Histoire de Jacques Bonhomme/Histoire/Le Pêcheur

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Armand Le Chevalier (p. 9-11).


LE PÊCHEUR


Autrefois, dit un conte arabe, un pauvre diable de pêcheur, depuis longtemps brouillé avec la chance, ramena dans son filet un vase de bronze soigneusement scellé. Il l’ouvre, une noire vapeur s’échappe, s’élève et prend la forme d’un géant. Le pêcheur se prosterne, demandant grâce à la terrible vision. « Ne crains rien, lui dit une voix douce. Depuis trois mille années prisonnier dans ce vase, j’ai juré d’obéir au mortel qui me délivrerait. Commande, ma puissance t’appartient. »

Le pêcheur se rassure. Il demande la domination, les richesses, la science, et ses souhaits sont satisfaits sur l’heure. Mais bientôt il jalouse la toute-puissance du génie, et, élevant vers lui un regard humble : « Est-il possible, magnanime seigneur, qu’un géant tel que vous ait pu contenir dans une aussi étroite prison ? Je n’en croirai que mes yeux. » — « Regarde, » dit le géant ; le nuage se condense, rentre dans l’urne, et une voix sortie du fond : « Es-tu convaincu maintenant ? » Aussitôt le pêcheur saute sur le couvercle, referme le vase, et, malgré les supplications de son bienfaiteur, le rejette à la mer.

Ce géant, n’est-ce pas le peuple enseveli pendant des milliers d’années dans les profondeurs de sa misère ? — Ce pêcheur, mais c’est l’aristocratie bourgeoise autrefois opprimée. — Elle appela le peuple à son aide, lui promettant une même fortune. Le géant naïf se fit humble pour servir ses conducteurs. Il laboura, sema, conquit pour eux. Et alors on eut peur que, connaissant sa force, il devint moins docile et qu’il demandât une place au banquet par lui préparé.

Ce qu’il arriva, je vais le dire. Mais, si tu veux m’aider, Jacques Bonhomme, nul, je te le jure, ne rejettera le géant à la mer.