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Histoire de Rennes (Villeneuve, Maillet)/Chapitre II

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CHAPITRE II.
temps anciens.
époque gauloise.

Quand les premières migrations des peuples eurent abandonné la Haute-Asie, le berceau commun du genre humain, pour venir, poussés comme les flots par une main divine, peupler une partie de l’occident sous le nom de Celtes, de la grande famille des Cimmériens, ou Kimris, l’une de ces races nomades, substituant le nom de Galls à son ancienne désignation, trouva enfin le terme de ses stations séculaires dans le pays qui s’appela depuis terre des Galls ou Gaule, d’après la traduction latine du mot celtique. Parmi les tribus qui composaient la nation gallique, on comptait comme l’une des plus puissantes celle des Armoriques, ainsi nommée de sa situation le long des côtes de l’Océan. Elle se divisa dans notre péninsule en six peuplades ou cités, au nombre desquelles on remarquait les Rhedones, qui ont laissé leur nom latinisé et abrégé à notre ville.

Le sol où s’établirent les Armoriques de la péninsule, et en particulier les Rhedones, était-il habité avant eux par des peuples autochthones ? C’est ce que l’histoire ne dit nulle part dans les quinze à seize siècles où remontent ses documents avant l’ère chrétienne. Il peut être permis de croire que le pays envahi n’était pas totalement désert à cette date la plus reculée des annales écrites de l’espèce humaine en Occident ; mais cela importe peu, il nous semble, au commencement réel de l’histoire d’une ville. Dans tous les cas, on doit penser que les conquérants s’assimilèrent bien complètement le peuple indigène, puisqu’il n’en est pas resté de trace historique.

Une question plus importante et non moins insoluble, dans l’absence de toute autre preuve qu’une simple induction, est celle de savoir si les Rhedones élevèrent une ville à la place où depuis est restée celle de Rennes, ou sur tout autre point de leur territoire. L’importance de cette peuplade, prouvée par ses médailles et le récit de César, le nom celtique même de Condate, latinisé et appliqué à leur cité par le géographe Ptolémée, l’itinéraire d’Antonin et la table Théodosienne, enfin la description que nous a transmise le conquérant romain des fortifications des villes gauloises, toutes ces raisons nous autorisent à croire que les Rhedones avaient quelque part dans leur territoire, une forteresse, ou oppidum, selon la langue romaine, à l’exemple de tous les peuples de la Gaule et de leurs voisins de la même origine et de la même confédération, les Vénètes. Quand ils passèrent de l’état de bande nomade ou de peuple pasteur à celui de tribu, ou de peuple fixé au sol et propriétaire, ils durent sentir le besoin de se mettre à l’abri des attaques de leurs ennemis, et de se créer des appuis non seulement dans leurs confédérations, mais dans la construction de ces forteresses, qui sont devenues le germe de tant de villes encore florissantes.

Nous penchons donc pour l’existence d’un oppidum dans la cité ou territoire des Rhedones, et le nom de Condate, qui nous a été conservé, nous indique assez où nous devons le placer. Ce n’était pas inutilement et au hasard que les Celtes donnaient ce nom, qui indiquait la nature des lieux, à leurs villes fortifiées, presque toujours situées au confluent de deux rivières, et dont plusieurs ont laissé à leurs héritières leur dénomination primitive, transparente encore sous les modifications des idiomes modernes.

Arrêtons-nous un instant pour reconnaître ce fait et l’origine du mot Condate dans une savante et courte dissertation que nous adresse à ce sujet M. Moët de la Forte-Maison, qui nous pardonnera de le mettre ici en rapport avec nos lecteurs :

« Monsieur, à l’étymologie du nom des Rhédons, et conséquemment de Rennes, leur capitale, qui prit d’eux la dénomination de Rhedones au IVe siècle, vous désirez joindre dans l’histoire de Rennes l’étymologie de Condate, qui était le premier nom de cette ville. La signification de confluent qu’on donne à ce mot, dites-vous, se trouve partout, mais on ne sait dans quel dialecte la retrouver. Apprenant que j’ai fait des recherches à ce sujet, vous aimeriez à en connaître le résultat, et il vous serait agréable d’en reproduire les prémices dans l’histoire de l’antique Condate, situé au confluent de l’Ille et de la Vilaine.

« Une foule de lieux, il est vrai, portent le nom de Condat, Condate, Condé, Candes, Candé et tous sont au confluent de deux rivières, comme Beigier et Du Cange l’ont fort bien démontré, le premier, dans son histoire des grands chemins de l’empire romain (liv. III, ch. 39, n. 45), et le second, dans son Glossaire. « Condate est » un vieux mot gaulois, ou certainement familier en Gaule y et qui dénote un confluent, quasi à Condendo, seu congregando, seu confluendo, comme le veut Nicolas Bergier, dit Du Gange ; » d’où il résulte que ces deux savants hommes reconnaissaient l’antiquité de ce terme, mais qu’ils en ignoraieut l’origine. Adrien de Valois (Notit. Gall., p. 153) l’avait dit après Bergier : « Condate amtem, vetus est nomen Gallicum, confluentes designans : quod nos patriâ linguâ nunc Condé ; » et on trouve cet autre passage dans le Traité des Langues du P. Thomassin ( t. II, p. 465) : « Condate est un terme celtique demeuré à plusieurs places où il y a des conflans : Condé en est demeuré et vient peut-être de condere, où une rivière se cache dans l’autre. » Ainsi, on le vois, presque tous ces auteurs conviennent que Condate est un mot celtique ou gaulois signifiant confluent ; mais aucun d’eux n’en peut donner la véritable origine. D’Anville seul (Not. de la Gaule, p. 256), par un erreur qu’on ne saurait expliquer, voulait qu’il signifiât cuneus, coin, plutôt que confluent.

« D. Carpentier, dans son supplément au Glossaire de Du Gange, dit bien que c’est à tort que Ménage a attaqué l’opinion de Du Gange dans son histoire de Sablé (p. 250), où il prétend, sur la foi d’un ancien auteur, que Condate veut dire en effet confluent, mais qu’il vient du latin condere. Cependant, D. Garpentier lui-même n’a rien dit qui justifiât le sentiment de son savant prédécesseur, et, dans cet état de cause, j’ai pensé qu’il convenait de rechercher de mon côté si le mot Condate avait réellement une origine celtique. Je crois en avoir acquis la preuve, et il est bien juste qu’elle se trouve consignée dans l’histoire de Condate Rhedonum, l’un des lieux les plus considérables qui portaient ce nom. La voici :

« Condate est un mot celtique dont la première partie can ou ken est une préposition gallo-kimrique équivalant, disent D. Le Pelletier et Davies, au cum des Latins, qui se rendait par con dans les mots composés. La seconde partie de ce mot vient du verbe taithaw, en construction daithiaw, itinerare, ambulare ; d’où ym-daith ou ym-deithiaw (avec le préfixe pronominal ym, si fréquent en gallois), aussi itinerare, ambulare, et ym-ddattod, fluescere.

« De là il est évident que kendaith, kendatt ou Condate, selon la forme latine que les Romains ont donnée à ce nom, était en effet un mot gaulois, et qu’il répondait parfaitement au confluens des Latins, dont nous avons fait confluent et conflans, c’est-à-dire marchant, coulant ou s’écoulant ensemble.

« Les Bretons, en se réfugiant en Armorique, ont apporté avec eux le nom de Kemper, qui dans leur dialecte, signifiait confluent. Ils le donnèrent à Quimper-Corentin ou Kemper-Odet, situé an confluent de l’Odet et du Steir ; à Quimperlé ou Kemper-Ellé, situé à celui de l’Ellé et de l’Isèle ; et à quelques villages tels que Kemper-Ver et Kemper-Guezennec, etc. Mais le nom de Condate est plus ancien, et de plus incontestablement gaulois et armoricain, puisqu’on le trouve répandu en Gaule et même dans toutes les contrées comprises sous le nom d’Armorique : témoin Condate Rhedonum (Rennes), Condivicnum (Nantes), en Gaulois Condiwic’h ou Condiwic’ken, c’est-à-dire ville ou bourg du confluent (la finale du mot wic’h-en étant un suffixe explétif on d’excellence équivalant au ens des Latins) [1] ; Condate super Itonam (Condé-sur-Iton) ; Condate Turonum (Cande) ; Candé, en Anjou, etc.

« L’un et l’autre noms, au reste, sont tombés en désuétude depuis long-temps, et ce n’est que par les actes de Bretagne qu’on sait que Kemper signifiait confluent. Ce mot vient cependant régulièrement de cyf, cym ou kem, suivant l’orthographe bretonne, en latin cum et de bêra, couler, qui primitivement paraît avoir eu le sens plus restreint de découler. Les Bretons, aujourd’hui, disent Aber, un confluent, une embouchure de rivière.

« Veuillez recevoir, Monsieur, la réitération de mes sentiments distingués, et me croire comme toujours,

« Votre bien dévoué serviteur,

« Moet de la Forte-Maison. »

Aucun confluent de quelqu’importance, autre que celui de l’Ille et de la Vilaine, n’existant dans le territoire des Rhedones, qui s’étendait de Dol, ou du pays des Diablintes, au mont Saint-Michel, mons Jovis, et à Fougères, Filgerium, c’est vers la jonction de ces deux rivières, dont les Romains nous ont transmis les noms latinisés, Isola et Doenna, ou Herius fluvius, c’est sur la colline au pied de laquelle elles viennent mêler leurs eaux qu’il faut chercher l’ancienne forteresse ou l’oppidum gaulois des premiers habitants connus de notre pays.

Le témoignage de César peut nous servir à reconstruire même ses remparts : des poutres de quarante pieds de long étaient couchées et liées entr’elles parallèlement et carrément sur le sol ; l’intervalle qui les séparait était comblé de terre, avec un revêtement de pierres. Les assises se superposaient ainsi, dans le même système, jusqu’à la hauteur exigée par les règles de l’art militaire du temps. Cette construction offrait par sa régularité un aspect qui plaisait à l’œil, et par sa solidité une défense sûre et à l’épreuve de l’incendie et du bélier. L’intérieur de cette fortification n’était sans doute rempli pour tous monuments que de huttes couvertes en pailles, ainsi que l’atteste ailleurs le conquérant-écrivain. Les Gaulois n’habitaient guères les villes que dans les moments de nécessité. Ils y déposaient leurs richesses, mais ils préféraient, près de leurs troupeaux, l’air et la liberté des champs. La tribu chez eux n’avait pas encore perdu tous les instincts nomades de la bande.

Leurs temples s’élevaient dans les lieux les plus reculés des landes et des forêts. Le territoire des Rhedones en possédait un, qui existe encore aujourd’hui, dans la commune d’Essé. Là, se réunissait un collège druidique intermédiaire entre celui de Carnac et ceux du pays de Chartres. C’était l’un des anneaux de cette chaîne théocratique qui enserrait le pays et en réunissait les divers éléments sociaux sous la même domination.

Cette théocratie s’était cependant modifié depuis son origine, et quand le polythéisme grossier venu avec les premières migrations eut fait place au panthéisme mystérieux introduit, sous le nom de Druidisme, par l’invasion Kimrique, un nouveau pouvoir s’éleva peu à peu en face de celui des prêtres. L’ordre privilégié des chevaliers voulut monter du second rang au premier, et partager, souvent envahir l’autorité absolue.

Les Druides, ou hommes des chênes, retirés dans leurs forêts sacrées, conservèrent néanmoins toujours sur le peuple leurs anciens moyens d’influence par l’action de leurs Ovates ou Eubages, et de leurs bardes, formant les deux degrés inférieurs du sacerdoce, et chargés de pénétrer au foyer de la famille pour y diriger l’éducation domestique, pour y distribuer aux guerriers le blâme ou l’éloge, comme ils le faisaient en public les jours de grandes solennités nationales. Lorsque les sacrifices humains devinrent plus rares et plus dispendieux, ils conseillèrent au peuple qui n’y pouvait atteindre des offrandes de monnaies ou d’autres richesses aux fleuves et lacs sacrés[2].

C’est à cet usage, qui survécut même au culte druidique, que l’on doit attribuer en partie ces fréquents dépôts de médailles de diverses époques que l’on retrouve aujourd’hui encore dans nos sources et nos rivières.

Les Rhedones furent surtout fidèles à cette pratique religieuse, si l’on en juge par l’énorme quantité de ces objets que l’on exhume à chaque fouille opérée pour des travaux d’utilité publique dans le cours de cette rivière qu’ils nommaient leur fleuve sacré, herius fluvius, selon la traduction latine.

L’importance de ce peuple dans la confédération armoricaine, prouvée par sa numismatique, l’est aussi par l’étymologie celtique de son nom. En effet, par une exception assez rare, un cavalier est empreint sur sa monnaie, et la racine celtique de son nom signifie courir. Il fournissait sans doute aux armées gauloises une grande partie de leurs guerriers équestres. Quand leur ville quitta sa dénomination primitive et kimrique de Condate, pour prendre, suivant l’usage assez fréquent, celle du peuple qui l’habitait, le mot celtique latinisé Rhedones devint, dans les efforts naissants de la langue romane, Rhednes, puis enfin Rennes [3]. Par une erreur d’oreille assez commune, ou par une homonymie non moins fréquente dans toutes les langues, le peuple celtique de la péninsule armoricaine, reproduisit la forme nouvelle de ce mot par un autre qui pour quelques-uns, signifie Reine, dernier vestige de l’antique importance traditionnelle de la cité des Rhedones.

Partie essentielle de l’organisation toute militaire de la nation, ils ne furent pas les derniers dans les progrès que fit le génie gaulois aux arts de la guerre. Ils prirent part à toutes les luttes soutenues par la confédération pour l’indépendance nationale, et sans aucun doute, ils soutinrent les Venètes dans leur résistance à César.

Le lieutenant de ce dernier, P. Crassus, après une promenade militaire à travers une partie de l’Armorique, avait écrit à son maître qu’elle était domptée et soumise au peuple romain. Il n’avait pas trouvé d’ennemis à combattre, parce que le temps de la révolte n’était pas arrivé. En effet il ne tarda pas à en avoir la preuve. Dès l’année suivante, la disette se fit sentir aux légions qui occupaient le pays sous ses ordres. C’était la ressource accoutumée du vaincu, et tous les efforts du vainqueur tendaient à prévenir ce danger. Des ôtages avaient été exigés comme garantie de la tranquillité et de l’exactitude du paiement de l’impôt en nature. En le refusant, les insultés pensèrent qu’ils obtiendraient la restitution de leurs otages. Pour en être plus sûrs, ils prirent eux-mêmes des otages du vainqueur, en retenant prisonniers les commissaires romains que leur envoya P. Grassus pour réclamer des envois de grains ou menacer de la vengeance de César. Ce dernier était alors en Italie où l’appelaient souvent les intérêts de son ambition. Les cités armoricaines profitèrent de son absence pour organiser une ligue générale dans le but de secouer le joug de Rome encore mal affermi. Les délégués du pouvoir romain sont expulsés de toutes parts ; les chefs gaulois unissent leurs peuples dans une vengeance commune ; des secours sont obtenus des frères de l’île de Bretagne. Ne sont-ils pas de la même origine kimrique ? Quand tout est prêt y et que l’étincelle partie du pays des Vénètes a embrasé toutes les cités maritimes, que Crassus croyait avoir soumises en s’y montrant, on envoie un message au jeune lieutenant de César[4] : Si Crassus veut recouvrer ses envoyés, qu’il rende ses otages !

César, on le sait, répondit à ce message par une conquête plus réelle que celle de Crassus, mais qui lui coûta de longs et pénibles efforts, et se termina par un combat naval où la puissance des Vénètes ne succomba pas sans gloire.

Est-il possible que les Rhedones n’aient pas pris part à cette lutte pour l’indépendance nationale, bien qu’ils ne soient pas spécialement désignés dans le récit du vainqueur ? Les deux peuples entre lesquels ils étaient situés, les Diablintes et les Namnètes, Dol et Nantes ne sont-ils pas pas rangés au nombre des confédérés ? Si, seuls entre les cités armoricaines, ils s’étaient isolés de la cause nationale. César n’eût pas manqué sans doute de nous en instruire, en félicitant les traîtres, conune il le fait à propos de son invasion dans Vile bretonne. Mais il dit en termes généraux que toute la côte maritime suivit rapidement l’exemple donné par les Vénètes, et s’il néglige ailleurs de comprendre les Rhedones dans l’énumération qu’il fait des alliés de l’insurrection, c’est qu’il se borne aux principaux, comme autant de jalons qui comprennent leurs intervalles.

Il n’est guères plus vraisemblable que les Rhedones soient demeurés neutres et comme indifférents à ce grand mouvement national. La conformité de langue et d’origine les entraînait vers le parti des insurgés, qui d’ailleurs eussent pu les forcer au besoin de suivre l’exemple général. Faut-il supposer que César, en s’acheminant lui-même en personne, comme il le dit, à la tête de ses troupes de pied vers le territoire des Vénètes, traversa le pays des Rhedones et l’empêcha de se soulever en l’occupant ? Il eut été trop tard ; car c’était pendant son absence que s’était formée la ligue, et les Rhedones avaient dû y accéder dès ce moment. Si César passa sur leur territoire ou sur celui des Namnètes, il put le faire sans obstacle ; la guerre était transportée dans les marais beaucoup plus faciles à défendre des Vénètes. La population guerrière des Rhedones, comme celle des Namnètes, devait être absente. Aussi César ne dit-il rien de la route qu’il suivit ni des obstacles qu’il put y rencontrer.

Nous venons de voir, d’après le récit de César même, que les Vénètes avaient appelé à leur secours les habitants de l’île de Bretagne (Breit). Il y avait bien des siècles déjà que des échanges de population s’étaient faits entre l’île bretonne et la péninsule armoricaine. Au VIe siècle avant l’ère chrétienne, une puissante invasion de Kimris poussée en avant par d’autres invasions, et commandée par le chef Hésus, avait débordé du Rhin sur l’Armorique, en déplaçant ou s’assimilant la population des Galls qui l’occupait, et cette même invasion, sous un second chef, s’était jetée sur l’île à laquelle elle avait donné le nom de Prydain, devenu Britannia, puis Bretagne, et avait là aussi refoulé dans les montagnes l’antique population des Galls. Cette communauté d’origine avait établi entre les deux localités des relations qui ne s’étaient plus interrompues. D’après les Triades bretonnes, deux migrations principales de peuples de même race, mais désignées déjà sous des noms différents, s’opérèrent de l’Armorique dans l’île de Brryt ou Prydain : celle des Lloegrwys ou Logriens, qui s’établirent au sud de l’île, et celle des Brythons, qui donnèrent leur nom à toute la population insulaire, et obtinrent comme les premiers, sans violence, disent les vieilles annales, un lieu où asseoir leur colonie.

C’est donc à cette époque reculée, mais dont la chronologie ne peut fixer la date, que remontent historiquement les premiers échanges connus de population entre l’île bretonne et l’Armorique. C’étaient déjà deux sœurs, dont la cadette finit par adopter le nom de l’aînée.

Ceux des émigrés Kimris, qui plus tard, sous le nom de Rhedones, s’établirent dans le territoire où s’éleva depuis Condate, fournirent sans doute leur contingent à ces bandes que d’anciennes habitudes portaient sans cesse à de nouveaux déplacements.

Mais quand ils eurent pris les mœurs de la vie sédentaire, la colline située au confluent de ces deux rivières, dont l’une fut appelée Doënna, et qui formaient à leur point de jonction (Condate) une sorte de défense naturelle par des marais impraticables, cette colline leur parut propre à asseoir la forteresse qui protégerait au besoin leurs biens et leurs familles centre les ravages des bandes, se morcelant de plus en plus, et vivant de ce qu’elles enlevaient à leurs frères d’origine.

Alors les Rhedones, auxquels leur habileté comme cavaliers avait valu ce nom, les Rhedones eurent leur monnaie particulière qu’ils frappèrent eux-mêmes, et qui fut empreinte d’un signe honorable et distinctif, le cheval, emblème de leur puissance et de leurs croyances religieuses. Leurs transactions commerciales avec les peuples voisins s’opérèrent, selon l’usage, sur des points limitrophes du territoire avec les Vénètes et les Namnètes ; ils eurent leurs assemblées particulières, leur mallum, qui dans les grandes circonstances, comme celle de l’invasion romaine, se confondit pour l’intérêt général dans celui de la nation entière. Ils élevèrent partout, au bord des rivières, sur les landes et dans les forêts, ces monuments de leur culte, dont il nous reste encore des vestiges dans ces nombreux menhirs, dolmens, épars sur nos champs, et surtout dans cette galerie couverte, ou ce sanctuaire druidique de la commune d’Essé, prés duquel on retrouve encore le ruisseau du sang, et ces roches funéraires posées au milieu de l’eau, et sous lesquelles ils inhumaient les restes mortels de leurs chefs, pour les mettre à l’abri des profanations du vulgaire.

Mais, selon l’usage constant, ces monuments religieux, étaient tous situés en dehors de l’oppidum. La cité à laquelle les Rhedones ont légué leur nom n’en contenait aucun. Un cercle de cabanes s’étendait le long des parois intérieures de l’enceinte, laissant au milieu d’elles une vaste place où se réunissaient les guerriers, où ils se défendaient une dernière fois quand les murailles étaient escaladées par l’ennemi. La forme de cette enceinte se modifiait selon les accidents du terrain. Quelquefois ce n’était qu’un lieu de refuge pendant la guerre comme chez les Vénètes, si l’on en croit le témoignage de quelques antiquaires, fondé sur celui des historiens qui prétendent que la civilisation gauloise était moins avancée au nord et dans l’Armorique en particulier. Nous ne rechercherons pas si l’oppidum des Rhedones était ville ou refuge ; si ce n’était même primitivement que la maison d’un riche gaulois au milieu des bois qui couvraient les bords des deux rivières ; ou si enfin c’était un vicus, un amas de cabanes du peuple, des clients ou des soldats de quelque chef, comme ceux dont parle César [5]. Nos ancêtres dans cette période ne vivent plus pour nous que de la vie générale de l’histoire ; il nous suffit de savoir qu’il existait là, selon toute vraisemblance, un établissement gaulois qui a servi de germe à la ville que nous habitons, que l’on y parlait le celtique, et que cette langue y a laissé des traces encore persistantes aujourd’hui dans la racine de divers noms de lieux que n’a pu effacer en les altérant la double couche de civilisation romaine et franke.


  1. De là le nom de Guichen, c’est-à-dire bourg, à quatre lieues de Rennes.
  2. César, liv. 6, ch. 17 ; Diodor., liv. 5, p. 305 ; Strabon, liv. 4, p. 188.
  3. Album Breton, livraisons 6 et 7, Lettre de M. Moët de la Forte-Maison.
  4. César, liv. 3, ch. 7 et 8.
  5. Comment. lib. 7.