Histoire de l’Affaire Dreyfus/T2/3-1

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La Revue Blanche, 1901 (Vol.2 : Esterhazy, pp. 251–301).
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Ch. III : Le petit bleu

(suite)

XII

Les preuves ne manquent pas qu’Esterhazy fut averti par Henry. Dès son premier rapport, du 17 avril, Desvernine signale que « le caractère du Bienfaisant » — nom employé par l’agent pour désigner Esterhazy, qui demeure rue de la Bienfaisance, — « s’est assombri depuis quelque temps ». — Esterhazy avisa Drumont que « ses ennemis voulaient recommencer l’affaire Dreyfus et l’y mêler, parce que son écriture ressemblait à celle du Juif »[1]. — Enfin, dans les premiers jours de mai, il alla à l’ambassade d’Allemagne, par deux fois, dans la même semaine, ouvertement, en uniforme. Abria, son colonel, sollicitait un passe-port pour l’Alsace[2] ; Esterhazy, avec son effronterie habituelle, lui confia qu’il connaissait fort bien Schwarzkoppen et d’autres personnages de l’ambassade ; sa parenté avec les Esterhazy d’Autriche, ses alliances dans la haute aristocratie, l’ont mis en rapport avec le monde diplomatique ; il lui réglera au plus vite cette petite affaire.

Le Scapin s’amusa fort (se sachant suivi, se retournant pour voir si l’agent n’a pas perdu sa piste) à aller ainsi, d’un pas léger, dans la redoutable « maison au grand jardin ». Que Picquart brusque l’opération, Esterhazy aura raison de lui, le jour même, en prouvant l’honorable cause de ses démarches. Du coup, Esterhazy est sauvé, Picquart abîmé dans le ridicule. Même si Picquart ne manque pas de sang-froid, s’il prend la précaution de s’enquérir des motifs qui conduisent Esterhazy, en plein jour, à l’ambassade, l’argument reste en réserve pour l’avenir. — Il saisit apparemment l’occasion d’aviser Schwarzkoppen que leurs relations étaient soupçonnées, qu’une carte avait été saisie, qu’il fallait, à l’avenir, s’abstenir de toute correspondance. Schwarzkoppen devint attentif[3].

Picquart s’était borné à dire à Desvernine[4] : « J’ai besoin de connaître le genre de vie du commandant Esterhazy, tout ce qui le concerne[5] ». Il se fût fait scrupule de lui communiquer sa crainte que l’armée française comptât un traître de plus et de salir d’un tel soupçon un officier qui pouvait ne pas être coupable. Il recommanda à Desvernine de n’agir que sur des ordres successifs, de se tenir sans cesse en contact avec lui, de ne prendre aucune initiative sans le consulter[6].

L’agent, plus libre, mieux orienté, eût-il trouvé davantage ? Non, puisque Esterhazy était averti. Mais il sut très vite ses embarras financiers[7], son habitude et son goût de l’escroquerie, même pour de petites sommes, ses relations avec la fille Pays.

Esterhazy se rendait chez elle, tous les soirs, en civil, pour ne rentrer que tard, dans la nuit, au domicile conjugal ; parfois même, « dans la journée, il faisait le pèlerinage en tenue[8] ». Il lui avait loué, en son propre nom, — ce qui étonna l’agent[9], — un appartement, rue de Douai, lui servait une « mensualité de cinq cents francs[10] » ; il était, pour le moment, son seul amant. Les concierges, qui doivent des renseignements à la police, dirent qu’Esterhazy recevait peu de lettres de l’étranger ; son courrier était insignifiant, mais il avait prescrit de le lui remettre en mains propres[11]. Il fréquentait un étranger « aux fortes moustaches », boursier véreux qui avait été condamné plusieurs fois pour escroquerie[12]. Il s’était rendu, une fois, à un tripot, mais Desvernine, plus scrupuleux que Guénée, n’affirma pas qu’il y eût joué[13].

L’agent relata aussi les deux visites à l’ambassade d’Allemagne. Picquart ne put cacher son émoi ; mais, prudent, en causa avec Curé[14] ; il sut de lui « les motifs plausibles » de ces visites et en fit informer Desvernine[15].

Au bataillon d’Esterhazy, l’agent recueillit quelques bruits qui confirmaient les avis de Curé.

Certains envois d’argent parurent suspects ; après vérification, il fut reconnu qu’ils provenaient d’un architecte qui gérait une maison appartenant à Mme Esterhazy[16].

Rien de tout cela n’était décisif ; cependant, la figure d’Esterhazy se dessinait devant Picquart.

XIII

Pendant que l’enquête continuait, Picquart chargea Lauth[17] de photographier le petit bleu[18]. C’était, au bureau, l’habitude constante pour tout document de quelque importance. Les fragiles originaux, maniés par tous ceux qui devaient en connaître, auraient été vite en poussière[19].

Les premières épreuves de la carte-télégramme, avec ses déchirures et ses souillures, présentent l’aspect d’un plan en relief, hérissé de masses noires et zébré de lignes bizarres. Picquart commanda à Lauth d’en tirer d’autres, mais en effaçant ces traces sur le cliché, « tout ce qui n’est pas le texte écrit[20] ». « Le fac-similé obtenu par ce procédé sera plus clair, plus lisible. » Au surplus, on avait trop parlé du panier de Schwarzkoppen à propos du bordereau, qui n’en venait pas[21]. Ces épreuves « retouchées» seront plus discrètes ; quand elles circuleront dans le ministère, elles ne crieront pas l’origine du document ; ainsi seront évités les propos imprudents des « entourages ».

Lauth ne réussit pas du premier coup ; Picquart lui fit recommencer ses essais à plusieurs reprises[22]. Lauth, agacé, demanda que Junck lui fût adjoint pour ce travail[23].

Lauth dira, par la suite, que Picquart lui commanda « de donner à cette photographie l’apparence d’un petit bleu absolument net, afin de pouvoir dire là-haut, à l’État-Major, qu’il l’avait intercepté à la poste[24] ». Pour transformer une sage précaution en une fourberie absurde, il lui suffira de traduire « là-haut » par « État-Major » et de donner à entendre qu’il faut traduire « État-Major » par « Boisdeffre »[25].

Un petit bleu déplié a 15 centimètres de long sur 13 de large, soit 195 centimètres carrés[26]. Il manquait à la carte-télégramme, à droite et à gauche du texte, un certain nombre de fragments (l’un d’eux avec un mot de l’écriture de l’envoyeur, et toute la partie inférieure avec la moitié de l’avis imprimé, du côté de l’adresse), environ 36 centimètres carrés. Le soleil, véridique, ne peut reproduire sur la plaque sombre que ce qui existe. L’épreuve, retouchée, pourra figurer un document net, mais non intact. Si la carte avait été saisie à la poste, Picquart l’eût apparemment décollée à la vapeur, de manière à ne perdre aucun fragment. Aussi bien, Lauth lui-même n’a jamais insinué que Picquart aurait eu l’intention de produire seulement les épreuves corrigées, de supprimer l’original[27], qui seul fait foi en justice[28] ; et comment l’aurait-il pu supprimer ? Tout le bureau le connaissait ; une photographie implique un objet photographié ; comment expliquer la disparition de l’objet[29] ?

XIV

Avant qu’Henry fût revenu des obsèques de sa mère, ni l’authenticité du petit bleu ni son lieu d’origine n’avaient fait doute pour Lauth, Junck et Gribelin. Dès qu’il fut informé de la fâcheuse trouvaille, il commença à inquiéter ses camarades par des bouts de phrases, vagues, perfides, et qu’il reprendra, sitôt lâchées, selon le procédé classique des imposteurs. « Cela ne me plaît pas », murmure Iago. Et ces cinq petits mots suffisent à empoisonner l’âme du Maure.

Il a dit, d’abord, à Lauth, qu’il n’a pas remarqué les fragments bleus dans le cornet. Il sent maintenant que Lauth s’irrite, et Junck, de recommencer si souvent leurs expériences photographiques sans réussir à satisfaire le chef. « Pourquoi tous ces essais ? grogne-t-il ; pourquoi ces retouches[30] ? » Le vétéran du bureau, nourri dans le sérail, proteste qu’on n’a jamais travaillé de la sorte. Cela est curieux, étrange. Cet intrus, qui bouleverse les vieilles routines, qui décore du nom d’ordre son omnipotence présomptueuse, que veut-il ? que cherche-t-il avec cette nouvelle affaire ? Il ne daigne pas consulter la vieille expérience de Gribelin ; quoi d’étonnant, puisqu’il ne communique même pas à Henry les rapports de Desvernine ! Cependant, cette sorte d’enquête entre dans les attributions d’Henry[31]. Et tous de clabauder, car tous sont jaloux, envieux, blessés dans leur amour-propre, regrettent le bon temps de Sandherr, leurs privilèges, l’indépendance d’autrefois.

Un jour où, comme tous les autres jours, ils sortaient ensemble du bureau, Lauth, Junck, Gribelin et Henry, et, se dirigeant vers l’École militaire, devisaient de l’enquête suspecte que s’était réservée Picquart : « Son petit bleu, dit Henry, en insistant, sans doute, sur le possessif, n’a pas d’authenticité, il n’a pas été envoyé, il n’a pas le cachet de la poste[32]. » Aucun de ces officiers n’aperçoit l’énorme sottise de l’objection. En effet, le petit bleu n’a de prix qu’en raison de son origine ; l’absence de cachet en est la preuve manifeste ; marquée d’un timbre, la carte anonyme « pourrait provenir » d’un correspondant quelconque d’Esterhazy, créancier ou homme d’affaires[33]. Mais Gribelin mord aussitôt à l’hameçon : « C’est donc cela, intervient l’archiviste, qu’il m’a demandé, l’autre jour, si je pouvais faire timbrer une lettre, à la poste, d’un cachet antidaté. — Il ne vous en a plus reparlé ? interroge Henry. — Non, dit Gribelin. — Il a peut-être fini, observe Henry, bon enfant, par renoncer à sa marotte. »

Cette pratique frauduleuse (faire timbrer une lettre qui n’est pas venue par la poste) avait été en usage sous Sandherr[34]. Picquart s’en était enquis auprès de Gribelin[35]. Mais, de l’aveu même de tous les officiers du bureau, il n’employa jamais ce procédé[36].

Seulement, quelques jours plus tard, comme Picquart était dans son cabinet, où il examinait le petit bleu, Lauth entre chez lui[37] et, la conversation s’engageant, il répète, essaye, le propos qui lui a été tenu par Henry : « Le document, observe Lauth, n’a aucun signe d’authenticité ; il faudrait qu’il eût une date, un cachet de la poste[38]. » Picquart ne relève pas l’objection ; et l’idée ne lui vient même pas que Lauth cherche à lui suggérer une fraude absurde, — puisqu’elle eût enlevé toute valeur probante à la carte-télégramme, — et, dans l’espèce, irréalisable. En effet, le petit bleu a été si minutieusement déchiré qu’il n’y a pas un morceau assez intact pour supporter un timbre de 24 millimètres de diamètre. Le timbre se fût appliqué sur les bandes gommées à l’aide desquelles Lauth avait recollé ces cinquante petits fragments, ce qui eût suffi pour dénoncer la supercherie[39].

Picquart passe ainsi à côté du piège, sans l’apercevoir. Seulement, comme il croit que le petit bleu est de l’écriture, déguisée, de l’attaché allemand : « En tout cas, dit-il à Lauth, vous pouvez bien témoigner d’où il vient : n’est-il pas de l’écriture de Schwarzkoppen[40] ? » Alors, Lauth, vivement : « Oh ! non, je ne connais pas cette écriture, je ne l’ai jamais vue, je ne puis certifier qu’elle est de Schwarzkoppen[41]. » Ici, Lauth voyait plus juste que Picquart[42].

Conversation animée, mais sans colère, où Lauth, brusque dans la contradiction[43], a élevé un peu la voix[44]. Picquart n’insiste pas sur l’attribution du petit bleu à Schwarzkoppen : que la carte soit de l’attaché ou de l’un de ses secrétaires, peu importe, puisque l’origine en est certaine. Et Lauth n’insiste pas davantage[45] ; il ne propose même pas à son chef de faire, avec tant de lettres certaines de Schwarzkoppen qui sont au bureau, une comparaison d’écritures[46]. Picquart, lui-même, n’est pas sûr que ce soit l’écriture ordinaire de Schwarzkoppen ; il s’en tient donc à l’affirmation de Lauth ; il ne reviendra pas une seconde fois sur la question[47]. Mais, comme il pense déjà au futur procès où son subordonné sera appelé à déposer, le chef de service ne déposant jamais dans les affaires d’espionnage[48], il précise que Lauth, devant la justice, témoignera de la provenance du document[49] ; et Lauth n’y objecte pas. L’entretien terminé, Lauth sort du cabinet du colonel, rentre dans celui des officiers, Junck, Valdant, qui l’interrogent : « Il m’a dit que je serai toujours là pour témoigner de l’origine du télégramme[50]. » Et ce fut tout, ce jour-là. Les officiers se remirent au travail ou parlèrent d’autre chose[51] ; aucun d’eux ne prit « en mauvaise part » la réponse du colonel[52].

Mais Henry, quand Lauth lui aura rapporté sa conversation avec le chef, en pèsera chaque mot. Un sûr instinct dirige, vers le seul point faible de la place la plus forte, l’œil des grands capitaines : « Quoi ! Picquart a voulu faire certifier que le petit bleu est de l’écriture de Schwarzkoppen[53] ! »

Picquart, comme on l’a vu, avait décidé qu’Henry ne serait plus le seul officier à recevoir les cornets de la ramasseuse ; il désigna Lauth pour le suppléer[54]. Henry aboucha Lauth avec la Bastian[55]. Cela resserra encore l’accord, l’étroit mariage, des deux officiers. Mais le cornet, de longtemps, ne donna plus rien.

Henry raconta alors à Picquart, qui en informa Gonse, que la ramasseuse avait pris peur et s’était plainte vivement d’indiscrétions ; il l’avait sermonnée ; « elle s’était fâchée avec lui[56] ». En fait, Schwarzkoppen, averti par Esterhazy, avait manifesté son inquiétude et surveillé quelques-uns de ses employés[57]. Cependant, ni lui ni l’ambassadeur ne suspectèrent jamais la Bastian.

Lauth, de son propre aveu, savait qu’Henry connaissait Esterhazy. Dans leurs conversations familières de chaque jour, allant ensemble au bureau, en revenant ensemble[58], le nom de cet ancien camarade a été plus d’une fois prononcé par Henry. En mai 1895, Henry et Lauth, chargés d’une commission de Sandherr, se rendaient un matin, en voiture, à la gare du Nord[59]. Lauth aperçoit un officier d’infanterie, « assez grand, maigre, qui marchait vivement sur le trottoir et bousculait les passants ». Il observe que ce commandant a l’air un peu agité ; Henry regarde : « Tiens, dit-il négligemment, cela doit être Esterhazy ; il a bien vieilli. »

Lauth ne demande pas qui est Esterhazy : il le sait donc. Si Henry, toujours prudent, observe qu’Esterhazy « a bien vieilli », c’est pour faire entendre à Lauth (comme à Picquart) qu’il ne l’a pas vu depuis longtemps.

Ou bien cette histoire est un mensonge[60], ce qui expliquerait que Lauth, quand il remit à Picquart le petit bleu reconstitué, ne lui a pas dit que le destinataire était un ami d’Henry.

Lauth et Gribelin, après la découverte du petit bleu, questionnèrent Henry sur son ancien camarade. Henry, apparemment, répondit que c’était un libertin, un homme de plaisir, mais un brave soldat, incapable de trahison.

Un peu plus tard, Gribelin dit à Lauth « qu’il pensait avoir deviné le but que poursuivait le chef de service : « Je crois qu’il s’imagine que le commandant Esterhazy est coupable à la place de Dreyfus[61]. »

Lauth place cette confidence en mai ou en juin[62]. À cette époque, Picquart n’avait établi encore aucun lien entre l’affaire, déjà lointaine, de Dreyfus, et le cas, naissant, d’Esterhazy.

Qui avait soufflé Gribelin ?

XV

Vers le 15 mai, la mère de Picquart tomba malade à Versailles. Il avait pour elle une tendre affection ; il la soigna jour et nuit. Elle mourut le 12 juin. En juillet, après son deuil, il fit un voyage d’État-Major avec Boisdeffre[63]. Henry fit l’intérim du bureau, d’autant plus à l’aise pour pousser son travail de taupe.

Desvernine continuait à surveiller Esterhazy : il avait presque abandonné son domicile, couchait chez la fille Pays, fut à la veille d’être saisi, fréquentait toujours des gens de Bourse. Le 28 juin, Esterhazy donna congé de son appartement, mais pria le concierge de ne pas trop se presser pour louer, car il allait probablement rester à Paris et être attaché au ministère de la Guerre. Il dit encore à cet homme : « On nous a prévenus qu’on faisait dans ce moment des enquêtes sur des officiers. Si on vient vous demander des renseignements sur moi, vous n’avez rien à dire. Faites monter chez moi, je me charge de répondre[64]. »

Ces propos, l’indignité de la vie privée d’Esterhazy, détruisirent peu à peu chez Picquart l’idée que Schwarzkoppen lui aurait tendu un piège.

Sur ces entrefaites, un incident décisif acheva de l’éclairer.

Au cours du voyage d’État-Major qu’il fit en juillet avec Boisdeffre, Pauffin de Saint-Morel, officier d’ordonnance du général, lui dit, un soir[65], qu’il avait négligé de lui communiquer une lettre très intéressante du colonel de Foucault, attaché militaire à Berlin[66].

Foucault, dans cette lettre adressée à Boisdeffre, racontait avoir reçu la visite de Richard Cuers[67]. Dénoncé (sans doute) par Lajoux, Cuers avait été révoqué par le major Dame, le directeur du service allemand des Renseignements ; il craignait de pires infortunes. Il avait une grande frayeur, disait-il, du service français de statistique qui possédait des pièces compromettantes pour lui ; il tremblait qu’on s’en servît pour le faire « chanter » ; divulguées, elles suffiraient à le perdre. Il suppliait qu’on n’en fit rien. Il avait le vif désir de causer avec un envoyé de l’État-Major[68].

Picquart connaissait les efforts de Sandherr pour s’assurer le concours de Cuers ; il avait lui-même chassé Lajoux devenu suspect, et, précisément, à la suite d’une entrevue avec Cuers que l’agent s’était fait fort d’acheter pour une mensualité de 600 marks ; on avait, alors, acquis la preuve que Lajoux entretenait lui-même des relations avec les Allemands[69]. Dès lors, que Lajoux eût dénoncé ensuite Cuers aux Allemands, c’était chose plausible ; il était nécessaire de suivre l’affaire[70].

Foucault vint quelques jours après à Paris et fit à Picquart un récit complet de son entretien avec Cuers[71]. Après lui avoir exposé ses craintes personnelles, Cuers, au cours de la conversation, avait raconté que l’État-Major allemand s’était toujours demandé pour qui travaillait Dreyfus. Le général de Schlieffen ne l’avait jamais employé ; très surpris par l’accusation portée contre cet officier, il s’était renseigné partout « pour savoir à qui cet homme appartenait ». De Bruxelles et d’ailleurs, on n’eut que des réponses négatives[72]. L’État-Major n’a à son service qu’un officier français, un chef de bataillon d’infanterie, « ou soi-disant tel », âgé de quarante à cinquante ans[73]. Cet espion a procuré à Schwarzkoppen, depuis deux ou trois ans, certains renseignements sur l’artillerie, mais de peu de valeur et, parfois, si singuliers qu’on pensa avoir affaire à un mystificateur ou à un provocateur. Schlieffen l’a remercié ; mais il a recommencé à fournir ; il a donné, récemment, des notes sur des questions de tir, des feuilles du cours de l’École de tir au camp de Châlons[74].

Cuers en dirait davantage si le service voulait organiser une entrevue avec lui.

Picquart fut saisi de la ressemblance entre le signalement de l’officier ainsi dénoncé et celui qu’il surveillait : même âge, même grade. Il retrouva dans les propos de Cuers l’écho des soupçons et du mécontentement que révélait le petit bleu. Ces mêmes cours de Châlons, il sait, par Curé, qu’Esterhazy les a empruntés à son colonel et qu’il les a fait copier. Le hasard n’amène pas de telles rencontres[75].

Picquart ne confia pas à Foucault de quel jet de lumière il venait d’être ébloui[76]. Il lui dit seulement que l’affaire lui paraissait sérieuse et réclama son concours[77] pour organiser, à Bâle, une entrevue entre Cuers et un officier du service.

Foucault repartit pour Berlin.

Avançant avec méthode, Picquart décida de faire, sans tarder, un pas de plus. Il donna mission à Desvernine de lui procurer de l’écriture d’Esterhazy. L’agent se rendit compte, pour la première fois, du but de ses recherches[78].

Il prescrivit, en même temps, de faire saisir à la poste les lettres adressées à Esterhazy[79].

Il n’entrevoyait pas encore qu’Esterhazy pût être l’auteur du crime pour lequel Dreyfus avait été condamné. Mais il était désormais assuré qu’il y avait un second traître.

À ce point de son enquête, avec cette certitude, il avisa enfin Boisdeffre. Le général était à Vichy. Il lui écrivit qu’il avait une question importante à lui soumettre ; il n’en avait parlé encore à personne, « pas même au général Gonse[80] ».

Boisdeffre répondit lui-même : Quelle est la nature de la question ? Picquart expliqua : Une affaire analogue à celle de 1894. Il se défiait des correspondances ordinaires, peu sûres. Boisdeffre lui fit écrire de venir le trouver, à l’arrivée du train de Vichy, le 5 août[81].

XVI

Picquart songea, d’abord, à se rendre lui-même à l’entrevue dont Foucault était convenu avec Cuers. À la réflexion, il y renonça ; ce n’était pas sa place[82]. Il chargea de cette mission de confiance Lauth[83], tout désigné pour avoir, le premier, en reconstituant le petit bleu, suspecté, touché du doigt la trahison d’Esterhazy. Deux agents sûrs, Tomps[84] et Vuillecard[85], iraient avec lui[86].

Maintenant, Picquart était convaincu de l’infamie d’Esterhazy ; il le dit à Curé[87] ; et il confia à Desvernine qu’il allait « le faire coffrer[88] ». Toutefois, il ne lui attribuait pas encore, dans sa pensée, le crime de 1894 ; il n’en avait encore qu’une intuition indécise et vague[89]. Au contraire, ses officiers tenaient pour certain que son enquête, ses recherches policières avaient pour but de « substituer Esterhazy à Dreyfus[90] ». Ils s’en taisaient devant lui, mais, entre eux, excités par Henry, ne parlaient plus d’autre chose. Picquart, dans l’ombre, ne voyait pas où il allait ; mais les consciences inquiètes sont pareilles à l’œil des oiseaux de nuit.

Henry, quand il connut l’entrevue projetée de Bâle, fut fort troublé. Il savait Cuers au courant de bien des choses, tremblait qu’il n’en sût davantage. Il persuada à Lauth que c’était un provocateur, attendu que Sandherr avait cherché, en vain, à l’enrôler au service français ; c’eût été plutôt une preuve du contraire. Cette nouvelle machination de Picquart ne lui disait rien de bon. À se rendre seul officier à Bâle, Lauth risquait de s’engager dans un fâcheux engrenage[91].

Lauth se laissa troubler ou gagner ; quelques heures avant de partir, il alla trouver Picquart et, vivement, insista pour emmener Henry[92]. « Depuis quelque temps, lui dit-il, vous l’avez tenu un peu écarté des affaires, il en est blessé, mécontent[93]. » Picquart objecta qu’Henry ne parlait pas l’allemand[94], puis consentit[95], trouvant au fait que c’était de peu de conséquence, et par amitié pour Henry[96].

Lauth a protesté depuis qu’il demanda simplement à Picquart de désigner un second officier[97], qu’il eût préféré Junck[98], qui savait l’allemand et que c’était Cuers qui avait réclamé un officier parlant sa langue[99]. Or, Cuers, qui avait fait son métier, non seulement à Bruxelles et à Strasbourg, mais à Paris même, et fort longtemps, parlait le français et l’écrivait avec beaucoup d’aisance[100]. Picquart ne l’ignorait pas, ayant lu les lettres de Cuers qui étaient au ministère ; il eût préféré pourtant que les officiers qu’il envoyait à Bâle eussent pu s’entretenir avec l’agent dans sa langue maternelle[101].

Henry, qui ne perdait rien, fit remarquer à Lauth l’objection de Picquart. Il suffira plus tard à Lauth de s’en emparer pour innocenter Henry du désir suspect d’aller à Bâle. Lauth affirmera qu’il sua sang et eau, pendant de longues heures, à traduire toutes les questions qu’Henry lui aurait fait poser à Cuers[102].

XVII

Les deux compères, avec les deux agents, partirent pour Bâle, le 5 août, par le train du soir[103]. Ils y arrivèrent le 6, au matin ; les officiers descendirent dans un hôtel[104] ; Tomps se posta à la gare pour guetter Cuers et voir s’il n’était pas accompagné[105] ; Vuillecard prit sa faction sur la place du Munster, avec un mouchoir à la main[106] ; c’était le signal convenu. Peu après débarqua Cuers, que Tomps, qui le connaissait de vue pour avoir travaillé avec Lajoux, suivit sans remarquer rien de suspect. D’ordinaire, les espions qui viennent en provocateurs sont escortés d’autres espions, qui les surveillent et, au besoin, les photographient[107]. Cuers aborda Vuillecard : « Est-ce vous, lui dit-il en français, qui êtes monsieur Lescure ? — Non, reprit l’inspecteur qui ne savait pas un mot d’allemand[108], mais je suis chargé de vous conduire auprès de lui. — Lescure, observa Cuers, je connais cela : c’est le nom d’un concierge de la rue Saint-Dominique (du ministère de la Guerre), mort depuis dix ans[109]. »

L’inspecteur conduisit Cuers auprès de Lauth, qui faisait Lescure, et d’Henry, que Lauth présenta comme un fonctionnaire important de la police[110]. Picquart avait choisi Tomps dans la pensée que ce commissaire spécial, très expert, homme de toute confiance, qui savait très bien l’allemand, prendrait une part décisive à l’entretien[111]. Henry et Lauth ne l’y admirent pas, restèrent seuls avec Cuers. Tomps et Vuillecard s’installèrent dans un hôtel, en face, d’où ils purent voir les trois hommes discuter pendant plus de deux heures[112]. Henry et Lauth déjeunèrent avec Cuers[113]. Vers trois heures de l’après-midi[114], Henry descendit seul[115] et se dirigea du côté de la gare. Tomps et son camarade allèrent le rejoindre : « Oh ! dit Henry, avec sa rondeur familière, il n’y a rien à tirer de ce bonhomme ; j’ai fait le grand chef, je me suis fâché et je suis parti. Je l’ai laissé avec Lauth, qui va essayer encore. » Tomps observa que Cuers aimait autrefois l’absinthe ; il eût mieux valu le faire boire que le chambrer : « Si le capitaine ne réussit pas, voulez-vous que je tente l’affaire ? — Non, non, répliqua Henry ; ce n’est pas la peine[116]. »

Lauth et Cuers causèrent encore, longuement ; Henry les rejoignit. Vers le soir, Lauth et Cuers sortirent ensemble, s’assirent sur un banc des promenades[117]. Henry confia à Tomps qu’on avait décidément échoué ; Tomps renouvela ses offres, qu’Henry rejeta : « Non, c’est inutile[118]. » Enfin, Cuers se rendit directement à la gare, où il prit le train. Vuillecard, au retour, avait fait la surveillance ; nul que lui ne suivait l’ancien agent allemand[119].

XVIII

Lauth et Henry, le lendemain, racontèrent à Picquart que l’entrevue ne leur avait appris rien de nouveau Cuers leur avait répété ce qu’il avait déjà dit à Foucault, ajoutant seulement que le chef de bataillon[120] était décoré[121] ; or, presque tous les chefs de bataillon le sont, à un certain âge[122]. « Sauf le général de Schlieffen, personne, au grand État-Major allemand, n’a d’autres renseignements sur cet officier[123]. » Tout le temps, Henry a dû le brusquer pour le faire parler[124]. Il a fallu lui arracher les réponses par lambeaux. Cuers a fini par énumérer quatre documents qui auraient été fournis à Berlin : des rapports sur le nouveau fusil en essai à Châlons, sur le canon à tir rapide, sur le camp retranché de Toul, et sur les fortifications des environs de Nancy. Il ne se souvient pas, ou n’a pas voulu se souvenir[125], si la trahison date d’août 1893 ou d’août 1894, « au moment des manœuvres » ; en octobre 1895, « aussi à l’époque des manœuvres », le grand État-Major s’était convaincu que l’individu faisait partie du contre-espionnage ; « Schwarzkoppen, que l’on ne veut à aucun prix voir compromettre, reçut l’ordre formel de rompre ses relations. On ignore ce qui s’est passé depuis[126]. »

Lauth remit à Picquart un rapport, très court, où il relatait ces révélations qui n’étaient, en effet, que des redites. Il dit encore qu’Henry et lui avaient vainement insisté pour savoir le nom du traître ; Cuers s’y était refusé[127]. Cependant, il avait donné celui d’un paysan qui habitait une petite bourgade de Lorraine et qui était à la solde des Allemands[128]. — Le fait fut vérifié et trouvé exact[129]. — Henry avait posé en vain les questions les plus nettes, les plus précises, que Lauth traduisait en allemand, car toute la conversation aurait été en allemand[130]. — Elle se poursuivit, au contraire, pendant cinq heures d’horloge, en français, et, de son propre aveu, Henry objurgua lui-même Cuers, lui parla très durement[131]. — En vain encore, les deux envoyés avaient fait à « l’alcoolique[132] » les propositions les plus séduisantes, lui offrant « jusqu’au triple de la somme[133] » qu’ils avaient été chargés de lui proposer : Cuers n’avait voulu consentir à rien. (À quoi ? À se rétracter ?)[134] Il n’avait accepté « que le prix de son voyage, pas un centime en sus[135] » ; c’était un provocateur[136].

Henry corrobora, avec beaucoup de force, cette version de Lauth ; il « montra une grande répugnance à accepter comme exactes les révélations de Cuers qui pouvaient s’appliquer à son ancien camarade[137] »

Picquart écouta, non sans déception ni surprise[138], cet étrange récit. Que l’homme soit ou non un provocateur, il n’est pas explicable qu’il ait sollicité l’entrevue de Baie pour y redire seulement ce qu’il avait dit à Berlin. S’il est sincère, pourquoi avoir risqué ce périlleux voyage sans nul profit ni pour lui ni pour ceux qu’il était si désireux de désarmer par ses délations ? Et, s’il agit par ordre, quel pitoyable acteur ! Un contre-espion qui ne demande pas beaucoup d’argent, qui en refuse, ignore le premier mot de son métier. Et c’est le plus fin limier d’outre-Rhin, celui qui s’intitulait le « Napoléon des espions » ! Puis, quel serait le but du grand État-Major ? Se venger d’Esterhazy, le traître malhabile et suspect ? Mais Cuers ne le nomme pas ; le signalement sommaire qu’il donne (un chef de bataillon quadragénaire et décoré) s’applique à des centaines d’officiers ; il serait inutile et dérisoire si, pour d’autres causes, Esterhazy n’avait appelé sur lui l’attention de Picquart, — Ou sauver Dreyfus, innocent ou coupable ? Quoi ! la France a refusé de croire Munster et Hohenlohe, et l’empereur allemand lui-même, quand ils ont déclaré que Schwarzkoppen n’a pas eu de rapports avec Dreyfus, et elle ajouterait foi à la confidence de Cuers !

Écartant ces hypothèses, Picquart se contenta de penser qu’Henry et Lauth avaient manqué d’adresse.

Deux mois après, Foucault, venu en congé à Paris, lui demanda de quels singuliers délégués il avait fait choix pour l’entrevue de Bâle. Cuers était retourné à l’ambassade ; il avait dit à l’attaché français, d’un ton de sincérité persuasif, que les envoyés du service l’avaient traité de façon singulière. L’un d’eux, notamment, « gros, rouge, qui se disait policier, mais qu’il avait reconnu pour un officier, l’avait constamment bousculé pour l’empêcher de parler[139] », — non pas pour le faire parler, comme Lauth et Henry l’avaient raconté[140].

Picquart dit à Foucault que ses officiers avaient été inhabiles, et il le pria d’organiser une seconde entrevue avec Cuers.

XIX

Plus tard[141], Cuers a ajouté au récit de Foucault quelques détails. À Bâle, le matin, avant de déjeuner avec lui, les deux officiers cherchent seulement à l’embaucher ; il refuse, voulant, dit-il, « rester honnête ». Après le déjeuner, le gros rouge s’absente ; Cuers dit alors à l’autre officier que Dreyfus n’a jamais été au service de l’Allemagne ; comme il ignore tout du bordereau, il n’accuse pas un autre d’en être l’auteur ; mais il affirme que Schwarzkoppen n’a eu à ses gages qu’un commandant français, dont il ne sait pas le nom, de famille autrichienne, qui a commencé à trahir au printemps de 1893 et a reçu longtemps une mensualité de deux mille marks. Le gros rentre sur ces entrefaites, Cuers recommence son histoire ; Henry le regarde « comme s’il voulait le poignarder », se met en colère, l’appelle imposteur, fourbe, et fait entendre de terribles menaces.

Qu’aurait dit Cuers à un policier, à la fois loyal et délié, comme Tomps ? Et qui est Cuers ?

Quand son aventure devint publique, on s’étonna que le gouvernement allemand ne le fit pas arrêter pour ses relations avec l’attaché français et les envoyés de Picquart[142]. En fait, il fut durement interrogé par ses anciens chefs, mais couvert par l’universelle pitié pour Dreyfus qu’il avait aidé à sauver, bien que sa démarche lui eût été dictée surtout par son intérêt personnel[143].

Il paraît certain qu’il n’alla chez Foucault et à Bâle que pour conjurer le danger dont il se croyait menacé par le service des Renseignements, possesseur de sa correspondance avec Lajoux. Un pauvre homme, un père de famille, qui tremble pour lui et pour les siens. D’une logique simple, il croit que l’État-Major lui saura gré de signaler la piste d’un traître. S’il ne nomme pas alors Esterhazy, c’est, sans doute (il l’affirme du moins), qu’il n’en savait pas alors plus long. Il n’eût pas eu, ce semble, plus de scrupule à le nommer que ce paysan de la Meuse. S’il refuse à Henry et à Lauth d’entrer au service français, comme il l’a refusé jadis à Sandherr, c’est qu’il n’a jamais eu l’âme d’un traître, qu’il est las de son métier et qu’il veut faire peau neuve. Et, s’il ne veut pas de leur argent, c’est que, déjà, il ne sait plus mentir : il a été espion, argousin, et il restera pauvre ; mais il ne sera pas un faux témoin contre un innocent et le plus infortuné des hommes[144].

XX

Le soir même où Lauth et Henry partirent pour Bâle, Boisdeffre rentra à Paris[145]. Il prit dans sa voiture Picquart qui l’attendait[146]. « Je crois bien, lui dit Picquart, que nous venons de trouver un nouveau traître[147] ! » Il nomma le commandant Walsin-Esterhazy[148] ; Boisdeffre « n’eut pas l’air » de le connaître, l’appela, quand il eut à le nommer : « Walsin, ce Walsin. » Aucune autre allusion que celle-là ne fut faite à l’affaire Dreyfus : Il y a un nouveau traître[149] ! Boisdeffre écouta avec attention le jeune colonel et, bienveillant, paternel, approuva sa prudente conduite[150]. Nul reproche de ne pas l’avoir averti plus tôt, de n’avoir pas informé Gonse. Picquart émit l’avis qu’il vaudrait mieux ne pas parler encore au sous-chef de l’État-Major[151]. Boisdeffre n’y fit point d’objection. Gonse l’attendait à son hôtel ; il ne lui souffla mot de l’incident. D’autre part, il autorisa Picquart à parler au ministre[152], lui dit de continuer son enquête avec la même discrétion[153]. Il ne parut pas ému de l’incident, puisque rien n’en avait transpiré ; sa nonchalance avait horreur du scandale, de tout bruit inutile.

Picquart, dans la conversation qui se prolongea, l’entretint des autres affaires du bureau. L’une d’elles était fâcheuse. Billot, en arrivant au ministère, avait diminué de 8.000 francs l’allocation mensuelle du service ; Boisdeffre demanda un crédit supplémentaire, 100.000 francs, pour d’importantes négociations en cours et chargea Picquart d’exposer le cas dans un mémoire ; Billot présenta le mémoire au conseil des ministres, fit voter la somme ; puis, quand il l’eut, il n’alloua que 20.000 francs à la section de statistique, se réservant de disposer du reste. Quand Picquart en informa Boisdeffre, le général se fâcha, dit (ce qui était exact) que la somme tout entière devait revenir au service[154]. Picquart le pria d’intervenir auprès du ministre. « Vous le voyez tous les jours[155], reprit Boisdeffre, c’est votre affaire. »

Selon Lauth, Picquart serait rentré au bureau, « fort dépité de l’accueil froid du chef d’État-Major » et, monologuant, se serait écrié de façon à être entendu des officiers : « C’est trop fort ! Ils ne veulent pas marcher ! Eh bien ! je leur forcerai la main[156] ! » Ce qui s’entendait, selon Lauth et Junck, de la substitution d’Esterhazy à Dreyfus[157].

Pourquoi ces menaces à la cantonade[158] ? D’ailleurs, Picquart, très satisfait de l’accueil de Boisdeffre, qui le retint assez tard, ne retourna pas, ce soir-là, au bureau[159], et Lauth n’y était pas, puisqu’il venait de prendre le train pour Baie avec Henry.

Boisdeffre étant reparti le lendemain[160], Picquart mit le ministre au courant de ses recherches. Billot avait beaucoup de goût pour le chef du service des Renseignements, le tenait pour très intelligent et perspicace[161]. Comme Boisdeffre, il approuva la façon dont Picquart avait conduit son enquête, lui recommanda de la poursuivre, mais avec prudence[162]. Pourtant, il ne l’autorisa pas encore à demander au colonel Abria de l’écriture d’Esterhazy[163] ; Desvernine n’avait pu fournir encore qu’un échantillon insuffisant[164].

Henry paraît avoir continué à informer Esterhazy de tout ce qui se passait au bureau ; à peine revenu de Bâle, il lui conta l’entrevue avec Cuers, l’échec de cette dangereuse manœuvre de Picquart. Esterhazy consigna le récit dans une sorte de mémento, y nota le nom de Cuers[165]. D’une mobilité étonnante d’esprit, il s’était rassuré après une première crise d’inquiétude, et il avait commencé déjà à tirer de nouveaux plans. Son régiment devait rentrer à Rouen à l’automne ; l’idée de quitter Paris lui était insupportable. Un autre, après la découverte du petit bleu, se fût tenu tranquille, dans l’ombre, eût essayé de se faire oublier. Esterhazy paya d’audace : il recommença ses démarches pour rentrer au ministère de la guerre.

Esterhazy s’adressa d’abord à Weil, selon son habitude, pour obtenir le concours de Saussier, « du grand patron ». Puis, mettant en pratique les préceptes du général du Guiny, et convaincu lui-même de la toute-puissance des influences parlementaires, il fit un pressant appel à ses amis des deux Chambres, républicains et royalistes, Adrien de Montebello[166], Jules Roche[167], le baron de Lareinty[168] et le marquis Perron de la Ferronnays[169].

Billot avait pour chef de son cabinet civil le fils de son ancien collègue Calmon, longtemps préfet de la Seine et sénateur. Le 29 juillet, Weil écrivit à Calmon de préparer le ministre aux démarches des parlementaires, qui allaient opérer vers la mi-août, et du gouverneur de Paris. Son « vieil ami Esterhazy » demande « à être attaché au ministère de la Guerre, soit à la section technique de l’Infanterie, soit au bureau des Renseignements, où il a déjà été, de 1877 à 1880, et où sa complète connaissance de l’allemand et de l’armée allemande lui permettraient de rendre de réels services ». Weil précise que le plaisir de rester à Paris est le moindre souci de ce vigoureux soldat ; toute sa pensée est « d’être proposé plus vite pour lieutenant-colonel, ce qui lui serait impossible s’il restait au 3e corps, primé par une foule de concurrents plus anciens que lui ».

Il n’y a pas, dans la comédie italienne, d’idée plus grandiose que le projet d’Esterhazy de rentrer, juste à ce moment, au service de statistique. Il connaît la maison et ses traditions ; il sait donc que Billot, s’il cède à tant de sollicitations, consultera Picquart ; celui-ci sortira aussitôt la carte-télégramme. On voudrait savoir la riposte qu’il tenait en réserve, d’une aussi belle impudence, sans doute, que ses visites, en uniforme, à l’ambassade d’Allemagne, au lendemain de la trouvaille du petit bleu.

Au bout de quinze jours, Esterhazy, impatient, s’irrita du retard apporté à réaliser ses vœux comme d’une nouvelle injustice du sort. Weil, alors en Autriche, lui écrivit qu’il avait fait de son mieux pour préparer les aîtres ; à Esterhazy, maintenant, de faire donner la grosse cavalerie : « Allez voir Giovaninelli et Torcy… Faites attaquer Billot par Guerrier ou par quelque autre étoile… Allez voir Thévenet (l’un des officiers d’ordonnance du ministre)[170]. »

Ces lettres furent interceptées à la poste[171]. Cette violation du secret des correspondances était dans les pratiques ordinaires du service des Renseignements ; Picquart suivit, sans scrupule, ces détestables errements de Sandherr.

Boisdeffre, sur ces entrefaites, rentra à Paris[172]. Gonse, Henry, partirent en congé[173]. Picquart eut plusieurs conférences avec Boisdeffre[174]. Le chef de l’État-Major le traitait en ami, l’invitait à dîner, l’emmenait dans ses promenades à cheval. Il ne chercha alors, à aucun moment, à couvrir Esterhazy, à plaider le doute. « Mais, répétait-il, je ne veux pas d’une nouvelle affaire Dreyfus. On le mettra en réforme, on l’enverra promener, il faut l’éliminer sans scandale. »

Picquart opinait pour l’ouverture d’une enquête judiciaire, mais n’y mettait pas d’amour-propre.

Le 19 août, Esterhazy écrivit à Jules Roche pour le presser d’agir. Il se plaignit, une fois de plus, des rigueurs du destin acharné contre lui : « Je n’ai jamais été heureux. » La commission de revision des grades l’a puni pour avoir eu « la sottise » de dire qu’il eût fallu continuer la guerre. Le « dur traitement » qu’elle lui infligea l’a retardé de plusieurs années. Cependant Gambetta intervint en sa faveur. Puis le sort redoubla d’injustice. En vain s’est-il distingué en Tunisie ; il n’a pu obtenir de faire campagne au Tonkin, à Madagascar. « Il fallait être pistonné, je ne l’étais pas. » Pourtant, il a les plus belles notes ; on peut s’adresser aux chefs qui l’ont vu à l’œuvre : Rebillard, Haquié, Logerot, Santelli. Tandis qu’il marque le pas, son beau-frère, « qui n’a jamais entendu le vent d’un coup de fusil, va être capitaine de vaisseau et officier de la Légion d’honneur ». Il subit, dans l’aristocratique famille de sa femme, « les plus douloureux, les plus humiliants » contre-coups de tant de passe-droits. Cependant il est issu d’une glorieuse famille de soldats. Pourquoi « les questions de sentiment, qui ont tant de poids dans les autres armées », — il pense toujours à l’armée allemande — « n’en ont-elles aucun dans la nôtre » ? Et il évoque les cinq officiers généraux que sa famille a donnés à la France : son oncle, son père, « qui inscrivit de la pointe du sabre sur l’étendard du 4e hussards le combat de Konghil, le seul fait d’armes, a dit le prince Frédéric-Charles, dont puisse s’enorgueillir la cavalerie française depuis les guerres de l’Empire », et trois Esterhazy restés sur les champs de bataille, hier encore, son petit-cousin Valentin, lieutenant aux tirailleurs tonkinois, tombé au combat de Deng-Tuen[175]. « Et il n’y aura plus que moi du nom dans l’armée française ! »

Il est sauvé si Billot le fait entrer au ministère de la Guerre : « Sinon, je suis radicalement perdu[176]. »

Ce pathétique discours émeut Jules Roche ; il écrit à Billot, lui recommande « très particulièrement cet officier du plus rare mérite, un véritable homme de guerre, un soldat comme il n’y en a pas beaucoup. Je voudrais seulement que vous le vissiez pendant dix minutes. » Ce vice-président de la commission de l’armée a subi le charme de l’étonnant comédien ; en l’appuyant pour le faire entrer dans les bureaux, « il est convaincu qu’il fait une bonne action militaire ». En même temps, il écrit à Esterhazy que, dès son retour à Paris, il fera une démarche personnelle auprès du ministre[177]. Le général Giovaninelli, Montebello, le baron de Lareinty, le marquis de Maison, ont non moins vivement sollicité Billot[178]. Le 25 août, Esterhazy remercie chaudement Jules Roche, l’assure de « sa très vraie reconnaissance[179] ».

Le même jour, sur le conseil de Weil, il écrit à Robert Calmon et au commandant Thévenet. Il craint d’importuner Thévenet en allant le voir ; mais il lui adressera en communication quelques lettres de généraux « qu’il le prie instamment d’avoir le courage de lire ». Il remercie Calmon de l’avoir recommandé : « Le résultat de cette démarche a pour moi une importance capitale, car il décidera de ce que sera le reste de ma vie. »

Ces deux lettres, en effet, en décidèrent.

XXI

Un jour que Picquart allait au cabinet du ministre, Calmon lui parla de l’insistance de Weil au sujet d’Esterhazy[180]. Picquart prévint aussitôt Billot et Boisdeffre[181]. Celui-ci s’amusa de ce trait d’impudence : « Ah ! ça, dit-il, c’est plus fort que de jouer au bouchon ! » Billot dit qu’il était déjà informé : « Weil remue ciel et terre pour faire entrer Esterhazy au service des Renseignements, dans un bureau quelconque ; généraux et parlementaires multiplient les démarches[182]. » Picquart parla durement de Weil[183]. Billot donna l’ordre à Calmon de remettre à Picquart tout ce qu’il recevrait désormais de Weil et d’Esterhazy[184]. Toutefois, il ne dit rien à son secrétaire de ses soupçons ni de l’enquête en cours.

Calmon, en conséquence, remit à Picquart les deux lettres d’Esterhazy du 25 août[185], celle adressée à Thévenet[186] et celle qu’il avait reçue lui-même. Thévenet, partant en congé, l’avait prié de répondre au commandant qu’il eût à faire une demande régulière par la voie hiérarchique[187].

Picquart laissa paraître sa satisfaction d’avoir enfin ce spécimen tant cherché[188].

Puis, dès qu’il eut jeté un regard sur ces lettres, il fut frappé de l’analogie entre l’écriture d’Esterhazy et une autre écriture qui lui était bien connue, celle du bordereau[189]. Il a, dans son bureau, des fac-similés du bordereau. Il compare avec l’écriture d’Esterhazy. Ce n’est plus la similitude, c’est l’identité[190].

Une épouvante le prit[191]. Nul, depuis deux ans, n’a été plus certain que lui de la culpabilité du Juif. D’un œil sec, il l’a vu condamner, dégrader, déporter ; les lettres de l’innocent, il les a lues comme celles d’un comédien. Quoi ! une pareille erreur aurait été commise ! Depuis sa conversation avec Foucault, l’idée lui en était parfois venue ; mais il l’avait repoussée.

Toujours méthodique et prudent, il ne voulut pas s’en fier à ses yeux. Il fit photographier les deux lettres par Lauth, mais après en avoir supprimé, sous des « caches », la signature, les dates, et quelques mots trop révélateurs[192]. Du Paty et Bertillon ont été les grands graphologues du procès de 1894 ; tous deux, violemment, ont conclu contre Dreyfus. C’est à eux, non à Gobert ou à Pelletier, que Picquart montrera les épreuves tirées par Lauth.

Du Paty regarda pendant cinq minutes et prononça : « C’est de Mathieu Dreyfus[193]. » Il soutenait, comme Bertillon, que l’écriture du bordereau était un mélange de celle des deux frères.

Dès que Bertillon eût jeté les yeux sur le fac-similé : « Ah ! s’écria-t-il aussitôt, c’est l’écriture du bordereau ! » Picquart lui dit que la lettre était d’une écriture récente. Bertillon, sans s’étonner, répliqua : « Alors, c’est que les Juifs ont exercé quelqu’un depuis un an pour imiter l’écriture ; ils sont arrivés à l’identité[194]. » Picquart objecta qu’il pourrait lui nommer l’auteur de la lettre : « Vous me diriez que c’est le Président de la République, je maintiendrais mon opinion[195]. »

Bertillon avait dans la tête l’hypothèse d’un homme de paille qui, payé par les Dreyfus, faussaire contre lui-même, se dénoncerait comme l’auteur du bordereau.

Picquart ne discuta pas avec le fou, refusa de lui montrer l’original, « sans quoi, il aurait trahi Esterhazy[196] », mais lui laissa un fac-similé. L’anthropométreur le lui rapporta plus tard, non sans l’avoir photographié en secret[197].

Les deux expériences étaient également décisives contre Esterhazy ; l’écriture du bordereau, c’était la sienne.

XXII

Picquart, depuis quelques jours, avait la sensation de la chute. Il se raccrocha à l’idée qu’Esterhazy et Dreyfus seraient complices[198]. Cela arrangerait tout.

Il étudia, à nouveau, le texte du bordereau. La fameuse phrase : « Je vais partir en manœuvres », inapplicable à Dreyfus, s’entend très bien d’Esterhazy. Il est allé, en effet, aux manœuvres de cadres, en mai 1894, et Picquart, sur la parole de Gonse et d’Henry, croit que le bordereau date d’avril[199]. Major en 1894, Esterhazy avait des secrétaires ; il aura fait copier par l’un d’eux le manuel de tir ; Curé l’a signalé comme faisant toujours copier toutes sortes de pièces par des soldats. Les autres renseignements ou notes du bordereau n’ont pas forcément été fournis par un officier d’État-Major. Quelle part reste à Dreyfus dans le crime commun ?

Picquart la voyait fondre sous ses yeux, disparaître.

La recommandation de Sandherr, pour le cas où il s’élèverait des doutes sur le crime de Dreyfus, lui revint à l’esprit ; il appela l’archiviste : « Gribelin, dit-il, donnez-moi le petit dossier, celui qui a été communiqué aux juges de Dreyfus et qui est dans l’armoire du commandant Henry[200]. »

Gribelin ne fit aucune objection, ouvrit l’armoire de fer, remit le petit dossier à Picquart[201].

C’était le soir[202], à la nuit tombante, les lampes allumées sur la table. Picquart, resté seul au bureau, n’ouvrit pas sans émotion l’enveloppe non scellée, en papier bulle, avec, au dos, le large paraphe d’Henry au crayon bleu. Il voulait être fixé sans plus de retard afin de pouvoir rendre compte, dès le lendemain, à Boisdeffre[203].

Il s’attendait encore à trouver « des choses graves »[204], ces preuves écrasantes dont Gonse, Du Paty, Sandherr, Henry, lui ont tant parlé[205], dont la découverte, bruyamment annoncée, a satisfait trop facilement, endormi sa propre conscience. Preuves contre qui ? Contre Dreyfus et contre Esterhazy à la fois[206].

À sa stupeur, il découvrit le néant.

Lentement, tendant toutes les fibres de son cerveau, maître de sa raison critique, malgré l’envahissement lent d’une douleur nouvelle, inconnue, il lut, relut, l’une après l’autre, les pièces du dossier[207].

Aucune ne peut, sans absurdité, de bonne foi, s’appliquer à Dreyfus. Le mémento de Schwarzkoppen, sur l’officier suspect, semble nommer Esterhazy[208]. « Ce canaille de D… » ne saurait être un officier, ni Esterhazy ni Dreyfus[209]. La lettre banale, où il est question de Davignon, ne prouve rien[210]. Il reconnut l’écriture de Guénée[211] dans l’imbécile rapport sur le voyage de l’attaché espagnol en Suisse, voyage qui aurait été dénoncé à l’attaché allemand par un officier.[phrase supprimée, voir discussion.]

Ne sachant rien de la notice biographique de Dreyfus qu’Henry avait confectionnée avec Mercier, Boisdeffre et Sandherr[212], il pensa que c’était le commentaire de Du Paty qui avait été communiqué aux juges. Il fut pris d’un immense dégoût : Quoi ! chez un officier, et chargé d’une telle mission, tant de déloyauté ! une telle fraude ! une telle sottise[213] !

Depuis longtemps, il l’avait en méfiance, connaissait les vilaines histoires où ce faux aristocrate avait été mêlé. Il oublia Sandherr, Henry, Gonse, Mercier ; le crime, pour lui, s’incarna tout entier en Du Paty.

Jamais plus il ne lui donnera la main[214].

Il resta longtemps, perdu dans ses pensées[215], devant ces papiers horribles et niais.

Il n’était point dévot, pas même croyant. D’autant plus sévèrement, il procéda à son examen de conscience.

Qu’eût-il décidé, s’il avait eu un confesseur ?

Il vit Dreyfus innocent de toute faute, irréprochable, torturé, supplicié, depuis dix-huit mois, dans son corps, dans son âme, un homme comme lui, un officier comme lui, un alsacien comme lui.

Et, surtout, il vit sa faute, à lui, qui, devant l’effondrement de l’accusation contradictoire, avait mis son espoir dans ces pièces, celles qui étaient là devant lui, qu’il avait portées lui-même, croyait-il, aux juges.

Il réfléchit presque toute la nuit. La certitude qui s’est faite en lui qu’une affreuse erreur judiciaire a été commise, que l’armée se doit à elle-même de la réparer, de châtier le coupable, de rendre son honneur à l’innocent, dès demain, il dira tout à Boisdeffre.

Cela, très simplement, comme il faisait toutes choses, sans phrases.

Il ne se crut pas un héros ; il se savait un honnête homme. Penser, agir autrement serait d’un infâme, d’un drôle indigne de porter l’uniforme.

XXIII

Le lendemain, 1er  septembre, Picquart rédigea une note de quelques pages où il résuma les charges contre Esterhazy : la carte-télégramme ; la déclaration de Cuers à Foucault ; les allures suspectes de l’officier dans son régiment (tout ce qu’il savait par Curé) ; le bordereau, d’une similitude d’écriture qui frapperait l’œil le moins exercé, d’un contexte qui ne laisse pas un doute ; les tares, le désordre de l’homme qui, père de famille, entretient une fille, berne ses créanciers, tripote avec des escrocs.

La note conclut à une enquête approfondie. Il est nécessaire, avant tout, de demander des explications à Esterhazy sur ses relations avec l’ambassade d’Allemagne. Il serait intéressant d’interroger ses secrétaires. « Il est indispensable d’agir inopinément, avec fermeté et prudence, car le commandant est signalé comme un homme d’une rouerie sans égale[216]. »

Muni de cette note, du petit bleu, d’un fac-similé du bordereau, des pièces de comparaison, des rapports de Desvernine et du dossier secret, Picquart se rendit chez Boisdeffre, lui exposa sa découverte, ses arguments[217],

Quand Picquart en arriva au dossier secret, Boisdeffre, jusqu’alors impénétrable, passé maître, à bonne école, dans l’art des savantes dissimulations, ne put retenir ce cri : « Pourquoi n’a-t-il pas été brûlé, comme il avait été convenu[218] ? »

Picquart, de cette question, reçut un choc. Il apprenait, pour la première fois, cet ordre étrange. Il raconta sa conversation avec Sandherr.

C’est ainsi que Boisdeffre connut la désobéissance de Sandherr, la menaçante précaution d’Henry.

Boisdeffre ne fit aucune autre réflexion[219]. Il ne protesta pas, comme il l’eût fait s’il avait eu la conscience en repos, que le crime de Dreyfus était certain, établi par cent preuves, et qu’il était insensé de le mettre en doute. Mais il continua à écouter Picquart avec le même air d’impassible gravité, planant très haut, ne donnant aucune raison contre les siennes[220], même quand l’officier expliqua qu’aucune des pièces secrètes ne pouvait soutenir cinq minutes de discussion contradictoire[221].

Toutefois, il ne lui laissa pas achever sa démonstration et, sortant tout à coup de son silence, il lui ordonna d’aller rendre compte à Gonse, à la campagne, et de prendre son avis[222]. (Ainsi, tant qu’Esterhazy avait été seul en cause, Boisdeffre avait oublié qu’il importait de suivre la voie hiérarchique[223], que « le service des Renseignements est dans les attributions du sous-chef de l’État-Major, et que le plus sûr des guides[224] », c’est Gonse.)

Picquart s’étonna un peu, mais, docile, écrivit à Gonse, lui annonçant sa visite pour le surlendemain. Ce délai donnait à Boisdeffre le temps de réfléchir, de consulter son directeur, à leur conférence quotidienne[225], sur les moyens les plus propres à parer au danger.

Le lendemain, Picquart retourna chez Boisdeffre : « Croyez-vous, demanda le général, que j’aie dormi après ce que vous m’avez montré hier ? » Et, encore une fois, il n’osa pas entamer de discussion. Les paroles décisives : « Vous faites fausse route, Dreyfus est certainement coupable ! » lui restèrent dans le gosier.

Le 3 septembre, quand Picquart arriva chez Gonse, à Cormeilles-en-Parisis, il eut l’impression que le sous-chef savait déjà. Boisdeffre, en effet, lui avait écrit, la veille, prescrivant la réponse à faire[226]. Picquart exposa à Gonse sa découverte pendant deux longues heures[227]. Gonse, comme Boisdeffre, l’écouta sans une seule observation[228]. Il n’allégua aucune autre preuve contre Dreyfus, ne souffla mot des prétendus aveux[229]. Quand il eut pris connaissance de toutes les pièces, y comprises celles du dossier secret, Gonse, grimaçant[230], dit seulement : « Alors, on se serait trompé[231] ? »

Il n’ajouta, ce jour-là, aucun autre commentaire[232]. Quand Picquart, comme il y avait été invité par Boisdeffre, lui demanda son avis, « Séparer les deux affaires, dit Gonse, l’affaire Dreyfus, l’affaire Esterhazy[233]. »

La réponse parut à Picquart dénuée de sens : le bordereau, étant commun aux deux affaires, ne peut être à la fois de Dreyfus et d’Esterhazy[234]. Il ne comprit que plus tard la perfidie de la formule. L’essentiel pour Boisdeffre, à cette heure précise, est de gagner du temps. Il est trop tôt encore pour briser Picquart. En attendant, on le détachera doucement de l’affaire Dreyfus, la seule qui inquiète les associés de Mercier, et, le payant d’un silence prometteur et de quelques bonnes paroles, on l’occupera à une feinte poursuite d’Esterhazy[235]. Ainsi Gonse cacha sous un masque de sottise, Boisdeffre sous un masque de hautaine sérénité, un même calcul profond comme il y en a beaucoup dans la politique des Jésuites.

Picquart transmit à Boisdeffre la réponse de Gonse, l’avis que Boisdeffre avait dicté à Gonse. De la part de Gonse, cette consigne imbécile (en apparence) ne l’avait pas étonné. Il avait essayé en vain de lui faire admettre quelques objections élémentaires[236]. Mais il croyait, tout comme Dreyfus, en Boisdeffre. Il s’attendait à le voir hausser les épaules. Boisdeffre avait paru guetter son retour[237]. « Alors, séparez !… » lui dit-il simplement.

Picquart voulut savoir s’il devait exposer le cas au ministre, Boisdeffre lui dit d’attendre.

C’est l’évidence pour Picquart que ni Boisdeffre ni Gonse ne voient leur devoir comme il a vu lui-même le sien. Il se rend compte qu’il a sensiblement enfreint l’antique consigne de toutes les lâchetés : « Ne faites pas d’affaires ! » Cependant, grâce à sa prudence, aucune indiscrétion n’a été commise, rien n’a transpiré au dehors. Un grand événement vient de se produire, mais ils en sont les maîtres. Picquart attribue les premières résistances de ses chefs à l’ennui d’avoir à prendre une grave décision, à la peur de l’aveu public d’une erreur. Il ne s’en inquiète pas encore. Il ramènera bientôt ces consciences qui se dérobent devant l’honneur, comme un cheval craintif devant l’obstacle. Loin des orages qui, naguère, déchaînés par une coupable révélation, ont affolé les esprits, dans l’air rasséréné, la réflexion, le sentiment du droit, la pitié, l’emporteront sur le faux respect humain. Picquart tient pour certain que les chefs ne laisseront pas sciemment un traître dans l’armée, un innocent au bagne.

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  1. C’est Drumont lui-même qui a révélé l’incident (Libre Parole, du 3 décembre 1902) quelques jours après la publication de ce volume et sans comprendre, peut-être, toute la portée de son récit. Drumont dit qu’il ne peut se rappeler la date exacte de cette visite d’Esterhazy en 1896, « mais c’était certainement avant la publication des brochures de Bernard Lazare, alors que l’affaire Dreyfus était déjà, sinon oubliée, du moins entrée dans le définitif ».
  2. Cass., I, 149 ; Instr. Tavernier, 12 nov. 1898, Picquart. — Cass., I, 730 ; Rennes, II, 253, Desvernine. — Instr. Ravary, 15 déc. 1897, Esterhazy : « Je suis allé à l’ambassade d’Allemagne, en uniforme, à trois reprises différentes dans une même semaine… J’ai eu des relations très ouvertes avec M. de Schwarzkoppen avec lequel j’ai échangé, sans me cacher le moins du monde, très peu de visites, deux ou trois, pas plus. » (Cass., II, 118.) — Selon Desvernine, Esterhazy était en « habits civils ». (Cass., I, 732.)
  3. Aff. Picquart., 270, Picquart : « On soupçonna des indiscrétions dans le milieu d’où provenaient les cornets. »
  4. Il ne le fit pas venir au ministère, mais lui donnait rendez-vous dans Paris, tantôt au Louvre, tantôt à la gare Saint-Lazare. (Cass., I, 730, Desvernine.) — C’était Gribelin qui, le plus souvent, lui écrivait. (Cass., I, 432, Gribelin.)
  5. Cass., I, 729 ; Rennes, II, 252, Desvernine.
  6. Cass., I, 730, Desvernine.
  7. Le rapport du 17 avril 1896 signale « que des garçons de recette présentaient assez fréquemment des effets qui restaient impayés ». Des notes ultérieures, mentionnent de fréquentes citations en justice de paix et devant le tribunal civil pour le payement de petites créances.
  8. Rapport du 22 avril.
  9. Rennes, II, 251, Desvernine, Rapport de novembre 1896.
  10. Ibid., Rapport du 4 juin.
  11. Cass., I, 730, Desvernine : « Il recevait des lettres portant notamment le timbre de Bâle, de La Haye et de Spa. »
  12. Cass., I, 730 ; Rennes, II, 251, Desvernine, Rapports des 22 avril, 5, 22 et 28 mai, 24 juin, 16 et 28 juillet 1896, etc.
  13. Rapport du 4 juin. — Cass., II, 89, Picquart.
  14. Cass., I, 149 ; Instr. Tavernier, 12 nov. 1898, Picquart.
  15. Cass., I, 730, 731, 732 ; Rennes, II, 253, Desvernine.
  16. Cass., I, 731, Desvernine. — L’architecte s’appelait Henry.
  17. Picquart avait décidé précédemment de ne plus faire photographier de pièces secrètes par les civils. (Cass., I, 158.)
  18. Procès Zola, I, 283, Lauth ; 297, Picquart ; etc. — « Au bout de quinze jours », selon Lauth (Instr. Fabre, I, 29). Donc, vers le 15 avril 1896. — De même, Junck (Cass., I, 429) et Picquart (Cass., I, 158).
  19. Procès Zola, I, 297, Picquart.
  20. Ibid., I, 283, Lauth ; I, 297, Picquart ; etc.
  21. Enq. Pellieux, 26 nov. 1897 ; Procès Zola, I, 297 ; Instr. Fabre, 126, Picquart. Henry, entre autres menteries, avait raconté à Picquart que la femme Bastian avait été soupçonnée à l’ambassade d’Allemagne, à l’époque du procès Dreyfus, qu’elle avait été fouillée, qu’elle ne s’était tirée d’affaire que par un ingénieux artifice. Mais toute cette histoire est inventée ; la femme Bastian ne fut jamais l’objet d’aucun soupçon.
  22. Procès Zola, I, 283, Lauth.
  23. Enq. Pellieux, 28 nov. 1897, Lauth ; Instr. Fabre, 127, Picquart ; Instr. Tavernier, 11 oct. 1898 ; Cass., II, 427 ; Rennes, I, 646, Junck. — « On acheta un pupitre à retoucher. » (Cass., I, 113, Roget.) — « Ce pupitre, répond Picquart, a été acheté sur la demande expresse de Lauth. » (Aff. Picquart, 241.)
  24. Enq. Pellieux, 28 nov, ; Instr. Ravary, 13 déc. 1897 ; Procès Zola, I, 283, 332 ; Instr. Fabre, 29 ; Instr. Tavernier, 12 et 13 oct. 1898, Lauth. — Instr. Tavernier, 5 oct. 1898, Picquart : « Étant donné l’état d’esprit dans lequel j’étais et sur lequel j’ai insisté précédemment plusieurs fois, il est possible que j’aie dit une phrase se rapprochant de celle-là ; mais, je le répète, je n’ai aucune souvenance de la chose. » Au procès Zola (I, 332, 344), Picquart dépose qu’il ne s’est pas servi des termes qui lui sont attribués : il précise sa pensée par cette question à Lauth : « Et les officiers d’ordonnance du ministre qui voient les dossiers ? — Lauth : C’est l’affaire du ministre. — Picquart : J’avais le droit de prendre toutes précautions pour éviter certaines indiscrétions. »
  25. Procès Zola, I, 283, Lauth : « Là-haut désignait ses chefs, c’est-à-dire le sous-chef ou le chef d’État-Major. »
  26. Paul Marie, Le Petit Bleu, 64.
  27. Cela a été prétendu par Junck (Cass., I, 428), et par Roget (Instr. Tavernier, 4 nov.), qui eut Junck sous ses ordres directs, au cabinet de Cavaignac ; mais ni l’un ni l’autre n’expliquent comment Picquart eût pu s’y prendre pour substituer une photographie (grise ou noire) à un petit bleu. — En fait, Picquart communiqua l’original à Boisdeffre et à Gonse. — Le mémoire de Picquart porte l’indication suivante, au paragraphe où il est question du petit bleu : « Voir les pièces n° 1 (original) et a (photographie). »
  28. Procès Zola, I, 297, Picquart.
  29. Ibid., 355 : « M« Clemenceau : Le chef de l’État-Major n’aurait-il pas réclamé l’original ? — Lauth : C’est probable. »
  30. Aff. Picquart, 275, Picquart : « Henry poussait à la roue dans les conciliabules qu’il avait journellement avec Lauth, Gribelin et Junck au sujet du petit bleu qui le gênait fort, à cause d’Esterhazy. »
  31. Enq. Pellieux, 28 nov., Lauth : « Il faisait les enquêtes avec deux agents, que lui seul voyait, dont il recevait les rapports, qui, je crois, n’étaient même pas communiqués à Henry, dans les attributions duquel ces enquêtes rentraient. »
  32. Instr. Tavernier, 18 oct. 1898, Gribelin. — Je copie textuellement les propos tels que les rapporte Gribelin. — À la Cour de cassation (I, 432), Gribelin fait le même récit, avec cette variante : « Henry rappelait qu’il avait dit à Picquart : « Votre petit bleu n’a pas de valeur ! il n’a pas… etc. » À Rennes (I, 594), il revient à sa version de l’instruction Tavernier.
  33. C’est ce que Lauth reconnaîtra par la suite. (Enq. Pellieux, 28 nov. 1897 ; Instr. Tavernier, 3 oct. 1898.)
  34. Instr. Fabre, 126, Gribelin.
  35. Aff. Picquart, 274, Picquart. — À l’enquête Pellieux, Gribelin dépose que Picquart s’enquit auprès de lui des moyens de faire antitimbrer une lettre par la poste : « La chose en est restée là, je n’en entendis plus parler. Je n’ai pas eu l’idée que cela pouvait s’appliquer à la carte-télégramme. » (1er  déc. 1897 ; Instr. Ravary, 15 doc. ; Procès Zola, I, 298.) Picquart dit qu’il a souvent causé avec Gribelin de la manière de faire envoyer des lettres à des espions ; « il est possible que ce soit un de ces souvenirs qui lui soit resté dans l’esprit ». (Procès Zola, I, 330 ; Instr. Fabre, 126.)
  36. Procès Zola, I, 344, Picquart : « Ces messieurs peuvent-ils dire qu’ils ont vu une seule lettre sur laquelle j’aie fait apposer un cachet ? » Lauth, Henry, Gribelin se taisent.
  37. Instr. Tavernier, 5 oct. 1898, Picquart. — Selon Picquart, cette conversation est distincte de celle où il expliqua à Lauth pour quelles raisons il tenait à avoir des épreuves retouchées du petit bleu, sans trace de déchirures. Lauth, au contraire (Enq. Pellieux ; Procès Zola, I, 283 ; etc.), amalgame ces divers entretiens en un seul. Il aurait dit à Picquart : « Mais, enfin, mon colonel, pourquoi tenez-vous tant à faire disparaître ces traces ? — C’est pour pouvoir dire là-haut que je l’ai intercepté à la poste. — Mais cette pièce n’a pas de cachet ! — Croyez-vous qu’on n’en mettrait pas à la poste ? — Oh ! non, ils ne sont pas complaisants. Et puis, en supposant cette lettre interceptée à la poste, toute authenticité disparaîtrait, puisqu’elle n’est pas signée et qu’on ne saurait pas d’où elle vient. — Mais vous seriez là pour certifier que c’est l’écriture de Schwarzkoppen ? — Moi, jamais de la vie ! etc. »
  38. Lauth, à l’enquête Pellieux, prête son propos à Picquart : « Croyez-vous qu’à la poste ils ne consentiraient pas à mettre un cachet ? » (28 nov. 1897.) Puis, à l’instruction Ravary, il prend à son compte la réflexion que le « petit bleu n’a aucun signe d’authenticité ; il faudrait… etc. » (13 déc. 1897.) Picquart rappelle cette déposition de Lauth au procès Zola (I, 298). Lauth en convient : « Il ne me l’a pas proposé ; cette phrase a été dite incidemment, « (I, 283, 331.) Il dépose ensuite dans le même sens aux instructions Fabre et Tavernier et à la Cour de cassation (I, 416), mais avec cette addition que Picquart lui aurait demandé, « de façon incidente, si la chose était faisable ». Enfin à Rennes : « Il ne m’a pas proposé que je fasse mettre un cachet. » (I, 619.)Junck dit également (Instr. Ravary, 16 déc. 1897) que c’est Lauth qui, le premier, parla du timbre de la poste ; il ne change de version qu’à l’instruction Tavernier (11 oct. 1898.)
  39. Procès Zola, I, 355, Albert Clemenceau.
  40. Ibid., 298 ; Instr. Tavernier, 5 oct. 1898, Picquart.
  41. Procès Zola, I, 153, 284, Lauth ; I, 298, 325, Picquart ; etc.
  42. Instr. Tavernier, Rapport des experts : « Nous ne voyons pas de raisons sérieuses d’attribuer à une même main le petit bleu et la pièce n° 5. » — Picquart observe (Cass., I, 145) « qu’on a pris, comme pièce de comparaison, une pièce déchirée et reconstituée datant d’octobre 1897, c’est-à-dire d’une époque à laquelle l’affaire a donné lieu à un certain nombre de faux ». De même, à Rennes : « Pourquoi avoir pris cette pièce du 18 octobre 1897, quand on avait tant d’autres écrits de Schwarzkoppen ? » Picquart croit que cette pièce de comparaison a été « préparée » : « Quoi ! on prend une pièce qui est arrivée en pleine période des faux ! » (I, 467.) — Mais l’hypothèse de Picquart est contredite par le récit fait par Schwarzkoppen à Schneider. (Voir p. 244, et Rennes, III, 54, E. Picot III, 476, Paléologue.)
  43. Instr. Tavernier, 5 oct. 1898, Picquart : « Lauth, qui est très vif dans la contradiction. »
  44. Procès Zola, I, 298, Picquart : « Cet officier n’a attaché au moment aucun caractère douteux à cette question ; la preuve, c’est que nous sommes restés dans les meilleurs termes. » Lauth en convient (154). Précédemment, Lauth a déclaré : « Je n’ai pas pris la question, à ce moment-là, tout à fait comme une proposition en vue de me faire faire un faux. » (153.)
  45. Procès Zola, I, 154 ; Instr. Fabre, 29, Lauth : « L’incident fut clos. »
  46. Instr. Tavernier, 5 oct. 1898, Picquart. — Au procès Zola, Lauth reproche à Picquart de n’avoir pas demandé ces documents de comparaison (I, 331), c’est-à-dire d’avoir ajouté foi à sa propre parole, si nette, à sa catégorique négation.
  47. Instr. Tavernier, 14 oct. 1898, Picquart. — Junck, à l’instruction Tavernier (11 oct.), prétend que la discussion se renouvela, peu de jours après, en sa présence. Lauth ne dément pas, mais dépose que « l’insistance du colonel sur tout ce qui concernait les photographies et ce qui en découlait lui semblait suffisamment étrange pour qu’il fût porté à ne pas avoir grand intérêt de s’en occuper » (12 octobre).
  48. Ainsi Sandherr ne déposa pas au procès de Dreyfus ; ce fut Henry. Dans l’affaire Esterhazy, c’eût été Lauth. (Instr. Fabre, 127, Henry.)
  49. Instr. Tavernier, Picquart.
  50. C’est la version de Junck à l’instruction Ravary (16 déc. 1897) ; plus tard, à l’instruction Fabre, il remplace origine par provenance ; enfin, devant la Cour de cassation (I, 429), sous l’influence de Roget et de Lauth, à l’instruction Tavernier et à Rennes (I, 646), il remplace provenance par écriture. Valdant (Instr. Fabre, 24 ; Cass., I, 438 ; Rennes, II, 112) dit, aussi, écriture ; et c’est, nécessairement, la version de Lauth. (Cass., I, 416 ; Rennes, I, 613 ; etc.) « Version absurde, observe Picquart, puisqu’une question aussi grave qu’une attribution d’écriture ne peut être établie en justice par la simple assertion d’un officier, mais par des experts ; au contraire, l’officier du bureau des Renseignements, appelé à témoigner, est tout naturellement désigné pour certifier l’origine du document. » (Cass., I, 159.)
  51. Instr. Fabre, 24, Valdant : « Je ne me suis pas occupé d’approfondir la question. » — Junck, devant Ravary, a confirmé, comme on a vu, la version de Picquart ; plus tard, il prétendra, et contrairement à Lauth lui-même, avoir assisté à l’entretien. (Ibid., 25 ; Cass., I, 427.)
  52. Cass., II, 158 : « Avez-vous pris cette réponse en mauvaise part ? — Junck : Je ne l’avais pas trouvée mal, »
  53. Enq. Pellieux, 28 nov. ; Instr. Ravary, 10 déc. ; etc.
  54. Cass., I, 172, Picquart ; II, 158, Lauth.
  55. Mai-Juin. — Instr. Tavernier, 5 nov., Lauth.
  56. Aff. Picquart, 235, 270, Picquart.
  57. Ibid.
  58. Enq. Pellieux, 28 nov., Lauth.
  59. Rennes, I, 611, Lauth.
  60. C’est ce que soutient Esterhazy. (Dép. à Londres, Éd. de Paris, 25).
  61. Cass., I, 415, Lauth ; I, 432, Gribelin.
  62. Gribelin la place en juin. (Cass., I, 432.)
  63. Cass., I, 150, Picquart. — Une affaire assez confuse d’espionnage éclata, à cette époque, à Belfort ; Picquart ne s’en occupa que d’une façon intermittente. Un espion italien, du nom de Caïnelli, qui travaillait aux forts, avait été arrêté sur la dénonciation d’un agent du service des Renseignements, Galanti. L’instruction marchait mal, faute de preuves. Le juge voulut entendre Galanti, que l’Italien accusait d’être un provocateur. Picquart s’y opposa, car Galanti, par cela seul qu’il eût paru comme témoin, eût été « brûlé » en Alsace où il travaillait pour le compte du service. Il donna, en conséquence, à Galanti l’ordre de « filer immédiatement », mais fit porter à Belfort, par Henry, des rapports probants de cet agent. Les pièces furent déposées au parquet ; le tribunal condamna Caïnelli à trois ans de prison. Henry raconta, par la suite, que les pièces avaient été communiquées secrètement aux juges, à l’insu de la défense. (Rennes, I, 313, Roget ; 397, Picquart). — Roget accuse Galanti d’avoir joué le rôle d’un agent provocateur et « semble croire à l’innocence de Caïnelli. — Cette histoire fut racontée à Drumont qui la révéla, à sa manière, dans la Libre Parole du 19 janvier 1899.
  64. Rapports des 24 juin, 7 et 10 juillet.
  65. Aux Laumes, commune de la Côte-d’Or, canton de Venarey.
  66. Instr. Tavernier, 23 sept. 1898 ; Cass., I, 150, Picquart.
  67. Voir t. I, 23.
  68. Cass., I, 150 ; II, 87 ; etc., Picquart.
  69. Rapport au ministre sur l’affaire Lajoux, du 27 décembre 1895. (Rennes, II, 27.) Lajoux, de 1890 à 1895, avait touché 45.896 francs. Il prétendit, par la suite, qu’il avait été calomnié par Henry pour lui avoir rapporté, en 1895, une conversation avec Cuers au sujet de Dreyfus et d’Esterhazy. (Rennes, II, 16 ; lettres du 9 juin 1899 au ministre de la Guerre et du 11 juin au Président de la République.) Lajoux antidate cet entretien d’une année.
  70. Rennes, I. 423, Picquart.
  71. Cette visite de Cuers à Foucault eut lieu à la fin du mois de juin 1896. (Cass., II, 87, Picquart.)
  72. Cuers, dans une lettre du 15 juillet 1899, prétend avoir dit, « d’une façon solennelle », à Foucault : « Le capitaine Dreyfus est innocent comme le soleil ; jamais, au grand jamais, il n’a eu de relations avec n’importe quel attaché ou agent allemand. » La lettre est en allemand, mais cette phrase est en français.
  73. Lettre de Foucault au ministre de la Guerre, du 7 décembre 1898 : « Cuers me raconta que, bien qu’il disposât de beaucoup d’argent, le service des Renseignements allemand trouvait très difficilement des agents, mais que, cependant, il avait trouvé à Paris un officier supérieur français, ou soi-disant tel, qui était entré à leur service. » Etc.
  74. Cass., II, 87 ; Rennes, I, 423, Picquart.
  75. Rennes, I, 423, Picquart.
  76. « Le colonel Picquart ne parut pas vouloir me dire ce qu’il en pensait. » (Foucault au ministre.)
  77. Instr. Tavernier, 23 sept. 1898, Picquart.
  78. Cass., I, 731 ; Rennes, II, 252, Desvernine.
  79. Note du colonel Picquart pour le ministre seul, 26 novembre 1896. (Instr. Tavernier.)
  80. Cass., I, 152, Picquart.
  81. Rennes, I, 428, Picquart.
  82. Gonse, note du 3 février 1898. (Instr. Tavernier.)
  83. Cass., I, 151 ; Rennes, I, 424, Picquart ; Cass., I, 418 ; Rennes, I, 621, Lauth.
  84. Commissaire spécial.
  85. Inspecteur.
  86. Rennes, I, 424, Picquart. — Lauth prétend que c’est lui qui réclama Tomps et deux inspecteurs. (Rennes, I, 623.)
  87. Cass., I, 408, Curé.
  88. Cass., I, 732 ; Rennes, II, 252, Desvernine.
  89. Cass., I, 154, Picquart : « J’avais comme une intuition qu’il pouvait y avoir un lien entre l’affaire Esterhazy et l’affaire Dreyfus. »
  90. Enq. Pellieux, 28 nov., Lauth : « Nous en causions entre officiers. » De même, Instr. Fabre, 30 ; Cass., I, 422, Lauth ; Instr. Fabre, 49 ; Cass., I, 415, 430, Gribelin, etc.
  91. Cass., I, 418, Lauth : « Je craignais d’être roulé, »
  92. Cass., I, 151 ; Rennes, I, 424, Picquart.
  93. Rennes, I, 424, Picquart.
  94. Ibid. : « Cela ne fait rien, dit Lauth, je traduirai. »
  95. Rennes, I, 424, Picquart : « J’eus la faiblesse de consentir. »
  96. Instr. Tavernier, Picquart : « Lauth me prit par les sentiments. »
  97. Cass., I, 418 ; Rennes, I, 623, Lauth.
  98. Instr. Tavernier, 12 oct. 1898, Lauth.
  99. Rennes, I, 623, Lauth.
  100. Ibid., II, 507, 508, Cordier : « Cuers savait parfaitement le français ; il existe toute une correspondance de lui, au ministère de la Guerre, en très bon français et en français courant… Il avait été espion allemand à Paris ; pour cela, il faut connaître le français. La plupart des agents qu’il avait ne connaissaient pas un seul mot d’allemand. » De même, Picquart : « La correspondance de Cuers est rédigée dans un français à peu près irréprochable, et je ne puis pas admettre qu’une personne qui écrit aussi bien notre langue ne la parle pas quelque peu. » (Rennes, I, 424.)
  101. Rennes, I, 424, Picquart.
  102. Cass., I, 419 ; Instr. Tavernier, Lauth : « Cuers ne se servant pas facilement du français, qu’il comprend médiocrement, mais qu’il parle avec beaucoup de peine, je me trouvais obligé de discuter en allemand et de traduire questions et réponses pour qu’Henry fût au courant. »
  103. Instr. Fabre, 172, Lauth.
  104. Au Schweizerhof.
  105. Rennes, III, 362, Tomps.
  106. Cass., I, 768, Tomps ; Rennes, I, 623, Lauth.
  107. Rennes, III, 362, Tomps.
  108. Cass., I, 768, Tomps. — Lauth : « On lui avait envoyé un inspecteur qui savait parler un peu l’allemand. » (Rennes, I, 623.)
  109. Rennes, III, 362, Tomps. — Dans une autre occasion, Gribelin lui-même prit ce nom de Lescure. (Cass., I, 766, Tomps.)
  110. Récit de Cuers à Foucault. (Cass., I, 152 ; Rennes, I, 427, Picquart.)
  111. Rennes, I, 426, Picquart.
  112. Cass., I, 769, Tomps.
  113. Rennes, I, 625, Lauth.
  114. Ibid., III, 362, Tomps.
  115. Cass., I, 419 ; Rennes, I, 624, Lauth.
  116. Cass., I, 769 ; Rennes, III, 362, Tomps.
  117. Cass., 1, 769, Tomps.
  118. Cass., I, 769 ; Rennes, III, 362, Tomps.
  119. Rennes, III, 362, Tomps.
  120. À l’enquête Pellieux, 28 oct. 1897, Lauth dépose : « Il nous dit que c’était un officier supérieur (Stabsoffizier), peut-être major ; mais, en tout cas, sans aucune désignation d’armes. » Dans son rapport du 6 août 1896, Lauth écrit : « Au mois d’août 1893 ou 1894, un chef de bataillon… »
  121. Enq. Pellieux, 26 nov. 1897 ; Cass., I, 151, Picquart. — L’indication ne figure pas au rapport de Lauth.
  122. Cass., I, 151, Picquart.
  123. Rapport de Lauth, pièce n° 2, faisant suite à la note de Picquart sur Esterhazy. (Cass., II, 88.)
  124. Cass., I, 419, Lauth.
  125. « On a pas su ou on n’a pas voulu se rappeler l’année. » (Rapport.)
  126. Instr. Tavernier, 5 oct. 1898, Lauth.
  127. Enq. Pellieux, 28 nov. 1897, Henry ; Rennes, I, 624, Lauth.
  128. Enq. Pellieux, 28 nov. 1897, Henry. (Il nomme la commune.)
  129. Cass., I, 151 ; Instr. Tavernier, 28 sept. 1898, Picquart.
  130. Cass., I, 418, Lauth.
  131. Enq. Pellieux, Henry.
  132. Rennes, I, 626, Lauth.
  133. Cass., I, 419 ; Rennes, I, 625, Lauth : « Je lui ai offert des émoluments, des mensualités pour nous servir… Puis, je lui ai offert à titre gracieux une certaine somme, — je lui aurais donné deux ou trois billets de cent francs. »
  134. Rennes, I, 427, Picquart : « Ne lui a-t-on pas dit : « Ce que vous nous apportez est faux : si vous apportiez autre chose, cela vous serait payé ? » Je n’en sais rien, mais c’est possible. »
  135. Cass., I, 420 ; Rennes, I, 625, Lauth.
  136. Ibid. : « C’est un provocateur parce qu’il n’a rien accepté. » — De même Henry (Enq. Pellieux, 28 nov. 1897).
  137. Instr. Tavernier, 28 sept. 1898, Picquart.
  138. Rennes, I, 426, Picquart.
  139. Cass., I, 152 ; Rennes, I, 427, Picquart.
  140. Enq. Pellieux, Henry : « Je lui exprimai alors très durement mon étonnement et lui fis comprendre qu’il était envoyé par le grand État-Major allemand ; c’est, sans doute, ce que cet agent appelle avoir été bousculé. » — Cass., I, 420, Lauth : « Cuers s’est plaint à Foucault qu’on l’ait torturé pour l’empêcher de parler ; c’est absolument le contraire qui a eu lieu. » À Rennes : « Je me demande comment, en bousculant quelqu’un, on peut l’empêcher de parler. » (I, 625.) À l’instruction Tavernier : « C’est peut-être le souvenir des nombreuses libations qu’il a faites à Bâle qui agissait encore sur son cerveau. » (12 octobre 1898.)
  141. Lettre du 15 juillet 1899 à un rédacteur du Figaro.
  142. Rennes, I, 625, Lauth.
  143. C’est ce qu’il dit dans sa lettre du 15 juillet 1899 : « Oh qu’ai-je dû supporter lorsque le Figaro publia, au commencement d’avril, les débats de la Gourde cassation ! Je dus me justifier devant mes anciens chefs, leur dire pourquoi j’avais agi de ma propre initiative, sans mandat, sans y être autorisé. Ils m’ont généreusement pardonné dès qu’ils ont su le mobile qui m’avait dicté ma conduite, le désir de sauver un innocent… » Il faut ajouter : la crainte d’une vengeance plus redoutable que les dénonciations de Lajoux.
  144. De cette même lettre : « Mon nom ne doit plus être prononcé. Mais, si je savais que le capitaine Dreyfus ne pouvait être sauvé que par mon témoignage, rien ne m’arrêterait ; je sacrifierais tout : position, liberté, vie. »
  145. 5 août 1897. — Cass., I, 152 ; Rennes, I, 428, Picquart. — De même Boisdeffre (Cass., I, 261, 262 ; Rennes, I, 522, 524, etc.).
  146. Instr. Fabre, 59, Boisdeffre ; Instr. Tavernier, 22 oct. 1898, Pauffin : « Le général partit seul avec Picquart. »
  147. Cass., I, 262, Boisdeffre.
  148. Ibid., 152 ; Rennes, I, 428, Picquart. — De même, Boisdeffre (Cass., I, 263 ; Rennes, I, 523).
  149. Instr. Fabre, 45 ; Cass., I, 262, 263 ; Rennes, I, 523, Boisdeffre. — Instr. Fabre, 103, Picquart.
  150. Rennes, I, 428, Picquart.
  151. Ibid. — Le propos est nié par Boisdeffre : « Le général Gonse est pour moi un vieil ami de trente ans,… etc. » (I, 523.) Cependant Boisdeffre a vu Gonse, le 5 août, et il convient (Cass., I, 262 ; Rennes, I, 525) qu’il ne demanda à connaître l’avis « tout à fait précieux et sérieux » de Gonse que le 3 septembre.
  152. Rennes, I, 428, Picquart.
  153. Cass., I, 262 ; Rennes, I, 524, Boisdeffre.
  154. Cass., I, 165 ; Rennes, I, 565, Picquart. — Les faits ne sont pas contestés par Billot, qui dit, seulement, que le ministre juge des besoins du service et répartit les fonds secrets avec l’approbation du Président de la République. Billot convient que, sur l’allocation extraordinaire de 100.000 francs, il n’en a remis que 20.000 à Picquart. Mais « il y avait d’autres affaires » et, d’ailleurs, il a remis 40.000 francs à son successeur (Rennes, I, 567).
  155. C’est ce que dit également Gonse (Instr. Tavernier, 1er  octobre 1898). — Instr. Ravary, 9 déc ; Cass., I, 165, Picquart : « Presque tous les jours. » — Cass., I, 550, Billot : « Picquart dans les courts instants où je le voyais. »
  156. Enq. Pellieux, 28 nov. 1897, Lauth : « Le jour où le colonel alla voir, à la gare de Lyon, le général de Boisdeffre revenant de Vichy, il s’écria en rentrant au bureau… » À l’instruction Fabre, même déposition : « Je puis préciser… » (30), et encore : « Je maintiens d’une manière formelle et absolue… » (172). De même, Junck : « Quand Picquart est rentré, après son entrevue avec le général de Boisdeffre, il était très excité et mécontent. Comme Lauth, je l’ai entendu s’écrier… » etc. (25). De même Gribelin (Instr. Tavernier, 18 oct. 1898). — Voir Appendice II.
  157. Instr. Fabre, 49, Lauth : « Nous avons même fait la réflexion : « Il a parlé de son dada au général, et il est probablement mécontent du résultat obtenu. »
  158. Cass., I, 165 ; Instr. Fabre, 104, 128, Picquart. Il dément, d’ailleurs, les propos que lui prête Lauth : « Paroles que je nie formellement. » C’est en parlant de l’affaire des fonds secrets que Picquart dit, mais un autre jour, à Gribelin, que le général de Boisdeffre ne voulait pas marcher. (Cass., I, 165.)
  159. Instr. Fabre, 104, Picquart.
  160. Ibid., 59, Boisdeffre.
  161. Rennes, I, 170, Billot.
  162. Cass., I, 550, Billot
  163. Ibid., 161, Picquart.
  164. Ibid., 154, Picquart : « Deux lignes, je crois. »
  165. Ce mémento fut saisi chez Esterhazy, le 12 juillet 1898, par Bertulus et mis sous scellés. (Cass., I, 225 ; Rennes, I, 344, Bertulus.)
  166. Député de la Marne, frère de l’ambassadeur en Russie.
  167. Député de l’Ardèche, ancien ministre. — Esterhazy avait été présenté par Grenier à Jules Roche, rapporteur (en 1894) du budget de la guerre, « comme un officier intelligent et instruit, capable de lui donner certaines explications techniques ». (Cass., I, 712, Grenier ; Rennes, II, 245, J. Roche.)
  168. Sénateur de la Loire-Inférieure.
  169. Député de la Loire-Inférieure. — Ce sont ces quatre députés et sénateurs dont Weil annonça à Calmon la visite prochaine. Billot dépose (Rennes, I, 178) qu’il fut sollicité, en faveur d’Esterhazy, par Jules Roche, Montebello et Lareinty.
  170. D’Ischl, 17 et 24 août 1896.
  171. Elles ont été versées, en 1898, au dossier de l’instruction Tavernier. — Sur la violation du secret des lettres, voir la belle circulaire de Carnot, du 8 mai 1815 : « La pensée d’un citoyen français doit être libre comme sa personne même. »
  172. Il y passa la journée du 16 août, se rendit le 17 à Châlons, revint définitivement au ministère le 18. (Instr. Fabre, 59.)
  173. Gonse, le 15, pour un mois, à Cormeilles-en-Parisis ; Henry, le 20, pour Pogny, jusqu’au 18 septembre ; Gribelin, rentra de congé le 25.
  174. Instr. Fabre, 60 ; Rennes, I, 524, Boisdeffre.
  175. Le 12 janvier 1892,
  176. Cass., I, 699, lettre d’Esterhazy à Jules Roche.
  177. Cass., I, 555, lettre datée de Serrières, 24 août 1896. — Rennes, II, 247, Jules Roche.
  178. Cass., I, 553 ; Rennes, I, 178, Billot.
  179. Cass., I, 701, Esterhazy.
  180. Cass., I, 153 ; Rennes, 429, Picquart.
  181. Ibid. ; Instr. Tavernier, 5 oct. 1898.
  182. Rennes, I, 178, Billot.
  183. Cass., I, 153, Picquart : « Ce Weil a, au ministère de la Guerre, un dossier contenant des accusations graves. Dénoncé publiquement par Morès comme espion… etc. » — Rennes, I, 178, Billot : « Weil, que vous m’avez signalé comme suivi et observé par votre service… »
  184. Instr. Tavernier, 8 nov. 1898, Calmon.
  185. Cass., I, 153 ; Rennes, I, 430, Picquart. — Cela se passa le 27 août. « Les lettres d’Esterhazy, dépose Picquart, sont datées du 25 ; je ne les ai pas eues le jour même. » D’autre part, Calmon : « Je restai détenteur pendant quelques jours de la lettre d’Esterhazy à Thévenet. » Pour la détermination de ces différentes dates, on a deux points de repère certains : les lettres d’Esterhazy, du 25 août ; la note de Picquart sur Esterhazy, du 1er  septembre, le lendemain du jour où il a pris connaissance du dossier secret, c’est-à-dire du lundi 31 août.
  186. Calmon précise qu’il remit à Picquart la lettre d’Esterhazy à Thévenet pour la faire photographier, ce qui eut lieu en sa présence, et que Picquart la lui rendit aussitôt.
  187. Instr. Tavernier, Calmon ; Rennes, I, 178, Billot : « J’ai dit alors : Qu’on envoie donc une demande hiérarchique pour faire admettre Esterhazy au ministère de la Guerre ! » Mais Billot ne dit rien, dans ses diverses dépositions, des ordres qu’il donna à son secrétaire, d’accord avec Picquart, et qui ont été loyalement reconnus par Calmon. Tout l’effort de Billot, dans ses dépositions, consiste à embrouiller les dates et les faits ; cependant, il ne réussit pas à dissimuler qu’il approuva Picquart, au début de ses recherches, et qu’il l’aida de son mieux. (Cass., I, 550 ; Rennes, I, 178, 179.)
  188. Instr. Tavernier, Calmon.
  189. Cass., I, 154 ; Rennes, I, 430, Picquart.
  190. Ibid.
  191. Rennes, I, 430, Picquart : « Je fus épouvanté. »
  192. Procès Zola, I, 285 ; Cass., I, 152 ; Rennes, I, 431, Picquart ; Instr. Tavernier, Calmon. La photographie fut faite le lendemain, 28 août. — Au procès Zola (I, 154, 155), l’avocat général pose cette question : « À quelle époque a-t-on photographié, pour la première fois, l’écriture du commandant Esterhazy ? » Lauth répond audacieusement : « Je ne puis pas spécifier à huit ou quinze jours près, mais cela devait être vers le mois de mai. » Lauth ajoute : « Chaque fois que j’avais à photographier un spécimen de l’écriture du commandant, je devais masquer certaines parties de façon à dénaturer la teneur de la lettre. »
  193. Enq. Pellieux, 26 nov. 1897 ; Procès Zola, I, 286 ; Instr. Fabre, 85 ; Cass., I, 154 ; Rennes, I, 430, Picquart. — D’après Du Paty (Cass., I, 446), Picquart lui aurait présenté, à la fois, la photographie « truquée et maquillée » de la lettre d’Esterhazy et celle du bordereau. Sur la réponse de Du Paty, Picquart « parut contrarié ». — La réponse, au contraire, justifiait son diagnostic.
  194. Procès Zola, I, 285 ; Instr. Fabre, 86 ; Cass., I, 155 ; Rennes, I, 431, Picquart. Au procès Zola, Bertillon place cette visite de Picquart au 16 mai 1896 (I, 409), erreur — la seule — dont il soit plus tard convenu.
  195. Enq. Pellieux, 26 nov. 1897 ; Instr. Tavernier, 8 oct. 1898, Picquart. — À l’instruction Tavernier (30 septembre 1898), Bertillon met son propos dans la bouche de Picquart : « Il me répondit quelque chose qui me frappa de stupeur : « Ce document est aussi étranger à l’affaire Dreyfus que s’il venait de la main du Président de la République, et c’est lamentable de constater que l’on a condamné Dreyfus sur une ressemblance d’écriture, alors qu’il était si facile de rencontrer des écritures équivalentes. » Tout cela est nié par Picquart.
  196. Cass., I, 155, Picquart.
  197. Ibid. ; Rennes, I, 431, Picquart.
  198. Rennes, I, 431, Picquart.
  199. Cass., I, 156, Picquart.
  200. Revision, 121 ; Instr. Fabre, 86 ; Cass., I, 133, 139, 155 ; Rennes, I, 431, Picquart ; Cass., I, 433, Gribelin.
  201. Cass., I, 133, Picquart ; 433, Gribelin ; Instr. Fabre, 22, 48, Gribelin : « Entre le 28 août et le 5 septembre. » 87, Picquart : « Le 30 ou le 31 août. »
  202. Instr. Fabre, 86 ; Cass., I, 155, Picquart.
  203. Instr. Fabre, 86, Picquart.
  204. Cass., I, 155, Picquart.
  205. Ibid., 128, 133, etc., Picquart.
  206. Ibid., 155 ; Rennes, I, 431, Picquart.
  207. Le commentaire et les quatre pièces étaient dans une enveloppe spéciale. (Revision, 125.) Il y avait, encore, dans la grande enveloppe, « quelques autres pièces, qui avaient l’air d’un rebut », plusieurs photographies de la pièce Canaille de D… (Cass., I, 139 ; Rennes, I, 410, Picquart).
  208. Instr. Fabre, 86 ; Cass., I, 135 ; Rennes, I, 403, Picquart.
  209. Cass., I, 137 ; Rennes, I, 405, Picquart.
  210. Cass., I, 136 ; Rennes, I, 404, Picquart.
  211. Cass., I, 138, 155 ; Rennes, I, 409, Picquart.
  212. Voir t. I, 359 à 364.
  213. Rennes, I, 431, Picquart.
  214. Cass., I, 213, Picquart : « J’ai cessé toute relation avec lui mais sans éclat. »
  215. Ibid., 156, Picquart.
  216. Cass., II, 89.
  217. Cass., I, 156 ; Rennes, I, 432, Picquart ; Instr. Fabre, 60 ; Rennes, I, 524, Boisdeffre.
  218. Revision, 121, lettre de Picquart au garde des Sceaux.
  219. Cass., I, 139, Picquart : « Les généraux Boisdeffre et Gonse ont regardé ces pièces avec moi, comme étant les pièces communiquées aux juges. »
  220. Procès Zola, I, 306 ; Cass., I, 139 ; Rennes, I, 432, Picquart. — Instr. Fabre, 60 ; Cass., I, 262, Boisdeffre : « Je trouvai une certaine ressemblance dans les écritures ; j’avais vu bien des écritures qui ressemblaient déjà, plus ou moins, à celle du bordereau. »
  221. Instr. Fabre, 87, Picquart.
  222. Cass., I, 130, 156 ; Rennes, I, 452, Picquart ; I, 525, Boisdeffre.
  223. Rennes, I, 525, Boisdeffre.
  224. Instr. Fabre, 60, Boisdeffre.
  225. Il voyait tous les jours le Père Du Lac, qui me l’a dit lui-même.
  226. Voir p. 299, note 1.
  227. Cass., I, 140, Picquart.
  228. Ibid. — Cass., I, 248, Gonse : « J’ai été très étonné. »
  229. Rennes, I, 432, Picquart.
  230. Revision, 113, lettre de Picquart au garde des Sceaux : « Gonse fit la grimace en me disant… »
  231. Instr. Fabre, 77 ; Cass., I, 140, 161 ; Rennes, I, 432, Picquart. — Gonse (Rennes, I, 560) dit qu’il reconnut une certaine ressemblance entre l’écriture du bordereau et celle d’Esterhazy, mais il y a bien d’autres écritures qui se ressemblent. « Demange : Le général Gonse n’a-t-il pas, à ce moment, conçu la pensée qu’il pouvait y avoir eu une erreur en 1894 ? — Gonse : Du tout ! — Demange : N’a-t-il pas été frappé par l’identité d’écritures ? — Gonse. Non. » Et ailleurs : « Un membre du Conseil : Quand M. Picquart vous a fait part de ses recherches, n’avez-vous pas laissé voir qu’il était possible qu’on se soit trompé et que Dreyfus fût innocent ? — Gonse : Jamais de la vie. » (I, 557.)
  232. Procès Zola, I, 151, 219, Gonse ; Cass., I, 161, Picquart ; I, 248, Gonse. — « Il parut partager ma conviction. » (Cass., II, 208, Picquart.)
  233. Cass., I, 161 ; II, 208 ; Rennes, I, 432, Picquart ; Procès Zola, I, 151 ; Rennes, I, 557, 559, Gonse ; Cass., I, 262, Boisdeffre : « Gonse m’écrivit alors et il partageait ma manière de voir ; il avait fait les mêmes observations que moi à Picquart, c’est-à-dire qu’il y avait là deux affaires distinctes. » — À Rennes (I, 525) Boisdeffre précise : « Gonse m’écrivait qu’il partageait mon avis sur la manière d’agir, qu’il ne fallait pas mêler les affaires… etc. » Si Gonse, de l’aveu de Boisdeffre, écrit à Boisdeffre qu’il partage son avis, c’est qu’il le connaît déjà, que Boisdeffre lui a dicté la réponse à faire, que Boisdeffre n’a pas envoyé Picquart chercher l’indispensable avis de Gonse, mais lui rapporter une réponse convenue d’avance.
  234. Instr. Fabre, 77, Picquart : « Je lui objectai que le bordereau était commun aux deux affaires. » Procès Zola, I, 323 : « Je n’ai jamais bien compris cette distinction. »
  235. Gonse, à Rennes, regrette de s’être mal expliqué dans ses lettres « qu’il ne croyait pas, quand il les écrivit, devoir passer à la postérité » : « Séparons les deux affaires, laissons le bordereau à la charge de Dreyfus, puisqu’il y est, et prenons simplement les charges qui peuvent résulter pour Esterhazy du petit bleu ou d’autres pièces qui pourraient se présenter. Vous dites qu’il a apporté des documents, ceci, cela. Eh bien ! interrogez les officiers, les secrétaires. Voilà ce que j’ai dit. » (I, 559.) — Picquart comprit « qu’il devait abandonner toute idée de faire des expertises entre l’écriture du bordereau et celle d’Esterhazy ». (Instr. Fabre, 78.)
  236. Instr. Fabre, 77, Picquart.
  237. Ibid.