Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 140

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Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (Ip. 522-523).


Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

samedi après-midi, 23 avril. ô ma meilleure, ma seule amie ! C’est à présent que je ne puis plus vivre ! J’ai reçu le coup au cœur ; je n’en guérirai jamais ! Ne pensez plus à la moindre correspondance avec une misérable qui semble désormais absolument dévouée. Quelle autre espérance, si les malédictions des parens ont le poids que je leur ai toujours attribué, et que tant d’exemples m’apprennent qu’elles ont eu dans tous les temps ! Oui, ma chère miss Howe, pour mettre le comble à toutes mes afflictions, j’ai à lutter désormais contre les malheureux effets de la malédiction d’un père ! Comment aurai-je la force de soutenir cette réflexion ? Mes terreurs ne sont-elles pas trop justifiées par les circonstances de ma situation ? J’ai reçu enfin une réponse de mon impitoyable sœur. Ah ! Pourquoi me la suis-je attirée par ma seconde lettre à ma tante ? Il semble qu’on l’ait tenue prête pour ce signal. La foudre dormait, jusqu’au moment où je l’ai réveillée. Je vous envoie la lettre même. Il m’est impossible de la transcrire. L’idée m’en est insupportable. Terrible idée ! La malédiction s’étend jusqu’à l’autre vie. Je suis dans le trouble et l’abattement des plus noires vapeurs. Je n’ai que la force de répéter : évitez, fuyez, rompez toute correspondance avec le malheureux objet des imprécations d’un père.