Histoire de Rennes (Villeneuve, Maillet)/Chapitre III § II

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§ II.

ère chrétienne.

La Gaule devait entendre parler long-temps encore, sans la comprendre, de cette religion à laquelle l’empire romain puiserait la grande unité qu’il cherchait depuis sa naissance. Les Rhedones resteront bien des siècles encore fidèles aux dieux étrangers importés dans ses murs et associés à ses dieux indigènes ; ils conserveront même dans sa pureté, au fond des bois et des déserts qui les environnent, le culte druidique, dont les monuments n’ont pas tous été renversés par la puissance romaine. La commune d’Essé, non loin de notre ville, possède encore sou grand dolmen, son autel des sacrifices et son ruisseau du sang, qui alors étaient cachés au fond d’une épaisse forêt, et n’étaient guères inquiétés par le voisinage des deux stations romaines, dont on trouve encore des traces sur la butte du Châtelier, en Janzé, et dans le bois de Sainte-Christine, en Coësmes.

En attendant le jour qui doit lui apporter la lumière venue d’Orient, la Gaule chevelue fait ses efforts pour atteindre la civilisation romaine. Elle ouvre dans tous les sens des routes militaires qui, en consolidant l’occupation, amèneront aussi le commerce et les arts de l’Italie. L’une de ces voies, venant de Lyon, la grande métropole, s’embranchait par Angers sur la ville des Rhedones, d’où elle se dirigeait vers l’intérieur de la péninsule armoricaine, en se bifurquant dans toutes les directions où s’était élevée une nouvelle ville. Des bornes milliaires, des établissements de tout genre, des ressources de toute espèce vinrent se placer le long de ces routes, qui ne disaient quelquefois qu’améliorer celles qu’avait suivies avant elles le vieux commerce gaulois. Les diverses couches de civilisation qui ont passé depuis sur le sol des Rhedones, ont effacé toutes les traces de cette antique voie dans la traverse de notre ville, mais les environs possèdent encore des fragments de ces travaux de l’art romain, et l’on pourrait en trouver quelques-uns peut-être dans les communes de Piré, Visseiche, le Rheu, Moigné et Mordelles. Deux routes principales aboutissaient à Rennes, l’une par l’est venant d’Angers (Juliomagus), l’autre par le nord, venant de Granville (Reginea), et se dirigeaient vers Garhaix, Vannes, Gorseult, Blain, Redon, Fougères, Dol [1].

C’est à la même époque qu’il faut rapporter la présence dans notre ville d’une légion venant d’Espagne, et qui aura sans doute participé à ces travaux de grande communication. Les colonies de Bilbilis chez les Geltibères, de saraugusta (Sarragosee) et de Valentia chez les Edetani, dans l’Espagne Tarragonaise, avaient envoyé jusqu’en notre pays cette légion, ou plutôt ces soldats enrôlés sous l’aigle romaine, par un de ces changements de garnison que la politique de Rome faisait exécuter aux troupes à sa solde sur les points les plus éloignés de l’empire. Après dix-huit siècles y on a retrouvé dans le lit primitif de cette rivière Doënnuy qu’ils avaient sans doute rendue navigable, des monnaies qui attestent leur séjour sur ses rives, et le lieu d’où ils étaient partis. L’une est celle de ce municipium Augusta Bilbilis, dont le nom se lit empreint sur le revers, au-dessous d’un cavalier tenant une haste ; l’autre, celle de la colonie de Cæsaraugusta, qu’a fait revivre Sarragosse, et qui indique comme la première qu’elle appartient à l’époque d’Auguste ; une troisième porte la galère prétorienne et les initiales de Colonia Julia Valentia ; une quatrième enfin indique dans le nom de Copia, celui peut-être d’une autre colonie espagnole qui s’est perdu, ou du moins une variété de la monnaie de Valentia dont elle se rapproche d’ailleurs par quelque similitude. Il ne faut pas omettre de remarquer, comme une preuve de plus à l’appui de notre induction numismatique, que les colonies et municipes, dont on a retrouvé les monnaies dans le lit de la Vilaine, sont toutes de l’Espagne Tarragonaise, à l’exception de Nîmes toutefois, qui a fourni une grande partie de ces médailles coloniales. Ne peut-on pas néanmoins conclure, à cette exception près, que l’Espagne, sous le règne d’Auguste, a donné à notre ville la garnison romaine qui la peupla et lui apporta la monnaie des villes qu’elle venait de quitter [2] ?

Une autre induction que l’on peut tirer de l’immense quantité et de l’espèce de médailles romaines trouvées au même lieu, c’est que les légions dirigées sur notre ville pour y séjourner, quand elles ne venaient pas d’Espagne et des colonies que nous avons citées, sortaient directement d’Italie ou de la métropole lyonnaise, sans s’être arrêtées dans les villes qui avaient leurs monnaies particulières. En effet, ces médailles s’élevant au nombre de plusieurs mille, embrassent, sans compter quelques as et deniers consulaires du temps de la république, une période de plus de quatre siècles, de Jules-César à Valentinien, et n’offrent pas, aux exceptions près signalées ci-dessus, une seule monnaie frappée dans d’autres établissements que ceux de l’Italie ou de Lyon. Ce sont toutes monnaies au type impérial, sans mélange d’aucun signe de fabrique spéciale. Les légions qui les ont apportées, n’avaient donc séjourné auparavant dans aucun lieu, où elles pussent les échanger contre des monnaies coloniales. Lyon seul était le grand entrepôt, l’hôtel des monnaies de l’empire transalpin ; aussi celles qui sortent de cette source sont-elles plus communes que les autres.

On pourrait contester que les légions seules aient contribué à l’introduction de ces monnaies dans notre ville, et il serait tout aussi vraisemblable de l’attribuer en partie au commerce ; mais ce dernier qui se faisait alors plutôt par échange que par valeurs représentatives, n’aurait pu adopter dans ce dernier cas la monnaie romaine, que par suite de la présence des légions et de l’introduction par elles du signe monétaire, dont elles se servaient.

En même temps que ces légions traçaient des routes séculaires à travers les bois qui couvraient jusqu’aux approches de la ville, elles durent aussi s’occuper de la navigation de la rivière, qui leur offrait une nouvelle voie de communication. Les travaux de ce genre exécutés par elles sur d’autres points de la Gaule ne permettent pas de douter de ceux qu’elles entreprirent sur notre Vilaine, et si les siècles n’en ont rien laissé subsister, ce n’est pas une raison pour nier leur existence passée, qui semblerait suffisamment attestée par la découverte des monnaies dont nous venons de parler.

Les accidents de la navigation ne sont-ils pas une des causes qui les ont enfouies sous les couches argileuses du lit de la rivière ? Les usages religieux n’ont-ils pas eu aussi leur part y la plus grande peut-être, dans ce dépôt qui n’a pu être toujours fortuit ? Une offrande se faisait au fleuve sur lequel on allait entreprendre quelque trajet qui pouvait devenir périlleux. Chaque soldat recevait même dans ce but, avant de s’embarquer, une pièce de monnaie, espèce de don propitiatoire, offert par lui à la divinité qu’il voulait se rendre favorable. Est-il probable qu’on eût laissé sans soins un cours d’eau si utile, si vénéré, herius fluvius ? Il est permis de croire, sans trop de témérité, que sa profondeur et la ligne de son parcours ne furent pas alors ce qu’elles devinrent depuis. Les couches dans lesquelles étaient déposées les monnaies, et la ligne sur laquelle on les a rencontrées sont des preuves assez admissibles de notre double assertion[3].

L’agriculture aussi, profitant des bienfaits de la paix du règne d’Auguste, faisait des progrès qui, en répandant l’aisance, ne contribuaient pas moins que le reste à l’amélioration géniale du pays. Mais la culture intellectuelle était lente dans ces esprits grossiers de la Gaule chevelue qui sortait à peine de sa barbarie. Les écoles n’y prospéraient pas encore et ne fournissaient pas, comme la province Narbonnaise, sa moisson d’hommes illustres. Son soleil sentira lentement des nuages qui l’obscurcissent.

Quinze ans s’étaient écoulés depuis la naissance de J. G., lorsqu’Auguste mourut et laissa l’empire à Tibère. La cité romaine des Rhedones était loin de s’attendre au mouvement profond qu’imprimerait au monde d’alors l’événement qui s’était passé en Judée. Eloignée du théâtre où s’agitaient de si hauts intérêts peu compris alors, elle ne s’inquiéta guères que des changements qui s’opéraient autour d’elle. Peut-être cependant apprit-elle que le tyran de Rome, Tibère, informé par le rapport officiel de Pilate de ce que c’était que le dogme chrétien, avait proposé au sénat de le ranger parmi les choses sacrées, et même après avoir banni de Rome les chrétiens par un sénatus-consulte, avait menacé de mort leurs délateurs [4]. Les empereurs romains ne lui furent connus que par leurs effigies empreintes sur les monnaies que les légions importèrent dans ses murs. A chaque nouveau règne, les médailles du prédécesseur recevaient une empreinte ou contremarque qui leur conservait leur valeur monétaire, et elles continuaient leur circulation dans les mains des habitants, et leur usage religieux comme offrande au fleuve où elles ont été retrouvées de nos jours. Du reste, les institutions restaient les mêmes ; rien n’était changé aux habitudes gouvernementales du peuple conquis. L’empire allait tout seul, comme l’a dit notre Chateaubriand.

Quelques faits néanmoins s’accomplissaient en silence autour de notre ville, et lui préparaient un avenir imprévu. On ne peut les omettre sans rompre la liaison du présent avec le passé. Nous les glanerons de loin en loin, là, où ils se présenteront.

La constitution de l’empereur Antonin, surnommé Caracalla, qui dota du droit de cité romaine tous les habitants de l’empire, par une raison fiscale, fut-elle proclamée dans notre ville ? Rien ne nous apprend que les Rhedones aient reçu avec quelqu’enthousiasme ce bienfait payé qui les assimilait à leurs vainqueurs. Il n’est pas probable cependant qu’on leur ait fait grâce du prix de la nouvelle liberté qu’on leur vendait. Chaque fait important qui surgissait dans l’empire avait son retentissement aux bords de la Doënna. Les traces qu’a laissées chez nous l’avénement de Gordien III, le petit-fils des Césars africains, prouvent assez que tout ce qui se passait dans le monde romain avait son écho affaibli dans nos murs.

Ce fut sous le règne de l’empereur Philippe, qui succéda à Gordien, que parut en Gaule la seconde mission évangélique. C’est de Rome et non de Smyrne qu’elle partit cette fois. Le pape Fabien envoya dans diverses directions en Gaule sept évêques destinés à catéchiser les contrées encore étrangères aux principes de la nouvelle doctrine religieuse. L’un de ces évêques, nommé Gatien, vint à Tours, chef-lieu administratif de la troisième Lyonnaise, dans laquelle était comprise l’Armorique et le pays des Rhedones. Mais chez ces derniers le druidisme n’était pas encore étouffé par le paganisme romain, et ce double obstacle devait s’opposer long-temps à l’introduction du christianisme. Cependant c’était un nouveau pas fiait vers ce but, et l’on pouvait déjà prévoir l’époque où la cité des Rhedones aurait à son tour son premier évêque.

Les empereurs continuèrent à se succéder rapidement au trône des Césars. Philippe le céda à Décius, qui, renversé par le despotisme des légions, fut remplacé par Gallus, dont Æmilianus prit bientôt la place, pour la céder à Valérien. La Gaule, secouant pour un temps le joug de Rome, eut ses Césara provinciaux, sous le nom de Tyrans, et notre ville envoya ses délégués au sénat gaulois. Les médailles frappées à l’occasion de ce grand événement attestent, par leur présoice dans le sol des Rhedones, que ces derniers participèrent à l’enthousiasme général. Les noms glorieux de Posthume, Victorinus et Tetricus, sont restés sur les monnaies exhumées du lit de notre rivière. Ce sont des témoignages suffisants de la participation de notre cité à tout ce qui s’accomplit alors dans la Gaule romaine.

Mais cette ère d’indépendance eut bientôt son terme. L’empereur Probus, qui admit les Germains dans les légions (276), colonisa avec des prisonniers diverses parties du territoire gaulois, incultes et dépeuplées. Ce fut peut-être l’origine de ces populations de Létes, dont nous verrons bientôt le pays des Rhedones avoir sa part.

Déjà l’Armorique avait ses adeptes à la foi nouvelle, et il est permis de croire qu’elle s’était répandue parmi les Rhedones, puisque leurs voisins, les Namnètes, qui avaient alors Saint-Clair pour évêque (303), eurent aussi leurs martyrs, Donatien et Rogatien. Cependant, si les Rhedones virent naître à cette époque chez eux la communauté chrétienne, ils ne possédèrent pas un nombre assez grand de fidèles pour élever un temple et demander un évêque. Une petite chapelle seulement fut dédiée chez eux à la reine des anges, sous le nom de Notre-Dame de la Cité, près de l’ancien temple païen consacré à Minerve.

Ce fut alors qu’ils virent arriver dans leur territoire l’une de ces colonies de Germains que Maximien transféra sur différents points de l’empire, sous le nom de Létes [5] ou colons militaires, après qu’ils eurent été repoussés des rives du Rhin, où les empereurs les avaient établis pour en défendre le passage contre les barbares. Ces Létes furent installés, sous la condition de l’impôt et du service militaire, dans les terres incultes et dépeuplées qui relevaient plus spécialement du domaine impérial, et ils reçurent le nom de Leti armorici, Létes de l’Armorique. Le pays même s’appela long-temps Letania. Le territoire des Rhedones fût-il plus particulièrement habité par ces Létes que les autres parties de la péninsule armoriocaine ? Cela est probable. Les Namnètes seuls dorent partager avec les Rhedones le fléau de ce dangereux voisinage ; car ils se trouviaient sur les frontières de cette population insoumise contre laquelle on sentait le besoin d’élever des obstacles, comme aux bords du Rhin contre les barbares.

S’il nous était permis de disserter ici, nous aurions pu réunir, ce que la critique historique a dit de l’origine des Létes et de la signification de leur nom, que le code Théodocien traduit par Gentiles, et que d’autres font venir de l’Allemand, leute, gentes, explication qui ne sera pas la dernière. M. Moët de la Forte-Maison en prépare une nouvelle puisée plus près encore des sources ; mais ces recherches ne sont pas du domaine de l’histoire locale. Leur résultat seul lui appartient. Nous laisserons donc l’induction pour les faits qui nous pressent.

Après la double abdication de Diodétien et de Maximien, Constance Chlore et Galerius vinrent terminer l’ère des persécutions contre les chrétiens, et préparer l’avénement du premier César qui osa faire asseoir près de lui le christianisme sur le trône impérial. Constantin parut, et son règne développa bientôt dans toute la Gaule les germes qu’y avait déjà jetés la foi nouvelle.

Un demi siècle s’écoula encore cependant (562), selon quelques traditions, avant que les Rhedones jetassent les fondements de leur première église, non loin de la petite chapelle ou de l’oratoire de Notre-Dame de la Cité, à l’endroit où s’éleva depuis leur cathédrale sous l’invocation de Saint-Pierre. Rien ne prouve cependant qu’ils eussent alors un évêque.

Le temps approchait d’une nouvelle indépendance pour les provinces. Gratien avait hérité de l’empire d’Occident ; il avait pour favori le chef d’une tribu franke. Depuis long-temps admis comme auxiliaires dans les années romaines, les barbares avaient fini par arriver aux premiers rangs. Ne devaient-ils pas devenir empereurs à leur tour ? Gratieu ne tarda pas à voir sa puissance contestée par un rival qui, proclamé dans la Grande-Bretagne, « fondit sur les Gaules, accompagné de trente mille soldats, et suivi d’une population nombreuse qui se fixa en partie dans l’Armorique[6] » (585). Ce rival, c’était Maxime et cette population nombreuse qu’il laissa, dans notre pays, était commandée par un chef national, sous le titre de Conan, roi, auquel la reconnaissance populaire avais ajouté l’épithète de Mériadec, très-glorieux. Ce chef devait devenir la tige souvent brisée des rois bretons, mais il s’écoulera bien des années encore avant qu’il ait secoué le joug romain. Etabli dans l’Armorique par Maxime, qu’il avait secondé dans sa tentative d’usurpation, et confirmé dans son pouvoir par Théodhose, empereur d’Orient, le successeur de Gratien, il attendit patiemment l’occasion de se saisir, dans le démembrement du grand empire, du lambeau de territoire dont on lui avait délégué l’administration. Il ne prit d’abord que le titre de Conan, ou chef des Létes armoricains. En effet la notice de l’empire indique qu’il y avait parmi ces Létes des peuples de l’île bretonne ; qui avaient été refoulés par les pirates germains. C’était une première migration dans notre péninsule.

Quoi qu’il en soit, rien ne fut changé qu’un homme à l’administration romaine. La cité des Namnètes, dit-on, devint le séjour ordinaire du nouveau chef breton, qui pressentant et préparant l’avenir, gouverna avec assez d’habileté pour se faire aimer de cette population composée en grande partie de ses compatriotes ; ce qui dut rendre beaucoup plus facile sa tâche et l’exécution de ses desseins.

Les circonstances semblaient de jour en jour se disposer à lui être favorables : les empereurs se succédaient sans pouvoir rétablir l’ordre dans les Gaules inondées de barbares. « L’empire latin romain, dit Chateaubriand, n’était plus que l’empire romain barbare : il ressemblait à un camp immense que des armées étrangères avaient pris en passant pour une espèce de patrie commune et transitoire. »

Au milieu de tous ces désordres de l’Occident, les provinces armoricaines se constituèrent en républiques fédératives[7]. Le Conan qui gouvernait la péninsule, dut prendre part à ce mouvement, puisque c’était un pas de plus vers l’accomplissement de ses projets. Les troupes romaines abandonnées par Rome (409), entrèrent dans cette fédération et achevèrent ainsi de se naturaliser dans le pays dont la garde leur avait été confiée. Le préfet des Létes placé dans la cité des Rhedones, selon la notice de l’empire, si ce préfet, dont le nom ne nous est pas connu, était un autre que Conan lui-même, s’associa à cette ligue qui avait pour but la défense commune contre le flot des invasions barbares débordant de toutes parts. Le nom de Franks donné à ces Létes par la même notice, nous semble prouver que cette peuplade germanique, différente de celle de Clovis, avait paru dans notre pays, comme auxiliaire des Romains, et soumise aux lois des terres létiques long-temps avant la date, (497) où son homonyme se présenta comme conquérante sur nos frontières devenues bretonnes.

Au temps dont nous parlons, le christianisme avait fait de grands progrès chez les Rhedones. Saint Clair, l’évêque des Namnètes, avait commencé à les catéchiser, et depuis lors la foi chrétienne n’avait cessé de s’étendre. Les temples des divinités payennes étaient désormais abandonnés, et quelques-uns renversés par la ferveur des néophytes, qui ne faisaient en cela qu’obéir aux édits des empereurs. Si nous en croyons l’un de nos meilleurs chroniqueurs et la parole d’un de nos évêques du XIe siècle, qui ont omis, il est vrai, de nous transmettre la preuve de leur assertion, la cité des Rhedones aurait eu dans Saint Modéran, en 658, son premier pasteur ; Saint Just lui aurait succédé, et la tradition s’est chargée de constater l’existence de ce dernier, en nous conservant sa mémoire dans le nom d’un faubourg de notre ville. Le lieu nommé la barre Saint-Just était, selon l’usage des faubourgs, fermé par une barrière, non loin de laquelle se trouvait situé hors ville, conformément à l’édit de Théodose le jeune, le cimetière consacré à la sépulture des clercs et des laïcs. Saint Just fut inhumé dans ce cimetière et donna son nom à la barrière du faubourg. Après lui l’existence de ses successeurs présumés, Electran, Jean, Riothime, est beaucoup moins prouvée encore. Il est probable cependant que la communauté chrétienne qui avait grandi chez les Rhedones, comme ailleurs, devait avoir un chef spirituel, quelque faible qu’elle fût encore au commencement du Ve siècle. Les édifices religieux avaient commencé de s’élever en dehors de la ville, selon l’usage suivi alors, pour remplacer les temples des faux dieux qui étaient presque tous en dehors des murs, et aussi pour empêcher la population rurale d’affluer dans la ville fermée sous prétexte de dévotion.

On fait remonter à cette époque la fondation des églises Saint-Germain, Saint-Etienne et Toussaints. Il est difficile d’admettre cette opinion, du moins pour la première de ces églises, quand on réfléchit que Saint Germain vint chez les Bretons et à leur prière, négocier une paix entre eux et les Alains, sous le règne d’Audren, en 447. La reconnaissance publique aura sans doute attendu que sa sainteté ait été consacrée par l’église avant de l’honorer comme un patron de plus au ciel.

Quoi qu’il en soit de la date plus ou moins reculée de celui-ci, les établissements religieux naissaient de toutes parts à l’époque dont nous parlons. On n’en était plus, chez les Rhedones, au temps où de simples oratoires ou chapelles, comme Notre-Dame de la Cité, s’élevaient dans quelque coin obscur, comme un modeste témoignage de la tolérance des empereurs. La première cathédrale avait vu dans nos murs terminer ses arceaux en plein cintre et sa grossière ornementation d’architecture romane. Le clergé pourtant était sans doute encore peu nombreux, et loin d’être organisé comme il le fut peu à peu dans la suite. Vannes, Dol et Quimper fondaient aussi, sous la protection du Conan Mériadec, leurs premières églises, et recevaient leurs premiers pasteurs, à l’exemple des Rhedones et des Namnètes. La Grande-Bretagne, abandonnée par les Romains aux ravages des Barbares, continuait de nous envoyer ses proscrits et ses pasteurs, qui s’établissaient dans nos cités comme parmi des frères qu’ils n’avaient quittés que pour un temps.

Cependant l’empire s’écroulait sous les coups d’Alaric ; un soldat, nommé Constantin, se faisais reconnaître empereur des Gaules pour la dernière fois ; les Barbares menaçaient l’Armorique à son tour, et celle-ci, dans l’impuissance où était Rome de la protéger, résolut de se défendre elle-même et de secouer entièrement un joug qui, depuis vingt-six ans, n’était plus guère qu’une fiction respectueuse (409).

  1. Notice de M. Bizeut, et Géographie des G. par Walckenaer.
  2. Nous devons ces inductions numismatiques à l’obligeance érudite de M. le docteur J. Aussant.
  3. Nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici textuellement, à l’appui de notre opinion, l’excellent mémoire de M. le docteur Toulmouche sur ce sujet, qui sera bientôt, nous l’espérons, imprimé ailleurs.
  4. Eusèbe, Cæs. chron.
  5. Selon le code Théodotien et les lois barbares, Léte, origine du mot leude, viendrait de l’allemand leute, gentes, peuple. Une notice de M. Moët de la Forte-Maison, sur ce sujet, doit bientôt répandre de nouvelles lumières sur la signification de ce mot.
  6. Études Hist. Châteaub., p. 181, I. 3.
  7. Zosime, p. 829. Quâdam republicà constituta.