Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Moyen Âge/Livre 9/Chapitre 3

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Œuvres complètes de J. Michelet
(Histoire de Francep. 307-345).

CHAPITRE III

Suite du précédent. — Concile de Constance (1414-1418).
Mort d’Henri V et de Charles VI (1422).
Deux rois de France, Charles VII et Henri VI.


Dans les années 1421 et 1422, l’Anglais résida souvent au Louvre, exerçant les pouvoirs de la royauté, faisant justice et grâce, dictant des ordonnances, nommant des officiers royaux. À Noël, à la Pentecôte, il tint cour plénière et table royale avec la jeune reine. Le peuple de Paris alla voir Leurs Majestés siégeant couronne en tête, et autour, dans un bel ordre, les évêques, les princes, les barons et chevaliers anglais. La foule affamée vint repaître ses yeux du somptueux banquet, du riche service ; puis elle s’en alla à jeun, sans que les maîtres d’hôtel eussent rien offert à personne. Ce n’était pas comme cela sous nos rois, disaient-ils en s’en allant ; à de pareilles fêtes, il y avait table ouverte ; s’asseyait qui voulait ; les serviteurs servaient largement, et des mets, des vins du roi même. Mais alors le roi et la reine étaient à Saint-Paul, négligés et oubliés.

Les plus mécontents ne pouvaient nier, après tout, que cet Anglais ne fût une noble figure de roi et vraiment royale. Il avait la mine haute, l’air froidement orgueilleux, mais il se contraignait assez pour parler honnêtement à chacun, selon sa condition, surtout aux gens d’Église. On remarquait, à sa louange, qu’il n’affirmait jamais avec serment ; il disait seulement : « Impossible » ou bien : « Cela sera[1]. » En général, il parlait peu. Ses réponses étaient brèves « et tranchaient comme rasoir[2]. »

Il était surtout beau à voir, quand on lui apportait de mauvaises nouvelles ; il ne sourcillait pas, c’était la plus superbe égalité d’âme. La violence du caractère, la passion intérieure, ordinairement contenue, perçait plutôt dans les succès ; l’homme parut à Azincourt… Mais au temps où nous sommes il était bien plus haut encore, si haut qu’il n’y a guère de tête d’homme qui n’y eût tourné : roi d’Angleterre et déjà de France, traînant après lui son allié et serviteur le duc de Bourgogne, ses prisonniers le roi d’Écosse, le duc de Bourbon, le frère du duc de Bretagne, enfin les ambassadeurs de tous les princes chrétiens. Ceux du Rhin particulièrement lui faisaient la cour ; ils tendaient la main à l’argent anglais. Les archevêques de Mayence et de Trèves lui avaient rendu hommage, et étaient devenus ses vassaux[3]. Le palatin et autres princes d’Empire, avec toute leur fierté allemande, sollicitaient son arbitrage, et n’étaient pas loin de reconnaître sa juridiction. Cette couronne impériale qu’il avait prise hardiment à Azincourt, elle semblait devenue sur sa tête la vraie couronne du saint Empire, celle de la chrétienté.

Une telle puissance pesa, comme on peut croire, au concile de Constance. Cette petite Angleterre s’y fit d’abord reconnaître pour un quart du monde, pour une des quatre nations du concile. Le roi des Romains, Sigismond, étroitement lié avec les Anglais, croyait les mener et fut mené par eux. Le pape prisonnier, confié d’abord à la garde de Sigismond, le fut ensuite à celle d’un évêque anglais ; Henri V, qui avait déjà tant de princes français et écossais dans ses prisons, se fit encore remettre ce précieux gage de la paix de l’Église.

Pour faire comprendre le rôle que l’Angleterre et la France jouèrent dans ce concile, nous devons remonter plus haut. Quelque triste que soit alors l’état de l’Église, il faut que nous en parlions et que nous laissions un moment ce Paris d’Henri V. Notre histoire est d’ailleurs à Constance autant qu’à Paris.

Si jamais concile général fut œcuménique, ce fut celui de Constance. On put croire un moment que ce ne serait pas une représentation du monde, mais que le monde y venait en personne, le monde ecclésiastique et laïque[4]. Le concile semblait bien répondre à cette large définition que Gerson donnait d’un concile : « Une assemblée… qui n’exclue aucun fidèle. » Mais il s’en fallait de beaucoup que tous fussent des fidèles ; cette foule représentait si bien le monde, qu’elle en contenait toutes les misères morales, tous les scandales. Les Pères du concile qui devait réformer la chrétienté ne pouvaient pas même réformer le peuple de toute sorte qui venait à leur suite ; il leur fallut siéger comme au milieu d’une foire, parmi les cabarets et les mauvais lieux.

Les politiques doutaient fort de l’utilité du concile[5]. Mais le grand homme de l’Église, Jean Gerson, s’obstinait à y croire ; il conservait, par delà tous les autres, l’espoir et la foi. Malade du mal de l’Église[6], il ne pouvait s’y résigner. Son maître, Pierre d’Ailly, s’était reposé dans le cardinalat. Son ami, Clémengis, qui avait tant écrit contre la Babylone papale, alla la voir et s’y trouva si bien qu’il devint le secrétaire, l’ami des papes.

Gerson voulait sérieusement la réforme, il la voulait avec passion, et quoi qu’il en coûtât. Pour cela, il fallait trois choses : 1o rétablir l’unité du pontificat, couper les trois têtes de la papauté ; 2o fixer et consacrer le dogme ; Wicleff, déterré et brûlé à Londres[7], semblait reparaître à Prague dans la personne de Jean Huss ; 3o il fallait raffermir enfin le droit royal, condamner la doctrine meurtrière du franciscain Jean Petit.

Ce qui rendait la position de Gerson difficile, ce qui l’animait d’un zèle implacable contre ses adversaires, c’est qu’il avait partagé, ou semblait partager encore plusieurs de leurs opinions. Lui aussi, à une autre époque, il avait dit comme Jean Petit cette parole homicide : « Nulle victime plus agréable à Dieu qu’un tyran[8]. » Dans sa doctrine sur la hiérarchie et la juridiction de l’Église, il avait bien aussi quelque rapport avec les novateurs. Jean Huss soutenait, comme Wicleff, qu’il est permis à tout prêtre de prêcher sans autorisation de l’évêque ni du pape. Et Gerson, à Constance même, fit donner aux prêtres et même aux docteurs laïques le droit de voter avec les évêques et de juger le pape. Il reprochait à Jean Huss de rendre l’inférieur indépendant de l’autorité, et cet inférieur, il le constituait juge de l’autorité même.

Les trois papes furent déclarés déchus. Jean XXIII fut dégradé, emprisonné. Grégoire XII abdiqua. Le seul Benoît XIII (Pierre de Luna), retiré dans un fort du royaume de Valence, abandonné de la France, de l’Espagne même, et n’ayant plus dans son obédience que sa tour et son rocher, n’en brava pas moins le concile, jugea ses juges, les vit passer comme il en avait vu tant d’autres, et mourut invincible à près de cent ans.

Le concile traita Jean Huss comme un pape, c’est-à-dire très mal. Ce docteur était en réalité, depuis 1412, comme le pape national de la Bohême. Soutenu par toute la noblesse du pays, directeur de la reine, poussé peut-être sous main par le roi Wenceslas[9], comme Wicleff semble l’avoir été par Édouard III et Richard II, beau-frère de Wenceslas, Jean Huss était le héros du peuple beaucoup plus qu’un théologien[10] ; il écrivait dans la langue du pays ; il défendait la nationalité de la Bohême contre les Allemands, contre les étrangers en général ; il repoussait les papes, comme étrangers surtout. Du reste, il n’attaquait pas, comme fit Luther, la papauté même. Dès son arrivée à Constance, il fut absous par Jean XXIII.

Jean Huss soutenait les opinions de Wicleff sur la hiérarchie ; il voulait, comme lui, un clergé national, indigène, élu sous l’influence des localités. En cela il plaisait aux seigneurs, qui, comme anciens fondateurs, comme patrons et défenseurs des Églises, pouvaient tout dans les élections locales. Huss fut donc, comme Wicleff, l’homme de la noblesse. Les chevaliers de Bohême écrivirent trois fois au concile pour le sauver ; à sa mort, ils armèrent leurs paysans et commencèrent la terrible guerre des hussites.

Sous d’autres rapports, Huss était bien moins le disciple de Wicleff qu’il ne se le croyait lui-même. Il se rapprochait de lui pour la Trinité ; mais il n’attaquait pas la présence réelle, pas davantage la doctrine du libre arbitre. Je ne vois pas du moins dans ses ouvrages que, sur ces questions essentielles, il se rattache à Wicleff, autant qu’on le croirait d’après les articles de condamnation.

En philosophie, loin d’être un novateur, Jean Huss était le défenseur des vieilles doctrines de la scolastique. L’Université de Prague, sous son influence, resta fidèle au réalisme du moyen âge, tandis que celle de Paris, sous d’Ailly, Clémengis et Gerson, se jetait dans les nouveautés hardies du nominalisme trouvées (ou retrouvées) par Occam. C’était le novateur religieux, Jean Huss, qui défendait le vieux credo philosophique des écoles. Il le soutenait dans son Université bohémienne, d’où il avait chassé les étrangers ; il le soutenait à Oxford, à Paris même, par son violent disciple Jérôme de Prague. Celui-ci était venu braver dans sa chaire, dans son trône, la formidable Université de Paris[11], dénoncer les maîtres de Navarre pour leur enseignement nominaliste, les signaler comme des hérétiques en philosophie, comme de pernicieux adversaires du réalisme de saint Thomas.

Jusqu’à quel point cette question d’école avait-elle aigri nos gallicans, les meilleurs, les plus saints ?… On n’ose sonder cette triste question. Eux-mêmes probablement n’auraient pu l’éclaircir. Ils s’expliquaient leur haine contre Jean Huss par sa participation aux hérésies de Wicleff.

Le concile s’ouvrit le 5 novembre 1414 ; dès le 27 mai, Gerson avait écrit à l’archevêque de Prague pour qu’il livrât Jean Huss au bras séculier. « Il faut, disait-il, couper court aux disputes qui compromettent la vérité ; il faut, par une cruauté miséricordieuse, employer le fer et le feu[12]. » Les gallicans auraient bien voulu que l’archevêque pût épargner au concile cette terrible besogne. Mais qui aurait osé en Bohême mettre la main sur l’homme des chevaliers bohémiens ?

Jean Huss était brave comme Zwingli ; il voulut voir en face ses ennemis ; il vint au concile. Il croyait d’ailleurs à la parole de Sigismond, dont il avait un sauf-conduit. Là, excepté le pape, il trouva tout le monde contre lui. Les Pères, qui par leur violence contre la papauté se sentaient devenus fort suspects aux peuples, avaient besoin d’un acte vigoureux contre l’hérésie, pour prouver leur foi. Les Allemands trouvaient fort bon qu’on brûlât un Bohémien ; les Nominaux se résignaient aisément à la mort d’un Réaliste[13]. Le roi des Romains, qui lui avait promis sûreté[14], saisit cette occasion de perdre un homme dont la popularité pouvait fortifier Wenceslas en Bohême.

Ceux même qui ne trouvaient pas le Bohémien hérétique, le condamnèrent comme rebelle ; qu’il eût erré ou non, il devait, disaient-ils, se rétracter sur l’ordre du concile[15]. Cette assemblée, qui venait de nier trois fois l’infaillibilité du pape, réclamait pour elle-même l’infaillibilité, la toute-puissance sur la raison individuelle. La république ecclésiastique se déclarait aussi absolue que la monarchie pontificale. Elle posa de même la question entre l’autorité et la liberté, entre la majorité et la minorité ; faible minorité sans doute, qui, dans cette grande assemblée, se réduisait à un individu ; l’individu ne céda pas, il aima mieux périr.

Il dut en coûter au cœur de Gerson de consommer ce sacrifice à l’unité spirituelle, cette immolation d’un homme… L’année suivante, il fallut en immoler un autre. Jérôme de Prague avait échappé ; mais quand il apprit comment son maître était mort, il rougit de vivre et revint devant ses juges. Le concile devait démentir son premier arrêt ou brûler encore celui-ci[16].

L’un des vœux de Gerson, l’une des bénédictions qu’il attendait du concile, c’était qu’il condamnerait solennellement ce droit de tuer, prêché par Jean Petit… Et pour en venir là, il a fallu commencer par tuer deux hommes !… Deux ? Deux cent mille peut-être. Ce Huss, brûlé, ressuscité dans Jérôme et encore brûlé, il est si peu mort que maintenant il revient comme un grand peuple, un peuple armé, qui poursuit la controverse l’épée à la main. Les hussites, avec l’épée, la lance et la faux, sous le petit Procope, sous Ziska, l’indomptable borgne, donnent la chasse à la belle chevalerie allemande : et quand Procope sera tué, le tambour fait de sa peau mènera encore ces barbares, et battra par l’Allemagne son roulement meurtrier.

Nos gallicans avaient payé cher la réforme de Constance, et ils ne l’eurent pas[17]. Elle fut habilement éludée. Les Italiens, qui d’abord avaient les trois autres nations contre eux, surent se rallier les Anglais ; ceux-ci, qui avaient paru si zélés, qui avaient tant accusé la France de perpétuer les maux de l’Église, s’accordèrent avec les Italiens pour faire décider, contre l’avis des Français et des Allemands, que le pape serait élu avant toute réforme, c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas de réforme sérieuse. Ce point décidé, les Allemands se rapprochèrent des Italiens et des Anglais, et les trois nations firent ensemble un pape italien. Les Français restèrent seuls et dupes, ne pouvant manquer d’avoir le pape contre eux, puisqu’ils avaient entravé son élection. Il était beau, toutefois, d’être ainsi dupes, pour avoir persévéré dans la réforme de l’Église.

C’était en 1417 ; le connétable d’Armagnac, partisan du vieux Benoît XIII, gouvernait Paris au nom du roi et du dauphin. Il fit ordonner par le dauphin, à l’Université, de suspendre son jugement sur l’élection du nouveau pape, Martin V ; mais son parti était tellement affaibli dans Paris même, malgré les moyens de terreur dont il avait essayé, que l’Université osa passer outre et approuver l’élection. Elle avait hâte de se rendre le pape favorable ; elle voyait que le système des libres élections ecclésiastiques qu’elle avait tant défendu, ne profitait point aux universitaires. Elle avait abaissé la papauté, relevé le pouvoir des évêques ; et ceux-ci, de concert avec les seigneurs, faisaient élire aux bénéfices des gens incapables, illettrés, les cadets des seigneurs, leurs ignares chapelains, les fils de leurs paysans, qu’ils tonsuraient tout exprès. Les papes, du moins, s’ils plaçaient des prêtres peu édifiants, choisissaient parfois des gens d’esprit. L’Université déclara qu’elle aimait mieux que le pape donnât les bénéfices[18]. C’était un curieux spectacle de voir l’Université, si longtemps alliée aux évêques contre le pape, de la voir retourner à sa mère, la papauté, et attester contre les évêques, contre les élections locales, la puissance centrale de l’Église. Mais l’Université l’avait tuée, cette puissance pontificale ; elle n’y revenait qu’en abdiquant ses maximes, en se reniant et se tuant elle-même.

Ce fut le sort de Gerson de voir ainsi la fin de la papauté et de l’Université. Après le concile de Constance, il se retira brisé, non en France, il n’y avait plus de France. Il chercha un asile dans les forêts profondes du Tyrol, puis à Vienne, où il fut reçu par Frédéric d’Autriche, l’ami du pape que Gerson avait fait déposer.

Plus tard, la mort du duc de Bourgogne encouragea Gerson à revenir, mais seulement jusqu’au bord de la France, jusqu’à Lyon. C’était une ville française, naguère d’Empire, mais toujours une ville commune à tous, une république marchande dont les privilèges couvraient tout le monde, une patrie commune pour le Suisse, le Savoyard, l’Allemand, l’Italien, autant que pour le Français. Ce confluent des fleuves et des peuples, sous la vue lointaine des Alpes, cet océan d’hommes de tout pays, cette grande et profonde ville avec ses rues sombres et ses escaliers noirs qui ont l’air de grimper au ciel, c’était une retraite plus solitaire que les solitudes du Tyrol. Il s’y blottit dans un couvent de Célestins dont son frère était prieur ; il y expia, par la docilité monastique, sa domination sur l’Église, goûtant le bonheur d’obéir, la douceur de ne plus vouloir, de sentir qu’on ne répond plus de soi. S’il reprit par intervalles cette plume toute-puissante, ce fut pour chercher le moyen de calmer la guerre qui le travaillait encore ; pour trouver le moyen d’accorder le mysticisme et la raison, d’être scientifiquement mystique, de délirer avec méthode. Sans doute que ce grand esprit finit par sentir que cela encore était vain. On dit qu’en ses dernières années il ne pouvait plus voir que des enfants, comme il arriva sur la fin à Rousseau et à Bernardin de Saint-Pierre. Il ne vécut plus qu’avec les petits, les enseignant[19], ou plutôt recevant lui-même l’enseignement de ces innocents[20]. Avec eux, il apprenait la simplicité, désapprenait la scolastique. On inscrivit sur sa tombe : Sursum corda[21] !

Le résultat du concile de Constance était un revers pour la France, une défaite, et plus grande qu’on ne peut dire, une bataille d’Azincourt. Après avoir eu si longtemps un pape à elle, une sorte de patriarche français, par lequel elle agissait encore sur ses alliés d’Écosse et d’Espagne, elle allait voir l’unité de l’Église rétablie en apparence, rétablie contre elle au profit de ses ennemis ; ce pape italien, client du parti anglo-allemand, n’allait-il pas entrer dans les affaires de France, y dicter les ordres de l’étranger ?

L’Angleterre avait vaincu par la politique, aussi bien que par les armes. Elle avait eu grande part à l’élection de Martin V ; elle tenait entre les mains son prédécesseur, Jean XXIII, sous la garde du cardinal de Winchester, oncle d’Henri V. Henri pouvait exiger du pape tout ce qu’il croirait nécessaire à l’accomplissement de ses projets sur la France, Naples, les Pays-Bas, l’Allemagne, la terre sainte.

Dans cette suprême grandeur où l’Angleterre semblait arrivée, il y avait bien pourtant un sujet d’inquiétude. Cette grandeur, ne l’oublions pas, elle la devait principalement à l’étroite alliance de l’épiscopat et de la royauté sous la maison de Lancastre : ces deux puissances s’étaient accordées pour réformer l’Église et conquérir la France schismatique. Or, au moment de la réforme, l’épiscopat anglais n’avait que trop laissé voir combien peu il s’en souciait ; d’autre part, la conquête de la France à peine commencée, la bonne intelligence des deux alliés, épiscopat et royauté, était déjà compromise.

Depuis un siècle, l’Angleterre accusait la France de ne vouloir aucune réforme, de perpétuer le schisme. Elle en parlait à son aise, elle qui, par son statut des Proviseurs, avait de bonne heure annulé l’influence papale dans les élections ecclésiastiques. Séparée du pape sous ce rapport, elle avait beau jeu de reprocher le schisme aux Français. La France, soumise au pape, voulait un pape français à Avignon ; l’Angleterre, indépendante du pape dans la question essentielle, voulait un pape universel, et elle l’aimait mieux à Rome que partout ailleurs. Dès qu’il n’y eut plus de pape français, les Anglais ne s’inquiétèrent plus de réformer le pontificat ni l’Église.

Les Anglais avaient donné leur victoire pour la victoire de Dieu ; leur roi, sur les premières monnaies qu’il fit frapper en France, avait mis : « Christus regnat, Christus vincit, Christus imperat. » Il eut beaucoup d’égards et de ménagements pour les prêtres français ; il entendait son intérêt : ces prêtres, qui étaient prêtres bien plus que Français, devaient s’attacher aisément à un prince qui respectait leur robe. Mais ce n’était pas l’intérêt des lords évêques qui suivaient le roi comme conseillers, comme créanciers ; ils devaient trouver avantage à ce que la fuite des ecclésiastiques français laissât un grand nombre de bénéfices vacants qu’on pût administrer, ou même prendre, donner à d’autres. C’est ce qui explique peut-être la dureté que ce conseil anglais, presque tout ecclésiastique, montra pour les prêtres qu’on trouvait dans les places assiégées. Dans la capitulation de Rouen, dressée et négociée par l’archevêque de Cantorbéry, le fameux chanoine Delivet fut excepté de l’amnistie ; il fut envoyé en Angleterre ; s’il ne périt pas, c’est qu’il était riche, et qu’il composa pour sa vie. Les moines étaient traités plus durement encore que les prêtres. Lorsque Melun se rendit, on en trouva deux dans la garnison, et ils furent tués. À la prise de Meaux, trois religieux de Saint-Denis ne furent sauvés qu’à grand’peine par les réclamations de leur abbé ; mais le fameux évêque Cauchon, l’âme damnée du cardinal Winchester, les jeta dans d’affreux cachots[22].

Cela devait effrayer les bénéficiers absents. L’évêque de Paris, Jean Courtecuisse, n’osait revenir dans son évêché ; ces absences laissaient nombre de bénéfices à la discrétion des lords évêques, bien des fruits à percevoir. Le roi, qui sans doute aurait mieux aimé que les absents revinssent et se ralliassent à lui, ne se lassait pas de les rappeler, avec menaces de disposer de leurs bénéfices ; mais ils n’avaient garde de revenir. Les bénéfices étant alors considérés comme vacants, les lords évêques en disposaient pour leurs créatures ; cela faisait deux titulaires pour chaque bénéfice. Après avoir tant accusé la France de perpétuer le schisme pontifical, la conquête anglaise créait peu à peu un schisme dans le clergé français.

Ces grandes et lucratives affaires expliquent seules pourquoi, dans toutes les expéditions d’Henri V, nous voyons les grands dignitaires de l’Église d’Angleterre ne plus quitter son camp, le suivre pas à pas. Ils semblent avoir oublié leur troupeau : les âmes insulaires deviennent ce qu’elles peuvent ; les pasteurs anglais sont trop préoccupés de sauver celles du continent. Nous ne voyons encore au siège d’Harfleur que l’évêque de Norwich comme principal conseiller d’Henri. Mais après la bataille d’Azincourt le roi, pressé de revenir en France, se remet entre les mains des évêques ; il charge les deux chefs de l’épiscopat, l’archevêque de Cantorbéry et le cardinal de Winchester, de percevoir, au nom de la couronne, les droits féodaux de gardes, mariages et forfaitures pour notre prochain passage de mer[23]. Il fallait, avant même de commencer une autre expédition, mettre Harfleur en état de défense[23] ; le roi, parfaitement instruit des affaires de France, ne doutait pas qu’Armagnac n’essayât de lui arracher cet inappréciable résultat de la dernière campagne. Les évêques, qui seuls avaient de l’argent toujours prêt, firent évidemment les avances, et se firent assigner en garantie le produit de ces droits lucratifs.

Le cardinal Winchester, oncle d’Henri V, devint peu à peu l’homme le plus riche de l’Angleterre et peut-être du monde. Nous le voyons plus tard faire à la Couronne des prêts tels qu’aucun roi n’eût pu les faire alors ; des vingt mille, cinquante mille livres sterling à la fois[24]. Quelques années après la mort d’Henri, il se trouva un moment le vrai roi de la France et de l’Angleterre (1430-1432). Henri, de son vivant même, lui reprocha publiquement d’usurper les droits de la royauté[25] ; il croyait même que Winchester souhaitait impatiemment sa mort, et qu’il eût voulu la hâter.

Il se trompait peut-être ; mais ce qui est sûr, c’est que les deux royautés, la royauté militaire et la royauté épiscopale et financière, avaient pu commencer ensemble la conquête, mais qu’elles n’auraient pu posséder ensemble, qu’elles ne pouvaient tarder à se brouiller. Au moment de ce grand effort du siège de Rouen, le roi, ayant besoin d’argent, se hasarda à parler de réformer les mœurs du clergé[26]. Les évêques lui accordèrent une aide pour la guerre, mais ce ne fut pas gratis : ils se firent livrer en retour plusieurs hérétiques.

En 1420, sous prétexte d’invasion imminente des Écossais, il obtint une demi-décime du clergé du nord de l’Angleterre, et chargea l’archevêque d’York de lever cet impôt[27]. C’était la terrible année du traité de Troyes, il n’avait pas à espérer de rien tirer de la France, d’un pays ruiné, à qui cette année même on prenait son dernier bien, l’indépendance et la vie nationale. Au contraire, il essaya de rattacher étroitement la Normandie et la Guyenne à l’Angleterre, d’une part, en exemptant de certains droits les ecclésiastiques normands ; de l’autre, en diminuant les droits que payaient en Angleterre les marchands de vins de Bordeaux[28].

Mais en 1421, il fallut de l’argent à tout prix. Charles VII occupait Meaux et assiégeait Chartres. Les Anglais avaient mis toute la campagne précédente à prendre Melun. Henri V fut obligé de pressurer les deux royaumes, et l’Angleterre, mécontente et grondante, tout étonnée de payer lorsqu’elle attendait des tributs, et la malheureuse France, un cadavre, un squelette, dont on ne pouvait sucer le sang, mais tout au plus ronger les os. Le roi ménagea l’orgueil anglais en appelant l’impôt un emprunt ; emprunt volontaire, mais qui fut levé violemment, brusquement ; dans chaque comté, il avait désigné quelques personnes riches qui répondaient et payaient, sauf à lever l’argent sur les autres, en s’arrangeant comme ils pourraient : les noms de ceux qui auraient refusé devaient être envoyés au roi[29].

La Normandie fut ménagée, quant aux formes, presque autant que l’Angleterre. Le roi convoqua les trois États de Normandie à Rouen, pour leur exposer ce qu’il voulait faire pour l’avantage général. Ce qu’il voulait d’abord, c’était de recevoir du clergé une décime. En récompense, il limitait le pouvoir militaire des capitaines des villes[30], réprimait les excès des soldats. Le droit de prise ne devait plus être exercé en Normandie, etc.

L’emprunt anglais, la décime normande, ne suffisaient pas pour solder cette grosse armée de quatre mille hommes d’armes et de plusieurs milliers d’archers qu’il amenait d’Angleterre. Il fallut prendre une mesure qui frappât toute la France anglaise ; le coup fut surtout terrible à Paris. Henri V fit faire une monnaie forte, d’un titre double ou triple de la faible monnaie qui courait ; il déclara qu’il n’en recevrait plus d’autre ; c’était doubler ou tripler l’impôt. La chose fut plus funeste encore au peuple qu’utile au Trésor ; les transactions particulières furent étrangement troublées ; il fallut pendant toute l’année des règlements vexatoires pour interpréter, modifier cette grande vexation[31].

La lourde et dévorante armée que ramenait Henri ne lui était que trop nécessaire. Son frère Clarence venait d’être battu et tué avec deux ou trois mille Anglais en Anjou (bataille de Baugé, 23 mars 1421). Dans le Nord même, le comte d’Harcourt avait pris les armes contre les Anglais et courait la Picardie. Saintrailles et La Hire venaient à grandes journées lui donner la main. Tous les gentilshommes passaient peu à peu du côté de Charles VII[32], du parti qui faisait les expéditions hardies, les courses aventureuses. Les paysans, il est vrai, souffrant de ces courses et de ces pillages, devaient à la longue se rallier à un maître qui saurait les protéger[33].

La férocité des vieux pillards armagnacs servait Henri V. Il fit une chose populaire en assiégeant la ville de Meaux, dont le capitaine, une espèce d’ogre[34], le bâtard de Vaurus, avait jeté dans les campagnes une indicible terreur. Mais comme le bâtard et ses gens n’attendaient aucune merci, ils se défendirent en désespérés. Du haut des murs, ils vomissaient toute sorte d’outrages contre Henri V, qui était là en personne ; ils y avaient fait monter un âne, qu’ils couronnaient et battaient tour à tour ; c’était, disaient-ils, le roi d’Angleterre qu’ils avaient fait prisonnier. Ces brigands servirent admirablement la France, dont pourtant ils ne se souciaient guère. Ils tinrent les Anglais devant Meaux tout l’hiver, huit grands mois ; la belle armée se consuma par le froid, la misère et la peste. Le siège ouvrit le 6 octobre ; le 18 décembre, Henri, qui voyait déjà cette armée diminuer, écrivait en Allemagne, en Portugal, pour en tirer au plus tôt des soldats. Les Anglais probablement lui coûtaient plus cher que ces étrangers. Pour décider les mercenaires allemands à se louer à lui plutôt qu’au dauphin, il leur faisait dire entre autres choses qu’il les payerait en meilleure monnaie[35].

Il n’avait pas à compter sur le duc de Bourgogne. Il vint un moment au siège de Meaux, mais s’éloigna bientôt sous prétexte d’aller en Bourgogne pour obliger les villes de son duché à accepter le traité de Troyes. Henri avait bien lieu de croire que le duc lui-même avait sous main provoqué cette résistance à un traité qui annulait les droits éventuels de la maison de Bourgogne à la couronne, aussi bien que ceux du dauphin, du duc d’Orléans et de tous les princes français. Et pourquoi le jeune Philippe avait-il fait un tel sacrifice à l’amitié des Anglais ? Parce qu’il croyait avoir besoin d’eux pour venger son père et battre son ennemi. Mais c’étaient eux, bien plutôt, qui avaient besoin de lui. Le bonheur les avait quittés. Pendant que le duc de Clarence se faisait battre en Anjou, le duc de Bourgogne avait eu en Picardie un brillant succès ; il avait joint les Dauphinois, Saintrailles et Gamaches, avant qu’ils eussent pu se réunir à d’Harcourt, et les avait défaits et pris.

La malveillance réciproque des Anglais et des Bourguignons datait de loin. De bonne heure, ceux-ci avaient souffert de l’insolence de leurs alliés. Dès 1416, le duc de Glocester, se trouvant comme otage chez le duc de Bourgogne, Jean-sans-Peur, le fils de celui-ci, alors comte de Charolais, vint faire visite à Glocester ; celui-ci, qui parlait en ce moment à des Anglais, ne se dérangea point à l’arrivée du prince, et lui dit simplement bonjour sans même se tourner vers lui[36]. Plus tard, dans une altercation entre le maréchal d’Angleterre Cornwall et le brave capitaine bourguignon Hector de Saveuse, le général anglais, qui était à la tête d’une forte troupe, ne craignit pas de frapper le capitaine de son gantelet. Une telle chose laisse des haines profondes. Les Bourguignons ne les cachaient point.

L’homme le plus compromis peut-être du parti bourguignon était le sire de L’Île-Adam, celui qui avait repris Paris et laissé faire les massacres. Il croyait du moins que son maître le duc de Bourgogne en profiterait, mais celui-ci, comme on a vu, livra Paris à Henri V. L’Île-Adam avait peine à cacher sa mauvaise humeur. Un jour, il se présente au roi d’Angleterre vêtu d’une grosse cotte grise. Le roi ne passa point cela : « L’Île-Adam, lui dit-il, est-ce là la robe d’un maréchal de France ? » L’autre, au lieu de s’excuser, répliqua qu’il l’avait fait faire tout exprès pour venir par les bateaux de la Seine. Et il regardait le roi fixement. « Comment donc, dit l’Anglais avec hauteur, osez-vous bien regarder un prince au visage, quand vous lui parlez ! — Sire, dit le Bourguignon, c’est notre coutume à nous autres Français ; quand un homme parle à un autre, de quelque rang qu’il soit, les yeux baissés, on dit qu’il n’est pas prud’homme puisqu’il n’ose regarder en face. — Ce n’est pas l’usage d’Angleterre », dit sèchement le roi. Mais il se tint pour averti ; un homme qui parlait si ferme, avait bien l’air de ne pas rester longtemps du côté anglais. L’Île-Adam avait pris une fois Paris, peut-être aurait-il essayé de le reprendre, en cas d’une rupture d’Henri avec le duc de Bourgogne. Peu après, sous un prétexte, le duc d’Exeter, capitaine de Paris, mit la main sur le Bourguignon et le traîna à la Bastille. Le petit peuple s’assembla, cria et fit mine de le défendre. Les Anglais firent une charge meurtrière, comme sur une armée ennemie[37].

Henri V voulait faire tuer L’Île-Adam, mais le duc de Bourgogne intercéda. Ce qui fut tué, et à n’en jamais revenir, ce fut le parti anglais dans Paris.

Le changement est sensible dans le Journal du Bourgeois. Le sentiment national se réveille en lui, il se réjouit d’une défaite des Anglais[38] ; il commence à s’attendrir sur le sort des Armagnacs qui meurent sans confession[39].

Le roi d’Angleterre, prévoyant sans doute une rupture avec le duc de Bourgogne, semble avoir voulu prendre des postes contre lui dans les Pays-Bas. Il traita avec le roi des Romains pour l’acquisition du Luxembourg, puis chercha à conclure une étroite alliance avec Liège[40]. On se rappelle que c’est justement par la même acquisition et la même alliance que la maison d’Orléans se fit une ennemie irréconciliable de celle de Bourgogne.

Agir ainsi contre un allié qui avait été si utile, se préparer une guerre au Nord quand on ne pouvait venir à bout de celle du Midi, c’était une étrange imprudence. Quelles étaient donc les ressources du roi d’Angleterre ?

D’après son budget, tel qu’il fut dressé en 1421 par l’archevêque de Cantorbéry, le cardinal Winchester et deux autres évêques, son revenu n’était que de cinquante-trois mille livres sterling, ses dépenses courantes de cinquante mille (vingt et un mille seulement pour Calais et la marche voisine[41]). Il y avait un excédent apparent de trois mille livres. Mais, sur cette petite somme, il fallait qu’il pourvût aux dépenses de l’artillerie, des fortifications et constructions, des ambassades, de la garde des prisonniers, à celles de sa maison, etc., etc. Dans ce compte, il n’y avait rien[42] pour servir les intérêts des vieilles dettes d’Harfleur, de Calais, etc., qui allaient s’accroissant.

La situation d’Henri V devenait ainsi fort triste. Ce conquérant, ce dominateur de l’Europe, allait se trouver peu à peu sous la domination la plus humiliante, celle de ses créanciers. D’une part, il traînait après lui ce pesant conseil de lords évêques, qui ne pouvait manquer de devenir chaque jour et plus nécessaire et plus impérieux ; d’autre part, les hommes d’armes, les capitaines, qui lui avaient engagé, amené des soldats, devaient sans cesse réclamer l’arriéré[43].

Henri V avait trouvé au fond de sa victoire la détresse et la misère. L’Angleterre rencontrait dans son action sur l’Europe, au quinzième siècle, le même obstacle que la France avait trouvé au quatorzième. La France aussi avait alors étendu vigoureusement les bras au midi et au nord, vers l’Italie, l’Empire, les Pays-Bas. La force lui avait manqué dans ce grand effort, les bras lui étaient retombés, et elle était restée dans cet état de langueur où la surprit la conquête anglaise.

Les Anglais s’étaient figuré, en faisant la guerre, que la France pouvait la payer. Ils trouvèrent le pays déjà désolé. Depuis quinze ans, les misères avaient crû, les ruines étaient ruinées. Ils tirèrent si peu des pays conquis que, pour n’y pas périr eux-mêmes, il fallait qu’ils apportassent. Où prendre donc ? Nous l’avons dit, l’Église seule alors était riche. Mais comment la maison de Lancastre, qui s’était élevée à l’ombre de l’Église, et en lui livrant ses ennemis, comment eût-elle repris contre l’Église le rôle de ces ennemis même, celui des niveleurs hérétiques qu’elle avait livrés aux bûchers ?

L’Angleterre avait reproché à la France, pendant un siècle, d’exploiter l’Église, de détourner les biens ecclésiastiques à des usages profanes ; elle s’était chargée de mettre fin à un tel scandale, l’Église et la royauté anglaises s’étaient unies pour cette œuvre, et elles avaient en effet écrasé la France… Cela fait, où en étaient les vainqueurs ? au point où ils avaient trouvé les vaincus, dans les mêmes nécessités dont ils leur avaient fait un crime ; mais ils avaient de plus la honte de la contradiction. Si le roi des prêtres ne touchait au bien des prêtres, il était perdu. Ainsi commençait à apparaître tel qu’il était en réalité, faible et ruineux, ce colossal édifice dont le pharisaïsme anglican avait cru sceller les fondements du sang des lollards anglais et des Français schismatiques.

Henri V ne voyait que trop clairement tout cela ; il n’espérait plus. Rouen lui avait coûté une année, Melun une année, Meaux une année. Pendant cet interminable siège de Meaux, lorsqu’il voyait sa belle armée fondre autour de lui, on vint lui apprendre que la reine lui avait mis au monde un fils au château de Windsor : il n’en montra aucune joie, et, comparant sa destinée à celle de cet enfant, il dit avec une tristesse prophétique : « Henri de Monmouth aura régné peu et conquis beaucoup ; Henri de Windsor régnera longtemps et il perdra tout. La volonté de Dieu soit faite ! »

On conte qu’au milieu de ses sombres prévisions, un ermite vint le trouver et lui dit : « Notre-Seigneur, qui ne veut pas votre perte, m’a envoyé un saint homme, et voici ce que le saint homme a dit : « Dieu ordonne que vous vous désistiez de tourmenter son chrétien peuple de France ; sinon, vous avez peu à vivre[44]. »

Henri V était jeune encore ; mais il avait beaucoup travaillé en ce monde, le temps était venu du repos. Il n’en avait pas eu depuis sa naissance. Il fut pris après sa campagne d’hiver d’une vive irritation d’entrailles, mal fort commun alors, et qu’on appelait le feu Saint-Antoine. La dyssenterie le saisit[45]. Cependant le duc de Bourgogne lui ayant demandé secours pour une bataille qu’il allait livrer, il craignit que le jeune prince français ne vainquît encore cette fois tout seul, et il répondit : « Je n’enverrai pas, j’irai. » Il était déjà très faible, et se faisait porter en litière ; mais il ne put aller plus loin que Melun ; il fallut le rapporter à Vincennes. Instruit par les médecins de sa fin prochaine, il recommanda son fils à ses frères, et leur dit deux sages paroles : premièrement de ménager le duc de Bourgogne ; deuxièmement, si l’on traitait, de s’arranger toujours pour garder la Normandie.

Puis il se fit lire les psaumes de la pénitence ; et quand on en vint aux paroles du Miserere : Ut ædificentur muri Hierusalem, le génie guerrier du mourant se réveilla dans sa piété même : « Ah ! si Dieu m’avait laissé vivre mon âge, dit-il, et finir la guerre de France, c’est moi qui aurais conquis la terre sainte[46] ! »

Il semble qu’à ce moment suprême il ait éprouvé quelque doute sur la légitimité de sa conquête de France, quelque besoin de se rassurer. On en jugerait volontiers ainsi, d’après les paroles qu’il ajouta comme pour répondre à une objection intérieure : « Ce n’est pas l’ambition ni la vaine gloire du monde qui m’ont fait combattre. Ma guerre a été approuvée des saints prêtres et des prud’hommes ; en la faisant, je n’ai point mis mon âme en péril. » Peu après il expira (31 août 1422).

L’Angleterre, dont il avait exprimé l’opinion en mourant, lui rendit même témoignage. Son corps fut porté à Westminster, parmi un deuil incroyable, non comme celui d’un roi, d’un triomphateur, mais comme les reliques d’un saint[47].

Il était mort le 31 août ; Charles VI le suivit le 21 octobre[48]. Le peuple de Paris pleura son pauvre roi fol, autant que les Anglais leur victorieux Henri V. « Tout le peuple qui étoit dans les rues et aux fenêtres pleuroit et crioit, comme si chacun eût vu mourir ce qu’il aimoit le plus. Vraiment leurs lamentations étoient comme celles du prophète : Quomodo sedet sola civitas plena populo ? »

Le menu commun de Paris criait : « Ah ! très cher prince, jamais nous n’en aurons un si bon ! Jamais nous ne te verrons. Maudite soit la mort ! Nous n’aurons jamais plus que guerre, puisque tu nous a laissés. Tu vas en repos ; nous demeurons en tribulation et douleur[49]. »

Charles VI fut porté à Saint-Denis, « petitement accompagné pour un roi de France ; il n’avoit que son chambellan, son chancelier, son confesseur et quelques menus officiers ». Un seul prince suivait le convoi, et c’était le duc de Bedford. « Hélas ! son fils et ses parens ne pouvoient être à l’accompagner, de quoi ils estoient légitimement excusez[50]. » Cette belle famille était presque éteinte ; les trois fils aînés étaient morts. Des filles, l’aînée avait épousé l’infortuné Richard II, puis le duc d’Orléans, prisonnier pour toute sa vie ; la seconde, femme du duc de Bourgogne, mourut de chagrin ; la troisième avait été contrainte d’épouser l’ennemi de la France. Le seul qui restât des fils de Charles VI était proscrit, déshérité.

Lorsque le corps fut descendu, les huissiers d’armes rompirent leurs verges et les jetèrent dans la fosse, et ils renversèrent leurs masses. Alors Berri, roi d’armes de France, cria sur la fosse : « Dieu veuille avoir pitié de l’âme de très haut et très excellent prince Charles, roi de France, sixième du nom, notre naturel et souverain seigneur. » Ensuite il reprit : « Dieu accorde bonne vie à Henri par la grâce de Dieu roi de France et d’Angleterre, notre souverain seigneur[51]. »


Après avoir dit la mort du roi, il faudrait dire la mort du peuple. De 1418 à 1422, la dépopulation fut effroyable. Dans ces années lugubres, c’est comme un cercle meurtrier : la guerre mène à la famine, et la famine à la peste ; celle-ci ramène la famine à son tour. On croit lire cette nuit de l’Exode où l’ange passe et repasse, touchant chaque maison de l’épée.

L’année des massacres de Paris (1418), la misère, l’effroi, le désespoir, amenèrent une épidémie qui enleva, dit-on, dans cette ville seule quatre-vingt mille âmes[52]. « Vers la fin de septembre, dit le témoin oculaire, dans sa naïveté terrible, on mouroit tant et si vite, qu’il falloit faire dans les cimetières de grandes fosses où on les mettoit par trente et quarante, arrangés comme lard, et à peine poudrés de terre. On ne rencontroit dans les rues que prêtres qui portoient Notre-Seigneur. »

En 1419, il n’y avait pas à récolter ; les laboureurs étaient morts ou en fuite : on avait peu semé, et ce peu fut ravagé. La cherté des vivres devint extrême. On espérait que les Anglais rétabliraient un peu d’ordre et de sécurité, et que les vivres deviendraient moins rares ; au contraire, il y eut famine. « Quand venoient huit heures, il y avoit si grande presse à la porte des boulangers, qu’il faut l’avoir vu pour le croire… Vous auriez entendu dans tout Paris des lamentations pitoyables des petits enfants qui crioient : « Je meurs de faim ! » On voyoit sur un fumier vingt, trente enfants, garçons et filles, qui mouroient de faim et de froid. Et il n’y avoit pas de cœur si dur, qui, les entendant crier la nuit : « Je meurs de faim ! » n’en eût grand’pitié. Quelques-uns des bons bourgeois achetèrent trois ou quatre maisons dont ils firent hôpitaux pour les pauvres enfants[53]. »

En 1421, même famine et plus dure. Le tueur de chiens était suivi des pauvres, qui, à mesure qu’il tuait, dévoraient tout, « chair et trippes[54] ». La campagne, dépeuplée, se peuplait d’autre sorte : des bandes de loups couraient les champs, grattant, fouillant les cadavres ; ils entraient la nuit dans Paris, comme pour en prendre possession. La ville, chaque jour plus déserte, semblait bientôt être à eux : on dit qu’il n’y avait pas moins de vingt-quatre mille maisons abandonnées[55].

On ne pouvait plus rester à Paris. L’impôt était trop écrasant. Les mendiants (autre impôt) y affluaient de toute part, et à la fin il y avait plus de mendiants que d’autres personnes, on aimait mieux s’en aller, laisser son bien. Les laboureurs de même quittaient leurs champs et jetaient la pioche ; ils se disaient entre eux : « Fuyons aux bois avec les bêtes fauves… adieu les femmes et les enfants… Faisons le pis que nous pourrons. Remettons-nous en la main du Diable[56]. »

Arrivé là, on ne pleure plus ; les larmes sont finies, ou parmi les larmes même éclatent de diaboliques joies, un rire sauvage… C’est le caractère le plus tragique du temps, que, dans les moments les plus sombres, il y ait des alternatives de gaieté frénétique.

Le commencement de cette longue suite de maux, « de cette douloureuse danse », comme dit le Bourgeois de Paris, c’est la folie de Charles VI, c’est le temps aussi de cette trop fameuse mascarade des satyres, des mystères pieusement burlesques, des farces de la Bazoche.

L’année de l’assassinat du duc d’Orléans a été signalée par l’organisation du corps des ménétriers. Cette corporation, tout à fait nécessaire sans doute dans une si joyeuse époque, était devenue importante et respectable. Les traités de paix se criaient dans les rues à grand renfort de violons ; il ne se passait guère six mois qu’il n’y eût une paix criée et chantée[57].

L’aîné des fils de Charles VI, le premier dauphin, était un joueur infatigable de harpe et d’épinette. Il avait force musiciens, et faisait venir encore, pour aider, les enfants de chœur de Notre-Dame. Il chantait, dansait et « balait », la nuit et le jour[58], et cela l’année des cabochiens, pendant qu’on lui tuait ses amis. Il se tua, lui aussi, à force de chanter et de danser.

Cette apparente gaieté, dans les moments les plus tristes, n’est pas un trait particulier de notre histoire. La chronique portugaise nous apprend que le roi D. Pedro, dans son terrible deuil d’Inès qui lui dura jusqu’à la mort, éprouvait un besoin étrange de danse et de musique. Il n’aimait plus que deux choses : les supplices et les concerts. Et ceux-ci, il les lui fallait étourdissants, violents, des instruments métalliques, dont la voix perçante prît tyranniquement le dessus, fît taire les voix du dedans et remuât le corps, comme d’un mouvement d’automate. Il avait tout exprès pour cela de longues trompettes d’argent. Quelquefois, quand il ne dormait pas, il prenait ses trompettes avec des torches, et il s’en allait dansant par les rues ; le peuple alors se levait aussi, et soit compassion, soit entraînement méridional, ils se mettaient à danser tous ensemble, peuple et roi, jusqu’à ce qu’il en eût assez, et que l’aube le ramenât épuisé à son palais[59].

Il paraît constant qu’au quatorzième siècle la danse devint, dans beaucoup de pays, involontaire et maniaque. Les violentes processions des Flagellants en donnèrent le premier exemple. Les grandes épidémies, le terrible ébranlement nerveux qui en restait aux survivants, tournaient aisément en danse de Saint-Gui[60]. Ces phénomènes sont, comme on sait, de nature contagieuse. Le spectacle des convulsions agissait d’autant plus puissamment qu’il n’y avait dans les âmes que convulsions et vertige. Alors les sains et les malades dansaient sans distinction. On les voyait dans les rues, dans les églises, se saisir violemment par la main et former des rondes. Plus d’un, qui d’abord en riait ou regardait froidement, en venait aussi à n’y plus voir, la tête lui tournait, il tournait lui-même et dansait avec les autres. Les rondes allaient se multipliant, s’enlaçant ; elles devenaient de plus en plus vastes, de plus en plus aveugles, rapides, furieuses à briser tout, comme d’immenses reptiles qui, de minute en minute, iraient grossissant, se tordant. Il n’y avait pas à arrêter le monstre ; mais on pouvait couper les anneaux ; on brisait la chaîne électrique, en tombant des pieds et des poings sur quelques-uns des danseurs. Cette rude dissonance rompant l’harmonie, ils se trouvaient libres ; autrement, ils auraient roulé jusqu’à l’épuisement final et dansé à mort.

Ce phénomène du quatorzième siècle ne se représente pas au quinzième. Mais nous y voyons, en Angleterre, en France, en Allemagne, un bizarre divertissement qui rappelle ces grandes danses populaires de malades et de mourants. Cela s’appelait la danse des morts, ou danse macabre[61]. Cette danse plaisait fort aux Anglais, qui l’introduisirent chez nous[62].

On voyait naguère à Bâle[63], on voit encore à Lucerne, à la Chaise-Dieu en Auvergne, une suite de tableaux qui représentent la Mort entrant en danse avec des hommes de tout âge, de tout état, et les entraînant avec elle. Ces danses en peinture furent destinées à reproduire de véritables danses en nature et en action[64]. Elles durent certainement leur origine à quelques-uns des mimes sacrés qu’on jouait dans les églises, aux parvis, aux cimetières, ou même dans les rues aux processions[65]. L’effort des mauvais anges pour entraîner les âmes, tel qu’on le voit partout encore dans les bas-reliefs des églises, en donna sans doute la première idée. Mais, à mesure que le sentiment chrétien alla s’affaiblissant, ce spectacle cessa d’être religieux, il ne rappela aucune pensée de jugement, de salut, ni de résurrection[66], mais devint sèchement moral, durement philosophique et matérialiste. Ce ne fut plus le Diable, fils du péché, de la volonté corrompue, mais la Mort, la mort fatale, matérielle et sous forme de squelette. Le squelette humain, dans ses formes anguleuses et gauches au premier coup d’œil, rappelle, comme on sait, la vie de mille façons ridicules, mais l’affreux rictus prend en revanche un air ironique… Moins étrange encore par la forme que par la bizarrerie des poses, c’est l’homme et ce n’est pas l’homme. Ou, si c’est lui, il semble, cet horrible baladin, étaler avec un cynisme atroce la nudité suprême qui devait rester vêtue de la terre.

Le spectacle de la danse des morts se joua[67] à Paris en 1424 au cimetière des Innocents. Cette place étroite où pendant tant de siècles l’énorme ville a versé presque tous ses habitants, avait été d’abord tout à la fois un cimetière, une voirie, hantée la nuit des voleurs, le soir des folles filles qui faisaient leur métier sur les tombes. Philippe-Auguste ferma la place de murs, et pour la purifier, la dédia à saint Innocent, un enfant crucifié par les juifs. Au quatorzième siècle, les églises étant déjà bien pleines, la mode vint parmi les bons bourgeois de se faire enterrer au cimetière. On y bâtit une église ; Flamel y contribua, et mit au portail des signes bizarres, inexplicables qui, au dire du peuple, recélaient de grands mystères alchimiques. Flamel aida encore à la construction des charniers qu’on bâtit tout autour. Sous les arcades de ces charniers étaient les principales tombes ; au-dessus régnait un étage et des greniers, où l’on pendait demi-pourris les os que l’on tirait des fosses[68] ; car il y avait peu de place ; les morts ne reposaient guère ; dans cette terre vivante, un cadavre devenait squelette en neuf jours. Cependant tel était le torrent de matière morte qui passait et repassait, tel le dépôt qui en restait, qu’à l’époque où le cimetière fut détruit, le sol s’était exhaussé de huit pieds au-dessus des rues voisines[69]. De cette longue alluvion des siècles s’était formée une montagne de morts qui dominait les vivants.

Tel fut le digne théâtre de la danse macabre. On la commença en septembre 1424, lorsque les chaleurs avaient diminué, et que les premières pluies rendaient le lieu moins infect. Les représentations durèrent plusieurs mois.

Quelque dégoût que pussent inspirer et le lieu et le spectacle, c’était chose à faire réfléchir de voir, dans ce temps meurtrier, dans une ville si fréquemment, si durement visitée de la mort, cette foule famélique, maladive, à peine vivante, accepter joyeusement la Mort même pour spectacle, la contempler insatiablement dans ses moralités bouffonnes, et s’en amuser si bien qu’ils marchaient sans regarder sur les os de leurs pères, sur les fosses béantes qu’ils allaient remplir eux-mêmes.

Après tout, pourquoi n’auraient-ils pas ri, en attendant ? C’était la vraie fête de l’époque, sa comédie naturelle, la danse des grands et des petits. Sans parler de ces millions d’hommes obscurs qui y avaient pris part en quelques années, n’était-ce pas une curieuse ronde qu’avaient menée les rois et les princes, Louis d’Orléans et Jean-sans-Peur, Henri V et Charles VI ! Quel jeu de la mort, quel malicieux passe-temps d’avoir approché ce victorieux Henri, à un mois près, de la couronne de France ! Au bout de toute une vie de travail, pour survivre à Charles VI, il lui manquait un petit mois seulement… Non ! pas un mois, pas un jour ! Et il ne mourra pas même en bataille ; il faut qu’il s’alite avec la dyssenterie et qu’il meure d’hémorroïdes[70].

Si l’on eût trouvé un peu dures ces dérisions de la Mort, elle eût eu de quoi répondre. Elle eût dit qu’à bien regarder, on verrait qu’elle n’avait guère tué que ceux qui ne vivaient plus. Le conquérant était mort, du moment que la conquête languit et ne put plus avancer ; Jean-sans-Peur, lorsqu’au bout de ses tergiversations, connu enfin des siens même, il se voyait à jamais avili et impuissant. Partis et chefs de partis, tous avaient désespéré. Les Armagnacs, frappés à Azincourt, frappés au massacre de Paris, l’étaient bien plus encore par leur crime de Montereau. Les cabochiens et les Bourguignons avaient été obligés de s’avouer qu’ils étaient dupes, que leur duc de Bourgogne était l’ami des Anglais ; ils s’étaient vus forcés, eux qui s’étaient crus la France, de devenir Anglais eux-mêmes. Chacun survivait ainsi à son principe et à sa foi ; la mort morale, qui est la vraie, était au fond de tous les cœurs. Pour regarder la danse des morts, il ne restait que des morts.

Les Anglais même, les vainqueurs, à leur spectacle favori, ne pouvaient qu’être mornes et sombres. L’Angleterre, qui avait gagné à sa conquête d’avoir pour roi un enfant français par sa mère, avait bien l’air d’être morte, surtout s’il ressemblait à son grand-père Charles VI. Et pourtant en France cet enfant était Anglais, c’était Henri VI de Lancastre ; sa royauté était la mort nationale de la France même.

Lorsque, quelques années après, ce jeune roi anglo-français, ou plutôt ni l’un ni l’autre, fut amené dans Paris désert par le cardinal Winchester, le cortège passa devant l’hôtel Saint-Paul, où la reine Isabeau, veuve de Charles VI, était aux fenêtres. On dit à l’enfant royal que c’était sa grand’mère ; les deux ombres se regardèrent ; la pâle jeune figure ôta son chaperon et salua ; la vieille reine, de son côté, fit une humble révérence, mais, se détournant, elle se mit à pleurer[71].

  1. « Impossibile est ; vel : Sic fieri oportebit. » (Religieux.)
  2. Chronique de Georges Chastellain. App. 210.
  3. App. 211.
  4. On dit qu’il y vint cent cinquante mille personnes, que les chevaux des princes et prélats étaient au nombre de trente mille.
  5. App. 212.
  6. « In lecto adversæ valetudinis meæ. » (Gerson, Epistola de Reform. theologiæ.)
  7. Cette scène atroce eut lieu à Londres en 1412, la même année où Jérôme de Prague afficha la bulle sur la gorge d’une fille publique.
  8. D’après Sénèque le Tragique, « nulla Deo gratior victima quam tyrannus ». (Gerson, Considerationes contra adulatores.)
  9. Wenceslas le défendit contre les accusations des moines et des clercs. Voy. sa réponse dans Pfister, Hist. d’Allemagne.
  10. Voy. Renaissance. Notes de l’Introduction.
  11. App. 213.
  12. App. 214.
  13. Pierre d’Ailly avait contribué puissamment à la chute de Jean XXIII. Il se montra, en compensation, d’autant plus zélé contre l’hérétique ; il l’embarrassa par d’étranges subtilités, voulant l’amener à avouer que celui qui ne croit pas aux universaux, ne croit pas à la Transsubstantiation.
  14. Le sauf-conduit était daté du 18 oct. 1414.
  15. Jean Huss nous fait connaître lui-même les efforts que l’on fit auprès de lui pour obtenir le sacrifice absolu de la raison humaine. On n’y épargna ni les arguments ni les exemples. On lui citait entre autres cette étrange légende d’une sainte femme qui entra dans un couvent de religieuses sous habit d’homme, et fut, comme homme, accusée d’avoir rendue enceinte une des nonnes ; elle se reconnut coupable, confessa le fait et éleva l’enfant ; la vérité ne fut connue qu’à sa mort.
  16. Le Pogge, témoin du jugement de Jérôme, fut saisi de son éloquence. Il l’appelle : « Virum dignum memoriæ sempiternæ. » — Cet homme, si fier et si obstiné, montra sur le bûcher une douceur héroïque ; voyant un petit paysan qui apportait du bois avec grand zèle, il s’écria : « Ô respectable simplicité, qui te trompe est mille fois coupable ! » App. 215.
  17. App. 216.
  18. Bulæus. Une assemblée de grands et de prélats, présidée par le dauphin, fit emprisonner le recteur qui avait parlé contre la manière dont ils dirigeaient les élections ecclésiastiques et conféraient les bénéfices. Le Parlement ne soutint pas l’Université, qui fit des excuses. Ce fut l’enterrement de l’Université, comme puissance populaire.
  19. Lire son traité De parvulis ad Christum trahendis.
  20. Il comptait sur leur intercession, et les réunit encore la veille de sa mort, pour leur recommander de dire dans leurs prières : « Seigneur, ayez pitié de votre pauvre serviteur Jean Gerson. »
  21. App. 217.
  22. App. 218.
  23. a et b App. 219.
  24. Voy. l’énumération détaillée de ces prêts, dans Turner.
  25. Henri lui reprochait, entre autres félonies, de contrefaire la monnaie royale. App. 220.
  26. Turner.
  27. Rymer, 27 octobre 1420.
  28. Idem, 22 januarii, 22 mart. 1420.
  29. Idem, 21 april 1421.
  30. Un chevalier est chargé de faire une enquête à ce sujet. (Rymer, 5 mai 1421.)
  31. Ordonnances, XI.
  32. Journal du Bourgeois. — Monstrelet.
  33. App. 221.
  34. Tout le monde a lu cette terrible histoire populaire de la pauvre femme enceinte qu’un des Vaurus fit lier à un arbre, qui accoucha la nuit et fut mangée des loups. (Journal du Bourgeois.)
  35. Rymer.
  36. Monstrelet.
  37. App. 222.
  38. « Le peuple les avoit en trop mortelle haine les uns et les autres. » (Journal du Bourgeois.)
  39. « Fut faite grand feste à Paris… Mieux on dust avoir pleuré… Quel dommaige et quel pitié par toute chrestienté… » (Ibid.)
  40. Rymer, 17 jul. 1421 ; 6 aug. 1422.
  41. App. 223.
  42. « Et nondum provisum est, etc. » (Rymer.)
  43. Ces réclamations furent si vives à la mort d’Henri V, que le conseil de régence fut obligé de leur assigner en payement le tiers et le tiers du tiers de tout ce que le roi avait pu gagner personnellement à la guerre, butin, prisonniers, etc. (Statutes of the Realm.)
  44. Chastellain.
  45. Le parti ennemi publia qu’il était mort mangé des poux.
  46. App. 224.
  47. « Comme s’ils fussent acertenez qu’il fust ou soit saint en paradis. » (Monstrelet.)
  48. « Après le quatrième ou cinquième accès de fièvre quarte. » (Archives, Registres du Parlement.)
  49. Journal du Bourgeois.
  50. Juvénal.
  51. Monstrelet.
  52. « Comme il fut trouvé par les curés des paroisses. » (Monstrelet.) — « Ceux qui faisoient les fosses… affermoient… qu’avoient enterré plus de cent mille personnes. » (Journal du Bourgeois de Paris.) Il a dit un peu plus haut que dans les cinq premières semaines il était mort cinquante mille personnes. À ces calculs fort suspects d’exagération, il en ajoute un qui semble mériter plus de confiance : « Les corduaniers comptèrent le jour de leur confrérie les morts de leur mestier… et trouvèrent qu’ils estoient trepassés bien dix-huit cents, tant maistres que varlets, en ces deux mois. »
  53. Journal du Bourgeois.
  54. Ibid.
  55. App. 225.
  56. Journal du Bourgeois. Nous regrettons de ne pouvoir, faute d’espace, suivre pour ces tristes années, le conseil que M. de Sismondi donne à l’historien avec un sentiment si profond de l’humanité :

    « Ne nous pressons pas ; lorsque le narrateur se presse, il donne une fausse idée de l’histoire… Ces années, si pauvres en vertus et en grands exemples, étaient tout aussi longues à passer pour les malheureux sujets du royaume que celles qui paraissent resplendissantes d’héroïsme. Pendant qu’elles s’écoulaient, les uns étaient affaissés par le progrès de l’âge ; les autres étaient remplacés par leurs enfants : la nation n’était déjà plus la même… Le lecteur ne s’aperçoit jamais de ce progrès du temps, s’il ne voit pas aussi comment ce temps a été rempli : la durée se proportionne toujours pour lui au nombre des faits qui lui sont présentés, et en quelque sorte, au nombre des pages qu’il parcourt. Il peut bien être averti que des années ont passé en silence, mais il ne le sent pas. »

  57. App. 226.
  58. C’est ce que lui reprochaient tant les bouchers.
  59. Chroniques de l’Espagne et du Portugal. (Ferd. Denis.)
  60. App. 227.
  61. C’est-à-dire, danse de cimetière. App. 228.
  62. Peut-être y introduisirent-ils aussi la danse aux aveugles, et le tournoi des aveugles : « On meist quatre aveugles tous armez en un parc, chacun ung bâton en sa main, et en ce lieu avoit un fort pourcel lequel ils dévoient avoir s’ils le povoient tuer. Ainsi fut fait, et firent cette bataille si estrange ; car ils se donnèrent tant de grans coups… » (Journal du Bourgeois.)
  63. Ainsi qu’au cimetière de Dresde, à Sainte-Marie de Lubeck, au Temple neuf de Strasbourg, sous les arcades du château de Blois, etc. La plus ancienne peut-être de ces peintures était celle de Minden en Westphalie ; elle était datée de 1383.
  64. L’art vivant, l’art en action, a partout précédé l’art figuré. App. 229.
  65. Ch. Magnin.
  66. App. 230.
  67. App. 231.
  68. Le rez-de-chaussée extérieur, adossé à la galerie des tombeaux, et supportant les galetas où séchaient les os, était occupé par des boutiques de lingères, de marchandes de modes, d’écrivains, etc.
  69. App. 232.
  70. Cette dérision de la mort frappa les contemporains. Un gentilhomme, messire Sarrazin d’Arles, voyant un de ses gens qui revenait du convoi d’Henri V, lui demanda si le roi « avoit point ses housseaux chaussés. — Ah ! mon seigneur, nenni, par ma foi ! — Bel ami, dit l’autre, jamais ne me crois, s’il les a laissés en France ! » (Monstrelet.)
  71. « Et tantost elle s’inclina vers lui moult humblement et se tourna d’autre part plorant. » (Journal du Bourgeois.)