvernement de l’Église », dit être faits par le roi, ils ne veulent, « ne eux, ne les universités, ne li peuple du royaume, avoir ne correction ne amende, par autre fors que par ledit nostre Sire le Roi ». Ils accusent « cil qui à présent siet ou siège du gouvernement de l’Église » de tirer beaucoup d’argent de la conférence et collation des archevêques, évêques et autres bénéficiers, « si que li mêmes peuples, qui leur est soubgez, soient grevez et rançonnez. Ne li prélas ne poent donner leurs bénéfices aux nobles clercs et autres bien nez et bien lettrez de leurs diocèses, de qui antecessours les églises sont fondées ». Les seigneurs signèrent certainement de grand cœur ce dernier mot où l’habile rédacteur insinuait que les bénéfices, fondés pour la plupart par leurs ancêtres, devaient être donnés à leurs cadets ou à leurs créatures, ainsi que cela se fait en Angleterre, surtout depuis la Réforme. C’était attacher à la défaite du pape le retour des biens immenses dont les seigneurs s’étaient dépouillés pour l’Église dans les âges de ferveur religieuse[40].

La lettre des bourgeois fut calquée sur celle des nobles, si nous en jugeons par la réponse des cardinaux. Mais elle n’a pas été conservée, soit qu’on n’ait daigné en tenir compte, soit qu’on ait craint que le dernier des trois ordres ne tirât plus tard avantage du langage hardi qu’on lui avait permis de prendre dans cette occasion.

La lettre des membres du clergé est tout autrement modérée et douce. D’abord elle est adressée au pape : « Sanctissimo patri ac domino suo carissimo… » Ils exposent les griefs du roi et réclament son indépendance quant au temporel. Ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour l’adoucir ; ils l’ont supplié de permettre qu’ils allassent aux pieds de la béatitude apostolique. Mais la réponse est venue du roi et des barons qu’on ne leur permettrait aucunement de sortir du royaume. Ils sont tenus au roi par leur serment de fidélité à la conservation de sa personne, de ses honneurs et libertés, à celle des droits du royaume, d’autant plus que nombre d’entre eux tiennent des duchés, comtés, baronies et autres fiefs. Enfin, dans cette nécessité extrême, ils ont recours à la providence de Sa Sainteté, « avec des paroles pleines de larmes et des sanglots mêlés de pleurs, implorant sa clémence paternelle, etc. ».

Cette lettre, si différente de l’autre, contient pourtant également le grand grief de la noblesse : « Les prélats n’ont plus de quoi donner, pas même de quoi rendre, aux nobles dont les ancêtres ont fondé les églises[41]. »

Pendant que la lutte s’engageait ainsi contre le pape, une grande et terrible nouvelle avait compliqué l’embarras. Les États s’étaient assemblés le 10 avril. Mais, le 21 mars, le massacre des Vêpres siciliennes s’était renouvelé à Bruges. Quatre mille Français avaient été égorgés dans cette ville.

La noblesse était réunie aux États. Il ne s’agissait que de la faire chevaucher vers la Flandre, tout animée de colère qu’elle était déjà, toute gonflée d’orgueil féodal, et de lui faire gagner une belle bataille sur les Flamands, qui eût été une victoire sur le pape. Pierre Flotte, si engagé dans cette cause, ne pouvait perdre le roi de vue. Tout chancelier qu’il était et homme de robe longue, il monta à cheval avec les hommes d’armes.

Les Flamands, qui avaient appelé les Français, en étaient cruellement punis. La malveillance mutuelle avait éclaté dès le premier jour. Édouard ayant laissé le comte à ses propres forces pour faire tête à Wallace, les Français le poussèrent de place en place et lui persuadèrent de se livrer à Philippe, qui le traiterait bien. Le bon traitement fut de rentrer dans la prison du Louvre, où déjà sa fille était morte.

Le roi des Français n’avait eu qu’à prendre paisiblement possession des Flandres. Il ne soupçonnait pas lui-même l’importance de sa conquête. Quand il mena la reine avec lui voir ces riches et fameuses villes de Gand et de Bruges, ils en furent éblouis, effrayés. Les Flamands allèrent au-devant en nombre innombrable, curieux de voir un roi. Ils vinrent bien vêtus[42], gros et gras, chargés de lourdes chaînes d’or. Ils croyaient faire honneur et plaisir à leur nouveau seigneur. Ce fut tout le contraire. La reine ne leur pardonna pas d’être si braves, aux femmes encore moins : « Ici, dit-elle avec dépit, je n’aperçois que des reines. »

Le gouverneur royal Châtillon s’attacha à les guérir de cet orgueil, de cette richesse insolente. Il leur ôta leurs élections municipales et le maniement de leurs affaires ; c’était mettre les riches contre soi. Puis il frappa les pauvres : il mit l’impôt d’un quart sur le salaire quotidien de l’ouvrier. Le Français, habitué à vexer nos petites communes, ne savait pas quel risque il y avait à mettre en mouvement ces prodigieuses fourmilières, ces formidables guêpiers de Flandre. Le lion couronné de Gand, qui dort aux genoux de la Vierge[43], dormait mal et s’éveillait souvent. La cloche de Roland sonnait pour l’émeute plus fréquemment que pour le feu. — Roland ! Roland ! tintement, c’est incendie ! volée, c’est soulèvement[44] !

Il n’était pas difficile de prévoir. Le peuple commençait à parler bas, à s’assembler à la tombée du jour[45]. Il n’y avait pas vingt ans qu’avaient eu lieu les Vêpres siciliennes.

D’abord trente chefs de métiers vinrent se plaindre à Châtillon de ce qu’on ne payait pas les ouvrages commandés pour le roi. Le grand seigneur, habitué aux droits de corvée et de pourvoierie, trouva la réclamation insolente et les fit arrêter. Le peuple en armes les délivra et tua quelques hommes, au grand effroi des riches, qui se déclarèrent pour les gens du roi. L’affaire fut portée au parlement. Voilà le parlement de Paris qui juge la Flandre, comme tout à l’heure il jugeait le roi d’Angleterre.

Le parlement décida que les chefs de métiers devaient rentrer en prison. Parmi les chefs se trouvaient deux hommes aimés du peuple, le doyen des bouchers et celui des tisserands. Celui-ci, Peter Kœnig (Pierre-le-Roi), était un homme pauvre et de mauvaise mine, petit et borgne, mais un homme de tête, un rude harangueur de carrefour[46]. Il entraîna les gens de métiers hors de Bruges, leur fit massacrer tous les Français dans les villes et châteaux voisins. Puis ils rentrèrent la nuit. Des chaînes étaient tendues pour empêcher les Français de courir la ville ; chaque bourgeois s’était chargé de dérober au cavalier logé chez lui sa selle et sa bride. Le 21 mars 1302, tous les gens du peuple se mettent à battre leurs chaudrons ; un boucher frappe le premier, les Français sont partout attaqués, massacrés. Les femmes étaient les plus furieuses à les jeter par les fenêtres ; ou bien on les menait aux halles, où ils étaient égorgés. Le massacre dura trois jours ; douze cents cavaliers, deux mille sergents à pied y périrent.

Après cela, il fallait vaincre ; les gens de Bruges marchèrent d’abord sur Gand, dans l’espoir que cette grande ville se joindrait à eux. Mais les Gantais furent retenus par leurs gros fabricants[47], peut-être aussi par la jalousie de Gand contre Bruges. Les Brugeois n’eurent pour eux, outre le Franc de Bruges, qu’Ypres, l’Écluse, Newport, Berghes, Furnes et Gravelines, qui les suivirent de gré ou de force. Ils avaient mis à la tête de leurs milices un fils du comte de Flandre et un de ses petits-fils, qui était clerc, et qui se défroqua pour se battre avec eux.

Ils étaient dans Courtrai, lorsque l’armée française vint camper en face. Ces artisans, qui n’avaient guère combattu en rase campagne, auraient peut-être reculé volontiers. Mais la retraite était trop dangereuse dans une grande plaine et devant toute cette cavalerie. Ils attendirent donc bravement. Chaque homme avait mis devant lui à terre son guttentag ou pieu ferré. Leur devise était belle : Scilt und vriendt, Mon ami et mon bouclier. Ils voulurent communier ensemble, et se firent dire la messe. Mais, comme ils ne pouvaient tous recevoir l’eucharistie, chaque homme se baissa, prit de la terre et en mit dans sa bouche[48]. Les chevaliers qu’ils avaient avec eux, pour les encourager, renvoyèrent leurs chevaux ; et en même temps qu’ils se faisaient ainsi fantassins, ils firent chevaliers les chefs des métiers. Ils savaient tous qu’ils n’avaient pas de grâce à attendre. On répétait que Châtillon arrivait avec des tonneaux pleins de cordes pour les étrangler. La reine avait, disait-on, recommandé aux Français que quand ils tueraient les porcs flamands, ils n’épargnassent pas les truies flamandes[49].

Le connétable Raoul de Nesle proposait de tourner les Flamands et de les isoler de Courtrai. Mais le cousin du roi, Robert d’Artois, qui commandait l’armée, lui dit brutalement : « Est-ce que vous avez peur de ces lapins, ou bien avez-vous de leur poil ? » Le connétable, qui avait épousé une fille du comte de Flandre, sentit l’outrage et répondit fièrement : « Sire, si vous venez où j’irai, vous irez bien avant ! » En même temps il se lança en aveugle à la tête des cavaliers dans une poussière de juillet (11 juillet 1302). Chacun s’efforçant de le suivre et craignant de rester à la queue, les derniers poussaient les premiers ; ceux-ci, approchant des Flamands, trouvèrent, ce qu’on trouve partout dans ce pays coupé de fossés et de canaux, un fossé de cinq brasses de large[50]. Ils y tombèrent, s’y entassèrent ; le fossé étant en demi-lune, il n’y avait pas moyen de s’écouler par les côtés. Toute la chevalerie de France vint s’enterrer là : Artois, Châtillon, Nesle, Brabant, Eu, Aumale, Dammartin, Dreux, Soissons, Tancarville, Vienne, Melun, une foule d’autres, le chancelier aussi, qui sans doute ne comptait pas périr en si glorieuse compagnie.

Les Flamands tuaient à leur aise ces cavaliers désarçonnés ; ils les choisissaient dans le fossé. Quand les cuirasses résistaient, ils les assommaient avec des maillets de plomb ou de fer[51]. Ils avaient parmi eux bon nombre de moines ouvriers[52], qui s’acquittaient en conscience de cette sanglante besogne. Un seul de ces moines prétendit avoir assommé quarante chevaliers et quatorze cents fantassins ; évidemment le moine se vantait. Quatre mille éperons dorés (un autre dit sept cents), furent pendus dans la cathédrale de Courtrai. Triste dépouille qui porta malheur à la ville. Quatre-vingts ans après, Charles VI vit les éperons et fit massacrer tous les habitants.

Cette terrible défaite, qui avait exterminé toute l’avant-garde de l’armée de France, c’est-à-dire la plupart des grands seigneurs, cette bataille qui ouvrait tant de successions, qui faisait tomber tant de fiefs à des mineurs sous la tutelle du roi, affaiblit pour un moment sa puissance militaire sans doute, mais elle ne lui ôta rien de sa vigueur contre le pape. En un sens, la royauté en était plutôt fortifiée. Qui sait si le pape n’eût trouvé moyen de tourner contre le roi quelques-uns de ces grands feudataires qui avaient signé, il est vrai, la fameuse lettre ; mais qui, revenant tous de la guerre de Flandre, revenant riches et vainqueurs, eussent moins craint la royauté ?

Il renonçait à confondre les deux puissances, comme il avait paru vouloir le faire jusque-là. Mais lorsqu’on eut appris à Rome la défaite de Philippe à Courtrai, la cour pontificale changea de langage ; un cardinal écrivit au duc de Bourgogne que le roi était excommunié pour avoir défendu aux prélats de venir à Rome, que le pape ne pouvait écrire à un excommunié, qu’il fallait avant tout qu’il fît pénitence. Cependant les prélats, ralliés au pape par la défaite du roi, partirent pour Rome au nombre de quarante-cinq. C’était comme une désertion en masse de l’Église gallicane. Le roi perdait d’un coup tous ses évêques, de même qu’il venait de perdre presque tous ses barons à Courtrai[53].

Ce gouvernement de gens de loi montra une vigueur et une activité extraordinaires. Le 23 mars, une grande ordonnance très populaire fut proclamée pour la réformation du royaume. Le roi y promit bonne administration, justice égale, répression de la vénalité, protection aux ecclésiastiques, égards aux privilèges des barons, garantie des personnes, des biens, des coutumes. Il promettait la douceur, et il s’assurait la force. Il releva le Châtelet et sa police armée, ses sergents ; sergents à pied, sergents à cheval, sergents à la douzaine, sergents du guet.

Les deux adversaires, près de se choquer, ne voulurent laisser rien derrière eux. Ils sacrifièrent tout à l’intérêt de cette grande lutte. Le pape s’accommoda avec Albert d’Autriche, et le reconnut pour empereur. Il lui fallait quelqu’un à opposer au roi de France. Le roi acheta la paix aux Anglais par l’énorme sacrifice de la Guyenne (20 mai). Quelle dut être sa douleur, quand il lui fallut rendre à son ennemi ce riche pays, ce royaume de Bordeaux !

Mais c’est qu’il fallait vaincre ou périr[54]. Le 12 mars, l’homme même du roi, le successeur de Pierre Flotte, ce hardi Gascon Nogaret lut et signa un furieux manifeste contre Boniface[55].

« Le glorieux prince des apôtres, le bienheureux Pierre, parlant en esprit, nous a dit que, tout comme aux temps anciens, de même dans l’avenir, il viendra de faux prophètes qui souilleront la voie de vérité, et qui, dans leur avarice, dans leurs fallacieuses paroles, trafiqueront de nous-mêmes, à l’exemple de ce Balaam qui aima le salaire de l’iniquité. Balaam eut pour correction et avertissement une bête qui, prenant la voix humaine, proclama la folie du faux prophète… Ces choses annoncées par le père et patriarche de l’Église, nous les voyons de nos yeux réalisées à la lettre. En effet, dans la chaire du bienheureux Pierre siège ce maître de mensonges, qui, quoique Mal-faisant de toute manière, se fait appeler Boniface[56]. Il n’est pas entré par la porte du bercail du Seigneur, ni comme pasteur et ouvrier, mais plutôt comme voleur et brigand… Le véritable époux vivant encore (Célestin V), il n’a pas craint de violer l’Épouse d’un criminel embrassement. Le véritable époux, Célestin, n’a pas consenti à ce divorce. En effet, comme disent les lois humaines : Rien de plus contraire au consentement que l’erreur… Celui-là ne peut épouser, qui, du vivant d’un premier mari non indigne, a souillé le mariage d’adultère. Or, comme ce qui se commet contre Dieu fait tort et injure à tous, et que dans un si grand crime on admet à témoigner le premier venu, même la femme, même une personne infâme ; moi donc, ainsi que la bête qui, par la vertu du Seigneur, prit la voix d’homme parfait pour reprendre la folie du faux prophète prêt à maudire le peuple béni, j’adresse à vous ma supplique, très excellent prince, seigneur Philippe, par la grâce de Dieu roi de France, pour qu’à l’exemple de l’ange qui présenta l’épée nue à ce maudisseur du peuple de Dieu, vous qui êtes oint pour l’exécution de la justice, vous opposiez l’épée à cet autre et plus funeste Balaam, et l’empêchiez de consommer le mal qu’il prépare au peuple. »

Rien ne fut décidé. Le roi louvoyait encore. Il permit à trois évêques d’excuser la défense qu’il avait faite aux prélats. Le pape envoya un légat, sans doute pour tâter le clergé de France, et voir s’il voudrait remuer. Mais rien ne bougea. Le roi dit au légat qu’il prendrait pour arbitres les ducs de Bretagne et de Bourgogne ; c’était flatter la noblesse et s’en assurer ; du reste, il ne cédait rien. Alors le pape adressa au légat un bref dans lequel il déclarait que le roi avait encouru l’excommunication, comme ayant empêché les prélats de se rendre à Rome.

Le légat laissa le bref et s’enfuit. Le roi saisit deux prêtres qui l’avaient apporté avec le légat et les ecclésiastiques qui le copiaient. Le bref était du 13 avril. Deux mois après (jour pour jour), les deux avocats qui succédaient à Pierre Flotte agirent contre Boniface : Plasian accusa, Nogaret exécuta. Le premier, en présence des barons assemblés en États au Louvre, prononça un réquisitoire contre Boniface[57] et un appel au prochain concile. Aux accusations précédentes, Plasian ajoutait celle d’hérésie. Le roi souscrivit à l’appel, et Nogaret partit pour l’Italie.

Pour soutenir cette démarche définitive, le roi ne se contenta pas de l’assentiment collectif des États. Il adressa des lettres individuelles aux prélats, aux églises, aux villes, aux universités ; ces lettres furent portées de province en province par le vicomte de Narbonne et par l’accusateur même, Plasian[58]. Le roi prie et requiert de consentir au concile : Nos requirentes consentire. Il n’eût pas été sûr de refuser en face à l’accusateur. Il rapporta plus de sept cents adhésions. Tout le monde avait souscrit, ceux même qui, l’année précédente, après la défaite du roi à Courtrai, s’étaient malgré lui rendus près du pape. La saisie du temporel des quarante-cinq avait suffi pour les convertir au parti du roi. Sauf Cîteaux, que le pape avait gagné par une faveur récente et qui se partagea, tous donnèrent à Plasian des lettres d’adhésion au concile.

Les corps les plus favorisés des papes se déclarèrent pour le roi, l’université de Paris, les dominicains de la même ville, les mineurs[59] de Touraine. Quelques-uns, comme un prieur de Cluny et un templier, adhèrent, mais sub protestationibus[60].

Le pape leur faisait encore grand’peur. Il fallait en retour que le roi donnât des lettres par lesquelles lui, la reine et les jeunes princes s’engageaient à défendre tel ou tel qui avait adhéré au concile[61]. C’était comme une assurance mutuelle que le roi et les corps du royaume se donnaient dans ce péril[62].

Le 15 août, Boniface déclara par une bulle qu’au pape seul il appartenait de convoquer un concile. Il répondit aux accusations de Plasian et de Nogaret, particulièrement au reproche d’hérésie. À cette occasion, il disait : « Qui a jamais ouï dire que, je ne dis pas dans notre famille, mais dans notre pays natal, dans la Campanie, il y ait jamais eu un hérétique ? » C’était attaquer indirectement Plasian et Nogaret, qui étaient justement des pays albigeois. On disait même que le grand-père de Nogaret avait été brûlé.

Les deux accusateurs savaient bien tout ce qu’ils avaient à craindre. L’acharnement du pape contre Pierre Flotte devait les éclairer. Avant la bataille de Courtrai, Boniface avait, dans son discours aux cardinaux, tout rejeté sur celui-ci, annonçant qu’il se réservait de le punir spirituellement et temporellement[63]. C’était ouvrir au roi un moyen de finir la querelle par le sacrifice du chancelier. Il périt à Courtrai ; mais combien ses deux successeurs n’avaient pas plus à craindre, après leurs audacieuses accusations ! Aussi dès le 7 mars, cinq jours avant la première requête, Nogaret s’était fait donner des pouvoirs illimités du roi, un véritable blanc-seing, pour traiter, et pour faire tout ce qui serait à propos[64]. Il partit pour l’Italie avec cette arme, personnellement intéressé à s’en servir pour la perte du pape. Il prit poste à Florence près du banquier du roi de France, qui devait lui donner tout l’argent qu’il demanderait. Il avait avec lui le gibelin des gibelins, le proscrit et la victime de Boniface, un homme voué et damné pour la mort du pape, Sciarra Colonna. C’était un homme précieux pour un coup. Ce roi des montagnards sabins, des banditi de la campagne romaine, savait si bien ce que le pape eût fait de lui, qu’étant tombé dans les mains des corsaires, il rama pour eux pendant plusieurs années, plutôt que de dire son nom et de risquer d’être vendu à Boniface[65].

Après la bulle du 15 août, on devait croire que Boniface allait lancer la sentence qui avait mis tant de rois hors du trône, et déclarer les sujets de Philippe déliés de leur serment envers lui. Réconcilié avec l’empereur Albert, il savait à qui donner la France. Il allait peut-être renouveler contre la maison de Capet la tragique histoire de la maison de Souabe. La bulle était prête en effet dès le 5 septembre. Il fallait la prévenir, émousser cette arme dans les mains du pape en lui signifiant l’appel au concile. Il fallait lui signifier cet appel à Anagni, dans sa ville natale, où il s’était réfugié au milieu de ses parents, de ses amis, au milieu d’un peuple qui venait de traîner dans la boue les lis et le drapeau de France[66]. Nogaret n’était pas homme de guerre, mais il avait de l’argent. Il se ménagea des intelligences dans Anagni, et pour dix mille florins (nous avons la quittance[67]), il s’assura de Supino, capitaine de Ferentino, ville ennemie d’Anagni. « Supino s’engagea pour la vie ou la mort dudit Boniface[68]. » Colonna donc et Supino, avec trois cents cavaliers et beaucoup de gens à pied, de leurs clients ou des soldats de France, introduisirent Nogaret dans Anagni aux cris de : Meure le pape, vive le roi de France[69] ! La commune sonne la cloche, mais elle prend justement pour capitaine un ennemi de Boniface[70], qui donne la main aux assaillants, et se met à piller les palais des cardinaux ; ils se sauvèrent par les latrines. Les gens d’Anagni, ne pouvant empêcher le pillage, se mettent à piller de compagnie. Le pape, près d’être forcé dans son palais, obtient un moment de trêve, et fait avertir la commune ; la commune s’excuse. Alors cet homme si fier s’adressa à Colonna lui-même. Mais celui-ci voulait qu’il abdiquât et se rendît à discrétion. « Hélas ! dit Boniface, voilà de dures paroles[71] ! » Cependant ses ennemis avaient brûlé une église qui défendait le palais. Le neveu du pape abandonna son oncle et traita pour lui-même. Ce dernier coup brisa le vieux pape. Cet homme de quatre-vingt-six ans se mit à pleurer[72]. Cependant les portes craquent, les fenêtres se brisent, la foule pénètre. On menace, on outrage le vieillard. Il ne répond rien. On le somme d’abdiquer. « Voilà mon cou, voilà ma tête », dit-il.

Selon Villani, il aurait dit à l’approche de ses ennemis : « Trahi comme Jésus, je mourrai, mais je mourrai pape. » Et il aurait pris le manteau de saint Pierre, mis la couronne de Constantin sur sa tête, et pris dans sa main les clefs et la crosse.

On dit que Colonna frappa le vieillard à la joue de son gantelet de fer[73]. Nogaret lui adressa des paroles qui valaient un glaive : « O toi, chétif pape, confesse et regarde de monseigneur le roy de France la bonté qui tant loing est de toy son royaume, te garde par moy et défend[74]. » Le pape répondit avec courage : « Tu es de famille hérétique, c’est de toi que j’attends le martyre[75]. »

Colonna aurait volontiers tué Boniface ; l’homme de loi l’en empêcha[76]. Cette brusque mort l’eût trop compromis. Il ne fallait pas que le prisonnier mourût entre ses mains. Mais, d’autre part, il n’était guère possible de le mener jusqu’en France[77]. Boniface refusait de rien manger, craignant le poison. Ce refus dura trois jours, au bout desquels le peuple d’Anagni, s’apercevant du petit nombre d’étrangers, s’ameuta, chassa les Français et délivra son pape.

On l’apporta sur la place, qui pleurait comme un enfant. Selon le récit passionné de Walsingham, « il remercia Dieu et le peuple de sa délivrance, et dit : Bonnes gens, vous avez vu comme mes ennemis ont enlevé tous mes biens et ceux de l’Église. Me voilà pauvre comme Job. Je vous dis en vérité que je n’ai rien à manger ni à boire. S’il est quelque bonne femme qui veuille me faire aumône de pain ou de vin, ou d’un peu d’eau au défaut de vin, je lui donnerai la bénédiction de Dieu et la mienne. Quiconque m’apportera la moindre chose pour subvenir à mes besoins, je l’absoudrai de tout péché… Tout le peuple se mit à crier : Vive le saint-père ! Les femmes coururent en foule au palais pour y porter du pain, du vin ou de l’eau ; ne trouvant point de vases, elles versaient dans un coffre… Chacun pouvait entrer, et parlait avec le pape comme avec tout autre pauvre[78].

« Le pape donna au peuple l’absolution de tout péché, sauf le pillage des biens de l’Église et des cardinaux. Pour ce qui était à lui, il le leur laissa. On lui en rapporta cependant quelque chose. Il protesta ensuite devant tous qu’il voulait avoir paix avec les Colonna et tous ses ennemis. Puis il partit pour Rome avec une grande foule de gens armés. » Mais lorsqu’il arriva à Saint-Pierre et qu’il ne fut plus soutenu par le sentiment du péril, la peur et la faim dont il avait souffert, la perte de son argent, l’insolente victoire de ses ennemis, cette humiliation infinie d’une puissance infinie, tout cela lui revint à la fois ; sa tête octogénaire n’y tint pas : il perdit l’esprit.

Il s’était confié aux Orsini, comme ennemis des Colonna. Mais il fut ou crut être encore arrêté par eux. Soit qu’ils voulussent cacher au peuple le scandale d’un pape hérétique, soit qu’ils s’entendissent avec les Colonna pour le retenir prisonnier, Boniface ayant voulu sortir pour se réfugier chez d’autres barons, les deux cardinaux Orsini lui barrèrent le passage et le firent rentrer. La folie devint rage, et dès lors il repoussa tout aliment. Il écumait et grinçait des dents. Enfin, un de ses amis, Jacobo de Pise, lui ayant dit : « Saint-Père, recommandez-vous à Dieu, à la vierge Marie, et recevez le corps du Christ », Boniface lui donna un soufflet, et cria en mêlant les deux langues : Allonta de Dio et de Sancta Maria, nolo, nolo. Il chassa deux frères mineurs qui lui apportaient le viatique, et il expira au bout d’une heure sans communion ni confession. Ainsi se serait vérifié le mot que son prédécesseur Célestin avait dit de lui : « Tu as monté comme un renard ; tu régneras comme un lion ; tu mourras comme un chien[79]. »

On trouve d’autres détails, mais plus suspects encore, dans une pièce où respire une haine furieuse, et qui semble avoir été fabriquée par les Plasian et les Nogaret pour la faire courir dans le peuple, immédiatement après l’événement : « La vie, état et condition du pape Maléface, racontée par des gens dignes de foi. Le 9 octobre, le Pharaon, sachant que son heure approchait, confessa qu’il avait eu des démons familiers, qui lui avaient fait faire tous ses crimes. Le jour et la nuit qui suivirent, on entendit tant de tonnerres, tant d’horribles tempêtes, on vit une telle multitude d’oiseaux noirs aux effroyables cris, que tout le peuple consterné criait : « Seigneur Jésus, ayez pitié, ayez pitié, ayez pitié de nous ! » Tous affirmaient que c’étaient bien les démons d’enfer qui venaient chercher l’âme de ce Pharaon. Le 10, comme ses amis lui contaient ce qui s’était passé, et l’avertissaient de songer à son âme… lui, enveloppé du démon, furieux et grinçant des dents, il se jeta sur le prêtre comme pour le dévorer. Le prêtre s’enfuit à toutes jambes jusqu’à l’église… Puis, sans mot dire, il se tourna de l’autre côté… Comme on le portait à sa chaise, on le vit jeter les yeux sur la pierre de son anneau et s’écrier : « O vous, malins esprits enfermés dans cette pierre, vous qui m’avez séduit… pourquoi m’abandonnez-vous maintenant ? » Et il jeta au loin son anneau. Son mal et sa rage croissant, endurci dans son iniquité, il confirma tous ses actes contre le roi de France et ses serviteurs, et les publia de nouveau… Ses amis, pour calmer ses douleurs, lui avaient amené le fils de maître Jacques de Pise, qu’il aimait auparavant à tenir dans ses bras, comme pour se glorifier dans le péché… mais à la vue de l’enfant, il se jeta sur lui, et, si on ne l’eût enlevé, il lui aurait arraché le nez avec les dents. Finalement ledit Pharaon, ceint de tortures par la vengeance divine, mourut le 2 sans confession, sans marque de foi ; et ce jour, il y eut tant de tonnerres, de tempêtes, de dragons dans l’air, vomissant la flamme, tant d’éclairs et de prodiges, que le peuple romain croyait que la ville entière allait descendre dans l’abîme[80]. »

Dante, malgré sa violente invective contre les bourreaux du pontife, lui marque sa place en enfer. Au chant XIX de l’Inferno, Nicolas III, plongé la tête en bas dans les flammes, entend parler et s’écrie : « Est-ce donc déjà toi, debout là-haut ? est-ce donc déjà toi, Boniface ? L’arrêt m’a donc menti de plusieurs années. Es-tu donc sitôt rassasié de ce pourquoi tu n’as pas craint de ravir par mal engin la belle Épouse, pour en faire ravage et ruine ? »


Le successeur de Boniface, Benoit XI, homme de bas lieu, mais d’un grand mérite, que les Orsini avaient fait pape, ne se sentait pas bien fort à son avènement. Il reçut de bonne grâce les félicitations du roi de France, apportées par Plasian, par l’accusateur même du dernier pape. Philippe sentait que son ennemi n’était pas tellement mort, qu’il ne pût frapper quelque nouveau coup. Il poussait la guerre à outrance ; il envoya au pape un mémoire contre Boniface, qui pouvait passer pour une amère satire de la cour de Rome[81]. Il s’écrivit lui-même par ses gens de loi une Supplication du pueuble de France au Roy contre Boniface. Cet acte important, rédigé en langue vulgaire, était plutôt un appel du roi au peuple qu’une supplique du peuple au roi.

Benoît, au contraire, avait paru vouloir d’abord étouffer cette grande affaire, en pardonnant à tous ceux qui y avaient trempé ; il n’exceptait que Nogaret. Mais leur pardonner, c’était les déclarer coupables. Il atteignit de cette clémence offensante le roi, les Colonna, les prélats qui ne s’étaient pas rendus à la sommation de Boniface.

Philippe, alors accablé par la guerre de Flandre, avait beaucoup à craindre. La meilleure partie des cardinaux refusait d’adhérer à son appel au concile. Le pape devenait menaçant. Le roi en était à désirer l’absolution, qu’il avait d’abord dédaignée. La demanda-t-il sérieusement, on serait tenté d’en douter quand on voit que la demande fut portée au pape par Plasian et Nogaret. Celui-ci s’était probablement donné cette mission pour rompre un arrangement qui ne pouvait se faire qu’à ses dépens. Le choix seul d’un tel ambassadeur était sinistre. Le pape éclata et lança une furieuse bulle d’excommunication : « Flagitiosum scelus et scelestum flagitium, quod quidam sceleratissimi viri, summum audentes nefas in personam bonæ memoriæ Bonifacii P. VIII[82]… »

Le roi semblait compris dans cette bulle. Elle fut rendue le 7 juin 1304. Le 4 juillet, Benoît était mort. On dit qu’une jeune femme voilée, qui se donnait pour converse de Sainte-Pétronille à Pérouse, vint lui présenter à table une corbeille de figues-fleurs[83]. Il en mangea sans défiance, se trouva mal et mourut en quelques jours. Les cardinaux, craignant de découvrir trop aisément le coupable, ne firent aucune poursuite.

Cette mort vint à point pour Philippe. La guerre de Flandre l’avait mis à bout. Il n’avait pu, en 1303, empêcher les Flamands d’entrer en France, de brûler Térouanne et d’assiéger Tournai[84]. Il n’avait sauvé cette ville qu’en demandant une trêve, en mettant en liberté le vieux Guy, qui devait rentrer en prison si la paix ne se faisait pas. Le vieillard remercia ses braves Flamands, bénit ses fils, et revint mourir à quatre-vingts ans dans sa prison de Compiègne.

En 1304, au moment même où le pape mourait si à propos, Philippe fit un effort désespéré pour finir la guerre. Il avait extorqué quelque argent en vendant des privilèges, surtout en Languedoc, favorisant ainsi les communes du Midi pour écraser celles du Nord. Il loua des Génois, et avec leurs galères il gagna une bataille navale devant Ziriksée (août). Les Flamands n’en étaient pas plus abattus. Ils se croyaient soixante mille. C’était la Flandre au complet pour la première fois ; toutes les milices des villes étaient réunies, celles de Gand et de Bruges, celles d’Ypres, de Lille et de Courtrai. À leur tête étaient trois fils du vieux comte, son cousin Guillaume de Juliers et plusieurs barons des Pays-Bas et d’Allemagne. Philippe, ayant forcé le passage de la Lys, les trouva à Mons-en-Puelle, dans une formidable enceinte de voitures et de chariots. Il envoya contre eux, non plus sa gendarmerie comme à Courtrai, mais des piétons gascons, qui, toute la journée sous un soleil ardent, les tinrent en alerte, sans manger ni boire ; les vivres étaient sur les chariots. Ce jeûne les outra, ils perdirent patience, et le soir par leurs trois portes se lancèrent tous ensemble sur les Français. Ceux-ci ne songeaient plus à eux ; le roi était désarmé et allait se mettre à table. D’abord, ce choc de sangliers renversa tout. Mais quand les Flamands entrèrent dans les tentes, et qu’ils virent tant de choses bonnes à prendre, il n’y eut pas moyen de les retenir ensemble, chacun voulut faire sa main. Cependant les Français se rallièrent ; la cavalerie écrasa les pillards ; ils laissèrent six mille hommes sur la place.

Le roi alla mettre le siège devant Lille, ne doutant pas de la soumission des Flamands. Il fut bien étonné quand il les vit revenir soixante mille, comme s’ils n’avaient pas perdu un seul homme. Il pleut des Flamands, disait-il. Les grands de France, qui ne se souciaient pas de se battre avec ces désespérés, conseillèrent au roi de traiter avec eux. Il fallut leur rendre leur comte, fils du vieux Gui, et promettre au petit-fils le comté de Rethel, héritage de sa femme. Philippe gardait la Flandre française et devait recevoir deux cent mille livres.

Rien n’était fini. Il n’était pas spécifié s’il gardait cette province comme gage ou comme acquisition ; quant à l’argent, il ne le tenait pas. D’autre part, l’affaire du pape était gâtée plus qu’arrangée. C’était un triste bonheur que la mort subite de Benoît XI[85].

Une disette, un imprudent maximum, une perquisition des blés, tout cela animait le peuple. On commençait à parler. Un clerc de l’Université parla haut et fut pendu. Une pauvre béguine de Metz, qui avait fondé un ordre de religieuses, eut révélation des châtiments que le ciel réservait aux mauvais rois. Charles-de-Valois la fit prendre, et pour lui faire dire que ces prophéties étaient soufflées par le diable, il lui fit brûler les pieds. Mais chacun crut à la prédiction, quand on vit, l’année suivante, une comète apparaître avec un éclat horrible[86].

Philippe-le-Bel était revenu vainqueur et ruiné. Il se rendit solennellement à Notre-Dame, parmi le peuple affamé et les malédictions à voix basse. Il entra à cheval dans l’église, et pour remercier Dieu d’avoir échappé quand les Flamands l’avaient surpris, il y voua dévotement son effigie équestre et armée de toutes pièces. On la voyait encore à Notre-Dame peu de temps avant la Révolution, à côté du colossal Saint Christophe.

Nogaret ne s’oublia pas ; il triompha aussi à sa manière. Nous avons quittance de lui, prouvant que ses appointements furent portés de cinq cents à huit cents livres[87].

  1. Cette tradition populaire n’est confirmée par aucun texte bien ancien, non plus qu’une bonne partie des traits satiriques qui suivent.
  2. On sait qu’Hugues-Capet ne voulut jamais porter la couronne. Robert est le premier des Capétiens qui la porta.
  3. Allusion à la canonisation récente de saint Louis.
  4. Il s’agit de Charles-de-Valois.
  5. Dante, Purgat.
  6. D. Vaissette.
  7. Ordonnances.
  8. App. 9.
  9. Beaumanoir.
  10. Dupuy, Différend de Boniface VIII.
  11. Dupuy, Templiers.
  12. « Ita ut secundus regulus videretur, ad cujus nutum regni negotia gerebantur. » (Bern. Guidonis, Vita Clem. V.)
  13. Félibien.
  14. Montpellier était en même temps un fief de l’évêché de Maguelone. L’évêque, fatigué de la résistance des bourgeois et de l’appui qu’ils trouvaient dans le roi de France, vendit tous ses droits à ce dernier. Ces droits, jusque-là jugés invalides, parurent alors assez bons pour servir à dépouiller le vieux Jacques.
  15. App. 10.
  16. « Quis Flandriæ posset nocere, si duæ illæ civitates (Bruges et Gand) concordes inter se forent. » (Meyer.)
  17. App. 11.
  18. Oudegherst.
  19. Édouard, en 1289 ; Philippe, en 1290.
  20. Guillaume de Nangis.
  21. J’aurais peine à croire ce chiffre, s’il n’avait été affirmé en ma présence par le ministre même qui avait fait prendre ces informations. — Ajoutons que l’un des couvents récemment supprimés à Madrid (San Salvador) avait deux millions de biens et un seul religieux.
  22. Édouard Ier s’y était pris plus rudement encore ; sur le refus du clergé de payer un impôt, il le mit en quelque sorte hors la loi, lâchant les soldats contre les prêtres, et défendant aux juges de recevoir les plaintes de ceux-ci. (Knygthon.) — Philippe-le-Bel, au moins, y mettait des formes : « Comme ce qui est donné vaut mieux et est plus agréable à Dieu et aux hommes que ce qui est exigé, nous exhortons votre charité à nous donner cette aide de la double dîme ou cinquième. »
  23. Dupuy, Différ.
  24. Voy. mon Histoire romaine.
  25. Au point qu’il y eut famine. Voyez le livre du cardinal de Saint-Georges, neveu de Boniface : De Jubilæo.
  26. Pétrarque.
  27. App. 12.
  28. App. 13.
  29. App. 14.
  30. App. 15.
  31. Il le prouve : 1o par l’origine de Romulus, descendant tout à la fois d’Europe et d’Atlas (l’Afrique) ; 2o par les miracles que Dieu a faits pour Rome : ainsi les ancilia de Numa, les oies du Capitole, etc. ; 3o par la bonté que Rome a montrée au monde, en voulant bien le conquérir, etc.
  32. « Antequam essent clerici, rex Franciæ habebat custodiam regni sui, et poterat statuta facere. »
  33. App. 16.
  34. « Iste non est homo, sed diabolus », témoignage du comte lui-même.
  35. Cet évêque de Toulouse était détesté dans son diocèse comme Français, comme étranger à la langue du pays.
  36. Imitation pédantesque d’un passage du discours de Cicéron, Pro Roscio Amerino, sur le supplice du parricide.
  37. « Belial ille, Petrus Flote, semi vivens corpore, menteque totaliter excæcatus. » (Bulle de Boniface aux prélats de France.)
  38. App. 17.
  39. Ont-ils été les premiers ? M. de Stadler signale des assemblées partielles en 1294, et une assemblée générale à Paris en 1295. Philippe-le-Bel avait déjà plus d’une fois demandé des subsides à des assemblées de députés des trois ordres, soit sous la forme d’États provinciaux, soit sous la forme d’États généraux.
  40. App. 18.
  41. App. 19.
  42. « Tricolori vestitu… Primates inter se dissidentes duos habebant, colores, multitudo addidit tertium. » (Meyer.)
  43. App. 20.
  44. App. 21.
  45. « Convenire, conferre, colloqui inter se sub crepusculum noctis multitudo. » (Meyer.)
  46. App. 22.
  47. App. 23.
  48. App. 24.
  49. App. 25.
  50. Oudegherst ne parle pas du fossé, sans doute pour rehausser la gloire des Flamands.
  51. App. 26.
  52. Meyer.
  53. App. 27.
  54. Déjà on avait mis en avant un Normand, maître Pierre Dubois, avocat au bailliage de Coutances, qui donna contre le pape une consultation triplement bizarre pour le style, l’érudition et la logique. App. 28.
  55. Dans la suscription, il se fait appeler Chevalier et vénérable professeur en droit. Il s’était fait faire chevalier, en effet, par le roi, en 1297. Mais il n’a pas osé ici, dans une assemblée de la noblesse, signer lui-même cette qualité.
  56. App. 29.
  57. App. 30.
  58. Le prieur et le couvent des Frères Prêcheurs de Montpellier ayant répondu qu’ils ne pouvaient adhérer sans l’ordre exprès de leur prieur général, qui était à Paris, les agents du roi dirent qu’ils voulaient savoir l’intention de chacun en particulier et en secret. Les religieux persistant, les agents leur enjoignirent de sortir sous trois jours du royaume. Ils en dressèrent acte.
  59. App. 31.
  60. Dupuy.
  61. Dupuy.
  62. Voy. tous ces actes dans Dupuy.
  63. « Et volumus quod Achitophel iste Petrus puniatur temporaliter et spiritualiter, sed rogamus Deum quod reservet eum nobis puniendum, sicut justum est. » (Dupuy.)
  64. App. 32.
  65. Pétrarque.
  66. App. 33.
  67. Dupuy.
  68. App. 34.
  69. « Muoia papa Bonifacio, è viva il rè di Francia. » (Villani.)
  70. « Pulsata communi campana, et tractatu habito, elegerunt sibi capitaneum quemdam Arnulphum… Qui quidem… illis ignorantibus, domini papæ exstitit capitalis inimicus. » (Walsingham.)
  71. « Heu me ! durus est hic sermo ! »
  72. Flevit amare.
  73. App. 35.
  74. Chron. de Saint-Denis.
  75. Dupuy.
  76. Lettres justificatives de Nogaret. (Dupuy.)
  77. Nogaret l’avait menacé de le faire conduire, lié et garrotté, à Lyon, où il serait jugé et déposé par le concile général. (Villani.)
  78. App. 36.
  79. Dupuy.
  80. Dupuy, Preuves. Walsingham, qui écrit sous une influence contraire, exagère plutôt le crime des ennemis de Boniface. Selon lui, Colonna, Supino et le sénéchal du roi de France, ayant saisi le pape, le mirent sur un cheval sans frein, la face tournée vers la queue, et le firent courir presque jusqu’au dernier souffle ; puis ils l’auraient fait mourir de faim sans le peuple d’Anagni.
  81. App. 37.
  82. Dupuy.
  83. C’est-à-dire de la première récolte.
  84. App. 38.
  85. App. 39.
  86. C’est la comète de Halley, qui reparaît à des intervalles de soixante-quinze à soixante-seize ans. App. 40.
  87. D. Vaissette.