Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Tome 1 - Éclaircissements

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ÉCLAIRCISSEMENTS

DE LA PREMIÈRE ÉDITION (1833)


sur les ibères ou basques

(Voy. page 8.)

Dans son livre, intitulé Prüfung der Untersuchungen über die Urbewohner Hispaniens, vermittelst der Waskischen Sprache [Berlin, 1821], M. W. de Humboldt a cherché à établir, par la comparaison des débris de l’ancienne langue ibérique avec la langue basque actuelle, l’identité des Basques et des Ibères. Ces débris ne sont autre chose que les noms de lieux et les noms d’hommes qui nous ont été transmis par les auteurs anciens. Encore nous sont-ils parvenus bien défigurés. Pline déclare rapporter seulement les noms qu’il peut exprimer en latin : « Ex his digna memoratu aut latiali sermone dictu facilia, etc. » Mela, Strabon, sont aussi arrêtés par la difficulté de rendre dans leur langue la prononciation barbare. Ainsi les anciens ont dû omettre précisément les noms les plus originaux. Quelques mots transmis littéralement sur les monnaies ont la plus grande importance…

Après avoir posé les principes de l’étymologie, M. de Humboldt les applique à la méthode suivante : 1o chercher s’il y a d’anciens noms ibériens qui, pour le son et la signification, s’accordent (au moins en partie) avec les mots basques usités aujourd’hui ; 2o dans tout le cours de ces recherches, et avant d’entrer dans l’examen spécial, comparer l’impression que ces anciens noms produisent sur l’oreille avec le caractère harmonique de la langue basque ; 3o examiner si ces anciens noms s’accorderaient avec les noms de lieux des provinces où l’on parle le basque aujourd’hui. Cet accord peut montrer, lors même qu’on ne trouverait pas le sens du nom, que des circonstances analogues ont tiré d’une langue identique les mêmes noms pour différents lieux.

Il a été conduit aux résultats suivants :

« 1o Le rapprochement des anciens noms de lieux de la péninsule ibérienne avec la langue basque montre que cette langue était celle des Ibères, et comme ce peuple paraît n’avoir eu qu’une langue, peuples ibères et peuples parlant le basque sont des expressions synonymes.

« 2o Les noms de lieux basques se trouvent sur toute la Péninsule sans exception, et, par conséquent, les Ibères étaient répandus dans toutes les parties de cette contrée.

« 3o Mais dans la géographie de l’ancienne Espagne, il y a d’autres noms de lieux qui, rapprochés de ceux des contrées habitées par les Celtes, paraissent d’origine celtique ; et ces noms nous indiquent, au défaut de témoignage historique, les établissements des Celtes mêlés aux Ibères.

« 4o Les Ibères non mêlés de Celtes habitaient seulement vers les Pyrénées, et sur la côte méridionale. Les deux races étaient mêlées dans l’intérieur des terres, dans la Lusitanie et dans la plus grande partie des côtes du Nord.

« 5o Les Celtes ibériens se rapportaient, pour le langage, aux Celtes, d’où proviennent les anciens noms de lieux de la Gaule et de la Bretagne, ainsi que les langues encore vivantes en France et en Angleterre. Mais vraisemblablement ce n’étaient point des peuples de pure souche gallique, rameaux détachés d’une tige qui restât derrière eux ; la diversité de caractère et d’institution témoigne assez qu’il n’en est pas ainsi. Peut-être furent-ils établis dans les Gaules à une époque anté-historique, ou du moins ils y étaient établis bien avant (avant les Gaulois ?). En tous cas, dans leur mélange avec les Ibères, c’était le caractère ibérien qui prévalait, et non le caractère gaulois, tel que les Romains nous l’ont fait connaître.

« 6o Hors de l’Espagne, vers le Nord, on ne trouve pas trace des Ibères, excepté toutefois dans l’Aquitaine ibérique, et une partie de la côte de la Méditerranée. Les Calédoniens nommément appartenaient à la race celtique, non à l’ibérienne.

« 7o Vers le sud, les Ibères étaient établis dans les trois grandes îles de la Méditerranée ; les témoignages historiques et l’origine basque des noms de lieux s’accordent pour le prouver. Toutefois, ils n’y étaient pas venus, du moins exclusivement, de l’Ibérie ou de la Gaule, ils occupaient ces établissements de tout temps ou bien ils y vinrent de l’Orient.

« 8o Les Ibères appartenaient-ils aussi aux peuples primitifs de l’Italie continentale ? La chose est incertaine ; cependant on y trouve plusieurs noms de lieux d’origine basque, ce qui tendrait à fonder cette conjecture.

« 9o Les Ibères sont différents des Celtes, tels que nous connaissons ces derniers par le témoignage des Grecs et des Romains, et par ce qui nous reste de leurs langues. Cependant il n’y a aucun sujet de nier toute parenté entre les deux nations ; il y aurait même plutôt lieu de croire que les Ibères sont une dépendance des Celtes, laquelle en a été démembrée de bonne heure. »

Nous n’extrairons de ce travail que ce qui se rapporte directement à la Gaule et à l’Italie. Nous reproduirons d’abord les étymologies des noms : Basques, Biscaye, Espagne, Ibérie (p. 54).

Basoa, forêt, bocage, broussailles. Basi, basti, bastetani, basitani, bastitani (bas eta, pays de forêt, bascontum (comme baso-coa, appartenant aux forêts). Cette étymologie donnée par Astallos n’est pas bonne. — Les Basques s’appellent non Basocoac, mais Euscaldunac, leur pays Euscalerria, Eusquererria, et leur langue euscara, eusquera, escuara. [La terminaison ara indique le rapport de suite, de conséquence, d’une chose à une autre ; ainsi, ara-uz, conformément ; ara-ua, règle, rapport. Eusk-ara veut donc dire à la manière basque.] Aldunac vient d’aldea, côté, partie ; duna, terminaison de l’adjectif, et c, marque du pluriel[1]. Erria, ara, era, ne sont que des syllabes auxiliaires. La racine est Eusken, Esken[2], d’où les villes Vesci, Vescelia, et la Vescitania, où se trouvait la ville d’Osca ; deux autres Osca chez les Turduli et en Bœturie, et Ileosca, Etosca (Etrusca ?), Menosca (Mendia, montagne), Virovesca ; les Auscii d’Aquitaine avec leur capitale Elimberrum (Illiberris, ville neuve) ; Osquidates ? — Le nom d’Osca[3] doit se rapporter à tout le peuple des Ibères. Les sommes énormes d’argentum oscense mentionnées par Tite-Live ne peuvent guère avoir été frappées dans une des petites villes appelées Osca. Florez croit que la ressemblance de l’ancien alphabet ibérien avec celui des Osques italiens peut avoir donné lieu à ce nom.

Noms basques qui se retrouvent en Gaule (p. 91) :

Aquitaine : Calagorris, Casères en Comminges. — Vasates et Basabocates, de Basoa, forêt. — De même le diocèse de Bazas, entre la Garonne et la Dordogne. — Huro, comme la ville des Cosetans (Oléron). — Bigorra, de bi, deux, gora, haut. — Oscara, Ousche. — Garites, pays de Gavre, de gora, haut. — Garoceli… (Cæsar, de Bell. Gall., I, x, et non Graioceli). Auscii, de eusken, esken, vesci (osci ?), nom des Basques (leur ville est Elimberrum comme Illiberris). — Osquidates, même racine, vallée d’Ossau, du pied des Pyrénées à Oléron. — Curianum (cap de Buch, promontoire près duquel le bassin d’Arcachon s’enfonce dans les terres), de gur, courbé. — Le rivage Corense en Bétique.) — Bercorcates, même racine ; Biscarosse, bourg du district de Born, frontières de Buch. — Les terminaisons celtiques sont dunum[4], magus, vices et briga (p. 96). Segodunum apud Rutenos appartient plus à la Narbonnaise qu’à l’Aquitaine. Lugdunum apud Convenas est mixte, comme l’indique Convenæ, Comminges. On ne les trouve pas, non plus que briga, chez les vrais Aquitains. La terminaison en riges paraît commune aux Celtes et aux Basques. Chose remarquable : le seul peuple que Strabon nous désigne comme étranger, dans l’Aquitaine, les Bituriges, ont un nom tout à fait basque ; de même les Caturiges, Celtes des Hautes-Alpes ; ce sont des établissements primitivement ibériens.

Côte méridionale de la Gaule : Illiberis Bebryciorum, Vasio Vocontiorum (Vaison) en Narbonnaise. Bebryces rappelle briges, et peut-être Allo-Broges (Étienne de Byzance écrit Allobryges ; selon lui, on trouve le plus souvent, chez les Grecs, Allobryges). Cependant le scholiaste de Juvénal dit ce mot celtique (Sat. viii, v. 234), et signifiant terre, contrée.

Dans le reste de la Gaule, on rencontre peu de noms analogues au basque, excepté Bituriges[5]. Cependant Gelduba, comme Corduba, Salduba, Arverni, Arvii, Gadurci, Caracates, Carasa, Carcaso (et Ardyes dans le Valais), Carnutes, Carocotinum (Crotoy), Carpentoracte (Carpentras), Corsisi, Carsis ou Cassis, Corbilo (Coiron-sur-Loire), (Turones ?) Ces analogies avec le basque sont probablement fortuites. Le mot même de Britannia ne dériverait-il pas de cette racine féconde ? prydain, brigantes ?

Brigantium en Espagne chez les Gallaïci, Brigœtium en Asturie. De même en Gaule Brigantium et le port Brivates. — En Bretagne, les Brigantes, et leur ville Isubrigantum ; le même nom de peuple se trouve en Irlande. — Brigantium, sur le lac de Constance, Bregetium, en Hongrie, sur le Danube. En Gaule, sur la côte sud, les Segobriges ; dans l’Aquitaine propre, les Nitiobriges (Agen) ; Samarobriva (Amiens) ; Eburobriva entre Auxerre et Troyes ; Baudobrica, au-dessus de Coblentz, Bontobrice et ad Magetobria, entre Rhin et Moselle ; en Suisse, les Latobrigi et Latobrogi ; en Bretagne, Durobrivæ et Ourobrivæ ; Artobriga (Ratisbonne) dans l’Allemagne celtique.

Recherches de noms celtiques dans des noms de lieux ibériens (p. 100) : Ebura ou Ebora, en Bétique et chez les Turduli, Edetani, Carpetani, Lusitani, et Ripepora en Bétique, Eburobritium chez les Lusitani ; en Gaule, Eburobrica, Eburodunum ; sur la côte méridionale, les Eburones, sur la rive gauche du Rhin, Aulerci Eburovices en Normandie ; en Bretagne, Eboracum, Eburacum ; en Autriche, Eburodunum ; en Hongrie, Eburum ; en Lucanie, les Eburini ? le gaulois Eporedorix, dans César ?

Noms celtiques en Espagne.

Ebora, Ebura, Segobrigii (?), p. 102. Les Segobriges sur la côte sud de la Gaule. Segobriga, villes espagnoles des Celtibériens ; Segontia. Segedunum, en Bretagne. Segodunum, en Gaule. Segestica, en Pannonie. — En Espagne, Nemetobriga, Nemetates. — Augustonemetum, en Auvergne, Nemetacum, Nemetocenna, et les Nemètes dans la Germanie supérieure, Nemausus, Nîmes ; de l’irlandais Naomhtha (V. Lluyd), sacré, saint ?

Page 106. — Recherches de noms basques dans les noms de lieux celtiques. En Bretagne : Le fleuve Ilas. Isca. Isurum. Verurium. Le promontoire Ocelum ou Ocellum. Sur le Danube, entre le Norique et la Pannonie, Astura et le fleuve Carpis. Urbate et le fleuve Urpanus. — En Espagne : Ula. Osca. Esurir. Le mont Solorius. Ocelum chez les Gallaïci…

Noms basques en Italie : Iria apud Taurinos, comme Iria Flavia Gallaïcorum (iria, ville). — Ilienses, en Sardaigne, Troyens ? Cependant d’habit et de mœurs libyens selon Pausanias. — Uria, en Apulie, comme Urium Turdulorum. — D’ra, eau : Urba Salovia Picenorum, Urbinum, Urcinium de Corse, comme Urce Bastetanorum. — Urgo, île entre Corse et Étrurie, comme Urgao en Bétique. — Usentini en Lucanie, comme Urso, Ursao, en Bétique. — Agurium, en Sicile ; Argiria, en Espagne. — Astura, fleuve et île près d’Antium. — D’asta, roche : Asta, en Ligurie, et Asta Turdetanorum, etc., etc., en Espagne. — Osci ne se rapporte pas à osca, il est contracté d’opici, opci (mais pourquoi opici ne serait-il pas une extension de osci ?) — Ausones, analogue à l’espagnol Ausa et Ausetani. Cependant il se lie avec Aurunci. — Arsia, en Istrie ; Arsa, en Bœturie. — Basta, en Calabre ; Basti apud Bastetanos. — Basterbini Salentinorum, de basoa, montagne, et de erbestatu, émigrer, changer de pays (erria). — Biturgia, en Étrurie ; Bituris, chez les Basques. — Hispellum, en Ombrie. — Le Lambrus, qui se jette dans le Pô, Lambriaca et Flavia lambris Gallaïcorum. — Murgantia, ville barbare en Sicile ; Murgis, en Espagne ; Suessa et Suessula, comme les Suessetani des Ilergètes. — Curenses Sabinorum, Gurulis, en Sardaigne, comme le littus Corense, en Bétique, et le prom. Curianum en Aquitaine.Curia, même racine que urbs ; urvus, curvus, urvare, urvum aratri ; ὅpoç, ἀpόω, κυρτόσ ; en allemand, aëren, labourer ; en basque, ara-tu, labourer (ἄpω, labourer) ; gur, courbe ; uria, iria, ville. — L’allemand ort est encore de cette famille. — Les Basques et les Romains seraient rattachés l’un à l’autre par l’intermédiaire des Étrusques. « Je ne dis pas pour cela que les Étrusques soient pères des Ibères ni leurs fils[6]. »

Page 122. — C’est à tort que les Français et Espagnols confondent les Cantabres et les Basques (Oihenart les distingue) ; les Cantabres en étaient séparés par les Autrigons, et les tribus peu guerrières des Caristii et Varduli. Chez les Cantabres, commence ce mélange de noms de lieux que je ne trouve point chez les Basques. Les Cantabres sont essentiellement guerriers, les Basques aussi, et même ils se vantaient de ne pas porter de casques (Sil. It., III, 358. V. 197, IX, 232). Ceci prouve cependant qu’ils avaient plus rarement la guerre. Enfermés dans leurs montagnes, ils n’eurent point de guerres contre les Romains, sauf la guerre désespérée de Calagurris (Juven., XV, 93-110).

Page 127. — Les noms basques se représentent surtout chez les Turduli et Turdetani de la Bétique. Ainsi, il n’y avait aucune contrée de la Péninsule où les noms de lieux n’indiquassent un peuple parlant et prononçant comme les Basques d’aujourd’hui. Les formes infiniment variées de la langue basque seraient inexplicables, si ce peuple n’avait été formé de tribus très nombreuses, et dispersées autrefois sur un vaste territoire. — Atzean signifie derrière, en arrière, et Atzea l’étranger ; ainsi ce peuple pensait primitivement que l’étranger n’était que derrière lui : ceci fait croire que, depuis un temps immémorial, ils sont établis au bout de l’Europe.

Page 149. — Les Celtes et les Ibères sont deux races différentes (Strab.). Niebuhr pense de même contre l’opinion de Bullet, Vallancey, etc. Les Ibères étaient plus pacifiques ; en effet, les Turduli, Turdetani. Au lieu de faire des expéditions, ils furent repoussés du Rhône à l’Ouest. Ils ne faisaient pas de ligues avec d’autres, par confiance en soi (Strab., III, 4, p. 138) ; aussi, point de grandes entreprises (Florus, II, 17, 3), seulement de petits brigandages ; opiniâtres contre les Romains, mais surtout les Celtibères ; poussés par la tyrannie des préteurs, par la fréquente stérilité des pays de montagnes, avec une population croissante ; obligés d’éloigner d’eux annuellement une partie des hommes en âge de porter les armes ; effarouchés par l’état de guerre permanent en Espagne, sous les Romains.

Le monde Ibérien est antérieur au monde Celtique…… On n’en connaît que la décadence. Les Vaccéens (Diod., V, 34) faisaient chaque année un partage de leurs terres, et mettaient les fruits en commun, signe d’une société bien antique.

Nous ne trouvons pas chez les Ibères l’institut des Druides et Bardes. Aussi point d’union politique (les Druides avaient un chef unique). Aussi moins de régularité dans la langue basque, pour revenir des dérivés aux racines.

On accuse les Gaulois, et non les Ibères, de pédérastie (Athen. XIII, 79. Diod., V, 32) ; au contraire, les Ibères préfèrent l’honneur et la chasteté à la vie (Strab., III, 4, p. 164). Les Gaulois, et non les Ibères, bruyants, vains, etc. (Diod., V, 31, p. 157), les Ibères méprisent la mort, mais avec moins de légèreté que les Gaulois, qui donnaient leur vie pour quelque argent ou quelques verres de vin (Athen., IV, 40).

Diodore assimile les Celtibères aux Lusitaniens. Les uns et les autres semblent avoir déployé dans la guerre la ruse, l’agilité, caractère des Ibères (Strab., III). Mais les Celtibères craignaient moins les batailles rangées ; ils avaient conservé le bouclier gaulois ; les Lusitaniens en portaient un moins long (Scutatæ citerioris provinciæ, et cetratæ ulterioris Hispaniæ cohortes, Cæs. de B., lib. I, 39. Cependant id. I, 48).

Les Celtibères avaient (sans doute d’après les Ibères) des bottes tissues de cheveux (Diodore : Τριχίνας ἐιλουσι κνημίδας). Les Biscayens d’aujourd’hui ont la jambe serrée de bandes de laine, qui vont joindre l’abarca, sorte de sandale.

Les montagnards vivaient deux tiers de l’année d’un pain de gland (nourriture des Pélasges, Dodone, etc. ; glandem ructante marito. Juv. VI, 10). Les Celtibères mangeaient beaucoup de viande ; les Ibères buvaient une boisson d’orge fermentée ; les Celtibères, de l’hydromel.

Les ressemblances entre les Ibères et les Celtibères sont nombreuses, exemple : tout soin domestique abandonné aux femmes ; force et endurcissement de celles-ci, qu’on retrouve en Biscaye et provinces voisines (et dans plusieurs parties de la Bretagne, comme à Ouessant).

Chez les Ibères et les Celtes (Aquitaine ?), hommes qui dévouent leur vie à un homme (Plut. Sertor., 14, Val. Max., VII, 6, ext. 3. — Cæs. de B. Gall.). Val. Max., II, 6, 11, dit expressément que ces dévouements étaient particuliers aux Ibères.

Page 158. — Les Gaulois aimaient les habits bariolés et voyants ; les Ibères, même les Celtibères, les portaient noirs de grosse laine, comme des cheveux, leurs femmes des voiles noirs. En guerre, par exemple à Cannes (Polyb., III, 114, Livius, XXII, 46), vêtements de lin blanc, et par-dessus habits rayés de pourpre (c’est un milieu entre le bariolé gaulois et la simplicité ibérienne).

Ce qu’on sait de la religion des Ibères s’applique aussi aux Celtes, sauf une exception : Quelques-uns, dit Strabon (III, 4, p. 164), refusent aux Galliciens toute foi dans les dieux, et disent qu’aux nuits de pleine lune les Celtibères et leurs voisins du Nord font des danses et une fête devant leurs portes avec leurs familles, en l’honneur d’un dieu sans nom. Plusieurs auteurs (dont Humboldt semble adopter le sentiment) croient voir un croissant et des étoiles sur les monnaies de l’ancienne Espagne. Florez (Medallas, I) remarque que dans les médailles de la Bétique (et non des autres provinces) le taureau est toujours accompagné d’un croissant (le croissant est phénicien et druidique ; la vache est dans les armes des Basques, des Gallois, etc.). Dans les autres provinces, on trouve le taureau, mais non le croissant.

Nulle mention de temple, si ce n’est dans les provinces en rapport avec les peuples méridionaux (cependant quelques noms celtiques : exemple, Nemetobriga). — Strab. (III, 1, p. 138), dans un passage obscur où il donne les opinions opposées d’Artémidore et d’Éphore sur le prétendu temple d’Hercule au promontoire Cuneus, parle de certaines pierres qui, dans plusieurs lieux, se trouvent trois ou quatre ensemble, et qui ont rapport à des usages religieux (trad. fr., I, 385, III, 4, 5). (Un voyageur anglais en Espagne dit qu’aux frontières de Galice on rencontre de grands tas de pierres, la coutume étant que tout Galicien qui émigre pour trouver du travail y mette une pierre au départ et au retour. Arist. Polit. VII, 2, 6 : Sur la tombe du guerrier ibérien autant de lances (ὀβελίσκους) qu’il a tué d’ennemis.

Nous ne trouvons pas chez les Ibères, comme chez les Gaulois, l’usage de jeter de l’or dans les lacs ou de le placer dans les lieux sacrés, sans autre garde que la religion. Au temple d’Hercule à Cadix, il y avait des offrandes que César fit respecter après la défaite des fils de Pompée (Diod., c. xliii, xxxix) ; mais le culte de ce temple était encore phénicien, même au temps d’Appien, VI, ii, 35. — Justin, XLIV, 3 : « La terre est si riche chez les Galiciens, que la charrue y soulève souvent de l’or ; ils ont une montagne sacrée qu’il est défendu de violer par le fer ; mais si la foudre y tombe, on peut y recueillir l’or qu’elle a pu découvrir, comme un présent des dieux. » Voilà bien l’or, propriété des dieux.

Page 163. — Pour les noms de lieux, point de trace des Ibères dans la Gaule non aquitanique, ni dans la Bretagne [cependant voyez plus haut], quoique Tacite (Agric., II) croie les reconnaître dans le teint des Silures, dans leurs cheveux frisés et leur position géographique. (Mannert croit les trouver en Calédonie). Il faut attendre qu’on ait comparé le basque avec les langues celtiques. Espérons, ajoute M. de Humboldt, qu’Ahlwardt nous fera connaître ses travaux…

Page 166. — Les anciennes langues celtiques ne peuvent avoir différé du breton et gallois actuel ; la preuve en est dans les noms de lieux et de personnes, dans beaucoup d’autres mots, dans l’impossibilité de supposer une troisième langue qui eût entièrement péri.

Page 173. — On peut dire des Ibères ce que dit Mannert des Ligures, avec beaucoup de sagacité, qu’ils ne dérivent pas des Celtes que nous connaissons dans la Gaule, mais que pourtant ils pourraient être une branche sœur d’une tige orientale plus ancienne.

Page 175. — Parenté fort douteuse du basque et des langues américaines.


Nous n’avons pas cru qu’on pût nous blâmer de donner un extrait de cet admirable petit livre, qui n’est pas encore traduit.

sur les traditions religieuses de l’irlande et du pays de galles (Voy. page 39).

Nous nous sommes sévèrement interdit, dans le texte, tout détail sur les religions celtiques qui ne fût tiré des sources antiques, des écrivains grecs et romains. Toutefois, les traditions irlandaises et galloises qui nous sont parvenues sous une forme moins pure, peuvent jeter un jour indirect sur les anciennes religions de la Gaule. Plusieurs traits, d’ailleurs, sont profondément indigènes et portent le caractère d’une haute antiquité : ainsi, le culte du feu, le mythe du castor et du grand lac, etc., etc.


§ Ier.

Le peu que nous savons des vieilles religions de l’Irlande nous est arrivé altéré, sans doute, par le plus impur mélange de fables rabbiniques, d’interpolations alexandrines, et peut-être dénaturé encore par les explications chimériques des critiques modernes. Toutefois, en quelque défiance qu’on doive être, il est impossible de repousser l’étonnante analogie que présentent les noms des dieux de l’Irlande (Axire, Axcearas, Coismaol, Cabur) avec les Cabires de Phénicie et de Samothrace (Axieros, Axiokersos, Casmilos, Cabeiros). Baal se retrouve également comme Dieu suprême en Phénicie et en Irlande. L’analogie n’est pas moins frappante avec plusieurs des dieux égyptiens et étrusques. Æsar, dieu en étrusque (d’où Cæsar), c’est en irlandais le dieu qui allume le feu[7]. Le feu allumé, c’est Moloch. L’Axire irlandais, eau, terre, nuit, lune, s’appelle en même temps Ith (prononcez Iz comme Isis), Anu Mathar, Ops et Sibhol (comme Magna Mater, Ops et Cybèle). Jusqu’ici c’est la nature potentielle, la nature non fécondée : après une suite de transformations, elle devient, comme en Égypte, Neith-Nath, dieu-déesse de la guerre, de la sagesse et de l’intelligence, etc.

M. Adolphe Pictet établit pour base de la religion primitive de l’Irlande le culte des Cabires, puissances primitives, commencement d’une série ou progression ascendante qui s’élève jusqu’au Dieu suprême, Beal. C’est donc l’opposé direct d’un système d’émanation.

« D’une dualité primitive, constituant la force fondamentale de l’univers, s’élève une double progression de puissances cosmiques, qui, après s’être croisées par une transition mutuelle, viennent toutes se réunir dans une unité suprême comme en leur principe essentiel. Tel est, en peu de mots, le caractère distinctif de la doctrine mythologique des anciens Irlandais, tel est le résumé de tout notre travail. » Cette conclusion est presque identique à celle qu’a obtenue Schelling à la suite de ses recherches sur les Cabires de Samothrace. « La doctrine des Cabires, dit-il, était un système qui s’élevait des divinités inférieures, représentant les puissances de la nature, jusqu’à un Dieu supra-mondain qui les dominait toutes ; » et dans un autre endroit : « La doctrine des Cabires, dans son sens le plus profond, était l’exposition de la marche ascendante par laquelle la vie se développe dans une progression successive, l’exposition de la magie universelle, de la théurgie permanente qui manifeste sans cesse ce qui, de sa nature, est supérieur au monde réel, et fait apparaître ce qui est invisible.

« Cette presque identité est d’autant plus frappante que les résultats ont été obtenus par deux voies diverses. Partout je me suis appuyé sur la langue et les traditions irlandaises, et je n’ai rapporté les étymologies et les faits présentés par Schelling que comme des analogies curieuses, non pas comme des preuves. Les noms d’Axire, d’Axcearas, de Coismaol et de Cabur se sont expliqués par l’irlandais, comme l’ont été par l’hébreu les noms d’Axieros, d’Axiokersos, de Casmilos et de Kabeiros. Qui ne reconnaîtrait là une connexion évidente ?

« D’ailleurs Strabon parle expressément de l’analogie du culte de Samothrace avec celui de l’Irlande. Il dit, d’après Artémidore, qui écrivait cent ans avant notre ère : Ὅτι φασὶν εἰς νῆσον πρὸς τῇ Βρεττανικῇ, καθ' ἣν ὅμοῖα τοῖς ἐν Ξαμοθράκῃ περὶ τὴν Δήμητραν καὶ τὴν Κόρην ἱεροποιεῖται. (Ed. Casaubon, IV, p. 137.) On cite encore un passage de Denys-le-Périégète, mais plus vague et peu concluant (v, 305).

« Celui en qui ce système trouve son unité, c’est Samhan, le mauvais esprit (Satan), l’image du soleil (littéralement Samhan), le juge des âmes, qui les punit en les renvoyant sur la terre ou en les envoyant en enfer. Il est le maître de la mort (Bal-Sab). C’était la veille du 1er novembre qu’il jugeait les âmes de ceux qui étaient morts dans l’année : ce jour s’appelle encore aujourd’hui la nuit de Samhan (Beaufort et Vallancey, Collectanea de rebus hibernicis (t. IV, p. 83). — C’est le Cadmilos ou Kasmilos de Samothrace, ou le Camillus des Étrusques, le serviteur (coismaol, cadmaol, signifie en irlandais serviteur). Samhan est donc le centre d’association des Cabires (sam, sum, cum, indiquent l’union en une foule de langues). On lit dans un ancien Glossaire irlandais : « Samhandraoic, eadhon Cabur, la magie de Samhan, c’est-à-dire Cabur, » et il ajoute pour explication : « Association mutuelle. » Cabur, associé ; comme en hébreu, Chaberim ; les Consentes étrusques (de même encore Kibir, Kbir signifie Diable dans le dialecte maltais, débris de la langue punique. Creuzer, Symbolique, II, 286-8). Le système cabirique irlandais trouvait encore un symbole dans l’harmonie des révolutions célestes. Les astres étaient appelés Cabara. Selon Bullet, les Basques appelaient les sept planètes Capirioa (?). Le nom des constellations signifiait en même temps intelligence et musique, mélodie. Rimmin, rinmin, avaient le sens de soleil, lune, étoiles ; rimham veut dire compter ; rimh, nombre (en grec ῥυθμός ; en français, rime, etc.).

« Il semble que la hiérarchie des druides eux-mêmes composait une véritable association cabirique, image de leur système religieux.

« Le chef des druides était appelé Coibhi[8]. Ce nom, qui s’est conservé dans quelques expressions proverbiales des Gaëls de l’Écosse, se lie encore à celui de Cabire. Chez les Gallois, les druides étaient nommés Cowydd, associés[9]. Celui qui recevait l’initiation prenait le titre de Caw, associé, cabire, et Bardd caw signifiait un barde gradué (Davies, Myth., 165. Owen, Welsh Dict.). Parmi les îles de Scilly, celle de Trescaw portait autrefois le nom d’Innis Caw, île de l’association ; et on y trouve des restes de monuments druidiques (Davies). À Samothrace, l’initié était aussi reçu comme Cabire dans l’association des dieux supérieurs, et il devenait lui-même un anneau de la chaîne magique (Schelling, Samothr. Gottesd., p. 40).

« La danse mystique des druides avait certainement quelque rapport à la doctrine cabirique et au système des nombres. Un passage curieux d’un poète gallois, Cynddelw, cité par Davies, p. 16, d’après l’Archéologie de Galles, nous montre druides et bardes se mouvant rapidement en cercle et en nombres impairs, comme les astres dans leur course, en célébrant le conducteur. Cette expression de nombres impairs nous montre que les danses druidiques étaient, comme le temple circulaire, un symbole de la doctrine fondamentale, et que le même système de nombres y était observé. En effet, le poète gallois, dans un autre endroit, donne au monument druidique le nom de Sanctuaire du nombre impair.

« Peut-être chaque divinité de la chaîne cabirique avait-elle, parmi les druides, son prêtre et son représentant. Nous avons vu déjà, chez les Irlandais, le prêtre adopter le nom du dieu qu’il servait ; et, chez les Gallois, le chef des druides semble avoir été considéré comme le représentant du Dieu suprême (Jamieson, Hist. of the Culdees, p. 29). La hiérarchie druidique aurait été ainsi une image microcosmique de la hiérarchie de l’univers, comme dans les mystères de Samothrace et d’Éleusis…

« Nous savons que les Caburs étaient adorés dans les cavernes et l’obscurité, tandis que les feux en l’honneur de Beal étaient allumés sur le sommet des montagnes. Cet usage s’explique par la doctrine abstraite :

« Le monde cabirique, en effet, dans son isolement du grand principe de lumière, n’est plus que la force ténébreuse, que l’obscure matière de toute réalité. Il constitue comme la base ou la racine de l’univers, par opposition à la suprême intelligence, qui en est comme le sommet. C’était sans doute par suite d’une manière de voir analogue que les cérémonies du culte des Cabires, à Samothrace, n’étaient célébrées que pendant la nuit. »

On peut ajouter à ces inductions de M. Pictet que, suivant une tradition des montagnards d’Écosse, les druides travaillaient la nuit et se reposaient le jour (Logan, II, 351).

Le culte de Beal, au contraire, se célébrait par des feux allumés sur les montagnes. Ce culte a laissé des traces profondes dans les traditions populaires (Toland, XIe lettre, p. 101). Les druides allumaient des feux sur les cairn, la veille du 1er mai, en l’honneur de Beal, Bealan (le soleil). Ce jour garde encore aujourd’hui en Irlande le nom de la Bealteine, c’est-à-dire le jour du feu de Beal. Près de Londonderry, un cairn placé en face d’un autre cairn s’appelle Bealteine. — Logan, II, 326. Ce ne fut qu’en 1220 que l’archevêque de Dublin éteignit le feu perpétuel qui était entretenu dans une petite chapelle près de l’église de Kildare, mais il fut rallumé bientôt et continua de brûler jusqu’à la suppression des monastères (Archdall’s mon. Hib. apud Anth. Hib., III, 240). Ce feu était entretenu par des vierges, souvent de qualité, appelées filles du feu (inghean an dagha), ou gardiennes du feu (breochuidh), ce qui les a fait confondre avec les nonnes de sainte Brigitte.

Un rédacteur du Gentleman’s Magasine, 1795, dit : que, se trouvant en Irlande la veille de la Saint-Jean, on lui dit qu’il verrait à minuit allumer les feux en l’honneur du soleil. Riches décrit ainsi les préparatifs de la fête : « What watching, what vattling, what tinkling upon pannes and candlesticks, what strewing of hearbes, what clamors, and other ceremonies are used. »

Spenser dit qu’en allumant le feu, l’Irlandais fait toujours une prière. À Newcastle, les cuisiniers allument les feux de joie à la Saint-Jean. À Londres et ailleurs, les ramoneurs font des danses et des processions en habits grotesques. Les montagnards d’Écosse passaient par le feu en l’honneur de Beal, et croyaient un devoir religieux de marcher en portant du feu autour de leurs troupeaux et de leurs champs. — Logan, II, 364. Encore aujourd’hui, les montagnards écossais font passer l’enfant au-dessus du feu, quelquefois dans une sorte de poche, où ils ont mis du pain et du fromage. (On dit que dans les montagnes on baptisait quelquefois un enfant sur une large épée. De même en Irlande la mère faisait baiser à son enfant nouveau-né la pointe d’une épée. Logan, I, 122.) — Id. I, 213. Les Calédoniens brûlaient les criminels entre deux feux ; de là le proverbe : « Il est entre les deux flammes de Bheil. » — Ibid., 140. L’usage de faire courir la croix de feu subsistait encore en 1745 ; elle parcourut dans un canton trente-six milles en trois heures. Le chef tuait une chèvre de sa propre épée, trempait dans le sang les bouts d’une croix de bois demi-brûlée, et la donnait avec l’indication du lieu de ralliement à un homme du clan, qui courait la passer à un autre. Ce symbole menaçait du fer et du feu ceux qui n’iraient pas au rendez-vous. — Caumont, I, 154 : Suivant une tradition, on allumait autrefois, dans certaines circonstances, des feux sur les tumuli, près de Jobourg (départem. de la Manche). — Logan, II, 64. Pour détruire les sortilèges qui frappent les animaux, les personnes qui ont le pouvoir de les détruire sont chargées d’allumer le Needfire ; dans une île ou sur une petite rivière ou lac, on élève une cabane circulaire de pierres ou de gazon, sur laquelle on place un soliveau de bouleau ; au centre est un poteau engagé par le haut dans cette pièce de bouleau ; ce poteau perpendiculaire est tourné dans un bois horizontal au moyen de quatre bras de bois. Des hommes, qui ont soin de ne porter sur eux aucun métal, tournent le poteau, tandis que d’autres, au moyen de coins, le serrent contre le bois horizontal qui porte les bras, de manière qu’il s’enflamme par le frottement ; alors on éteint tout autre feu. Ceux qu’on a obtenus de cette manière passent pour sacrés, et on en approche successivement les bestiaux.


§ II.

Dans la religion galloise (Voyez Davies, Myth. and rites of the British druids, et le même, Celtic researches), le dieu suprême, c’est le dieu inconnu, Diana (dianaff, inconnu, en breton ; diana en léonais, dianan dans le dialecte de Vannes). Son représentant sur la terre c’est Hu le grand, ou Ar-bras, autrement Cadwalcader, le premier des druides.

Le castor noir perce la digue qui soutient le grand lac, le monde est inondé ; tout périt, excepté Douyman et Douymec’h (man, mec’h, homme, fille), sauvés dans un vaisseau sans voiles, avec un couple de chaque espèce d’animaux. Hu attelle deux bœufs à la terre pour la tirer de l’abîme. Tous deux périssent dans l’effort ; les yeux de l’un sortent de leurs orbites, l’autre refuse de manger et se laisse mourir.

Cependant Hu donne des lois et enseigne l’agriculture. Son char est composé des rayons du soleil, conduit par cinq génies ; il a pour ceinture l’arc-en-ciel. Il est le dieu de la guerre, le vainqueur des géants et des ténèbres, le soutien du laboureur, le roi des bardes, le régulateur des eaux. Une vache sainte le suit partout.

Hu a pour épouse une enchanteresse, Ked ou Ceridguen, dans son domaine de Penlym ou Penleen, à l’extrémité du lac où il habite.

Ked a trois enfants : Mor-vran (le corbeau de mer, guide des navigateurs), la belle Creiz-viou (le milieu de l’œuf, le symbole de la vie), et le hideux Avagdu ou Avank-du (le castor noir). Ked voulut préparer à Avagdu, selon les rites mystérieux du livre de Pherylt, l’eau du vase Azeuladour (sacrifice), l’eau de l’inspiration et la science. Elle se rendit donc dans la terre du repos, où se trouvait la cité du juste, et s’adressant au petit Gouyon, le fils du héraut de Lanvair, le gardien du temple, elle le chargea de surveiller la préparation du breuvage. L’aveugle Morda fut chargé de faire bouillir la liqueur sans interruption pendant un an et un jour.

Durant l’opération, Ked ou Ceridguen étudiait les livres astronomiques et observait les astres. L’année allait expirer, lorsque de la liqueur bouillonnante s’échappèrent trois gouttes qui tombèrent sur le doigt du petit Gouyon ; se sentant brûlé, il porta le doigt à sa bouche… Aussitôt l’avenir se découvrit à lui ; il vit qu’il avait à redouter les embûches de Ceridguen, et prit la fuite. À l’exception de ces trois gouttes, toute la liqueur était empoisonnée : le vase se renversa de lui-même et se brisa… Cependant Ceridguen furieuse poursuivait le petit Gouyon. Gouyon, pour fuir plus vite, se change en lièvre. Ceridguen devient levrette et le chasse vigoureusement jusqu’au bord d’une rivière. Le petit Gouyon prend la forme d’un poisson ; Ceridguen devient loutre et le serre de si près, qu’il est forcé de se métamorphoser en oiseau et de s’enfuir à tire-d’aile. Mais Ceridguen planait déjà au-dessus de sa tête sous la forme d’un épervier… Gouyon, tout tremblant, se laissa tomber sur un tas de froment, et se changea en grain de blé ; Ceridguen se changea en poule noire, et avala le pauvre Gouyon.

Aussitôt elle devint enceinte, et Hu-Ar-Bras jura de mettre à mort l’enfant qui en naîtrait ; mais au bout de neuf mois elle mit au monde un si bel enfant qu’elle ne put se résoudre à le faire périr.

Hu-Ar-Bras lui conseilla de le mettre dans un berceau couvert de peau et de le lancer à la mer. Ceridguen l’abandonna donc aux flots le 29 avril.

En ce temps-là, Gouydno avait près du rivage un réservoir qui donnait chaque année, le soir du 1er mai, pour cent livres de poisson. Gouydno n’avait qu’un fils, nommé Elfin, le plus malheureux des hommes, à qui rien n’avait jamais réussi ; son père le croyait né à une heure fatale. Les conseillers de Gouydno l’engagèrent à confier à son fils l’épuisement du réservoir.

Elfin n’y trouva rien ; et comme il revenait tristement, il aperçut un berceau couvert d’une peau, arrêté sur l’écluse… Un des gardiens souleva cette peau, et s’écria en se tournant vers Elfin : « Regarde, Thaliessin ! quel front radieux ! » — « Front radieux sera son nom, » répondit Elfin. Il prit l’enfant et le plaça sur son cheval. Tout à coup l’enfant entonna un poème de consolation et d’éloge pour Elfin, et lui prophétisa sa renommée. On apporta l’enfant à Gouydno. Gouydno demanda si c’était un être matériel ou un esprit. L’enfant répondit par une chanson où il déclarait avoir vécu dans tous les âges, et où il s’identifiait avec le soleil. Gouydno, étonné, demanda une autre chanson ; l’enfant reprit : « L’eau donne le bonheur. Il faut songer à son Dieu ; il faut prier son Dieu, parce qu’on ne saurait compter les bienfaits qui en découlent… Je suis né trois fois. Je sais comment il faut étudier pour arriver au savoir. Il est triste que les hommes ne veuillent pas se donner la peine de chercher toutes les sciences dont la source est dans mon sein ; car je sais tout ce qui a été et tout ce qui doit être. »


Cette allégorie se rapportait au soleil, dont le nom, Thaliessin (front radieux) devenait celui de son grand prêtre. La première initiation, les études, l’instruction, duraient un an. Le barde alors s’abreuvait de l’eau d’inspiration, recevait les leçons sacrées. Il était soumis ensuite aux épreuves ; on examinait avec soin ses mœurs, sa constance, son activité, son savoir. Il entrait alors dans le sein de la déesse, dans la cellule mystique, où il était assujetti à une nouvelle discipline. Il en sortait enfin, et semblait naître de nouveau ; mais, cette fois, orné de toutes les connaissances qui devaient le faire briller et le rendre un objet de vénération pour les peuples.

On connaît encore les lacs de l’Adoration, de la Consécration, du bosquet d’Ior (surnom de Diana). Ils offraient, près du lac, des vêtements de laine blanche, de la toile, des aliments. La fête des lacs durait trois jours.

Près Landélorn (Landerneau), le 1er mai, la porte d’un roc s’ouvrait sur un lac au-dessus duquel aucun oiseau ne volait. Dans une île chantaient des fées avec la chanteuse des mers : qui y pénétrait était bien reçu, mais il ne fallait rien emporter. Un visiteur emporte une fleur qui devait empêcher de vieillir ; la fleur s’évanouit. Désormais plus de passage ; un brave essaye, mais un fantôme menace de détruire la contrée… Selon Davies (Myth and rites), on trouve une tradition presque semblable dans le Brecnockshire. Il y a aussi un lac dans ce comté, qui couvre une ville. Le roi envoie un serviteur… on lui refuse l’hospitalité. Il entre dans une maison déserte, y trouve un enfant pleurant au berceau, y oublie son gant ; le lendemain, il retrouve le gant et l’enfant qui flottaient. La ville avait disparu.

sur les pierres celtiques (Voy. page 116).

La pierre fut sans doute à la fois l’autel et le symbole de la Divinité. Le nom même de Cromleach (ou dolmen) signifie pierre de Crom, le Dieu suprême (Pictet, p. 129). On ornait souvent le Cromleach de lames d’or, d’argent ou de cuivre, par exemple le Crum-cruach d’Irlande, dans le district de Bresin, comté de Cavan (Toland’s Letters, p. 133). — Le nombre de pierres qui composent les enceintes druidiques est toujours un nombre mystérieux et sacré : jamais moins de douze, quelquefois dix-neuf, trente, soixante. Ces nombres coïncident avec ceux des Dieux. Au milieu du cercle, quelquefois au dehors, s’élève une pierre plus grande, qui a pu représenter le Dieu suprême (Pictet, p. 134). — Enfin, à ces pierres étaient attachées des vertus magiques, comme on le voit par le fameux passage de Geoffroy de Montmouth (I. V). Aurelius consulte Merlin sur le monument qu’il faut donner à ceux qui ont péri par la trahison d’Hengist… — « Choream gigantum[10] ex Hiberniâ adduci jubeas… Ne moveas, domine rex, vanum risum. Mystici sunt lapides, et ad diversa medicamina salubres, gigantesque olim asportaverunt eos ex ultimis finibus Africæ… Erat autem causa ut balnea intrà illos conficerent, cùm infirmitate gravarentur. Lavabant namque lapides et intrà balnea diffundebant, undè ægroti curabantur ; miscebant etiam cum herbarum infectionibus, unde vulnerati sanabantur. Non est ibi lapis qui medicamento careat. » Après un combat, les pierres sont enlevées par Merlin. Lorsqu’on cherche partout Merlin, on ne le trouve que « ad fontem Galabas, quem solitus fuerat frequentare. » Il semble lui-même un de ces géants médecins.

On a cru trouver sur les monuments celtiques quelques traces de lettres ou de signes magiques. À Saint-Sulpice-sur-Rille, près de Laigle, on remarque, sur l’un des supports de la table d’un dolmen, trois petits croissants gravés en creux et disposés en triangle. Près de Loc-Maria-Ker, il existe un dolmen dont la table est couverte, à sa surface inférieure, d’excavations rondes disposées symétriquement en cercles. Une autre pierre porte trois signes assez semblables à des spirales. Dans la caverne de New-Grange (près Drogheda, comté de Meath, voy. les Collect. de reb. hib. II, p. 161, etc.), se trouvent des caractères symboliques et leur explication en ogham. Le symbole est une ligne spirale répétée trois fois. L’inscription en ogham se traduit par A È, c’est-à-dire le Lui, c’est-à-dire le Dieu sans nom, l’être ineffable (?). Dans la caverne, il y a trois autels (Pictet, p. 132). En Écosse, on trouve un assez grand nombre de pierres ainsi couvertes de ciselures diverses. Quelques traditions enfin doivent appeler l’attention sur ces hiéroglyphes grossiers et à peu près inintelligibles : les Triades disent que sur les pierres de Gwiddon-Ganhebon « on pouvait lire les arts et les sciences du monde ; » l’astronome Gwydion ap Don fut enterré à Caernarvon « sous une pierre d’énigmes ». Dans le pays de Galles on trouve sur les pierres certains signes, qui semblent représenter tantôt une petite figure d’animal, tantôt des arbres entrelacés. Cette dernière circonstance semblerait rattacher le culte des pierres à celui des arbres. D’ailleurs l’Ogham ou Ogum, alphabet secret des druides, consistait en rameaux de divers arbres et assez analogues aux caractères runiques. Telles sont les inscriptions placées sur un monument mentionné dans les chroniques d’Écosse, comme étant dans le bocage d’Aongus, sur une pierre du Cairn du vicaire, en Armagh, sur un monument de l’île d’Arran, et sur beaucoup d’autres en Écosse. — On a vu plus haut que les pierres servaient quelquefois à la divination. Nous rapporterons à ce sujet un passage important de Taliesin. (N’ayant pas sous les yeux le texte gallois, je rapporte la traduction anglaise.) « I know the intent of the trees, I know which was decreed praise or disgrace, by the intention of the memorial trees of the sages, » and celebrates « the engagement of the sprigs of the trees, or of devices, and their battle with the learned. » He could « delineate the elementary trees and reeds », and tells us when the sprigs « were marked in the small tablet of devices they uttered their voice. » (Logan, II, 388.)

Les arbres sont employés encore symboliquement par les Welsh et les Gaëls ; par exemple, le noisetier indique l’amour trahi. Le Calédonien Merlin (Taliesin est Cambrien) se plaint que « l’autorité des rameaux commence à être dédaignée ». Le mot irlandais aos, qui d’abord signifiait un arbre, s’appliquait à une personne lettrée ; feadha, bois ou arbre, devient la désignation des prophètes, ou hommes sages. De même, en sanskrit, bôd’hi signifie le figuier indien, et le bouddhiste, le sage.

Les monuments celtiques ne semblent pas avoir été consacrés exclusivement au culte. C’était sur une pierre qu’on élisait le chef de clan (Voy. p. 126, App. 58). Les enceintes de pierres servaient de cours de justice. On en a trouvé des traces en Écosse, en Irlande, dans les îles du Nord (King, I, 147 ; Martin’s Descr. of the Western isles), mais surtout en Suède et en Norvège. Les anciens poèmes erses nous apprennent en effet que les rites druidiques existaient parmi les Scandinaves, et que les druides bretons en obtinrent du secours dans le danger (Ossian’s Cathlin, II, p. 216, not. édit. 1765, t. II ; Warton, t. I).

Le plus vaste cercle druidique était celui d’Avebury ou Abury, dans le Wiltshire. Il embrassait vingt-huit acres de terre entourés d’un fossé profond et d’un rempart de soixante-dix pieds. Un cercle extérieur, formé de cent pierres, enfermait deux autres cercles doubles extérieurs l’un à l’autre. Dans ceux-ci, la rangée extérieure contenait trente pierres, l’intérieure douze. Au centre de l’un des cercles étaient trois pierres, dans l’autre une pierre isolée ; deux avenues de pierres conduisaient à tout le monument (Voy. O’Higgin’s, Celtic druids).

Stonehenge, moins étendu, indiquait plus d’art. D’après Waltire, qui y campa plusieurs mois pour l’étudier (on a perdu les papiers de cet antiquaire enthousiaste, mais plein de sagacité et de profondeur), la rangée extérieure était de trente pierres droites ; le tout, en y comprenant l’autel et les impostes, se montait à cent trente-neuf pierres. Les impostes étaient assurées par des tenons. Il n’y a pas d’autre exemple dans les pays celtiques du style trilithe (sauf deux à Holmstad et à Drenthiem).

Le monument de Classerness, dans l’île de Lewis, forme, au moyen de quatre avenues de pierres, une sorte de croix dont la tête est au sud, la rencontre des quatre branches est un petit cercle. Quelques-uns croient y reconnaître le temple hyperboréen dont parlent les anciens. Ératosthènes dit qu’Apollon cacha sa flèche là où se trouvait un temple ailé.

Je parlerai plus loin des alignements de Carnac et de Loc-Maria-Ker (t. II. Voyez aussi le Cours de M. Caumont, I, p. 105).

Il est resté en France des traces nombreuses du culte des pierres, soit dans les noms de lieux, soit dans les traditions populaires :

1o On sait qu’on appelait pierre fiche ou fichée (en celtique, menhir, pierre longue, peulvan, pilier de pierre), ces pierres brutes que l’on trouve plantées simplement dans la terre comme des bornes. Plusieurs bourgs de France portent ce nom. Pierre-Fiche, à cinq lieues N.-E. de Mende, en Gévaudan. — Pierre-Fiques, en Normandie, à une lieue de l’Océan, à trois de Montivilliers. — Pierrefitte, près Pont-l’Évêque. — Pierrefitte, à deux lieues N.-O. d’Argentan. — Pierrefitte, à trois lieues de Falaise. — Pierrefitte, dans le Perche, diocèse de Chartres, à six lieues S. de Mortagne. — Idem, en Beauvoisis, à deux lieues N.-O. de Beauvais. — Idem, près Paris, à une demi-lieue N. de Saint-Denis. — Idem, en Lorraine, à quatre lieues de Bar. — Idem, en Lorraine, à trois lieues de Mirecourt. — Idem, en Sologne, à neuf lieues S.-E. d’Orléans. — Idem, en Berry, à trois lieues de Gien, à cinq de Sully. — Idem, en Languedoc, diocèse de Narbonne, à deux lieues et demie de Limoux. — Idem, dans la Marche, près Bourganeuf. — Idem, dans la Marche, près Guéret. — Idem, en Limousin, à six lieues de Brives. — Idem, en Forez, diocèse de Lyon, à quatre lieues de Roanne, etc.

2o À Colombiers, les jeunes filles qui désirent se marier doivent monter sur la pierre-levée, y déposer une pièce de monnaie, puis sauter du haut en bas. À Guérande, elles viennent déposer dans les fentes de la pierre des flocons de laine rose liés avec du clinquant. Au Croisic, les femmes ont longtemps célébré des danses autour d’une pierre druidique. En Anjou, ce sont les fées qui, descendant des montagnes en filant, ont apporté ces rocs dans leur tablier. En Irlande, plusieurs dolmens sont encore appelés les lits des amants : la fille d’un roi s’était enfuie avec son amant ; poursuivie par son père, elle errait de village en village, et tous les soirs ses hôtes lui dressaient un lit sur la roche, etc., etc.

triades de l’île de bretagne

Qui sont des triades de choses mémorables, de souvenirs et de sciences, concernant les hommes et les faits fameux qui furent en Bretagne, et concernant les circonstances et infortunes qui ont désolé la nation des Cambriens à plusieurs époques (traduites par Probert. — Voy. page 423, app. 70).

Voici les trois noms donnés à l’île de Bretagne. — Avant qu’elle fût habitée, on l’appelait le Vert-Espace entouré des eaux de l’Océan (the Seagirt Green Space) ; après qu’elle fut habitée, elle fut appelée île de Miel, et après que le peuple eut été formé en société par Prydain, fils d’Aedd-le-Grand, elle fut appelée l’île de Prydain. Et personne n’a droit sur elle que la tribu des Cambriens, car les premiers ils en prirent possession ; et avant ce temps-là, il n’y eut aucun homme vivant, mais elle était pleine d’ours, de loups, de crocodiles et de bisons.

Voici les trois principales divisions de l’île de Bretagne. — Cambrie, Lloégrie et Alban, et le rang de souveraineté appartient à chacun d’eux. Et sous une monarchie, sous la voix de la contrée, ils sont gouvernés selon les établissements de Prydain, fils d’Aedd-le-Grand ; et à la nation des Cambriens appartient le droit d’établir la monarchie selon la voix de la contrée et du peuple, selon le rang et le droit primordial. Et sous la protection de cette règle, la royauté doit exister dans chaque contrée de l’île de Bretagne, et toute la royauté doit être sous la protection de la voix de la contrée ; c’est pourquoi il y a ce proverbe : Une nation est plus puissante qu’un chef.

Voici les trois piliers de la nation dans l’île de Bretagne. — la voix de la contrée, la royauté et la judicature d’après les établissements de Prydain, fils d’Aedd-le-Grand. Le premier fut Hu-le-Puissant, qui amena la nation le premier dans l’île de Bretagne ; et ils vinrent de la contrée de l’été, qui est appelée Defrobani (Constantinople ?) ; et ils vinrent par la mer Hazy (du Nord) dans l’île de Bretagne et dans l’Armorique, où ils se fixèrent. Le second fut Prydain, fils d’Aedd-le-Grand, qui le premier organisa l’état social et la souveraineté en Bretagne. Car avant ce temps il n’y avait de justice que ce qui était fait par faveur, ni aucune loi excepté celle de la force. Le troisième fut Dynwal Moemud ; car il fit le premier des règlements concernant les lois, maximes, coutumes et privilèges relatifs au pays et à la tribu. Et à cause de ces raisons ils furent appelés les trois piliers de la nation des Cambriens.

Voici les trois tribus sociales de l’île de Bretagne. — La première fut la tribu des Cambriens, qui vint de l’île de Bretagne avec Hu-le-Puissant, parce qu’ils ne voulaient pas posséder un pays par combat et conquête, mais par justice et tranquillité. La seconde fut la tribu des Lloegriens, qui venaient de la Gascogne ; ils descendaient de la tribu primitive des Cambriens. Les troisièmes furent les Brython, qui étaient descendus de la tribu primitive des Cambriens. Ces tribus étaient appelées les pacifiques tribus, parce qu’elles vinrent d’un accord mutuel, et ces tribus avaient toutes trois la même parole et la même langue.

Les trois tribus réfugiées : Calédoniens, Irlandais, le peuple de Galedin, qui vinrent dans des vaisseaux nus en l’île de Wight, lorsque leur pays était inondé ; il fut stipulé qu’ils n’auraient le rang de Cambriens qu’au neuvième degré de leur descendance.

Les trois envahisseurs sédentaires : les Coraniens, les Irlandais Pictes, les Saxons.

Les trois envahisseurs passagers : les Scandinaves ; Gadwal-l’Irlandais (conquête de 29 ans), vaincu par Caswallon, et les Césariens.

Les trois envahisseurs tricheurs : les Irlandais rouges en Alban, les Scandinaves et les Saxons.

Voici les trois disparitions de l’île de Bretagne : la première est celle de Gavran et ses hommes qui allèrent à la recherche des îles vertes des inondations ; on n’entendit jamais parler d’eux. La seconde fut Merddin, le barde d’Emrys (Ambrosius, successeur de Vortigern ?), et ses neuf bardes, qui allèrent en mer dans une maison de verre ; la place où ils allèrent est inconnue. La troisième fut Madog, fils d’Owain, roi des Galles du Nord, qui alla en mer avec trois cents personnes dans dix vaisseaux ; la place où ils allèrent est inconnue.

Voici les trois événements terribles de l’île de Bretagne : le premier fut l’irruption du lac du débordement avec inondation sur tout le pays jusqu’à ce que toutes personnes fussent détruites, excepté Dwyvan et Dwyvach qui échappèrent dans un vaisseau ouvert, et par eux l’île de Prydain fut repeuplée. Le second fut le tremblement d’un torrent de feu jusqu’à ce que la terre fût déchirée jusqu’à l’abîme, et que la plus grande partie de toute vie fût détruite. Le troisième fut l’été chaud, quand les arbres et les plantes prirent feu par la chaleur brûlante du soleil, et que beaucoup de gens et d’animaux, diverses espèces d’oiseaux, vers, arbres et plantes, furent entièrement détruits.

Voici les trois expéditions combinées qui partirent de l’île de Bretagne : la première partit avec Ur, fils d’Érin, le puissant guerrier de Scandinavie (ou peut-être le vainqueur des Scandinaves, « the bellipotent of Scandinavia ») ; il vint en cette île du temps de Gadial, fils d’Érin, et obtint secours à condition qu’il ne tirerait de chaque principale forteresse plus d’hommes qu’il n’y présenterait. À la première, il vint seul avec son valet Mathata Vawr ; il en obtint deux hommes, quatre de la seconde, huit de la troisième, seize de la suivante, et ainsi de toutes en proportion, jusqu’à ce qu’enfin le nombre ne pût être fourni par toute l’île. Il emmena soixante-trois mille hommes, ne pouvant obtenir dans toute l’île un plus grand nombre d’hommes capables d’aller à la guerre : les vieillards et les enfants restèrent seuls dans l’île. Ur, le fils d’Érin, le puissant guerrier, fut le plus habile recruteur qui eût jamais existé. Ce fut par inadvertance que la tribu des Cambriens lui donna cette permission stipulée irrévocablement. Les Coraniens saisirent cette occasion d’envahir l’île sans difficulté. Aucun des hommes qui partirent ne retourna, aucun de leurs fils ni de leurs descendants. Ils firent voile pour une expédition belliqueuse jusque dans la mer de la Grèce, et s’y fixant dans les pays des Galas et d’Avène (Galitia ?), ils y sont restés jusqu’à ce jour et sont devenus Grecs.

La seconde expédition combinée fut conduite par Caswallawn, le fils de Beli et petit-fils de Manogan, et par Gwenwynwyn et Gwanar, les fils de Lliaws, fils de Nwyvre et Arianrod, fille de Beli, leur mère. Ils descendaient de l’extrémité de la pente de Galedin et Siluria et des tribus combinées des Boulognèse, et leur nombre était de soixante et un mille. Ils marchèrent avec leur oncle Caswallawn, après les Césariens, vers le pays des Gaulois de l’Armorique, qui descendaient de la première race des Cambriens. Et aucun d’eux, aucun de leurs fils ne retourna dans cette île, car ils se fixèrent dans la Gascogne parmi les Césariens, où ils sont à présent ; c’était pour se venger de cette expédition que les Césariens vinrent la première fois dans cette île.

La troisième expédition combinée fut conduite hors de cette île par Ellen, puissant dans les combats, et Cynan, son frère, seigneur de Meiriadog en Armorique, où ils obtinrent terres, pouvoir et souveraineté de l’empereur Maxime, pour le soutenir contre les Romains… Et aucun d’eux ne revint ; mais ils restèrent là et dans Ystre Gyvaelwg, où ils formèrent une communauté. Par suite de cette expédition, les hommes armés de la tribu des Cambriens diminuèrent tellement, que les Pictes irlandais les envahirent. Voilà pourquoi Vortigern fut forcé d’appeler les Saxons pour repousser cette invasion. Les Saxons, voyant la faiblesse des Cambriens, tournèrent leurs armes perfidement contre eux, et, s’alliant aux Pictes irlandais et à d’autres traîtres, ils prirent possession du pays des Cambriens ainsi que de leurs privilèges et de leur couronne. Ces trois expéditions combinées sont nommées les trois grandes présomptions de la tribu des Cambriens, et aussi les trois Armées d’argent, parce qu’elles emportèrent de l’île tout l’or et l’argent qu’elles purent obtenir par la fraude, par l’artifice et par l’injustice, outre ce qu’elles acquirent par droit et par consentement. Elles furent aussi nommées les trois Armements irréfléchis, vu qu’elles affaiblirent l’île au point de donner occasion aux trois grandes invasions, savoir : l’invasion des Coraniens, celle des Césariens et celle des Saxons.

Voici les trois perfides rencontres qui eurent lieu dans l’île de Bretagne. — La première fut celle de Mandubratius, le fils de Lludd, et de ceux qui trahirent avec lui. Il fixa aux Romains une place sur l’étroite extrémité verte pour y aborder ; rien de plus. Il n’en fallut pas davantage aux Romains pour gagner toute l’île. La seconde fut celle des Cambriens nobles et des Saxons… sur la plaine de Salisbury, où fut tramé le complot des Longs-Couteaux, par la trahison de Vortigern ; car c’est par son conseil qu’à l’aide des Saxons presque tous les notables des Cambriens furent massacrés. La troisième fut l’entrevue de Medrawd et d’Iddawg Corn Prydain avec leurs hommes à Nanhwynain, où ils conspirèrent contre Arthur, et par ces moyens fortifièrent les Saxons dans l’île de Bretagne.

Les trois insignes traîtres de l’île de Bretagne. — Le premier, Mandubratius, fils de Lludd, fils de Beli-le-Grand, qui, invitant Jules César et les Romains à venir en cette île, causa l’invasion des Romains. Lui et ses hommes se firent les guides des Romains, desquels ils reçurent annuellement une quantité d’or et d’argent. C’est pourquoi les habitants de cette île furent contraints de payer en tribut annuel, aux Romains, 3,000 pièces d’argent jusqu’au temps d’Owain, fils de Maxime, qui refusa de payer le tribut. Sous prétexte de satisfaction, les Romains emmenèrent de l’île de Bretagne la plupart des hommes capables de porter les armes et les conduisirent en Aravie (Arabie), et en d’autres contrées lointaines d’où ils ne sont jamais revenus. Les Romains, qui étaient en Bretagne, marchèrent en Italie et ne laissèrent en arrière que les femmes et les petits enfants ; c’est pourquoi les Bretons furent si faibles, que, par défaut d’hommes et de force, ils n’étaient pas capables de repousser l’invasion et la conquête. Le second traître fut Vortigern, qui massacra Constantin-le-Saint, saisit la couronne de l’île par la violence et par l’injustice, qui, le premier, invita les Saxons de venir en l’île comme auxiliaires, épousa Alice Rowen, la fille d’Hengist, et donna la couronne de Bretagne au fils qu’il eut d’elle et dont le nom était Gotta. De là les rois de Londres sont nommés enfants d’Alis. C’est ainsi que les Cambrions perdirent, par Vortigern, leurs terres, leur rang et leur couronne en Lloegrie. Le troisième était Médrawd, fils de Llew, fils de Cynvarch ; car, lorsque Arthur marcha contre l’empereur de Rome, laissant le gouvernement de l’île à ses soins, Médrawd ôta la couronne à Arthur par usurpation et séduction ; et, pour se l’assurer, il s’allia aux Saxons. C’est ainsi que les Cambriens perdirent la couronne de Lloegrie et la souveraineté de l’île de Bretagne.

Les trois traîtres méprisables qui mirent les Saxons à même d’enlever la couronne de l’île de Bretagne aux Cambriens. — Le premier était Gwrgi Garwlwgd, qui, après avoir goûté la chair humaine dans la cour d’Edelfled, roi des Saxons, y prit goût au point de ne plus vouloir d’autre viande. C’est pourquoi lui et ses gens s’unirent à Edelfled, roi des Saxons ; il fit des incursions secrètes contre les Cambriens, lesquelles lui valurent chaque jour un garçon et une fille qu’il mangeait. Et toutes les mauvaises gens d’entre les Cambriens vinrent à lui et aux Saxons, et obtinrent bonne part dans le butin fait sur les naturels de l’île. Le second fut Médrawd, qui, pour s’assurer le royaume contre Arthur, s’unit avec ses hommes aux Saxons ; cette trahison fut cause qu’un grand nombre de Llogriens devinrent Saxons. Le troisième fut Aeddan, le traître du Nord, qui, avec ses hommes, se soumit aux Saxons, pour pouvoir, sous leur protection, se soutenir par l’anarchie et le pillage. Ces trois traîtres firent perdre aux Cambriens leurs terres et leur couronne en Lloegrie. Sans de telles trahisons, les Saxons n’auraient jamais gagné l’île sur les Cambriens.

Les trois bardes qui commirent les trois assassinats bienfaisants de l’île de Bretagne. — Le premier fut Gall, fils de Dysgywedawg, qui tua les deux oiseaux fauves (les fils) de Gwenddolen, fils de Ceidiaw, qui avaient un joug d’or autour d’eux, et qui dévoraient chaque jour deux corps de Cambriens, un à leur dîner et un à leur souper. Le second, Ysgawnel, fils de Dysgywedawg, tua Edelfled, roi de Lloegrie, qui prenait chaque nuit deux nobles filles de la nation cambrienne et les violait, puis chaque matin les tuait et les dévorait. Le troisième, Difedel, fils de Dysgywedawg, tua Gwrgi Garwlwyd, qui avait épousé la sœur d’Edelfled, et qui commit des trahisons et des meurtres sur les Cambriens, de concert avec Edelfled. Et ce Gwrgi tuait chaque jour deux Cambriens, homme et fille, et les dévorait ; et le samedi il tuait deux hommes et deux filles, afin de ne pas tuer le dimanche. Et ces trois personnes qui exécutèrent ces trois meurtres bienfaisants, étaient bardes.

Les trois causes frivoles de combat dans l’île de Bretagne. — La première fut la bataille de Godden, causée par une chienne, un chevreuil et un vanneau ; soixante-onze mille hommes périrent dans cette bataille. La seconde fut la bataille d’Arderydd, causée par un nid d’oiseau ; quatre-vingt mille Cambriens y périrent. La troisième fut la bataille de Camlan, entre Arthur et Médrawd, où Arthur périt avec cent mille hommes d’élite des Cambriens. Par suite de ces trois folles batailles, les Saxons ôtèrent aux Cambriens la contrée de Lloegrie, parce que les Cambriens n’avaient plus un nombre suffisant de guerriers pour s’opposer aux Saxons, à la trahison de Gwrgi Garwlwyde et à la fraude de Eiddilic-le-Nain.

Les trois recèlements et décèlements de l’île de Bretagne. — Le premier fut la tête de Bran-le-Saint, fils de Llyr, laquelle Owain, fils d’Ambrosius, avait cachée dans la colline blanche de Londres, et, tant qu’elle demeura en cet état, aucun accident fâcheux ne put arriver à cette île. Le second furent les ossements de Gwrthewyn-le-Saint, qui furent enterrés dans les principaux ports de l’île ; et tandis qu’ils y restaient, aucun inconvénient ne put arriver à cette île. Le troisième furent les dragons, cachés par Lludd, fils de Beli, dans la forteresse de Pharaon, parmi les rochers de Snowdon. Et ces trois recèlements furent mis sous la protection de Dieu et des attributs divins. L’infortune devait tomber sur l’heure et sur l’homme qui les décèlerait. Vortigern révéla les dragons, pour se venger par là de l’opposition des Cambriens contre lui, et il appela les Saxons sous prétexte de combattre avec lui les Pictes irlandais. Après cela, il révéla les ossements de Gurthewyn-le-Saint, par amour pour Rowen, fille d’Hengist-le-Saxon. Et Arthur découvrit la tête de Bran-le-Saint, fils de Llyr, parce qu’il dédaignait de garder l’île autrement que par sa valeur. Ces trois choses saintes étant décelées, les envahisseurs gagnèrent la supériorité sur la nation cambrienne.

Les trois énergies dominatrices de l’île de Bretagne. — Hu-le-Puissant, qui amena la nation cambrienne de la contrée de l’été, nommée Defrobani, en l’île de Bretagne ; Prydain, fils d’Aedd-le-Grand, qui organisa la nation et établit un jury sur l’île de Bretagne ; et Rhitta Gawr, qui se fit faire une robe avec les barbes des rois qu’il avait faits prisonniers, en punition de leur oppression et de leur injustice.

Les trois hommes vigoureux de l’île de Bretagne. — Gwnerth-le-bon-Tireur, qui tuait avec une flèche de paille le plus grand ours qu’on eût jamais vu ; Gwgawn à la main puissante, qui roulait la pierre de Macnarch de la vallée au sommet de la montagne : il fallait soixante bœufs pour l’y traîner ; et Eidiol-le-Puissant, qui, dans le complot de Stonehenge, tua, avec une bûche de cormier, six cent soixante Saxons entre le coucher du soleil et la nuit.

Les trois faits qui causèrent la réduction de la Lloegrie et l’arrachèrent aux Cambrions. — L’accueil des étrangers, la délivrance des prisonniers et le présent de l’homme chauve (César ? ou saint Augustin ? Ce dernier excita les Saxons à massacrer les moines et à porter la guerre dans le pays de Galles).

Les trois premiers ouvrages extraordinaires de l’île de Bretagne. — Le vaisseau de Nwydd Nav Neivion, qui apporta dans l’île le mâle et la femelle de toutes les créatures vivantes, lorsque le lac de l’inondation déborda ; les bœufs aux larges cornes, de Hu-le-Puissant, qui tirèrent le crocodile du lac sur la terre, de sorte que le lac ne déborda plus ; et la pierre de Gwyddon-Ganhebon, dans laquelle sont gravés tous les arts et toutes les sciences du monde.

Les trois hommes amoureux de l’île de Bretagne. — Le premier fut Caswallawn, fils de Beli, épris de Flur, fille de Mygnach-le-Nain ; il marcha pour elle contre les Romains jusque dans la Gascogne, et il l’emmena et tua six mille Césariens ; pour se venger, les Romains envahirent cette île. Le second fut Tristan, fils de Tallwch, épris d’Essylt, fille de March, fils de Meirchion, son oncle. Le troisième fut Cynon, épris de Morvydd, fille de Urien Rheged.

Les trois premières maîtresses d’Arthur. — La première fut Garwen, fille de Henyn, de Tegyrn Gwyr et d’Ystrad Tywy ; Gwyl, fille d’Eutaw, de Caervorgon, et Indeg, fille d’Avarwy-le-Haut, de Radnorshine.

Les trois principales cours d’Arthur. — Caerllion sur l’Usk en Cambrie, Celliwig en Cornwall, et Édimbourg au nord. Ce sont les trois cours où il fêtait les trois grandes fêtes : Noël, Pâques et Pentecôte.

Les trois chevaliers de la cour d’Arthur qui gardaient le Greal. — Cadawg, fils de Gwynlliw ; Ylltud, le chevalier canonisé ; et Peredur, fils d’Evrawg.

Voici les trois hommes qui portaient des souliers d’or dans l’île de Bretagne. — Caswallawn, fils de Beli, lorsqu’il alla en Gascogne pour obtenir Flur, fille de Mygnach-le-Nain, laquelle y avait été emmenée clandestinement pour l’empereur César, par un homme nommé Mwrchan-le-Voleur, roi de cette contrée et ami de Jules César ; et Caswallawn la ramena dans l’île de Bretagne. Le second Manawydan, fils de Llyr Llediaith, quand il alla aussi loin que Dyved, imposer des restrictions. Le troisième, Llew Llaw Gyfes, quand il alla avec Gwydion, fils de Don, chercher un nom et un projet de sa mère Riannon.

Les trois royaux domaines qui furent établis par Rhadri-le-Grand en Cambrie. — Le premier est Dinevor, le second Aberfraw, et le troisième Mathravael. Dans chacun de ces trois domaines, il y a un prince ceint d’un diadème ; et le plus vieux de ces trois princes, quel qu’il soit, doit être souverain, c’est-à-dire roi de toute la Cambrie. Les deux autres doivent obéir à ses ordres, et ses ordres sont impératifs pour eux. Il est le chef de la loi et des anciens dans chaque réunion générale et dans chaque mouvement du pays et de la tribu. (Malédictions continuelles contre Vortigern, Rowena, les Saxons, les traîtres à la nation[11].)

sur les bardes (V. page 124).

Les bardes étudiaient pendant seize ou vingt ans. « Je les ai vus, dit Campion, dans leurs écoles, dix dans une chambre couchés à plat ventre sur la paille et leurs livres sous le nez. » — Brompton dit que les leçons des bardes en Irlande se donnaient secrètement et n’étaient confiées qu’à la mémoire (Logan, the Scotish Gaël, t. II, p. 215). — Il y avait trois sortes de poètes : panégyristes des grands ; poètes plaisants du peuple ; bouffons satiriques des paysans (Toland’s letters). — Buchanan prétend que les joueurs de harpe en Écosse étaient tous Irlandais. Giraldus Cambrensis dit pourtant que l’Écosse surpassait l’Irlande dans la science musicale et qu’on venait s’y perfectionner. Lorsque Pepin fonda l’abbaye de Neville, il y fit venir des musiciens et des choristes écossais (Logan, II, 251). — Giraldus compare la lente modulation des Bretons avec les accents rapides des Irlandais ; selon lui, chez les Welsh chacun fait sa partie ; ceux du Cumberland chantent en parties, en octaves et à l’unisson. — Vers 1000, le Welsh Griffith ap Cynan, ayant été élevé en Irlande, rapporta ses instruments dans son pays, y convoqua les musiciens des deux contrées, et établit vingt-quatre règles pour la réforme de la musique (Powel, Hist. of Cambria).

Lorsque le christianisme se répandit dans l’Écosse et l’Irlande, les prêtres chrétiens adoptèrent leur goût pour la musique. À table, ils se passaient la harpe de main en main (Bède, IV, 24). Au temps de Giraldus Cambrensis, les évêques faisaient toujours porter avec eux une harpe. — Gunn dit dans son Enquiry : Je possède un ancien poème gallique, où le poète, s’adressant à une vieille harpe, lui demande ce qu’est devenu son premier lustre. Elle répond qu’elle a appartenu à un roi d’Irlande et assisté à maint royal banquet ; qu’elle a ensuite été successivement dans la possession de Dargo, fils du druide de Beal, de Gaul, de Fillon, d’Oscar, de O’duine, de Diarmid, d’un médecin, d’un barde, et enfin d’un prêtre qui, dans un coin retiré, méditait sur un livre blanc (Logan, II, 268).

Les bardes, bien qu’attachés à la personne des chefs, étaient eux-mêmes fort respectés. Sir Richard Cristeed, qui fut chargé par Richard II d’initier les quatre rois d’Irlande aux mœurs anglaises, rapporte qu’ils refusèrent de manger parce qu’il avait mis leurs bardes et principaux serviteurs à une table au-dessous de la leur (Logan, 138). — Le joueur de cornemuse, comme celui de harpe, occupait cette charge par droit héréditaire dans la maison du chef ; il avait des terres et un serviteur qui portait son instrument.

Le fameux joueur de cornemuse irlandais des derniers temps, Macdonald, avait serviteurs, chevaux, etc. Un grand seigneur le fait venir un jour pour jouer pendant le dîner. On lui place une table et une chaise dans l’antichambre avec une bouteille de vin et un domestique derrière sa chaise ; la porte de la salle était ouverte. Il s’y présente, et dit en buvant : « À votre santé et à celle de votre compagnie, monsieur… » Puis, jetant de l’argent sur la table, il dit au laquais : « Il y a deux schellings pour la bouteille, et six pences pour toi, mon garçon. » Et il remonta à cheval (Ibid., 277-279). — La dernière école bardique d’Irlande, Filean school, se tint à Typperary, sous Charles Ier (Ibid., 247). — L’un des derniers bardes accompagnait Montrose, et pendant sa victoire d’Inverlochy il contemplait la bataille du haut du château de ce nom. Montrose lui reprochant de ne pas y avoir pris part : « Si j’avais combattu, qui vous aurait chanté ? » (Ibid., 215). — La cornemuse du clan Chattan, que Walter Scott mentionne comme étant tombée des nuages pendant une bataille en 1396, fut empruntée par un clan vaincu, qui espérait en recevoir l’inspiration du courage, et qui ne l’a rendue qu’en 1822 (Ibid., 298). — En 1745, un joueur de cornemuse composa, pendant la bataille de Falkirk, un piobrach qui est resté célèbre. — À la bataille de Waterloo, un joueur de cornemuse, qui préparait un bel air, reçoit une balle dans son instrument ; il le foule aux pieds, tire sa claymore, et se jette au milieu de l’ennemi où il se fait tuer (? ibid., 273-276).

sur la légende de saint martin (Voy. page 94).

Cette légende du saint le plus populaire de la France nous semble mériter d’être rapportée presque entièrement, comme étant l’une des plus anciennes, et de plus écrite par un contemporain ; ajoutez qu’elle a servi de type à une foule d’autres.


Ex Sulpicii Severi Vitâ B. Martini :


« Saint Martin naquit à Sabaria en Pannonie, mais il fut élevé en Italie, près du Tésin ; ses parents n’étaient pas des derniers selon le monde, mais pourtant païens. Son père fut d’abord soldat, puis tribun. Lui-même, dans sa jeunesse, suivit la carrière des armes, contre son gré, il est vrai, car dès l’âge de dix ans il se réfugia dans l’église et se fit admettre parmi les catéchumènes ; il n’avait que douze ans, qu’il voulait déjà mener la vie du désert, et il eût accompli son vœu, si la faiblesse de l’enfance le lui eût permis… Un édit impérial ordonna d’enrôler les fils de vétérans ; son père le livra ; il fut enlevé, chargé de chaînes, et engagé dans le serment militaire. Il se contenta pour sa suite d’un seul esclave, et souvent c’était le maître qui servait ; il lui déliait sa chaussure et le lavait de ses propres mains ; leur table était commune…… Telle était sa tempérance qu’on le regardait déjà, non comme un soldat, mais comme un moine.

« Pendant un hiver plus rude que d’ordinaire, et qui faisait mourir beaucoup de monde, il rencontre à la porte d’Amiens un pauvre tout nu ; le misérable suppliait tous les passants, et tous se détournaient. Martin n’avait que son manteau ; il avait donné tout le reste ; il prend son épée, le coupe en deux et en donne la moitié au pauvre. Quelques-uns des assistants se mirent à rire de le voir ainsi demi-vêtu et comme écourté…… Mais la nuit suivante Jésus-Christ lui apparut couvert de cette moitié de manteau dont il avait revêtu le pauvre.

« Lorsque les barbares envahirent la Gaule, l’empereur Julien rassembla son armée et fit distribuer le donativum… Quand ce fut le tour de Martin : « Jusqu’ici, dit-il à César, je t’ai servi ; permets-moi de servir Dieu ; je suis soldat du Christ, je ne puis plus combattre…… Si l’on pense que ce n’est pas foi, mais lâcheté, je viendrai demain sans armes au premier rang ; et au nom de Jésus, mon Seigneur, protégé par le signe de la croix, je pénétrerai sans crainte dans les bataillons ennemis. » Le lendemain l’ennemi envoie demander la paix, se livrant corps et biens. Qui pourrait douter que ce fut là une victoire du saint, qui fut ainsi dispensé d’aller sans armes au combat ?

« En quittant les drapeaux, il alla trouver saint Hilaire, évêque de Poitiers, qui voulut le faire diacre… mais Martin refusa, se déclarant indigne ; et l’évêque, voyant qu’il fallait lui donner des fonctions qui parussent humiliantes, le fit exorciste…… Peu de temps après, il fut averti en songe de visiter, par charité religieuse, sa patrie et ses parents, encore plongés dans l’idolâtrie, et saint Hilaire voulut qu’il partît, en le suppliant avec larmes de revenir. Il partit donc, mais triste, dit-on, et après avoir prédit à ses frères qu’il éprouverait bien des traverses. Dans les Alpes, en suivant des sentiers écartés, il rencontra des voleurs…… L’un d’eux l’emmena les mains liées derrière le dos… mais il lui prêcha la parole de Dieu, et le voleur eut foi : depuis, il mena une vie religieuse, et c’est de lui que je tiens cette histoire. Martin continuant sa route, comme il passait près de Milan, le diable s’offrit à lui sous forme humaine et lui demanda où il allait ; et comme Martin lui répondit qu’il allait où l’appelait le Seigneur, il lui dit : « Partout où tu iras, et quelque chose que tu entreprennes, le diable se jettera à la traverse. » Martin répondit ces paroles prophétiques : « Dieu est mon appui, je ne craindrai pas ce que l’homme peut faire. » Aussitôt l’ennemi s’évanouit de sa présence. — Il fit abjurer à sa mère l’erreur du paganisme ; son père persévéra dans le mal. — Ensuite, l’hérésie arienne s’étant propagée par tout le monde, et surtout en Illyrie, il combattit seul avec courage la perfidie des prêtres, et souffrit mille tourments (il fut frappé de verges et chassé de la ville)… Enfin il se retira à Milan, et s’y bâtit un monastère. — Chassé par Auxentius, le chef des ariens, il se réfugia dans l’île Gallinaria, où il vécut longtemps de racines.

« Lorsque saint Hilaire revint de l’exil, il le suivit, et se bâtit un monastère près de la ville. Un catéchumène se joignit à lui…… Pendant l’absence de saint Martin, il vint à mourir, et si subitement qu’il quitta ce monde sans baptême…… Saint Martin accourt pleurant et gémissant. — Il fait sortir tout le monde, se couche sur les membres inanimés de son frère…… Lorsqu’il eut prié quelque temps, à peine deux heures s’étaient écoulées, il vit le mort agiter peu à peu tous ses membres, et palpiter ses paupières rouvertes à la lumière. Il vécut encore plusieurs années.

« On le demandait alors pour le siège épiscopal de Tours ; mais, comme on ne pouvait l’arracher de son monastère, un des habitants, feignant que sa femme était malade, vint se jeter aux pieds du saint, et obtint qu’il sortit de sa cellule. Au milieu de groupes d’habitants disposés sur la route, on le conduisit sous escorte jusqu’à la ville. Une foule innombrable était venue des villes d’alentour pour donner son suffrage. Un petit nombre cependant, et quelques-uns des évêques, refusaient Martin avec une obstination impie : « C’était un homme de rien, indigne de l’épiscopat, et de pauvre figure, avec ses habits misérables et ses cheveux en désordre. »…… Mais, en l’absence du lecteur, un des assistants, prenant le psautier, s’arrête au premier verset qu’il rencontre : c’était le psaume : Ex ore infantium et lactentium perfecisti laudem, ut destruas inimicum et defensorem. Le principal adversaire de Martin s’appelait précisément Defensor. Aussitôt un cri s’élève parmi le peuple, et les ennemis du saint sont confondus.

« Non loin de la ville était un lieu consacré par une fausse opinion comme une sépulture de martyr. Les évêques précédents y avaient même élevé un autel… Martin, debout près du tombeau, pria Dieu de lui révéler quel était le martyr, et ses mérites. Alors il vit à sa gauche une ombre affreuse et terrible. Il lui ordonne de parler : elle s’avoue pour l’ombre d’un voleur mis à mort pour ses crimes, et qui n’a rien de commun avec un martyr. Martin fit détruire l’autel.

« Un jour il rencontra le corps d’un gentil qu’on portait au tombeau avec tout l’appareil de funérailles superstitieuses ; il en était éloigné de près de cinq cents pas, et ne pouvait guère distinguer ce qu’il apercevait. Cependant, comme il voyait une troupe de paysans, et que les linges jetés sur le corps voltigeaient agités par le vent, il crut qu’on allait accomplir les profanes cérémonies des sacrifices ; parce que c’était la coutume des paysans gaulois de promener à travers les campagnes, par une déplorable folie, les images des démons couvertes de voiles blancs[12]. Il élève donc le signe de la croix, et commande à la troupe de s’arrêter et de déposer son fardeau. Ô prodige ! vous eussiez vu les misérables demeurer d’abord roides comme la pierre. Puis, comme ils s’efforçaient pour avancer, ne pouvant faire un pas, ils tournaient ridiculement sur eux-mêmes ; enfin, accablés par le poids du cadavre, ils déposent leur fardeau, et se regardent les uns les autres, consternés et se demandant à eux-mêmes ce qui leur arrivait. Mais le saint homme, s’étant aperçu que ce cortège s’était réuni pour des funérailles et non pour un sacrifice, éleva de nouveau la main et leur permit de s’en aller et d’enlever le corps.

« Comme il avait détruit dans un village un temple très antique, et qu’il voulait couper un pin qui en était voisin, les prêtres du lieu et le reste des païens s’y opposèrent… « Si tu as, lui dirent-ils, quelque confiance en ton Dieu, nous couperons nous-mêmes cet arbre, reçois-le dans sa chute, et si ton Seigneur est comme tu le dis avec toi, tu en réchapperas… » Comme donc le pin penchait tellement d’un côté qu’on ne pouvait douter à quel endroit il tomberait, on y amena le saint, garrotté… Déjà le pin commençait à chanceler et à menacer ruine ; les moines regardaient de loin et pâlissaient. Mais Martin, intrépide, lorsque l’arbre avait déjà craqué, au moment où il tombait et se précipitait sur lui, lui oppose le signe du salut. L’arbre se releva comme si un vent impétueux le repoussait, et alla tomber de l’autre côté, si bien qu’il faillit écraser la foule qui s’était crue à l’abri de tout péril.

« Comme il voulait renverser un temple rempli de toutes les superstitions païennes, dans le village de Leprosum (le Loroux), une multitude de gentils s’y opposa, et le repoussa avec outrage. Il se retira donc dans le voisinage, et là, pendant trois jours, sous le cilice et la cendre, toujours jeûnant et priant, il supplia le Seigneur que, puisque la main d’un homme ne pouvait renverser ce temple, la vertu divine vînt le détruire. Alors deux anges s’offrirent à lui, avec la lance et le bouclier, comme des soldats de la milice céleste ; ils se disent envoyés de Dieu pour dissiper les paysans ameutés, défendre Martin, et empêcher personne de s’opposer à la destruction du temple. Il revient, et, à la vue des paysans immobiles, il réduit en poussière les autels et les idoles… Presque tous crurent en Jésus-Christ.

« Plusieurs évêques s’étaient réunis de divers endroits auprès de l’empereur Maxime, homme d’un caractère violent. Martin, souvent invité à sa table, s’abstint d’y aller, disant qu’il ne pouvait être le convive de celui qui avait dépouillé deux empereurs, l’un de son trône, l’autre de la vie. Cédant enfin aux raisons que donna Maxime ou à ses instances réitérées, il se rendit à son invitation. Au milieu du festin, selon la coutume, un esclave présenta la coupe à l’empereur. Celui-ci la fit offrir au saint évêque, afin de se procurer le bonheur de la recevoir de sa main. Mais Martin, lorsqu’il eut bu, passa la coupe à son prêtre, persuadé sans doute que personne ne méritait davantage de boire après lui. Cette préférence excita tellement l’admiration de l’empereur et des convives, qu’ils virent avec plaisir cette action même, par laquelle le saint paraissait les dédaigner. Martin prédit longtemps avant à Maxime que, s’il allait en Italie, selon son désir, pour y faire la guerre à Valentinien, il serait vainqueur dans la première rencontre, mais que bientôt il périrait. C’est en effet ce que nous avons vu.

« On sait aussi qu’il reçut très souvent la visite des anges, qui venaient converser devant lui. Il avait le diable si fréquemment sous les yeux, qu’il le voyait sous toutes les formes. Comme celui-ci était convaincu qu’il ne pouvait lui échapper, il l’accablait souvent d’injures, ne pouvant réussir à l’embarrasser dans ses pièges. Un jour, tenant à la main une corne de bœuf ensanglantée, il se précipita avec fracas vers sa cellule, et lui montrant son bras dégouttant de sang et se glorifiant d’un crime qu’il venait de commettre : « Martin, dit-il, où est donc ta vertu ? Je viens de tuer un des tiens. » Le saint homme réunit ses frères, leur raconte ce que le diable lui a appris, leur ordonne de chercher dans toutes les cellules afin de découvrir la victime. On vint lui dire qu’il ne manquait personne parmi les moines, mais qu’un malheureux mercenaire, qu’on avait chargé de voiturer du bois, était gisant auprès de la forêt. Il envoie à sa rencontre. On trouve non loin du monastère ce paysan à demi mort. Bientôt après il avait cessé de vivre. Un bœuf l’avait percé d’un coup de corne dans l’aine.

« Le diable lui apparaissait souvent sous les formes les plus diverses. Tantôt il prenait les traits de Jupiter, tantôt ceux de Mercure, d’autres fois aussi ceux de Vénus et de Minerve. Martin, toujours ferme, s’armait du signe de la croix et du secours de la prière. Un jour, le démon parut précédé et environné lui-même d’une lumière éclatante, afin de le tromper plus aisément par cette splendeur empruntée : il était revêtu d’un manteau royal, le front ceint d’un diadème d’or et de pierreries, sa chaussure brodée d’or, le visage serein et plein de gaieté. Dans cette parure, qui n’indiquait rien moins que le diable, il vint se placer dans la cellule du saint pendant qu’il était en prière. Au premier aspect, Martin fut consterné, et ils gardèrent tous les deux un long silence. Le diable le rompit le premier : « Martin, dit-il, reconnais celui qui est devant toi. Je suis le Christ. Avant de descendre sur la terre, j’ai d’abord voulu me manifester à toi. » Martin se tut et ne fit aucune réponse. Le diable reprit audacieusement : « Martin, pourquoi hésites-tu à croire lorsque tu vois ? Je suis le Christ. — Jamais, reprit Martin, notre Seigneur Jésus-Christ n’a prédit qu’il viendrait avec la pourpre et le diadème. Pour moi, je ne croirai pas à la venue du Christ, si je ne le vois tel qu’il fut dans sa Passion, portant sur son corps les stigmates de la croix. » À ces mots, le diable se dissipe tout à coup comme de la fumée laissant la cellule remplie d’une affreuse puanteur. Je tiens ce récit de la bouche même de Martin ; ainsi, que personne ne le prenne pour une fable.

« Car sur le bruit de sa religion, brûlant du désir de le voir, et aussi d’écrire son histoire, nous avons entrepris pour l’aller trouver un voyage qui nous a été agréable. Il ne nous a entretenus que de l’abandon qu’il fallait faire des séductions de ce monde, et du fardeau du siècle pour suivre d’un pas libre et léger notre Seigneur Jésus-Christ. Oh ! quelle gravité, quelle dignité il y avait dans ses paroles et dans sa conversation ! Quelle force, quelle facilité merveilleuse pour résoudre les questions qui touchent les divines Écritures ! Jamais le langage ne peindra cette persévérance et cette rigueur dans le jeûne et l’abstinence, cette puissance de veille et de prière, ces nuits passées comme les jours, cette constance à ne rien accorder au repos ni aux affaires, à ne laisser dans sa vie aucun instant qui ne fût employé à l’œuvre de Dieu ; à peine même consacrait-il aux repas et au sommeil le temps que la nature exigeait. Ô homme vraiment bienheureux, si simple de cœur, ne jugeant personne, ne condamnant personne, ne rendant à personne le mal pour le mal ! Et, en effet, il s’était armé contre toutes les injures d’une telle patience que, bien qu’il occupât le plus haut rang dans la hiérarchie, il se laissait outrager impunément par les moindres clercs, sans pour cela leur ôter leurs places ou les exclure de sa charité. Personne ne le vit jamais irrité, personne ne le vit troublé, personne ne le vit s’affliger, personne ne le vit rire ; toujours le même, et portant sur son visage une joie céleste, en quelque sorte, il semblait supérieur à la nature humaine. Il n’avait à la bouche que le nom du Christ, il n’avait dans le cœur que la piété, la paix, la miséricorde. Le plus souvent même il avait coutume de pleurer pour les péchés de ceux qui le calomniaient, et qui, dans la solitude de sa retraite, le blessaient de leur venin et de leur langue de vipère.

« Pour moi, j’ai la conscience d’avoir été guidé dans ce récit par ma conviction et par l’amour de Jésus-Christ. Je puis me rendre ce témoignage que j’ai rapporté des faits notoires et que j’ai dit la vérité. »


Ex Sulpicii Severi Historiâ sacrâ, lib. II :


« Un certain Marcus de Memphis apporta d’Égypte en Espagne la pernicieuse hérésie des gnostiques. Il eut pour disciples une femme de haut rang, Agape, et le rhéteur Helpidus. Priscillien reçut leurs leçons… Peu à peu le venin de cette erreur gagna la plus grande partie de l’Espagne. Plusieurs évêques en furent même atteints, entre autres Instantius et Salvianus… L’évêque de Cordoue les dénonça à Idace, évêque de la ville de Merida… Un synode fut assemblé à Saragosse, et on y condamna, quoique absents, les évêques Instantius et Salvianus, avec les laïques Helpidus et Priscillien. Ithacius fut chargé de la promulgation de la sentence… Après de longs et tristes débats, Idace obtint de l’empereur Gratien un rescrit qui bannit de toute terre les hérétiques… Lorsque Maxime eut pris la pourpre et fut entré vainqueur à Trèves, il le pressa de prières et de dénonciations contre Priscillien et ses complices : l’empereur ordonna d’amener au synode de Bordeaux tous ceux qu’avait infectés l’hérésie. Ainsi furent amenés Instantius et Priscillien (Salvianus était mort). Les accusateurs Idace et Ithacius les suivirent. J’avoue que les accusateurs me sont plus odieux pour leurs violences que les coupables eux-mêmes. Cet Ithacius était plein d’audace et de vaines paroles, effronté, fastueux, livré aux plaisirs de la table… Le misérable osa accuser du crime d’hérésie l’évêque Martin, un nouvel apôtre ! Car Martin, se trouvant alors à Trèves, ne cessait de poursuivre Ithacius pour qu’il abandonnât l’accusation, de supplier Maxime qu’il ne répandit point le sang de ces infortunés : c’était assez que la sentence épiscopale chassât de leurs sièges les hérétiques ; et ce serait un crime étrange et inouï qu’un juge séculier jugeât la cause de l’Église. Enfin, tant que Martin fut à Trèves, on ajourna le procès ; et, lorsqu’il fut sur le point de partir, il arracha à Maxime la promesse qu’on ne prendrait contre les accusés aucune mesure sanglante. »


Ex Sulpicii Severi Dialogo III :


« Sur l’avis des évêques assemblés à Trèves, l’empereur Maxime avait décrété que des tribuns seraient envoyés en armes dans l’Espagne, avec de pleins pouvoirs pour rechercher les hérétiques, et leur ôter la vie et leurs biens. Nul doute que cette tempête n’eût enveloppé aussi une multitude d’hommes pieux ; la distinction n’étant pas facile à faire, car on s’en rapportait aux yeux, et on jugeait d’un hérétique sur sa pâleur ou son habit, plutôt que sur sa foi. Les évêques sentaient que cette mesure ne plairait pas à Martin ; ayant appris qu’il arrivait, ils obtinrent de l’empereur l’ordre de lui interdire l’approche de la ville s’il ne promettait de s’y tenir en paix avec les évêques. Il éluda adroitement cette demande, et promit de venir en paix avec Jésus-Christ. Il entra de nuit, et se rendit à l’église pour prier ; le lendemain il vient au palais… Les évêques se jettent aux genoux de l’empereur, le suppliant avec larmes de ne pas se laisser entraîner à l’influence d’un seul homme… L’empereur chassa Martin de sa présence. Et bientôt il envoya des assassins tuer ceux pour qui le saint homme avait intercédé. Dès que Martin l’apprit, c’était la nuit, il court au palais. Il promet que, si on fait grâce, il communiera avec les évêques, pourvu qu’on rappelle les tribuns déjà expédiés pour la destruction des églises d’Espagne. Aussitôt Maxime accorda tout. Le lendemain… Martin se présenta à la communion, aimant mieux céder à l’heure qu’il était que d’exposer ceux dont la tête était sous le glaive. Cependant les évêques eurent beau faire tous leurs efforts pour qu’il signât cette communion, ils ne purent l’obtenir. Le jour suivant, il sortit de la ville, et il s’en allait le long de la route, triste et gémissant de ce qu’il s’était mêlé un instant à une communion coupable ; non loin du bourg qu’on appelle Andethanna, où la vaste solitude des forêts offre des retraites ignorées, il laissa ses compagnons marcher quelques pas en avant, et s’assit, roulant dans son esprit, justifiant et blâmant tour à tour le motif de sa douleur et de sa conduite. Tout à coup lui apparut un ange. « Tu as raison, Martin, lui dit-il, de t’affliger et de te frapper la poitrine, mais tu ne pouvais t’en tirer autrement. Reprends courage ; raffermis-toi le cœur, ne va pas risquer maintenant non plus seulement ta gloire, mais ton salut. » Depuis ce jour, il se garda bien de se mêler à la communion des partisans d’Ithacius. Du reste, comme il guérissait les possédés plus rarement qu’autrefois, et avec moins de puissance, il se plaignait à nous avec larmes que, par la souillure de cette communion à laquelle il s’était mêlé un seul instant, par nécessité et non de son propre mouvement, il sentait languir sa vertu. Il vécut encore seize ans, n’alla plus à aucun synode, et s’interdit d’assister à aucune assemblée d’évêques. »


Ex Sulpicii Severi Dialogo II :


« Comme nous lui faisions quelques questions sur la fin du monde, il nous dit : Néron et l’Antichrist viendront après ; Néron régnera en Occident sur dix rois vaincus, et exercera la persécution jusqu’à faire adorer les idoles des gentils. Mais l’Antichrist s’emparera de l’empire d’Orient ; il aura pour siège de son royaume et pour capitale Jérusalem ; par lui, la ville et le temple seront réparés. La persécution qu’il exercera, ce sera de faire renier Jésus-Christ notre Seigneur, en se donnant lui-même pour le Christ, et de forcer tous les hommes de se faire circoncire selon la loi. Moi-même enfin je serai tué par l’Antichrist, et il réduira sous sa puissance tout l’univers et toutes les nations : jusqu’à ce que l’arrivée du Christ écrase l’impie. On ne saurait douter, ajoutait-il, que l’Antichrist, conçu de l’esprit malin, ne fût maintenant enfant, et qu’une fois sorti de l’adolescence il ne prît l’Empire. »

extrait de l’ouvrage de m. price, sur les races de l’angleterre (Voy. page 105).

MM. Thierry et Edwards ont adopté l’opinion de la persistance des races ; M. Price adopte celle de leur mutabilité. Mais il devrait être franchement spiritualiste et expliquer les modifications qu’elles subissent par l’action de la liberté travaillant la matière. Il n’a su trouver à l’appui de son point de vue biblique que des hypothèses matérialistes.

Toutefois, nous extrairons de son ouvrage quelques résultats intéressants (An Essay on the physiognomy and physiology of the present inhabitants of Britain, with reference to their origin, as Goths and Celts, by the Rev. T. Price, London, 1829).

Tout ce que les anciens disent des yeux bleus et des cheveux blonds des Germains ne désigne pas plus les Goths que les Celtes, parce qu’il y avait des Celtes dans la Germanie. Les Cimbres étaient des Celtes ; Pline parlant de la Baltique, et citant Philémon, dit : Morimarusam à Cimbris vocari, hoc est, mortuum mare (en welche Môrmarw).

L’auteur pense qu’il y a eu un changement des cheveux, du roux au jaune et du jaune au brun : Tacite : « Rutilæ Caledoniam habitantium comæ, magni artus Germanicam originem asseverant. » Dans les triades bretonnes, une colonie gaélique de race scot-irlandaise est appelée : Les rouges Gaëls d’Irlande. Dans le vieux gaélique Duan, qui fut récité par le barde de Malcolm III en 1057, on voit que les montagnards avaient les cheveux jaunes :

A Eolcha Alban nile
A Shluagh fela foltbhuidle.

O ye learned Albanians all, ye learned yellow-haired hosts !

Aujourd’hui le brun est la couleur dominante chez les montagnards. Il ne faut pas croire que les hommes distingués soient d’origine gothique et les autres Celtes. La diversité de nourriture explique la différence, comme on le voit dans les animaux transportés dans de plus riches pâturages (par exemple de Bretagne en Normandie).

Le climat et les habitudes changent les races ; Camper remarque que déjà les Anglo-Américains ont la face longue et étroite, l’œil serré. West ajoute qu’ils ont le teint moins fleuri que les Anglais. L’œil devient sombre dans le voisinage des mines de charbon, et partout où l’on en brûle (?).

César attribue aux Belges une origine germanique : « …Plerosque à Germanis ortos. » Mais Strabon dit qu’ils parlaient la langue des Gaulois : « Μικρὸν ἐξαλλατοῦντας τῇ γλώσσῃ… » La chronique saxonne parle d’Hengist qui « engagea les Welsh de Kent et Sussex. » Ces Welsh étaient des Belges selon Pinkerton. Les noms des villes belges, en Angleterre, sont bretons.

On ne trouve pas en Angleterre de traces de sang danois. — Les Normands conquérants étaient un peuple mêlé de Gaulois, Francs, Bretons, Flamands, Scandinaves, etc. Les hommes du Nord n’avaient pu exterminer les habitants de la Normandie, ni même diminuer de beaucoup leur nombre, puisque en cent soixante ans ils perdirent leur langue scandinave pour adopter celle des vaincus. Il serait ridicule de chercher les traces en Angleterre d’une population aussi mêlée que l’armée de Guillaume. Il paraît que dès lors les cheveux roux étaient rares, puisque c’était l’objet d’un surnom, Guillaume-le-Roux[13].

Vers York et Lancastre, où l’influence des habitudes manufacturières ne se fait pas sentir, les Anglais sont plus grands, mais plus lourds que dans le sud ; l’œil bleu prévaut dans le comté de Lancastre. Les hommes du Cumberland (ce sont des Cymry, qui ont perdu leur langue plus tôt que ceux de Cornouailles) n’ont rien qui les distingue des Anglais du Midi.

Entre l’Écossais et l’Anglais, il y a une différence indéfinissable ; les traits durs et la proéminence des os des joues ne sont pas particuliers à l’Écosse. Les montagnards sont rarement grands, mais bien faits ; généralement bruns, moins de vivacité qu’en Irlande, taille moins haute, population plus variée. Quoi qu’on dise des établissements des Norwégiens dans l’Ouest, c’est la même langue et la même physionomie que dans les montagnes d’Écosse.

Pays de Galles, variété infinie, nez romain très fréquent, hommes de moyenne taille, mais fortement bâtis ; on dit que la milice de Coemarthenshire demande plus de place pour former ses lignes que celle d’aucun autre comté. Dans le Nord, taille plus haute, beauté classique, mais traits petits.

L’Irlande plus mêlée que la Grande-Bretagne ; aujourd’hui étonnante uniformité de caractère moral et physique ; deux classes seulement, les bien nourris, les mal nourris. Chez les paysans, cheveux bruns ou noirs, noirs surtout dans une partie du sud, mais l’œil toujours gris ou bleu[14], sourcils bas, épais et noirs, face longue, nez petit, tendant à relever ; grande taille généralement, tous hommes bien faits ; ceci est moins vrai depuis quarante ans, par suite de la misère dans plusieurs parties, surtout au sud. Bouche ouverte, ce qui leur donne un air stupide ; extraordinaire facilité du langage, qui contraste avec leurs haillons. Tout mendiant est un bel esprit, un orateur, un philosophe. Espagnols au sud de l’Irlande depuis Élisabeth. Allemands Palatins des bords du Rhin.

En France, visage rond ; en Angleterre, ovale ; en Allemagne, carré. Les yeux plus proéminents sur le continent qu’en Angleterre. — Ni en Normandie ni en Bourgogne il n’y a trace des hommes du Nord (excepté vers Bayeux et Vire).

Savoyards, petits, actifs ; mâchoire très carrée, œil gris, cheveux noirs, sourcils bas, épais.

Suisses, même mâchoire, hommes plus grands, œil bleu ciel, avec un éclat qui ne plaît pas toujours, cheveux bruns.

Allemands, yeux gris, cheveux bruns ou blond pâle, mâchoire angulaire, nez rarement aquilin, mais bas à la racine ; grande étendue entre les yeux, encore plus qu’en France.

Belges, œil d’un parfait bleu de Prusse, plus foncé autour de l’iris, visage plus long qu’en Allemagne.

Je croirais volontiers (ce que ne dit pas l’auteur) que, par l’action du temps et de la civilisation, les cheveux ont pu brunir, les yeux noircir, c’est-à-dire prendre le caractère d’une vie plus intense.

sur l’auvergne au cinquième siècle (Voy. page 151).

Au cinquième siècle, l’Auvergne se trouva placée entre les invasions du Midi et du Nord, entre les Goths, les Burgundes et les Francs. Son histoire présente alors un vif intérêt, c’est celle de la dernière province romaine.

Sa richesse et sa fertilité étaient pour les barbares un puissant attrait. Sidonius Apollin., l. IV, epist. xxi (ap. Scrip. rer. Franc, t. I, p. 793) :

« Taceo territorii (il parle de la Limagne) peculiarem jocunditatem ; taceo illud æquor agrorum, in quo sine periculo quæstuosæ fluctuant in segetibus undæ ; quod industrius quisque quo plus frequentat, hoc minùs naufragat ; viatoribus molle, fructuosum aratoribus, venatoribus voluptuosum : quod montium cingunt dorsa pascuis, latera vinetis, terrona villis, saxosa castellis, opaca lustris, aperta culturis, concava fontibus, abrupta fluminibus : quod denique hujusmodi est, ut semel visum advenis, multis patriæ oblivionem sæpè persuadeat. » — Carmen VII, p. 804 :

.   .   .   .   .   .   .   .   Fœcundus ab urbe
Pollet ager, primo qui vix proscissus aratro
Semina tarda sitit, vel luxuriante juvenco,
Arcanam exponit piceâ pinguedine glebam.

Childebert disait (en 531) : Quand verrai-je cette belle Limagne ! « Velim Arvernam Lamanem, quæ tantæ jocunditatis gratiâ refulgere dicitur, oculis cernere ! » Theuderic disait aux siens : « Ad Arvernos me sequimini, et ego vos inducam in patriam ubi aurum et argentum accipiatis, quantùm vestra potest desiderare cupiditas ; de quâ pecora, de quâ mancipia, de quâ vestimenta in abundantiam adsumatis. » (Greg. Tur., l. III, c. ix, 11.)

Les barbares alliés de Rome n’épargnaient pas non plus l’Auvergne dans leur passage. Les Huns, auxiliaires de Litorius, la traversèrent en 437 pour aller combattre les Wisigoths et la mirent à feu et à sang (Sidon. Panegyr. Aviti, p. 805. Paulin., l. VI, vers. 116). L’avènement d’un empereur auvergnat, en 455, lui laissa quelques années de relâche. Avitus fit la paix avec les Wisigoths ; Théodoric II se déclara l’ami et le soldat de Rome (Ibid., p. 810… Romæ sum, te duce, amicus, Principe te, miles). — Mais, à la mort de Majorien (461), il rompit le traité et prit Narbonne ; dès lors, l’Auvergne vit arriver et monter rapidement le flot de la conquête barbare, et bientôt (474) la cité des Arvernes (Clermont), l’antique Gergovie, surnagea seule, isolée sur sa haute montagne (Γεργοουίαν, ἐφ' ὑψηλοῦ ὄρους κειμένην.). Strabon, l. IV. — Quæ posita in altissimo monte omnes aditus difficiles habebat (Cæsar, l. VI, c. xxxvi. Dio Cass., l. XL).

Sidon. Apollin., l. III, epist. iv (ann. 474 : « Oppidum nostrum, quasi quemdam sui limitis oppositi obicem, circumfusarum nobis gentium arma terrificant. Sic æmulorum sibi in medio positi lacrymabilis præda populorum, suspecti Burgundionibus, proximi Gothis, nec impugnantûm irâ nec propugnantûm caremus invidiâ. » — L. VII, ad Mamert. « Rumor est Gothos in Romanum solum castra movisse. Huic semper irruptioni nos miseri Arverni janua sumus. Namque odiis inimicorum hinc peculiaria fomenta subministramus, quia, quod necdùm terminos suos ab Oceano in Rhodanum Ligeris alveo limitaverunt, solam sub ope Christi moram de nostro tantùm obice patiuntur. Circumjectarum vero spatium tractumque regionum jampridem regni minacis importuna devoravit impressio. »

Ainsi livrée à elle-même, abandonnée des faibles successeurs de Majorien, l’Auvergne se défendit héroïquement, sous le patronage d’une puissante aristocratie. C’était la maison d’Avitus avec ses deux alliées, les familles des Apollinaires et des Ferreols ; toutes trois cherchèrent à sauver leur pays, en unissant étroitement sa cause à celle de l’empire.

Aussi les Apollinaires occupaient-ils dès longtemps les plus hautes magistratures de la Gaule (l. I, Epist. iii) : « Pater, socer, avus, proavus præfecturis urbanis pratorianisque, magisteriis palatinis militaribusque micuerunt. » Sidonius lui-même épousa, ainsi que Tonantius Ferréol, une fille de l’empereur Avitus, et fut préfet de Rome sous Anthemius (Scr. Fr. I, 783).

Tous ils employèrent leur puissance à soulager leur pays accablé par les impôts et la tyrannie des gouverneurs. — En 469, Tonantius Ferréol fit condamner le préfet Arvandus, qui entretenait des intelligences avec les Goths. — Sidon., l. I, ep. vii : « Legati provinciæ Galliæ Tonantius Ferreolus prætorius, Afranii Syagrii consulis è filia nepos ; Thaumastus quoque et Petronius, verborumque scientiâ præditi, et inter principalia patriæ nostræ decora ponendi, prævium Arvandum publico nomine accusaturi cum gestis decretalibus insequuntur. Qui inter cætera quæ sibi provinciales agenda mandaverant, interceptuas litteras deferebant… Hæc ad regem Gothorum charta videbatur emitti, pacem cum græco imperatore (Anthemio) dissuadens, Britannos super Ligerim sitos oppugnari oportere demonstrans, cum Burgundionibus jure gentium Gallias dividi debere confirmans. » — Ferréol avait lui-même administré la Gaule et diminué les impôts. Sid., l. VII, ep. xii : « … Prætermisit stylus noster Gallias tibi administratas tunc quùm maxime incolumes erant… propterque prudentiam tantam providentiamque, currum tuum provinciales cum plausum maximo accentu spontanies subiisse cervicibus ; quia sic habenas Galliarum moderabere, ut possessor exhaustus tributario jugo relevaretur. » — Avitus, dans sa jeunesse, avait été député par l’Auvergne à Honorius, pour obtenir une réduction d’impôts (Panegyr. Aviti, vers. 207). Sidonias dénonça et fit punir (471) Seronatus, qui opprimait l’Auvergne et la trahissait comme Arvandus. L. II, ep. i : « Ipse Catilina sæculi nostri… implet quotidie sylvas fugientibus, villas hospitibus, altaria reis, carceres clericis : exultans Gothis, insultansque Romanis, illudens præfectis, colludensque numerariis : leges Theodosianas calcans, Theodoricianasque proponens veteresque culpas, nova tributa perquirit. — Proinde moras tuas citus explica, et quicquid illud est quod te retentat, incide… »

Ces derniers mots s’adressent au fils d’Avitus, au puissant Ecdicius… « Te expectat palpitantium civium extrema libertas. Quicquid sperandum, quicquid desperandum est, fieri te medio, te præsule placet. Si nullæ a republicâ vires, nulla præsidia, si nullæ, quantùm rumor est, Anthemii principis opes : statuit te auctore nobilitas seu patriam dimittere, seu capillos. »

Ecdicius, en effet, fut le héros de l’Auvergne ; il la nourrit pendant une famine, leva une armée à ses frais, et combattit contre les Goths avec une valeur presque fabuleuse : il leur opposait les Burgundes, et attachait la noblesse arverne à la cause de l’Empire, en l’encourageant à la culture des lettres latines.

Gregor. Turon., l. II, c. xxiv : « Tempore Sidonii episcopi magna Burgundiam fames oppressit, Cumque populi per diversas regiones dispergerentur… Ecdicius quidam ex senatoribus… misit pueros suos cum equis et plaustris per vicinas sibi civitates, ut eos qui hâc inopiâ vexabantur, sibi adducerent. At illi euntes, cunctos pauperes quotquot invenire potuerunt, adduxêre ad domum ejus. Ibique eos per omne tempus sterilitatis pascens, ab intcritu famis exemit. Fuereque, ut multi aiunt, ampliùs quàm quatuor millia… Post quorum discessum, vox ad eum è cœlis lapsa pervenit : « Ecdici, Ecdici, quia fecisti rem hanc, tibi et semini tuo panis non decrit in sempiternum. » — Sidon. l. III, epist. iii : « Si quandô, nunc maxime, Arvernis meis desideraris, quibus dilectio tui immanc dominatur, et quidem multiplicibus ex causis… Mitto istìc ob gratiam pueritiæ tuæ undique gentium confluxisse studia litterarum, tuæque personæ debitum, quod sermonis Celtici squamam depositura nobilitas, nunc oratorio stylo, nunc etiam camœlanibus modis imbuebatur. Illud in te affectum principaliter universitatis accendit, quod quos olim Latinos fieri exegeras, barbaros deinceps esse vetuisti… Hinc jam per otium in urbem reduci, quid tibi obviàm processerit officiorum, plausuum, fletuum, gaudiorum, magis tentant vota conjicere, quàm verba reserare… Dùm alii osculis pulverem tuum rapiunt, alii sanguine ac spumis pinguia lupata suscipiunt ; … hìc licet multi complexibus tuorum tripudiantes adhærescerent, in te maximus tamen lætitiæ popularis impetus congerebatur, etc… Taceo deinceps collegisse te privatis viribus publici exercitùs speciem… te aliquot supervenientibus cuneos mactâsse turmales, e numero tuorum vix binis ternisve post prælium desideratis. »

En 472, le roi des Goths, Euric, avait conquis toute l’Aquitaine, à l’exception de Bourges et de Clermont (Sidon., l. VII, Ep. v). Ecdicius put prolonger quelque temps une guerre de partisans dans les montagnes et les gorges de l’Auvergne (Scr. Fr. XII, 53… Arvernorum difficiles aditus et obviantia castella). — Renaud, selon la tradition, n’osa entrer dans l’Auvergne, et se contenta d’en faire le tour. Sans doute, comme plus tard au temps de Louis-le-Gros, les Auvergnats abandonnèrent les châteaux pour se réfugier dans leur petite mais imprenable cité (loc. cit. : Præsidio civitatis, quia peroptime erat munita, relictis montanis acutissimis castellis, se commiserunt). Sidonius en était alors évêque ; il instituait, pour repousser ces Ariens, des prières publiques : « Non nos aut ambustam murorum faciem, aut putrem sudium cratem, aut propugnacula vigilum trita pectoribus confidimus opitulaturum : solo tamen invectarum te (Mamerte) auctore, Rogationum palpamur auxilio ; quibus inchoandis instituendisque populus arvernus, et si non effectu pari, affectu certe non impari, cœpit initiari, et ob hoc circumfusis necdùm dat terga terroribus. » (L. VII, Ep. ad Mamert.)

On a vu qu’Ecdicius repoussa les Goths ; l’hiver les força de lever le siège (Sidon., l. III, Ep. vii). Mais, en 475, l’empereur Népos fit la paix avec Euric, et lui céda Clermont. Sidonius s’en plaignit amèrement (l. VII, Ep. vii) : « Nostri hic nunc est infelicis anguli status, cujus, ut fama confirmat, melior fuit sub bello quàm sub pace conditio. Facta est servitus nostra pretium securitatis alienæ. Arvernorum, proh dolor ! servitus, qui, si prisca replicarentur, audebant se quondam fratres Latio dicere, et sanguine ab Iliaco populos computare (et ailleurs : … Tellus… quæ Latio se sanguine tollit altissimam. Panegyr. Avit., v. 139)… Hoccine meruerunt inopia, flamma, ferrum, pestilentia, pingues cædibus gladii, et macri jejuniis præliatores ! »

Ecdicius, ne voyant plus d’espoir, s’était retiré auprès de l’empereur avec le titre de Patrice. (Sidon., l. V, Ep. xvi ; l. VIII, ep. vii ; Jornandès, c. xlv.) — Euric relégua Sidoine dans le château de Livia, à douze milles de Carcassonne, mais il recouvra la liberté en 478, à la prière d’un Romain, secrétaire du roi des Goths, et fut rétabli dans le siège de Clermont (Sidon., l. VIII, Ep. viii). Lorsqu’il mourut (484), ce fut un deuil public : « Factum est post hæc, ut accedente febre ægrotare cœpisset ; qui rogat suos ut eum in ecclesiam ferrent. Cùmque illuc inlatus fuisset, conveniebat ad eum multitudo virorum ac mulierum, simulque etiam et infantium plangentium atque dicentium : « Cur nos deseris, pastor bone, vel cui nos quasi orphanos derelinquis ? Numquid erit nobis post transitum tuum vita ?… Hæc et his similia populis cum magno fletu dicentibus… » Greg. Tur., l. II, c. xxiii.

Malgré la conquête d’Euric, les Arvernes durent jouir d’une certaine indépendance. — Alaric, il est vrai, les enrôle dans sa milice pour combattre à Vouglé (507) ; mais on les voit pourtant élire successivement pour évêques deux amis des Francs, deux victimes des soupçons des Ariens, Burgundes et Goths : en 484, Apruncule, dont Sidoine mourant avait prédit la venue (Greg. Tur., l. II, c. xxiii), et saint Quintien en 507, l’année même de la bataille de Vouglé.

Les grandes familles de Clermont conservèrent aussi sans doute une partie de leur influence. On trouve parmi les évêques de Clermont un Avitus « non infimis nobilium natalibus ortus » (Scr. Fr. II, 220, note), qui fut élu par « l’assemblée de tous les Arvernes ». (Greg. Tur., l. IV, c. xxxv), et fut très populaire (Fortunat, l. III, Carm. 26). Un autre Avitus est évêque de Vienne. — Un Apollinaire fut évêque de Reims. Le fils de Sidonius fut évêque de Clermont après saint Quintien ; c’était lui qui avait commandé les Arvernes à Vouglé : « Ibi tunc Arvernorum populus, qui cum Apollinare venerat, et primi qui erant ex senatoribus, conruerunt. » Greg. Tur., l. II, c. xxxvii.

De ce passage et de quelques autres encore, on pourrait induire que cette famille avait été originairement à la tête des clans arvernes.

Greg. Tur., l. III, c. ii : « Cùm populus (Arvernorum) sanctum Quintianum, qui de Rutheno ejectus fuerat, elegisset, Alchima et Placidina, uxor sororque Apollinaris, ad sanctum Quintianum venientes, dicunt : « Sufficiat, domine, senectuti tuæ quod es episcopus ordinatus. Permittat, inquiunt, pietas tua servo tuo Apollinari locum hujus honoris adipisci… » Quibus ille : « Quid ego, inquit, præstabo, cujus potestati nihil est subditum ? sufficit enim ut orationi vacans, quotidianum mihi victum præstet ecclesia. » — Les Avitus semblent n’avoir été pas moins puissants. Leur terre portait leur nom (Avitacum. Sidonius en donne une longue et pompeuse description, Carmen XVIII). Ecdicius, le fils d’Avitus, semble entouré de dévoués. Sidonius lui écrit (l. III, Ep. iii) : « … Vix duodeviginti equitum sodalitate comitatus, aliquot millia Gothorum… transisti… Cùm tibi non daret tot pugna socios, quot solet mensa convivas. » — Le nom même d’Apollinaire indique peut-être une famille originairement sacerdotale. Le petit-fils de Sidonius, le sénateur Arcadius, appela en Auvergne Childebert au préjudice de Theuderic (530), préférant sans doute sa domination à celle de l’ami de saint Quintien, du barbare roi de Metz (Greg. Tur., l. III, c. ix, sqq.).

Un Ferréol était évêque de Limoges en 585 (Scr. Fr. II, 296). Un Ferréol occupa le siège d’Autun avant saint Léger. On sait que la généalogie des Carlovingiens les rattache aux Ferréols. Un capitulaire de Charlemagne (ap. Scr. F. V, 744) contient des dispositions favorables à un Apollinaire, évêque de Riez (Riez même s’appelait Reii Apollinares). — Peut-être les Arvernes eurent-ils grande part à l’influence que les Aquitains exercèrent sur les Carlovingiens. Raoul Glaber attribue aux Aquitains et aux Arvernes le même costume, les mêmes mœurs et les mêmes idées (l. III, ap. Scr. Fr. X, 42).

sur la captivité de louis ii (Voy. page 294).

Audite omnes fines terre orrore cum tristitia,
Quale scelus fuit factum Benevento civitas.
Lhuduicum comprenderunt, sancto pio Augusto.
Beneventani se adunârunt ad unum consilium,
Adalferio loquebatur et dicebant principi :
Si nos eum vivum dimittemus, certe nos peribimus.
Celus magnum preparavit in istam provinciam,
Regnum nostrum nobis tollit, nos habet pro nihilum,
Plures mala nobis fecit, rectum est moriar.
Deposuerunt sancto pio de suo palatio ;
Adalferio illum ducebat usque ad pretorium,
Ille vero gaude visum tanquam ad martyrium.
Exierunt Sado et Saducto, invocabant imperio ;
Et ipse sancte pius incipiebat dicere :
Tanquam ad latronem venistis cum gladiis et fustibus,
Fuit jam namque tempus vos allevavit in omnibus,
Modo vero surrexistis adversus me consilium,
Nescio pro quid causam vultis me occidere.
Generatio crudelis veni interficere,
Eclesieque sanctis Dei venio diligere,
Sanguine veni vindicare quod super terram fusus est.
Kalidus ille temtador, ratum atque nomine
Cororum imperii sibi in caput pronet et dicebat populo :
Ecce sumus imperator, possum vobis regero.
Leto animo habebat de illo quo fecerat ;
A demonio vexatur, ad terram ceciderat,
Exierunt multæ turmæ videre mirabilia.
Magnus Dominus Jesus Christus judicavit judicium :
Multa gens paganorum exit in Calabria,
Super Salerno pervenerunt, possidere civitas.
Juratum est ad Surete Dei reliquie
Ipse regnum defendendum, et alium requirere.

« Écoutez, limites de la terre, écoutez avec horreur, avec tristesse, quel crime a été commis dans la ville de Bénévent. Ils ont arrêté Louis, le saint, le pieux Auguste. Les Bénéventins se sont assemblés en conseil ; Adalfieri parlait, et ils ont dit au prince : Si nous le renvoyons en vie, sans doute nous périrons tous. Il a préparé de cruelles vengeances contre cette province : il nous enlève notre royaume, il nous estime comme rien ; il nous a accablés de maux : il est bien juste qu’il périsse. Et ce saint, ce pieux monarque, ils l’ont fait sortir de son palais ; Adalfieri l’a conduit au prétoire, et lui, il paraissait se réjouir de sa persécution comme un saint dans le martyre. Sado et Saducto sont sortis en invoquant les droits de l’empire ; lui-même il disait au peuple : Vous venez à moi comme au-devant d’un voleur avec des épées et des bâtons ; un temps était où je vous ai soulagés, mais à présent vous avez comploté contre moi, et je ne sais pourquoi vous voulez me tuer : je suis venu pour détruire la race des infidèles ; je suis venu pour rendre un culte à l’Église et aux saints de Dieu ; je suis venu pour venger le sang qui avait été répandu sur la terre. Le tentateur a osé mettre sur sa tête la couronne de l’Empire ; il a dit au peuple : Nous sommes empereur, nous pouvons vous gouverner, et il s’est réjoui de son ouvrage ; mais le démon le tourmente et l’a renversé par terre, et la foule est sortie pour être témoin du miracle. Le grand maître Jésus-Christ a prononcé son jugement : la foule des païens a envahi la Calabre ; elle est parvenue à Salerne pour posséder cette cité : mais nous jurons sur les saintes reliques de Dieu de défendre ce royaume et d’en conquérir un autre. »

sur les colliberts, cagots, caqueux, gésitains, etc.

On retrouve dans l’ouest et le midi de la France quelques débris d’une population opprimée, dont nos anciens monuments font souvent mention, et que poursuivent encore une horreur et un dégoût traditionnels. Les savants qui ont cherché à en découvrir l’origine ne sont arrivés, jusqu’à ce jour, qu’à des conjectures contradictoires plus ou moins plausibles, mais peu décisives.

Ducange dérive le mot Collibert de cum et de libertus. « Il semble, dit-il, que les Colliberts n’étaient ni tout à fait esclaves, ni tout à fait libres. Leur maître pouvait, il est vrai, les vendre ou les donner, et confisquer leur terre. — « Iratus graviter contra eum, dixi ei quod meus Colibertus erat, et poteram eum vendere vel ardere, et terram suam cuicumque vellem dare, tanquam terram Coliberti mei (Charta juelli de Meduana, ap. Carpentier, Supplem. Gloss.). » On les affranchissait de la même manière que les esclaves (vid. Tabul. Burgul., Tabul. S. Albini Andegav., Chart. Lud. VI, ann. 1103, ap. Ducange). Enfin un auteur dit :

Libertate carens Colibertus dicitur esse ;
De servo factus liber, Libertus, etc.

(Ebrardus Betum ; ibid. Vid. Acta pontific. Cenoman., ap. Scr. Fr. X, 385). Mais, d’un autre côté, la loi des Lombards compte les Colliberts parmi les libres (l. I, tit. xxix ; l. II, t. xxi, xxvii, lv). Ils étaient sans doute en général serfs sous conditions, et dans une situation peu différente de celle des homines de capite. Le Domesday Book les appelle colons. On les voit souvent sujets à des redevances : « Colibertis S. Cyrici, qui unoquoque anno solvere debent de capite tres denarios » (Liber chart. S. Cyrici Nivern., no 83, ap. Ducange).

C’est surtout dans le Poitou, le Maine, l’Anjou, l’Aunis, qu’on trouve le mot de Collibert. L’auteur d’une histoire de l’île de Maillezais les représente comme une peuplade de pêcheurs qui s’était établie sur la Sèvre, et donne de leur nom une étymologie singulière. — « In extremis quoque insulæ, supra Separis alveum quoddam genus hominum, piscando quæritans victum, nonnulla tuguria confecerat, quod à majoribus Collibertorum vocabulum contraxerat. Collibertus à cultu imbrium descendere putatur. » Il ajoute que les Normands en détruisirent une grande quantité, et qu’on chante encore cet événement : « Deleta cantatur maxima multitudo. »

Dans la Bretagne, c’étaient les Caqueux, Caevus, Cacous[15], Caquins. On lit dans un ancien registre qu’ils ne pouvaient voyager dans le duché que vêtus de rouge (D. Lobineau, II, 1350. Marten. Anecdot., IV, 1142). Le parlement de Rennes fut obligé d’intervenir pour leur faire accorder la sépulture. Il leur était défendu de cultiver d’autres champs que leurs jardins. Mais cette disposition, qui réduisait ceux qui n’avaient pas de terre à mourir de faim, fut modifiée en 1477 par le duc François.

En Guyenne, c’étaient les Cahets ; chez les Basques et les Béarnais, dans la Gascogne et le Bigorre, les Cagots, Agots, Agotas, Capots, Caffos, Crétins ; dans l’Auvergne, les Marrons.

D’après l’ancien for de Béarn, il fallait la déposition de sept Cagots ou Crétins pour valoir un témoignage (Marca, Béarn, p. 73). Ils avaient une porte et un bénitier à part, à l’église, et un arrêt du parlement de Bordeaux leur défendit, sous peine du fouet, de paraître en public autrement que chaussés et habillés de rouge (comme en Bretagne). En 1460, les États du Béarn demandèrent à Gaston qu’il fût défendu de marcher pieds nus dans les rues sous peine d’avoir les pieds percés d’un fer, et qu’ils portassent sur leurs habits leur ancienne marque d’un pied d’oie ou de canard. Le prince ne répondit pas à cette demande. En 1606, les États de Soule leur interdisent l’état de meunier (Marca, p. 71).

Marca dérive le mot Cagots de caas goths, chiens goths. Ce seraient alors des Goths. Cependant le nom de Cagots ne se trouve que dans la nouvelle coutume de Béarn, réformée en 1551, tandis que les anciens fors manuscrits donnent celui de Chrestiaas, ou chrétiens ; dans l’usage on les appelle plus souvent Chrétiens que Cagots. Le lieu où ils habitent s’appelle le quartier des Chrétiens.

Oihenart conjecture que les Cagots étaient autrefois appelés Chrétiens (crétins) par les Basques, lorsque ceux-ci étaient encore païens. On les appelait aussi pelluti et comati : cependant les Aquitains laissaient également croître leurs cheveux.

Ce qui pourrait encore les faire considérer comme les débris d’une race germanique, c’est que les familles agotes, chez les Basques, sont généralement blondes et belles. Selon M. Barraut, médecin, les Cagots de sa ville sont de beaux hommes blonds (Laboulinière, I, 89).

Marca pense que ce sont des descendants des Sarrasins, restés après la retraite des infidèles, surnommés peut-être Caas-Goths, par dérision, dans le sens de chasseurs des Goths. On les aurait appelés Chrétiens en qualité de nouveaux convertis. L’isolement où ils vivent semble rappeler la retraite des catéchumènes. Il est dit dans les actes du concile de Mayence, chap. v : « Les catéchumènes ne doivent point manger avec les baptisés ni les baiser ; encore moins les gentils. » Et d’un autre côté, une lettre de Benoît XII, adressée en janvier 1340 à Pierre IV d’Aragon, prouve que les habitations des Sarrasins, comme celles des Cagots, étaient situées dans des lieux écartés. « Nous avons appris, dit le pape, par le rapport de plusieurs fidèles habitants de vos États, que les Sarrasins, qui y sont en grand nombre, avaient, dans les villes et les autres lieux de leur demeure, des habitations séparées et enfermées de murailles, pour être éloignés du trop grand commerce avec les chrétiens et de leur familiarité dangereuse ; mais à présent ces infidèles étendent leur quartier ou le quittent entièrement, et logent pêle-mêle avec les chrétiens, et quelquefois dans les mêmes maisons. Ils cuisent aux mêmes feux, se servent des mêmes bancs, et ont une communication scandaleuse et dangereuse. » (Voy. Laboulinière, I, 82.)

Le mot de Crétin, selon Fodéré (ap. Dralet, t. I) vient de Chrétien, bon Chrétien, Chrétien par excellence, titre qu’on donne à ces idiots, parce que, dit-on, ils sont incapables de commettre aucun péché. On leur donne encore le nom de Bienheureux, et après leur mort on conserve avec soin leurs béquilles et leurs vêtements.

Dans une requête qu’ils adressèrent en 1514 à Léon X, sur ce que les prêtres refusaient de les ouïr en confession, ils disent eux-mêmes que leurs ancêtres étaient Albigeois. Cependant, dès l’an 1000, les Cagots sont appelés Chrétiens dans le Cartulaire de l’abbaye de Luc et l’ancien for de Navarre. Mais ce qui vient à l’appui de leur témoignage, c’est que, dans le Dauphiné et les Alpes, les descendants des Albigeois sont encore appelés Caignards, corruption de canards, parce qu’on les obligeait de porter sur leurs habits le pied de canard dont il est parlé dans l’histoire des Cagots de Béarn. Rabelais, pour la même raison, appelle Canards de Savoie les Vaudois Savoyards[16].

Les descendants des Sarrasins, continue Marca, auraient été aussi nommés Gésitains, comme ladres, du nom du Syrien Giezi, frappé de la lèpre pour son avarice. Les Juifs et les Agaréniens ou Sarrasins croyaient, selon les écrivains du moyen âge, échapper à la puanteur inhérente à leur race en se soumettant au baptême chrétien, ou en buvant le sang des enfants chrétiens. — Le P. Grégoire de Rostrenen (Dictionnaire celt.) dit que caccod en celtique signifie lépreux. En espagnol : gafo, lépreux ; gafi, lèpre. L’ancien for de Navarre, compilé vers 1074, du temps du roi Sanche Ramirez, parle des Gaffos et les traite comme ladres. Le for de Béarn distingue pourtant les Cagots des lépreux : le port d’armes leur est défendu, et il est permis aux ladres.

De Bosquet, lieutenant général au siège de Narbonne, dans ses notes sur les lettres d’Innocent III, croît reconnaître les Capots dans certains marchands juifs désignés dans les Capitulaires de Charles-le-Chauve par le nom de Capi (Capit. ann. 877, c. xxxi).

Dralet pense que ce furent des goîtreux qui formèrent ces races. Les premiers habitants, dit-il, durent être plus sujets aux goîtres, parce que le climat dut être alors plus froid et plus humide. En effet, on trouve peu de goîtreux sur le versant espagnol ; les nuits y sont moins froides, il y a moins de glaciers et de neiges, et le vent du sud y adoucit le climat. Selon M. Boussingault, cette maladie vient de ce qu’on boit les eaux descendues des hautes montagnes, où elles sont soumises à une très faible pression atmosphérique et ne peuvent s’imprégner d’air. (De même on voit beaucoup de goîtres à Chantilly, parce qu’on y boit l’eau de conduits souterrains où la pression de l’air a peu d’action. — Annal. de Chimie, février 1832.)

Au reste, peut-être doit-on admettre à la fois les opinions diverses que nous avons rapportées ; tous ces éléments entrèrent sans doute successivement dans ces races maudites, qui semblent les parias de l’Occident.


  1. Ainsi les terminaisons ac, oc, du midi de la France, rattacheraient les noms d’hommes et de lieux à un pluriel, conformément au génie des gentes pélasgiques, exprimé nettement dans l’italien moderne, où les noms d’homme sont des pluriels : Alighieri, Fieschi, etc.
  2. Vasco, Wasco, en langue basque, signifie homme, dit le dictionnaire de Laramandi (édition de 1743, sous ce titre pompeux : El impossible vincido, arte della lingua Bascongada, imprimé à Salamanque). Voy. aussi Laboulinière, Voyage dans les Pyrénées françaises, 1, 235.
  3. Osca, d’eusi, aboyer ; parler ? d’otsa, bruit ? Chaque peuple barbare se considérait comme parlant seul un vrai langage d’homme. En opposition à euscaldunac, ils disent er-d-al-dun-ac ; de arra, erria, terre ; ainsi erdaldunac, qui parlent la langue du pays ; les Basques français appellent ainsi les Français, les Biscayens les Castillans.
  4. Toutefois, dun (duna, avec l’article) est une terminaison commune de l’adjectif basque. De arra, ver ; ar-duna, plein de vers. De erstura, angoisse ; erstura-dun-a, plein d’angoisses. Eusc-al-dun-ac, les Basques. Caladunum peut signifier en basque, contrée riche en joncs.
  5. On peut cependant citer encore Mauléon en Gascogne et en Poitou (Maulin en basque). — En Bretagne : Rennes, Batz, Alet, Morlaix. (On trouve dans les Pyrénées : Basez, Rœdæ, pagus Redensis ou Radensis, comme Redon, Redonas, Morlaas, etc. — On trouve encore en Bretagne un Auvergnac, un Montauban du côté de Rennes.) — Les mots Auch, Occitanie, Gard, Gers, Garonne, Gironde, semblent aussi d’origine basque. — Montesquieu, Montesquiou, de Eusquen ?
  6. L’aruspicine et la flûte des Vascons étaient célèbres, comme celle des Étrusques et Lydiens, Lamprid. Alex. Sever. — Vasca tibia dans Solin, c. v ; — Servius, XI Æn., et apud auctorem veteris glossarii latino-græci. Aujourd’hui ils n’ont pas d’autre instrument (comme les highlanders écossais la cornemuse), Strabon, l. III.
  7. Suivant Bullet, Lar, en celtique, signifie feu. En vieil irlandais il signifie le sol d’une maison, la terre, ou bien une famille (?). — Lere, tout-puissant. — Joun, iauna, en basque Dieu (Janus, Diana). En Irlandais, Anu, Ana (d’où Jona ?) mère des Dieux, etc., etc.
  8. Bed. Hist. Eccl., II, c. xiii : « Cui primus pontificum ipsius Coifi continuo respondit » (premier prêtre d’Edwin, roi de Northumbrie, converti par Paulinus au commencement du septième siècle). Macpherson., Dissert. on the celt. antiq.Coibhi-draoi, druide coibhi, est une expression usitée en Écosse pour désigner une personne de grand mérite (Voy. Mac Intosh’s Gaelic Proverbs, p. 34. — Haddleton, Notes on Tolland, page 279). Un proverbe gaélique dit : « La pierre ne presse pas la terre de plus près que l’assistance de Coibhi (bienfaisance, attribut du chef des druides ?). »
  9. Davies Mythol., p. 271, 277. Ammian. Marcell., liv. XV : « Druidæ ingeniis celsiores, ut authoritas Pythagoræ decrevit, sodalitiis astricti consortiis, quæstionibus occultarum rerum altarumque erecti sunt, etc. »
  10. Sur le bord de la Seine, près de Duclair, est une roche très élevée, connue sous le nom de Chaise de Gargantua ; près d’Orches, à deux lieues de Blois, la Chaise de César ; près de Tancarville, la Pierre Géante, ou Pierre du géant.
  11. Un roi d’Irlande, nommé Cormac, écrivit en 260 de Triadibus, et quelques triades sont restées dans la tradition irlandaise sous le nom de Fingal. Les Irlandais marchaient au combat trois par trois ; les highlanders d’Écosse sur trois de profondeur. Nous avons déjà parlé de la trimarkisia. — Au souper, dit Giraldus Cambrensis, les Gallois servent un panier de végétaux devant chaque triade de convives ; ils ne se mettent jamais deux à deux (Logan, the Scotish Gaël).
  12. Dans Grégoire de Tours (ap. Scr. Fr., II, 467), saint Simplicius voit de loin promener par la campagne, sur un char traîné par des bœufs, une statue de Cybèle. La Cybèle germanique, Ertha, était traînée de même. Tacit. German.
  13. On voit, dans le moine de Saint-Gall, un pauvre qui a honte d’être roux : « Pauperculo valde rufo, galliculà suà quia pileum non habet, et de colore suo nimium crubuit, caput induto… » Lib. I, ap. Scr. Fr, V.
  14. Moi, je vueil l’œil et brun le teint,
    Bien que l’œil verd toute la France adore.

    Ronsard
    .

    Ode à Jacques Lepeletier, — Legrand d’Aussy, I, 369 : « Les cheveux de ma femme, qui aujourd’hui me paraissent noirs et pendants, me semblaient alors blonds, luisants et bouclés. Ses yeux, qui me semblent petits, je les trouvais bleus, charmants et bien fendus. » (Le Mariage ; Alias : Le Jeu d’Adam, le Bossu d’Arras.)

  15. Le chef suprême des Truands s’appelait dans leur langage coërse, et ses principaux officiers cagoux, ou archisuppôts.
  16. Bullet croit trouver dans ce fait un rapport avec l’histoire de Berthe, la reine pédauque (pes aucæ, pied d’oie. Voy. mon IIe volume). Un passage de Rabelais indique qu’on voyait une image de la reine Pédauque à Toulouse. Les contes d’Eutrapel nous apprennent qu’on jurait à Toulouse par la quenouille de la reine Pédauque. Cette locution rappelle le proverbe : Du temps que la reine Berthe filait (Bullet, Mythologie française).