Histoire de l’empire de Russie/Tome XI/Chapitre I

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Traduction par Pavel Gavrilovitch Divov.
Galerie de Bossange Père (XIp. 1-118).


HISTOIRE
DE
L’EMPIRE DE RUSSIE.
CHAPITRE PREMIER.
Règne de Boris-Godounoff.
1598 — 1604.


1598.
Réception du Tsar à Moscou.
Le clergé, les autorités et tous les ordres de l’État laissèrent dans sa cellule le Souverain qu’ils venaient de donner à la Russie, et, précédés des bannières de la religion et de la patrie, ils rentrèrent au Kremlin au son de toutes les cloches de la ville et aux acclamations d’un peuple ivre de joie. Le 26 février, Boris entra dans la capitale. Il fut reçu au pied des murs de la forteresse de bois, par tous les marchands de Moscou, qui lui offrirent du pain, des vases d’or et d’argent, des Zibelines, des perles et d’autres présens royaux (1). Le Tsar les remercia avec bienveillance, mais il ne voulut accepter que le pain, en leur disant, qu’il aimait mieux voir les richesses entre leurs mains que dans son trésor. Après les marchands, Job, à la tête du clergé, vint à son tour recevoir le Souverain ; il fut suivi des Boyards et du peuple. Après avoir chanté un Te Deum dans l’église de l’Assomption, le Patriarche donna une seconde fois sa bénédiction à Boris, en imposant sur lui la croix faite du vrai bois, les chœurs chantèrent l’hymne in plurimos annos pour le Tsar et pour toute la famille régnante, la tsarine Marie, leur jeune fils Fédor et leur fille Xénie. Alors tous les Russes présentèrent leurs félicitations au nouveau Monarque ; et le Patriarche, élevant ses mains au ciel, « Nous te remercions, ô Seigneur, dit-il, de n’avoir point repoussé nos prières ; tu as pris en pitié, les larmes et les gémissemens des chrétiens, tu as changé leurs peines en joies ; tu nous donnes enfin un Tsar, que nos vœux te demandaient jour et nuit ». Après la messe, Boris témoigna sa reconnaissance à la mémoire des deux principaux auteurs de son élévation, en se prosternant dans l’église de Saint-Michel, devant les tombeaux d’Ivan (2) et de Fédor ; il fit également sa prière sur les cendres des anciens Souverains de la Russie, les plus illustres, Kalita, Donskoï, et Ivan III, leur demandant avec ferveur de lui prêter leur secours céleste dans les affaires de l’État. Il se rendit ensuite au palais ; de là, il vint dans le couvent de Tchoudoff, faire une visite à Job, avec lequel il s’entretint long-temps en particulier, et lui annonça, ainsi qu’à tous les Évêques, que, jusqu’au jour de Pâques, il ne pouvait abandonner Irène dans l’état de tristesse où elle se trouvait. Il retourna ensuite au couvent des Vierges, et ordonna au Conseil des Boyards de s’occuper des affaires publiques et de les soumettre à sa connaissance et à sa décision.

Serment prêté à Boris. L’armée et tous les employés civils baisèrent avec ferveur la croix, en signe de fidélité pour Boris ; les uns devant la célèbre Image de la Vierge de Vladimir, les autres sur les tombeaux des Saints Métropolitains Pierre et Jonas. Ils jurèrent de ne point trahir le Tsar par leurs actions ni par leurs paroles ; de ne point conspirer contre sa vie ou contre sa santé, ni par le poison, ni par aucun charme (3) ; ils firent en outre le serment de ne jamais songer à faire monter sur le trône Siméon, ex-grand Duc de Tver, ou son fils, de ne conserver avec eux, ni rapports secrets, ni correspondance ; de dénoncer toute espèce de complots sans aucun égard aux liens du sang ou de l’amitié ; ils jurèrent aussi de ne point quitter leur pays pour aller en Lithuanie, en Allemagne, en Espagne, en France ou en Angleterre. Les Boyards, les Membres du Conseil et les Fonctionnaires diplomatiques, s’engagèrent en outre à être discrets dans les affaires de l’État ; les Juges, à ne point mentir à leur conscience dans les procès ; les Trésoriers, à ne point dilapider les deniers publics, et les Diaks, à ne point être vénales. On envoya annoncer dans les provinces l’heureuse élection du Souverain, avec ordre de sonner les cloches pendant trois jours et de faire des prières dans toutes les églises, d’abord pour la tsarine religieuse Alexandra, ensuite pour son frère Boris, sa famille, les Boyards et l’Armée. Le 9 mars, le Patriarche ordonna des prières solennelles pour que le Tout-Puissant permit au Tsar de se parer des insignes de la Souveraineté, et il décida que d’âge en âge on célébrerait en Russie, le 21 février, jour de l’avénement de Boris au trône. Décret des États-Généraux. Job proposa ensuite aux États-Généraux de consolider le serment prêté au Souverain, par une charte qui obligeât tous les employés à ne se refuser à aucun service qui leur serait confié, à n’exiger que ce qu’ils pourraient avoir droit de prétendre par leur naissance ou pour leurs services (4) ; à obéir toujours, et dans toutes les circonstances, aux ordres du Tsar et aux décisions des Boyards, afin de ne point entraver les affaires de l’État. Tous les Membres du grand Conseil national, répondirent unanimement « Nous jurons de sacrifier nos âmes et nos têtes pour le Tsar, la Tsarine et leurs enfans ». Et aussitôt on donna ordre aux Diaks les plus habiles de rédiger une charte dans ce sens.

Activité de Boris Cependant rien n’interrompait le cours des affaires ordinaires de l’État, et Boris, soit dans sa cellule, soit dans le Conseil de Moscou où il venait souvent siéger, s’en occupait avec un zèle si actif, qu’on ne comprenait pas qu’il pût trouver le temps de prendre de la nourriture ni du repos. Travaillant sans cesse avec les Boyards et les Diaks, il ne les quittait que pour se rendre auprès d’Irène, dont il cherchait à calmer les douleurs, en partageant son affliction. Il semblait en effet que cette Princesse infortunée ne pouvait se passer de la présence du seul homme que son cœur chérissait encore. Inconsolable de la mort d’un époux qu’elle avait tant aimé, elle passait les jours et les nuits à gémir, et ses forces, affaiblies par les larmes, s’éteignaient visiblement ; elle semblait déjà porter la mort dans son sein. Les Évêques et les Grands conjurèrent envain le Tsar de quitter un séjour aussi triste pour lui, de venir habiter le palais du Kremlin avec son épouse et ses enfans, et de se montrer au peuple, sur le trône et avec la couronne sur la tête. Boris leur répondit, qu’il ne pouvait se séparer de sa grande Souveraine, sa sœur infortunée, et, dans son infatigable dissimulation, il assura de nouveau qu’il ne désirait point la couronne. Mais Irène lui ordonna une seconde fois de remplir la volonté de la Nation et de Dieu, d’accepter le sceptre et de régner, non dans une cellule, mais sur le trône de Monomaque. Enfin, le 30 avril, la capitale entière se mit en mouvement pour aller à la rencontre du Souverain.

Entrée solennelle dans la capitale. Ce jour appartient aux jours les plus solennels de l’Histoire de Russie. Dès le matin, le Clergé portant les croix et les images ; les Boyards, la Cour, les Tribunaux, les troupes, tous les bourgeois, attendaient le Tsar à l’entrée du pont de Pierre auprès de l’église de Saint-Nicolas de Zaraïsk. Boris sortit avec sa famille du couvent des Vierges, et parut dans un char magnifique. En apercevant les bannières de l’église et le peuple, il mit pied à terre et salua les Saintes Images. Il adressa des paroles bienveillantes à tous sans distinction, et présenta la Tsarine, connue depuis long-temps par ses vertus et sa bienfaisance, son fils âgé de neuf ans et sa fille de seize, tous deux d’une rare beauté. En les voyant le peuple s’écriait : « Vous êtes nos Souverains, nous sommes vos sujets ». Fédor et Xénie, ainsi que leur père parlèrent avec affabilité aux Fonctionnaires et aux Bourgeois, et, à l’exemple de Boris, n’ayant accepté que le pain, ils refusèrent l’or, l’argent et les perles qu’on leur offrait, et ils invitèrent tout le monde à dîner chez le Tsar. Boris, pressé par la foule qu’on ne cherchait point à écarter, suivait le Clergé avec son épouse et ses enfans, et semblait un tendre père au milieu de sa famille. Il se rendit dans la basilique de l’Assomption où le Patriarche lui apposa sur la poitrine la croix vivifiante de Saint-Pierre le Métropolitain, ce qui était déjà un commencement du couronnement ; et, pour la troisième fois, il lui donna sa bénédiction pour régner sur le grand Empire de Moscou. Après avoir entendu la messe, le nouveau Souverain, suivi des Boyards, fit le tour de toutes les églises du Kremlin ; partout il pria en versant des larmes, partout il entendit les cris de joie du peuple, et, tenant d’une main son jeune successeur et de l’autre la belle Xénie (5), il entra avec son épouse dans le palais des Tsars, où un repas fut servi à tous ceux qui se présentèrent ; depuis le Métropolitain jusqu’aux pauvres, chacun y était admis sans distinction. Moscou n’avait point vu étaler un luxe semblable, même du temps d’Ivan. Boris ne voulut point habiter les appartemens où Fédor était mort, mais il occupa la partie du palais du Kremlin qu’avait habitée Irène, et ordonna d’y joindre, pour lui, un nouveau palais en bois.

Il régnait déjà, mais sans sceptre et sans couronne, et ne pouvait encore s’appeler l’Oint du Seigneur ; cependant on devait présumer que Boris ne tarderait pas à ceindre la couronne avec toutes les cérémonies solennelles d’usage, qui, aux yeux du peuple, sanctifient la personne du Souverain. Le Patriarche et les Boyards l’exigèrent au nom de la Russie. Boris désirait également cet acte sacré qui devait l’affermir sur le trône lui et sa dynastie ; toutefois son esprit rusé, commandant toujours aux mouvemens de son cœur, lui fit imaginer un charme nouveau : aulieu du sceptre, il saisit le glaive et se hâta d’entrer en campagne pour prouver que la sûreté de l’Empire lui était plus chère que la couronne et la vie. Armement célèbre C’est ainsi que le règne le plus pacifique commença par un armement qui rappelait celui de la Russie entière contre Mamaï.

Boris, dès le mois de mars et encore dans la cellule du couvent des Vierges, avait expédié un courrier auprès du Khan avec une lettre amicale. Le 1er. avril il apprit par le rapport du Voïévode d’Oskol (6), qu’un prisonnier fait par les cosaques, dans les stèpes du Donetz, sur une troupe de brigands de la Crimée, parlait de l’intention de Kazi-Ghiréï d’envahir les frontières de la Russie, avec toute sa horde et avec sept mille soldats du Sultan. Boris parut ne pas douter de la vérité d’une nouvelle aussi peu authentique, et résolut, sans perdre un seul instant, de porter toutes ses forces sur les bords de l’Oka. Il écrivit aux Voïévodes, des lettres persuasives et flatteuses, les exhortant à déployer tout leur zèle dans le danger qui menaçait son règne, et à prouver ainsi, leur dévouement pour lui et pour la Russie. Cet appel produisit un effet extraordinaire ; il n’y eut ni désobéissance, ni retard ; tous les enfans Boyards de tout âge s’empressèrent de monter à cheval, et les milices des villes et des villages se hâtèrent de se rendre aux lieux indiqués pour les rassemblemens. On établit le camp principal à Serpoukhoff, l’aile droite à Alexin, la gauche à Kachir, l’avant-garde à Kalouga et le corps de réserve à Kalomna (7).

Le 20 avril on reçut une autre nouvelle : On écrivait de Bielgorod qu’un tatare fait prisonnier par les cosaques du Don, leur avait parlé d’un armement considérable que faisait le Khan ; que des troupes de Crimée, quoiqu’en petit nombre, s’étaient montrées dans les stèpes et faisaient reculer partout nos avant-postes. Alors Boris ordonna de tout préparer pour la marche du Tsar, et le 2 mai, il quitta Moscou armé de toutes pièces, suivi de cinq Tsarévitches, celui des Kirguises, celui de Sibérie, celui de Schamakha, celui de Chiva et le fils de Kaï-Boula ; il était aussi accompagné de plusieurs Boyards, parmi lesquels on comptait les princes Mstislafsky, Schouisky, Godounoff et Romanoff ; de plusieurs grands Dignitaires, au nombre desquels se trouvaient Bogdan-Belsky, le garde des sceaux Vassili Stchelkaloff, des Gentilshommes et des Diaks du Conseil, quarante-quatre Chambellans, vingt Officiers de la Cour, deux cent soixante-quatorze Pages ; en un mot tout ceux qui étaient nécessaires pour la guerre et pour le conseil, ainsi que pour l’éclat de la Cour.

Le jeune Fédor et le boyard Dmitri Godounoff, restèrent à Moscou auprès des Tsarines, ainsi que les princes Troubetskoy, Glinsky, Tcherkasky et Schestounoff. Le jeune Fédor avait auprès de lui le menin Ivan Tchemodanoff. On fit des dispositions dans la capitale en cas de siège, et l’on désigna des Voïévodes pour la défense des murailles et des tours, pour les patrouilles, les sorties et les combats hors des fortifications.

Le 10 mai on présenta au Tsar, dans le bourg de Kousmin, deux prisonniers, un Lithuanien et un Autrichien qui avaient déserté de Crimée. Ils assurèrent que le Khan était déjà en campagne et marchait contre Moscou. Alors Boris fit partir des employés avec des paroles bienveillantes pour tous les Commandans des forteresses des stèpes, Toula, Oskol, Livny, Ieletz, Koursk et Voronège. Ces employés avaient ordre de demander avec intérêt des nouvelles de la santé des Voïévodes et des Nobles, des Capitaines, des Enfans Boyards, des Streletz et des Cosaques ; de remettre les lettres du Tsar aux premiers et d’exiger qu’ils les lussent publiquement. « Je suis sur les bords de l’Oka, écrivait Boris, et je regarde les stèpes ; là, où se montrera l’ennemi vous me verrez aussi ». À Serpoukhoff il nomma les chefs de l’armée : les cinq Tsarevitches en eurent le titre honoraire, et les cinq Princes les plus illustres, le commandement réel : Mstislafsky celui du grand corps d’armée ; Vassili Schouisky de l’aile droite, et Ivan Galitzin de l’aile gauche ; l’avant-garde fut confiée à Dmitri Schouisky, et le corps de réserve à Thimothé Troubetskoy.

L’ancienne Russie était défendue contre les invasions des Khans, non-seulement par des forteresses, mais encore par des abattis dans les défilés, près de Pérémichle, Lichvin, Bélef, Toula, Borofsk et Rézan. Le Souverain examina leurs plans et y envoya des Voïévodes particuliers avec des Mordviens et des Streletz ; il établit également une flottille sur l’Oka avec des troupes de débarquement, afin de coopérer aux combats qu’on livrerait à l’ennemi sur ses bords. On vit alors ce que jusque-là on n’avait jamais vu : un demi million de guerriers, comme on l’assure (8), marchant dans le plus bel ordre, animés d’un zèle et d’une confiance sans bornes. Tout agissait fortement sur l’imagination des Russes, pleins de ces espérances que donne toujours un règne nouveau, espérances relevées encore par la haute opinion qu’on avait de la sagesse éprouvée de Boris. Les disputes sur les prééminences cessèrent ; les Voïévodes demandaient seulement où était la place qui leur était assignée, et se rendaient sous les drapeaux, sans consulter l’état des services de leurs pères et de leurs aïeux ; car le Tsar leur avait annoncé que le grand Conseil national l’avait supplié de prescrire aux Boyards et aux Nobles leur service, sans aucun égard à leurs prétentions d’ancienneté (9). Ce zèle, favorable à la discipline, eut encore un autre résultat important : il augmenta le nombre des soldats bien équipés : les Nobles et les Enfans Boyards entrèrent en campagne richement armés, montés sur leurs meilleurs chevaux, et accompagnés de tous leurs valets propres au service militaire, à la grande satisfaction du Tsar qui ne mit point de bornes dans les grâces qu’il répandit. Chaque jour il passait en revue les cohortes et les régimens ; adressait des paroles bienveillantes aux chefs et aux soldats, et donnait des dîners sous des tentes (10), à plus de dix mille personnes par jour, qui toutes étaient servies dans de la vaisselle d’argent. Ces repas, vraiment royaux, se prolongèrent pendant six semaines, car tous les bruits sur l’approche de l’ennemi avaient cessé tout-à-coup ; nos patrouilles ne le rencontraient nulle part ; la tranquillité la plus parfaite régnait sur les bords du Donetz, et nos gardes avancées ne voyant de poussière d’aucun côté, et n’entendant point le bruit des pas des chevaux, dormaient en toute sécurité dans le silence des stèpes. Boris fut-il trompé par de faux avertissemens, ou bien trompa-t-il la Russie par sa feinte crédulité, afin de redoubler l’éclat de son avénement au trône, en se montrant maître Souverain, non seulement de Moscou, mais encore de toute l’armée ? Espérant peut-être par là exciter le dévouement de la nation, pour son nouveau Monarque, qui dans le moment du danger préférait le glaive des combats à la couronne de Monomaque. C’était une ruse digne de Boris, et à laquelle il est facile d’ajouter foi. Au lieu d’une nuée d’ennemis, on ne vit paraître dans les contrées méridionales de la Russie, Ambassade du Khan. qu’une ambassade pacifique de Kazi-Ghiréï, accompagnée de notre envoyé. Le 18 juin, les Voïévodes de Ieletz en informèrent Boris qui récompensa leur Courier (11).

Ainsi, cet armement sans exemple, et qui avait coûté beaucoup de frais et de peines, se trouva inutile ! On assurait qu’il avait sauvé la patrie, par l’effroi qu’il avait inspiré au Khan : que les tatares de la Crimée s’étaient mis effectivement en marche, mais qu’ayant appris les redoutables préparatifs de la Russie, ils étaient retournés sur leurs pas. Au moins le Tsar voulut-il inspirer la terreur aux ambassadeurs du Khan, dont le principal était Mourza-Ali. Ils entrèrent en Russie comme dans un camp ; partout, le long de leur route, ils virent l’éclat des cimeterres et des piques, et de nombreuses troupes de cavaliers bien équipés (12) ; dans les bois et dans les abattis, ils entendirent des cris de ralliement et des coups de canon. On les arrêta près de Serpoukhoff, à sept verstes des tentes du Tsar, dans les plaines de l’Oka, où, depuis plusieurs jours, se réunissait toute l’armée. Là, le 29 juin avant le jour, retentit une décharge de cent bouches à feu ; et les premiers rayons du soleil éclairèrent une armée innombrable (13), rangée en bataille. On ordonna aux Ambassadeurs de Crimée, effrayés de cette terrible canonnade et de ce spectacle imposant, de se rendre auprès du Tsar à travers des rangs épais d’infanterie et de cavalerie : ils furent introduits dans sa tente où tout resplandissait de l’éclat des armes et du luxe : Boris portait sur sa tête un casque d’or aulieu de couronne, et se distinguait dans l’assemblée des Tsarévitches et des Princes, plus par son air dominateur, que par la richesse de ses vêtemens ; Ali-Mourza et ses compagnons étonnés et confus, gardèrent long-temps le silence. Enfin, ils exprimèrent le vœu de Kazi-Ghiréï de conclure une alliance perpétuelle avec la Russie, en renouvelant la convention qui avait été faite sous le règne de Fédor ; ajoutant que leur maître était prêt, à la tête de toute sa horde, à marcher contre les ennemis de Moscou. Ces offres furent acceptées et l’on traita ces envoyés avec beaucoup de magnificence. À leur départ, le Tsar les fit accompagner par des Ambassadeurs qu’il expédiait auprès du Khan, pour lui faire confirmer par un serment ce nouveau traité d’alliance.

Festin donné à l’armée. Ce même jour, qui était celui où l’on célébrait la fête de Saint-Pierre et Saint-Paul, le Souverain prit congé de l’armée, après lui avoir donné en plein air un repas somptueux (14) : cinq cent mille personnes furent traitées dans les plaines de l’Oka ; on y distribua en abondance des mêts, de l’hydromel et du vin ; et les Officiers reçurent en présent, des velours, des étoffes d’or et des damas. Enfin, le Tsar en les quittant leur adressa ces dernières paroles : « Je chéris l’armée chrétienne et je compte sur sa fidélité ». Il partit, et les plus vives bénédictions l’accompagnèrent long-temps sur la route de Moscou. Les Voïévodes et les troupes étaient enthousiasmés pour un Souverain aussi sage, aussi bon, et aussi heureux, puisque, sans répandre de sang et par l’effet d’une seule menace, il avait donné à la patrie les fruits désirés de la plus éclatante victoire : la tranquillité, la sécurité et l’honneur. Les Russes, dit l’Annaliste, espéraient que tout le règne de Boris ressemblerait à son commencement, et ils lui prodiguaient sincèrement leur reconnaissance et leurs louanges.

Une partie de l’armée resta en observation sur l’Oka, une autre se dirigea vers les frontières de la Lithuanie et de la Suède, et la plus grande partie fut licenciée ; mais tous les principaux Officiers se hâtèrent de suivre le Souverain dans la capitale.

Un nouveau triomphe y attendait Boris : toute la population de Moscou alla à sa rencontre, comme elle était venue naguère à celle d’Ivan conquérant de Kazan ; Discours du Patriarche. le Patriarche le harangua en ces termes : « Élu du Seigneur et chéri par lui, grand Monarque, nous voyons ta gloire et tu en rends hommage à l’Eternel seul ; nous joignons nos actions de grâces aux tiennes : mais après l’heureuse issue de cette mémorable campagne, partage aussi notre joie et notre reconnaissance. L’Empire, est demeuré intact, la vie, les biens de tes sujets sont assurés, et l’ennemi demande la paix à genoux. Ton génie a pris un nouvel essor, dans cette circonstance étonnante qui semble être signalée par quelque chose au-dessus de la sagesse humaine… Que Dieu conserve tes jours, Monarque bien-aimé du ciel et de la nation ! En te voyant nous versons des larmes de joie ; reçois notre salut » (15). Le Patriarche, le clergé et le peuple se prosternèrent devant lui. Le Tsar, paraissant attendri et humble en même temps, se rendit d’abord au temple de l’Assomption, pour remercier l’Éternel ; et delà, au monastère des Vierges, près de la triste Irène. Toutes les maisons de la capitale étaient ornées de feuillages et de fleurs.

Quoique tout fut disposé, Boris remit encore son couronnement au 1er. septembre, pour ne remplir cet acte important, qu’au renouvellement de l’année, et le jour où l’on fait des vœux mutuels de bonheur et d’espérances. En attendant, la Charte d’élection fut écrite au nom des États-Généraux, Addition à la Charte d’élection. avec l’addition suivante : « Tous ceux qui désobéiront à la volonté du Tsar seront maudits par l’Église (16), et punis par le glaive de la loi. Les mêmes peines atteindront tout rebelle qui osera censurer les actes du grand Conseil national et troubler les esprits par des discours séditieux, quel que soit son rang, Ecclésiastique ou Boyard, membre du Conseil ou de l’Armée, Citoyen ou grand Seigneur ; que sa mémoire même périsse à jamais ». Cette Charte fut confirmée le 1er. août par les signatures de Boris, du jeune Fédor, de Job et de toutes les autorités Ecclésiastiques et Civiles au nombre d’environ cinq cents. Elle fut déposée au trésor du Tsar où se trouvaient déjà les réglemens des Souverains précédens, et une copie en fut remise au trésor du Patriarche, dans le temple de l’Assomption. Il semblait que la sagesse humaine avait fait tout ce qui dépendait d’elle pour assurer une union solide entre le Souverain et l’Empire.

Couronnement du Tsar. Enfin, Boris fut couronné avec pltis de solennité encore, que ne l’avait été Fédor, puisqu’il reçut les ornemens de Monomaque des mains du Patriarche œcuménique. Le peuple priait en silence ; déjà l’auguste Prélat avait béni le Tsar ; tout-à-coup Boris, cédant à la vive émotion de son cœur, et comme oubliant les usages de l’Église, interrompit la messe et s’écria (17) : « Ô mon père, Job, grand Patriarche, je prends Dieu à témoin qu’il n’y aura dans mon Empire ni un orphelin ni un pauvre ». Et saisissant le col de sa chemise, il ajouta : « Oui, je donnerai s’il le faut jusqu’à ce dernier vêtement à mon peuple ». Alors on vit éclater un transport universel, des cris d’admiration et de reconnaissance retentirent de toutes parts dans le temple. On rapporte même que dans ce moment d’ivresse générale, le nouveau Souverain touché des marques de tant d’amour, prononça le serment d’épargner le sang et la vie même des criminels et de se borner à les éloigner dans les déserts de la Sibérie (18). Jamais en Russie aucun couronnement ne produisit plus d’effet que celui de Boris sur l’imagination et les sentimens du peuple. Mstislafsky versa sur la tête du Tsar une pluie d’or à la porte de l’église, et Boris, la couronne sur la tête, la pomme d’or et le sceptre à la main, se rendit, au sortir du temple, au palais des Tsars, pour occuper sur le trône de Russie la place des princes Varègues ; et le reste du jour fut Grâces. consacré à répandre des faveurs et des bienfaits.

Boris commença par la Cour et le Conseil, Nouveau Tsar de Kassimof. il donna le titre de Tsar de Kassimof (19) au Tsarévitche des Kirguises, Ouraze-Mahomet ; celui de grand écuyer, à Dmitri Godounoff ; celui de grand maréchal, à Étienne Godounoff, en remplacement du vertueux Grégoire qui, seul, ne partageait point la joie de l’élévation de sa famille (20), et qui mourut consumé d’un chagrin secret. Boris conféra la dignité de Boyards aux princes Katiref, Tcherkasky, Troubetskoy, Nagatkoff et Alexandre Romanoff ; celle de grands Officiers de la Cour, à Michel Romanoff, à Belsky, favori d’Ivan et son ancien ami, à Krivoï-Soltikoff, également favori d’Ivan, et aux quatre Godounoff. Plusieurs reçurent les titres de Chambellans et autres dignités. Il ordonna de doubler les appointemens (21) de tous les Employés civils et militaires. Il accorda aux Marchands la liberté de faire le commerce, sans payer aucun droit pendant deux années ; et il fit pour un an la remise des impôts aux Cultivateurs appartenant à la couronne, et même aux habitans sauvages de la Sibérie. À cette profusion de grâces, il en joignit encore une nouvelle, en faveur des paysans dépendant des Seigneurs ; il régla le temps qu’ils devaient travailler, et la redevance qu’ils devaient légitimement payer à leurs maîtres (22). Après avoir proclamé ces grâces du haut de son trône, Boris donna des festins au peuple pendant douze jours.

Le sort semblait favoriser le nouveau Monarque. Son règne commençait sous les auspices d’une paix désirée, et cependant, aux confins de l’empire, ses armes victorieuses recevaient un nouvel éclat dans un combat, peu remarquable sans doute par le nombre des combattans, mais digne de mémoire par ses circonstances, ses résultats, et par la personne du vaincu. Événemens en Sibérie. Nous avons laissé dans les stèpes de Barabinsk (23) Koutchoum, le Souverain banni de la Sibérie, inébranlable dans ses refus aux propositions généreuses de Fédor, infatigable dans ses incursions dans le pays qui lui avait été enlevé, et toujours redoutable pour les Russes. Le 4 août 1598, André Voyéikoff, Voïévode de Tara, à la tête de trois cent quatre-vingt dix-sept cosaques, de quelques Lithuaniens et habitans du pays, se dirigea vers les bords de l’Obi. Là, au milieu de champs de blé environnés de marais, s’était retiré Koutchoum avec les tristes débris de sa royauté, ses femmes ses enfans, les princes qui lui étaient restés fidèles et cinq cents soldats (24). Là, il ne craignait pas l’ennemi ; mais l’intrépide Voyéikoff marcha jour et nuit, après avoir abandonné ses bagages. Il avait des espions et arrêtait ceux de Koutchoum, et le 20 août, avant le lever du soleil, il attaqua son camp fortifié ; le combat dura toute la journée et fut le dernier que Koutchoum livra. Son frère et son fils les Tsarévisches Illiten et Can, six princes, dix Mourzas et cent cinquante de ses meilleurs soldats restèrent sur le champ de bataille. Vers le soir, les Tatares furent obligés de quitter leurs fortifications et, serrés contre la rivière, il y en eut plus de cent de noyés et cinquante furent faits prisonniers ; peu d’entre eux se sauvèrent dans des bateaux à la faveur de l’obscurité. C’est ainsi que Voyéikoff vengea sur Koutchoum la mort de l’imprudent Iermak. Huit femmes, cinq fils, huit filles du Khan et cinq princes restèrent au pouvoir des vainqueurs, qui s’emparèrent également de richesses assez considérables. Voyéikoff, ignorant le sort de Koutchoum et présumant qu’il s’était noyé comme Iermak, ne jugea pas à propos d’aller plus loin. Il brûla ce qu’il ne put emporter, et emmenant ses illustres prisonniers, il retourna à Tara, pour annoncer à Boris qu’il n’y avait plus d’autre souvérain en Sibérie que celui de Russie. Mais Koutchoum existait encore ; pendant la bataille, deux de ses fidèles serviteurs l’avaient conduit sur une barque le long de l’Obi jusqu’au pays de Tchata. Là, nos Voïévodes lui proposèrent vainement d’aller à Moscou rejoindre sa famille, et terminer tranquillement ses jours, comblé des bienfaits d’un souverain généreux. Un prêtre mahométan, nommé Toul-Mehmet, envoyé par Voyéikoff, trouva Koutchoum dans un bois près des corps étendus des Tatares, tués par les Russes sur le bord de l’Obi. Le vieillard aveugle, que l’adversité n’avait pu abattre, était assis sous un arbre, entouré de trois de ses fils et de trente serviteurs fidèles. Il écouta le prêtre qui l’assurait de la bienveillance du Tsar de Moscou, et lui répondit tranquillement : « Je ne me suis pas rendu auprès de lui dans de meilleurs temps et lorsque j’étais riche et dans la force de l’âge ; irai-je aujourd’hui y chercher une mort honteuse ? Je suis aveugle et sourd, pauvre et orphelin ; je ne regrette point mes richesses, mais je pleure Asmanak, mon fils chéri, pris par les Russes. Seul avec lui j’aurais encore désiré vivre sans royaume et sans fortune, sans mes femmes et sans mes autres enfans. Maintenant j’envoie le reste de ma famille en Bukharie, et moi, je me rends auprès des Nogais ». Il n’avait ni vêtemens chauds ni chevaux, et il en demandait comme une aumône aux habitans de la contrée de Tchata naguère ses sujets, mais qui s’étaient déjà engagés à être tributaires de la Russie. Ils lui envoyèrent un cheval et une pelisse. Koutchoum retourna sur le champ de bataille, et là, en présence de Toul-Mehmet, il s’occupa pendant deux jours de l’inhumation des morts, le troisième, et il se jeta sur un cheval et disparut pour l’Histoire. Il ne resta que des bruits incertains sur sa fin déplorable. On dit qu’il erra dans les stèpes de l’Irtiche supérieur, dans le pays des Kalmouks, et que près du lac Zaïnan-Nora, s’étant emparé de quelques chevaux, il fut poursuivi par les habitans, de déserts en déserts, qu’il fut complètement défait sur les bords du lac de Kourgaltchin, et qu’il se présenta presque seul dans le Camp des Nogais, Mort de Koutchoum. qui massacrèrent sans pitié ce vieillard aveugle et bani, en disant : « Ton père nous a pillés et tu ne vaux pas mieux que lui » (25).

Moscou et la Russie se réjouirent de cette nouvelle, et Boris s’empressa de communiquer le rapport de Voyéikoff à Irène, dans la nuit même où il le reçut ; aimant à partager avec elle tout ce qui pouvait lui arriver d’heureux (26). La mort de Koutchoum, premier et dernier tsar de Sibérie, célèbre, sinon par sa puissance, du moins par sa fermeté inébranlable dans le malheur, mit le sceau à notre domination dans l’Asie septentrionale. La conquête de cette vaste contrée fut célébrée à Moscou et dans toutes les villes par le son des cloches et par des Te Deum. Voyéikoff reçut en récompense une médaille d’or, et on distribua de l’argent à ses compagnons. Des ordres furent expédiés pour amener les illustres prisonniers dans la capitale, et l’on donna au peuple le plaisir de voir 1599. leur entrée solennelle, au mois de janvier 1599.

Les femmes, les filles, les belles-filles et les jeunes fils de Koutchoum, Asmanak, Schaïm, Babadcha, Koumouche et Molla étaient dans des traîneaux richement ornés ; les femmes étaient couvertes de pelisses de velours, de satin et de draps d’or, brodées en or, en argent et garnies de dentelles. Les Tsarévitches étaient en habits longs et rouges fourrés de pelleteries précieuses. Ils étaient précédés et suivis par un nombre considérable d’Enfants-Boyards à cheval, tous en pelisses de zibelines. Les rues étaient remplies de spectateurs russes et étrangers (27). On logea les Tsarévitches et les Princesses dans des maisons particulières de nobles et de marchands et on leur accorda un revenu modéré. On permit aux femmes et aux filles du Khan de se rendre à Kassimof et à Béjetsk auprès du tsar Ouraze-Mahomet et auprès du tsarévitche de Sibérie, Mametkoul, conformément au désir qu’ils manifestèrent. Abdoul-Khaïr, fils de Koutchoum, fait prisonnier en 1591, adopta à cette époque le Christianisme, et fut nommé André.

Dès-lors, n’ayant plus de guerre à soutenir en Sibérie, Boris y réprima facilement la turbulence de nos tributaires, dont il augmentait le nombre par la crainte de son pouvoir ou par les avantages que leur offrait une administration active et paisible. Ce fut alors qu’il s’occupa à bâtir plusieurs villes dans cette contrée. 1598 à 1604. Verkhotourié fut fondé en 1598 ; Mangazeï et Tourinsk, en 1600 ; Tomsk, en 1604 (28). On les peupla de soldats mariés, de leurs familles, et particulièrement de cosaques lithuaniens ou de la petite Ruissie ; On forma aussi des compagnies composées d’habitans indigènes de la Sibérie, et, par des priviléges et des honneurs, on leur inspira tant de zèle pour le service, qu’ils aidèrent avec la plus grande ardeur à soumettre leurs compatriotes. C’est ainsi que la Sibérie, déjà donnée par le hasard à Ivan, fut enfin définitivement réunie à la Russie par les sages dispositions de Boris.

Rien ne changea dans le caractère et les vues de notre politique extérieure. Nous cherchions Politique extérieure. à avoir partout la paix et à faire des acquisitions sans guerre ; nous tenant toujours sur la défensive ; nous n’ajoutions pas foi à l’amitié de ceux dont les intérêts ne s’accordaient pas avec les nôtres, et nous ne perdions aucune occasion de leur nuire, sans manquer ostensiblement aux traités.

Le Khan, tout en assurant la Russie de son amitié, différait toujours la conclusion solennelle d’un nouveau traité avec le nouveau Tsar. Cependant les cosaques du Don ne cessaient d’inquiéter la Tauride par leurs incursions, et les brigands de la Crimée se répandaient dans le pays de Bielgorod (29) : enfin, au mois de juin 1602, Kazi-Ghiréï, ayant accepté nos présens, estimés à quatorze mille roubles, remit, à l’ambassadeur prince Grégoire Volkonsky, et avec toutes les cérémonies d’usage, la formule du serment ; mais il demandait encore trente mille roubles, et se plaignait que les Russes resserraient les possessions du Khan, en élevant des forteresses dans les stèpes dont les Tatares avaient eu jusque là la jouissance.

« Ne voyons-nous pas, dit-il, votre intention hostile ? vous voulez nous étouffer dans une enceinte de murailles, et pourtant je suis votre ami, un ami comme il y en a peu. Le Sultan conserve l’idée de marcher contre la Russie, je lui dis toujours ; la distance est grande ; il y a dans ce pays des déserts, des bois, des rivières, des marais et des boues impratiquables ». Le Tsar répondit que son trésor était épuisé par les sommes qu’il avait distribuées à l’armée et au peuple ; que les forteresses n’étaient construites que pour la sûreté de nos communications avec le Khan et pour mettre un frein à la rapacité des cosaques du Don ; que d’ailleurs ayant une armée formidable, nous ne redoutions pas le sultan. Achmet-Tchélubeï, favori de Kazi-Ghireï, envoyé auprès du Tsar avec le traité d’alliance, exigea de lui le serment d’exécuter fidèlement les conventions. Boris prit en main un livre, qui, sans aucun doute, n’était pas l’Évangile, et dit : « je promets une amitié sincère à Kazi-Ghiréï. Voilà mon plus grand serment ». Il ne voulut ni baiser la croix, ni montrer le livre à Tchélubéï, à qui l’on assura que c’était par une amitié particulière pour le Khan, que le Souverain de la Russie avait prononcé verbalement la promesse sacrée de l’alliance, et que les traités avec les autres Souverains n’étaient confirmés que par la parole des Boyards. C’est ainsi que Boris, au mépris des anciens usages, évita de compromettre inutilement les rites sacrés de la religion, dans ses relations avec des barbares qui ne respectaient que l’intérêt et la force. Il honora le Khan par des présens de peu de valeur ; mais il comptait surtout sur son armée pour la défense des possessions sud-est de la Russie, et il y maintint la tranquillité. Il y eut des différends de part et d’autre, mais sans en venir à une rupture. En 1603, Kazi-Ghiréï renvoya avec colère de la Tauride le prince Bariatinsky, nouvel ambassadeur du Tsar, qui ne voulut pas s’opposer à une invasion des cosaques du Don dans le camp de Karassan, et qui lui répondit brusquement : « vous avez des sabres ; quant à moi, je ne dois traiter qu’avec le Khan et non avec les brigands cosaques ». Le Khan se plaignit sans menace et renouvela l’engagement qu’il avait pris de mourir notre ami. Il redoutait alors les armes du Sultan et espérait trouver un protecteur dans Boris.

Boris chercha également à relever la dignité de la Russie, dans ses rapports avec la Lithuanie et la Suède, profitant pour cela des circonstances du moment. Sigismond, encore roi titulaire de Suède, était déjà en guerre avec le duc Charles, son oncle, régent du royaume ; et par la cession qu’il avait faite de l’Esthonie à la Pologne, il avait réussi à engager les grands de cette puissance à prendre part à sa querelle. Dans cette position si favorable pour nous, la Lithuanie désirait une paix solide avec la Russie, et la Suède sollicitait son alliance. Mais Boris, tout en se montrant disposé à l’une et à l’autre, cherchait un moyen facile pour leur reprendre les anciennes possessions de l’ordre Teutonique, que nous avions été forcés de leur céder, et qu’Ivan et la Russie regrettèrent toujours comme une conquête due à de longs et sanglans travaux.

Sort du prince Gustave de Suède en Russie. Nous avons déjà parlé de Gustave, fils d’Érik, roi de Suède (30) ; errant de pays en pays, il demeura quelque temps à Thorn où il vivait de la modique pension que lui faisait son frère Sigismond. Enfin, il se décida en 1599 à venir chercher fortune dans notre patrie, où l’invitaient et Fédor et Boris, en lui proposant non seulement un asile momentané, mais un domaine considérable, ou un apanage. Des dignitaires de l’état furent envoyés jusqu’à la frontière au devant de ce Prince, et à Novgorod et à Tver ils lui offrirent leurs hommages et des présens (31). Ils le revêtirent d’habits d’or et de velours et le firent entrer à Moscou sur un char richement décoré. Il fut présenté au Tsar au milieu de l’assemblée la plus brillante de la cour. Gustave qui connaissait la langue slave, après avoir baisé la main de Boris et du jeune Fédor, prononça un discours ; il s’assit ensuite sur un coussin couvert d’or, et dîna chez le Tsar à une table particulière, servi par son maître d’hôtel et son échanson. On lui donna un vaste palais, des officiers et des serviteurs ; le Tsar lui envoya des vases et des plateaux précieux tirés de son trésor ; enfin, il eut pour ses revenus le domaine de Kalouga et trois villes avec leurs districts. En un mot, après la famille de Boris, Gustave tenait en Russie le premier rang. On le combla de caresses, et on lui fit journellement des présens. Il avait des qualités, de la noblesse dans l’âme, de la sincérité, et de rares connaissances dans les sciences, surtout en chimie, au point qu’on le surnomma le second Théophraste Paracelse. Outre les langues suédoise et slave, il connaissait l’italien, l’allemand et le français (32). Doué d’un esprit observateur, il avait beaucoup vu le monde, et sa conversation était agréable ; mais ce ne furent ni ses qualités, ni ses connaissances qui lui valurent la bienveillance du Tsar. Boris songeait à faire de lui, un second Magnus, un instrument de sa politique ; et il ne considérait ce Prince que comme un épouvantail pour Sigismond et pour Charles. Il flatta Gustave de l’espérance de devenir, par son secours, maître de la Livonie, et, pour tromper aussi les Livoniens, il entama cette affaire avec beaucoup d’adresse. Un grand nombre de citoyens de Dorpat et de Narva vivaient encore à Moscou, avec leurs femmes et leurs enfans, dans une captivité supportable, mais pénible, puisqu’ils étaient privés de leur patrie et de leur fortune : Boris leur rendit la liberté, à condition toutefois qu’ils lui prêteraient serment d’une fidélité inviolable ; il leur permit d’aller où bon leur semblerait pour affaire de commerce, à Riga, en Lithuanie et en Allemagne ; mais il les fit jurer que, partout, ils le serviraient avec zèle, en épiant et en observant tout ce qui pouvait être de quelque importance pour la Russie, et qu’ils en feraient secrètement leur rapport au garde-des-sceaux Stchelkaloff. Ces hommes, autrefois riches négocians, ne possédaient plus rien : le Tsar ordonna de leur distribuer jusqu’à vingt-cinq mille roubles de monnaie actuelle, afin qu’ils servissent la Russie avec plus de zèle, et pussent lui gagner un plus grand nombre de leurs compatriotes (33). Connaissant le mécontentement des habitans de Riga et des autres Livoniens, opprimés par le gouvernement dans leur vie civile et dans leur conscience, le Tsar leur fit dire que s’ils voulaient sauver leur liberté et la foi de leurs pères, éviter de devenir papistes ou jésuites, et s’affranchir enfin du joug pesant de la Lithuanie, la Russie étendrait sur eux son égide, et tirerait le glaive contre leurs oppresseurs : on devait surtout ajouter que le plus puissant des souverains, le Tsar, également célèbre par sa sagesse et par son humanité, désirait plutôt être le père que le maître de la Livonie, et qu’il attendait des députés de Riga, de Dorpat et de Narva, pour conclure un traité, qui serait confirmé par le serment des Boyards, et par lequel ils conserveraient, sous la puissante protection de Boris, leur liberté, leurs lois et leur religion (34). En même temps les Voïévodes de Pskof devaient adroitement répandre le bruit en Livonie, que Gustave, reçu avec tant de bienveillance par le Tsar, ne tarderait pas à entrer dans leur pays à la tête de nos troupes, pour en chasser les Polonais et les Suédois, et y régner, avec les droits d’un prince légitime, mais comme vassal de la Russie. Gustave lui-même écrivit au duc Charles : « L’Europe connait le sort malheureux de mon père, et toi tu en connais les auteurs qui sont aussi mes persécuteurs. J’abandonne ma vengeance au Tout-Puissant. Aujourd’hui je me trouve dans un asile tranquille et sûr, auprès d’un grand monarque, plein de bonté pour les princes infortunés. Ici je puis être utile à notre chère patrie. Si tu me cèdes l’Esthonie menacée par l’ambition de Sigismond, avec l’aide de Dieu et du Tsar, je défendrai non seulement les villes de cette contrée, mais je m’emparerai de toute la Livonie, mon patrimoine légitime ». Remarquons qu’il n’est point question de cette lettre dans nos rapports avec la Suède ; il est douteux qu’elle soit parvenue au Duc : composée vraisemblablement dans la chancellerie du Tsar, on en fit circuler de nombreuses copies parmi les citoyens de la Livonie, afin de disposer leurs esprits en faveur du projet de Boris. C’est ainsi que nous faisions usage de la ruse, sans égards pour la trève avec la Lithuanie et la paix avec la Suède.

Mais cette ruse resta sans effet par trois causes : 1o. de tout temps les Livoniens avaient craint et n’aimaient pas les Russes ; ils se rappelaient l’histoire de Magnus et voyaient encore les traces des cruautés d’Ivan dans leur patrie ; ils écoutaient nos promesses sans y ajouter foi. Seulement, quelques habitans de Narva, qui se trouvaient en relations secrètes avec Boris, songeaient à lui livrer cette ville ; mais, convaincus de cette trahison, ils furent exécutés publiquement (35) ; 2o. Nous avions quelques partisans secrets en Livonie ; mais Sigismond et Charles y avaient des troupes ; et cette province pouvait-elle, quand même elle l’aurait voulu, songer à envoyer une ambassade solennelle en Russie ? 3o. Gustave perdit l’amitié de Boris qui pensait lui faire épouser sa fille Xénie, à condition qu’il professerait la même religion qu’elle ; mais Gustave ne consentit ni à renoncer à sa foi, ni à abandonner une maîtresse qu’il avait amenée avec lui de Dantzick (36), ni à servir d’instrument aveugle à notre politique, au détriment de la Suède. Il demanda la permission de partir, et échauffé par le vin, en présence de Fidler, médecin de Boris, il menaça de mettre le feu à Moscou, si on ne lui accordait pas la liberté de quitter la Russie. Fidler en fit son rapport au boyard Siméon Godounoff, et celui-ci le dit au Tsar qui, dans sa colère, ôta à l’ingrat ses trésors et ses villes, et ordonna de le garder prisonnier dans le palais qu’il habitait ; mais bientôt il se radoucit et lui donna, au lieu de Kalouga, la ville ruinée d’Ouglitche. Gustave, en 1601, fut de nouveau reçu chez le Tsar, mais ne dîna plus avec lui. Il se retira dans son domaine, et là, au milieu de tristes ruines, il s’occupa de chimie jusqu’à la fin des jours de Boris. Ce malheureux Prince fut à cette époque involontairement transporté à Iaroslaf et delà à Kachin, où il mourut en 1607, se plaignant de la légéreté de la femme pour laquelle il avait sacrifié en Russie le sort le plus brillant. Sa tombe, isolée au milieu d’un bois de bouleaux sur les bords de la Kachinka, fut visitée par le célèbre général suédois Jacques de la Gardie, et par l’envoyé de Charles IX, Pétréjus, sous le règne de Schouisky (37).

Trève avec la Lithuanie. Nous eûmes enfin l’occasion de rendre hautement à Sigismond, l’insulte faite à Ivan par Bathori. Le chancelier Léon Sapiéha, ambassadeur de Lithuanie, arriva à Moscou ; il y passa six semaines dans l’inaction, sous le prétexte que le Tsar, lui disait-on, souffrait de la goutte. Admis en présence de Boris, le 16 novembre 1600, Sapiéha présenta les conditions tracées par la Diète de Varsovie, pour conclure une paix perpétuelle avec la Russie ; on les écouta froidement et on les rejeta ; mais on retint encore quelques mois Sapiéha dans un triste isolement, au point qu’il menaça de monter à cheval et de quitter Moscou (38), sans avoir rien conclu. Enfin, le Tsar, paraissant céder à l’intervention bienveillante de son jeune fils, ordonna aux membres du Conseil de conclure une trève de vingt ans avec la Lithuanie ; ce traité fut écrit le 11 mars 1601 ; on ne voulut pas y donner à Sigismond, le titre de Roi de Suède, sous le prétexte adroit qu’il n’avait annoncé ni à Fédor ni à Boris, son avénement au trône de son père ; mais dans le fait nous profitions de cette circonstance pour nous venger de l’ancienne obstination de la Lithuanie à ne donner aux Souverains de la Russie, que le simple titre de Grands-Ducs ; par là, d’ailleurs nous nous donnions encore des droits à la reconnaissance du duc Charles, et nous conservions la faculté de négocier avec lui comme avec le Souverain légitime de la Suède. Envain Sapiéha demanda avec instance et employa même les prières et les larmes, pour obtenir qu’on mît dans le traité le titre entier du Roi son maître ; on n’eut aucun égard à ses pressantes réclamations. Le boyard Michel Soltikoff et le diak du Conseil, Vlassieff, furent chargés de porter ce traité à Sigismond, pour qu’il le confirmât ; et, malgré le mauvais accueil qu’on leur fit en Lithuanie, ils réussirent complètement dans cette mission. Sigismond commandait alors l’armée en Livonie ; il les invita à venir auprès de lui à Riga : mais ils répondirent qu’ils attendraient le Roi à Vilna, et ils en vinrent à leurs fins. L’automne était avancé, ils demeurèrent quelque temps sous des tentes sur les bords du Dniéper, et eurent à y souffrir le froid et les privations de tout genre ; mais ils forcèrent enfin Sigismond à venir pour eux à Vilna, et là, commencèrent des discussions très-animées.

Les Seigneurs Lithuaniens disaient à Soltikoff et à Vlassieff : « Si vous voulez réellement la paix, reconnaissez notre Souverain pour Roi de Suède, et l’Esthonie comme une propriété de la Pologne ». Mais Soltikoff répondait : « Vous avez plus besoin de la paix que nous ; l’Esthonie et la Livonie sont une propriété de la Russie depuis le règne de Iaroslaf le Grand ; et le royaume de Suède est au pouvoir du duc Charles : le Tsar ne donne à personne de vains titres »… — « Charles est un traître et un usurpateur », répliquaient les Seigneurs Polonais : « votre Souverain cesserait-il de prendre le titre de Tsar d’Astrakhan ou de Sibérie, si quelque brigand s’emparait de ces contrées pour quelque temps ? La plus grande partie de la Hongrie ne se trouve-t-elle pas aujourd’hui sous la domination du Sultan ? Et cependant l’Empereur porte le titre de Roi de Hongrie, et le Roi d’Espagne celui de Jérusalem ». Ces raisonnemens restèrent sans effet ; Sigismond, en baisant la Croix devant nos Ambassadeurs, le 7 janvier 1602, et en promettant de remplir religieusement la convention, ajouta : « Je prends le nom de Dieu à témoin que je mourrai avec mon titre héréditaire de Roi de Suède ; que je ne céderai à personne l’Esthonie, et que pendant les vingt années de cette trève je chercherai à conquérir Narva, Revel et ses autres villes, sans égard pour ceux qui les occuperaient ». Dans ce moment Soltikoff s’avança et dit à haute voix : « Roi Sigismond, baisez la Croix au nom du grand Souverain Boris, en vous tenant exactement à la lettre du traité, ou le serment ne sera pas regardé comme un serment ». Sigismond fut obligé de rectifier son discours, et il prononça le serment comme l’exigeait le Boyard, et conformément aux dispositions du traité. Ainsi, à Vilna comme à Moscou, la politique Russe obtint le dessus sur celle de Lithuanie.

Sigismond céda, parce qu’il ne voulait pas en même temps avoir la guerre avec les Suèdois et la Russie ; il n’insista que dans son refus de donner à Boris le titre de Tsar et d’Autocrate ; mais les Russes se contentèrent de la parole que ce titre lui serait donné par le Roi au moment de la conclusion de la paix perpétuelle. « Il est bien, dirent les Seigneurs Polonais, de ne pas répandre le sang chrétien pendant vingt ans, mais il est encore préférable de donner à jamais la tranquillité aux deux puissances. Vingt ans passeront bien vite, et l’on ignore qui sera alors Souverain en Lithuanie et en Russie » (39).

Remarquons encore une circonstance intéressante. Les Ambassadeurs de Moscou, le jour de leur audience de congé, se trouvant à un festin dans le palais du Roi, virent le jeune Ladislas, fils de Sigismond, et, comme s’ils avaient prévu l’avenir, ils demandèrent à baiser sa main. Ce jeune enfant, âgé de sept ans, et qui, dans son adolescence, devait devenir un personnage si important dans notre histoire, se leva de sa place et après avoir ôté son chapeau, il leur ordonna de saluer le Tsarévitche Fédor, et de lui dire qu’il désirait vivre dans la plus parfaite amitié avec lui. Par la suite, conservant sans doute dans leur âme un souvenir favorable du jeune Ladislas, le boyard Soltikoff et le diak du Conseil Vlassieff qui avait remplacé alors Stchelkaloff, dans les affaires de l’État, purent inspirer à beaucoup de Russes, une bonne opinion de ce jeune Prince, qui, effectivement, avait des qualités aimables.

Les Ambassadeurs à leur retour donnèrent à Boris l’assurance qu’il pouvait être long-temps tranquille du côté de la Lithuanie ; que Sigismond et les Grands de son Royaume, voyaient et reconnaissaient la force de la Russie, gouvernée par un aussi sage Souverain, et que certainement en aucun cas, ils ne songeraient à rompre le traité, regardant les dispositions pacifiques du Tsar, comme un bienfait du ciel envers leur patrie.

Relations avec la Suède. Nous avous dit que le Régent de la Suède, désirait l’alliance de la Russie. Boris, en engageant le Duc à ne point faire la paix avec Sigismond, permettait aux Suédois de traverser les possessions de Novgorod (40), pour se rendre de la Finlande à Dorpat, et voulait se joindre à eux pour chasser les Polonais de la Livonie. Les relations d’amitié entre Charles et le Tsar étaient entretenues par des Ambassadeurs qu’ils s’envoyaient mutuellement.

Le Duc, pour marquer à Boris la grande estime qu’il lui portait, le consulta en secret, pour savoir s’il devait suivre la volonté des États-Généraux, et prendre le titre de Roi de Suède : le Tsar lui conseilla de le faire et au plutôt, pour le bonheur réel de la Suède ; et il s’attira par là la plus vive reconnaissance de la part de Charles (41). Boris donnait sincèrement ce Conseil, parce que la sécurité de la Russie exigeait que la Lithuanie et la Suède, eussent des Souverains différens ; mais il voulait la possession de Narva, et dans ce dessein, le rusé Monarque annonça, au mois de février 1601, aux ambassadeurs Suédois, Charles Hendrichsohn et Georges Claoussen, qui se trouvaient à Moscou en même temps que Sapiéha, chancelier de Lithuanie, qu’il était nécessaire de revoir et de confirmer solennellement le traité de paix conclu en 1597 (42), au nom de Fédor et de Sigismond ; attendu que ce traité n’était point légal, puisqu’il n’ayait pas été confirmé par ce dernier ; que d’ailleurs les circonstances étaient changées, et que ce Roi était disposé à lui céder une partie de la Livonie, si la Russie voulait l’aider dans la guerre qu’il ferait au duc Charles. Les Ambassadeurs furent très-étonnés et répondirent aux Boyards : « Ce n’est point entre Fédor et Sigismond, mais entre la Suède et la Russie, que nous avons conclu la paix au nom de Dieu, et jusqu’à la fin des siècles. Nous avons rempli consciencieusement les conditions de ce traité ; Kexholm vous a été cédé, quoique Sigismond ne voulut pas y consentir. Non, le duc Charles ne croira jamais que le Tsar veuille manquer à un serment juré sur la Croix et sur le Saint-Évangile. Sigismond en vous cédant des villes en Livonie, vous cède ce qui ne lui appartient pas, puisque la moitié de ce pays, est devenue la conquête de Charles. Et d’ailleurs le Tsar peut-il se fier à une alliance avec la Lithuanie ? Les discussions à l’egard de Kief et de Smolensk sont-elles terminées ? Il est beaucoup plus facile de concilier les intérêts de la Suède et de la Russie, puisque leur avantage commun se fonde sur un voisinage paisible et amical. N’est-ce pas le Tsar lui-même qui a engagé le Duc à ne point faire la paix avec Sigismond ? Nous faisons la guerre et nous prenons des villes. Rien ne vous empêche de vous armer aussi et de partager avec nous la Livonie » ? Mais Boris, voyant avec plaisir la guerre allumée entre le Duc et Sigismond, ne songeait pas à y prendre part, au moins de quelque temps. Il avait déjà signé la trève avec la Lithuanie ; et il différait à confirmer une paix désintéressée avec Charles : il renvoya donc ses Ambassadeurs sans rien conclure ; et en cherchant secrètement à soulever l’Esthonie contre les Suédois, pour la réunir à la Russie, il excitait le ressentiment de Charles par sa mauvaise foi ; néanmoins, il faisait des vœux sincères pour le succès des armes Suédoises dans la guerre de Livonie ; car le triomphe de Sigismond nous menaçait de la réunion de la couronne de Suède à celle de Pologne, tandis qu’au contraire celui de Charles les séparait à jamais. Aussi Boris fut-il le premier Souverain de l’Europe qui reconnut le plus volontiers le Duc comme Roi de Suède, et il lui donnait déjà ce titre dans ses relations avec lui, lorsque Charles ne prenait encore lui-même que celui de Régent.

Alliance intime avec le Danemarck. La nouvelle alliance que Boris conclut avec l’ennemi héréditaire de la Suède pouvait également inquiéter Charles. Boris avait informé de son avénement au trône, les Souverains voisins, ainsi que l’Empereur et Élisabeth ; mais il tarda long-temps à faire cette politesse à Christian, roi de Danemarck : cependant, en 1601, il s’établit entre eux des rapports d’une intime amitié ; et en même temps que les Ambassadeurs de Christian, Eskebrok et Charles Brisk, partirent pour Moscou, le gentilhomme Rgefsky et le diak Dmitrief, furent envoyés par le Tsar à Copenhague, pour terminer les éternelles discussions sur les déserts de Kola et de Vargaw. Pour prouver que toute la Laponie appartenait à la Norwège, Christian s’appuyait sur l’Histoire de Saxon le grammairien, et même sur la cosmographie de Munster (43) ; et il ajoutait que les Russes eux-mêmes avaient de tout temps donné le nom de pays Mourman ou Norwégien à cette contrée. La Russie au contraire soutenait que ce pays lui appartenait sans aucun doute, puisque, sous le règne de Vassili, Élie, un des prêtres de Novgorod, y avait donné le baptême à ses sauvages habitans ; et elle confirmait encore ce droit de propriété par le récit suivant, appuyé sur les traditions des vieillards de cette contrée (44). « Il fut, un jour en Karélie un prince puissant nommé Valit ou Varent tributaire de la grande Novgorod, homme d’un courage et d’une force extraordinaires ; il combattait, remportait des victoires, et voulait régner sur la Laponie ou pays Mourman. Les Lapons demandèrent des secours aux Allemands Norwégiens leurs voisins ; mais Valit défit les Allemands à l’endroit où se trouve maintenant la paroisse de Vareng, et où il déposa, de ses propres mains, pour servir de monument aux siècles futurs, une énorme pierre, qui avait plus d’une sagène de haut. Il construisit autour d’elle une enceinte solide de douze murs et l’appela Babylone. Cette pierre porte jusqu’à présent, le nom de Valit. Une enceinte semblable existait à la place du fort de Kola. On connait encore dans le pays Mourman, la baie de Valit et les ruines de Valit, au milieu d’une ile ou d’un rocher élevé, où le héros Karélien venait se reposer de ses travaux. À la fin, les Allemands vaincus firent la paix avec lui, et lui cédèrent la Laponie entière jusqu’à la rivière d’Ivguei. Valit qui s’appelait du nom chrétien de Basile, après avoir vécu long-temps célèbre et heureux, mourut et fut enterré à Kexholm, dans l’église du Sauveur. Depuis ce temps, les Lapons payèrent tribut à Novgorod et au Souverain de Moscou ». Ces témoignages historiques, invoqués de part et d’autre, n’étaient pas très-convainquans, et les Danois, pour prouver le désir qu’ils avaient de la paix, proposèrent de partager la Laponie en deux parties égales, en long ou en large ; Boris de son côté, par amité pour Christian, offrit de lui céder toutes les contrées situées au-delà du couvent de Petchensk vers le nord, réservant aux députés Danois et Russes de déterminer les frontières des deux possessions à leur prochaine réunion à Kola ; en attendant on renouvela la convention du commerce libre des marchands Danois en Russie, et l’on s’occupa d’une affaire plus importante.

Boris cherchait pour sa fille, un époux digne d’elle, parmi les Princes Européens de sang Royal, afin de relever, par cette alliance, Le Duc de Danemarck fiancé à Xénie. sa famille aux yeux des Boyards et des Princes Russes, qui, naguère avaient vu les Godounoff au-dessous d’eux. Il n’avait point réussi dans son projet de donner à Gustave la main de sa fille avec la Livonie. Mais bientôt, dans sa politique habile, ce tendre père espéra servir l’État et assurer le bonheur de Xénie, en la mariant au duc Jean, frère de Christian, jeune homme plein d’esprit et d’agrémens, et qui, comme Gustave, pouvait servir d’instrument à nos projets ambitieux sur l’Esthonie, dont les Danois avaient eu la propriété. Le Tsar en fit la proposition (45), et le Roi, sans craindre le sort de Magnus, se réjouit de l’honneur d’être allié au puissant Souverain de Moscou, espérant par son secours faire des conquêtes sur la Suède.

Il est à regretter que les papiers intéressans de cette négociation soient égarés ; nous n’en connaissons point la date, et nous ignorons quels furent les engagemens mutuels, ainsi que les conditions par rapport à la religion ; mais nous savons que Jean consentit à sacrifier sa patrie à Xénie, et à devenir un Prince apanagé de la Russie (46). Il est probable que, par cette alliance, le prévoyant Boris songeait aussi à assurer le trône de Moscou dans sa famille, lors même qu’une mort prématurée viendrait enlever le jeune Tsarévitche.

Le duc Jean faisait alors la guerre dans les Pays-Bas, sous les drapeaux Espagnols : il se hâta de partir, monta sur un vaisseau de ligne et accompagné de cinq autres navires, il entra le 10 août 1602, dans l’embouchure de la Narova, où l’attendait un bateau du Tsar. Au moment où le Duc mit le pied sur le territoire de la Russie, le bruit du canon se fit entendre : le boyard Michel Soltikoff et le diak du Conseil Vlassieff, après l’avoir salué au nom du Tsar, le firent entrer sous une riche tente et lui présentèrent quatre-vingts peaux de zibelines des plus précieuses. Jean, dans une voiture resplandissante d’or et d’argent, se rendit à Ivangorod en passant près de Narva, où des drapeaux flottaient sur les tours et sur les murs garnis d’une grande quantité de curieux : c’est ainsi que l’accueillirent les Suédois mêmes, quoiqu’intérieurement ils redoutassent ce voyage dont ils connaissaient ou devinaient le but.

Les honneurs qu’on lui rendît en Russie, furent plus sincères ; il était accompagné de trois sénateurs ; Guildenstern, Brahé et Holck, ambassadeurs de Christian : de huit dignitaires, de quelques gentilshommes, de deux médecins et d’un grand nombre de domestiques. À chaque station et dans les hameaux les plus misérables, ils étaient traités comme dans le palais de Moscou ; il y avait toujours de la musique pendant les repas ; dans les villes le canon tirait ; les troupes étaient sous les armes, et les fonctionnaires offraient leurs félicitations au prince royal. On allait lentement et on ne faisait pas plus de trente verstes par jour ; on passa par Novgorod, Valdaï, Tarjok et Staritsa. Le noble voyageur n’eut pas un moment d’ennui ; aux endroits où l’on s’arrêtait, il se promenait à cheval ou en bateau ; il s’amusait à chasser, à tirer des oiseaux, à causer avec le boyard Soltikoff et le diak Vlassieff, sur la Russie, désirant s’instruire particulièrement de ses lois et de ses mœurs. Les Ambassadeurs de Christian lui conseillaient de ne point adopter sitôt les usages russes et de s’en tenir encore à ceux des Allemands. « Je vais auprès du Tsar, dit-il, pour m’habituer à tout ce qui est russe ». Se trouvant le 1er septembre à Bronnitzi, il dit à Soltikoff : « Je sais que c’est aujourd’hui que vous célébrez votre nouvelle année, que le clergé, les Boyards et la cour adressent au ciel leurs vœux pour le Tsar ; je n’ai pas encore eu le bonheur de le voir, mais je joins mes ferventes prières aux vôtres pour la conservation de ses jours ». Il demanda du vin, et se tenant de bout, il but à la santé du Tsar, avec les dignitaires russes et les ambassadeurs danois ; en un mot, Jean ne négligeait aucun moyen de plaire à Boris et aux Russes. Soltikoff et Vlassieff écrivaient au Tsar et l’informaient de la santé, du caractère et de la belle humeur du Duc, ainsi que de toutes ses actions et de tous ses discours ; ils lui décrivaient même son costume et jusqu’à la couleur de ses habits, de satin, garnis en dentelles d’or et d’argent. Le Tsar voulait connaître tous ces détails, et il ne cessait d’envoyer en présent à l’illustre voyageur, des étoffes précieuses de l’Asie, des bonnets brodés en perles, des ceintures d’un grand prix, des chaînes d’or et des sabres ornés de turquoises et de saphirs. Enfin, Jean témoigna son impatience d’arriver à Moscou : on lui répondit que le Tsar avait craint qu’il ne fut fatigué par un voyage trop rapide, mais que puisque tel était son désir on allait y mettre plus de diligence. Le 18 septembre on coucha à Touchina, et le 19 on s’approcha de la Capitale.

Nonseulement les guerriers et toutes les autorités, mais même tous les bourgeois, allèrent jusque dans la plaine au devant du Duc (47). Après avoir été complimenté par les Boyards, il monta à cheval et, au son de la grosse cloche du Kremlin, traversa Moscou, accompagné des Dignitaires danois et russes. Il fut logé dans la plus belle maison du Kitaï-gorod, et le lendemain on lui envoya le dîner du Tsar : cent plats d’or très-pesans, couverts de mêts, et une quantité de plateaux garnis de vases remplis de vins et d’hydromel (48). Sa présentation solennelle eut lieu le 28 septembre. Des soldats richement équipés formaient une double haie depuis la maison de Jean jusqu’au palais, et la place du Kremlin était couverte de citoyens, d’Allemands et de Lithuaniens revêtus de leurs plus beaux habits. Le Duc fut reçu par les princes Troubetskoy et Tcherkasky au bas de l’escalier, et au haut par Vassili-Schouisky et Galitzin ; le premier Boyard Mstislafsky, les grands Officiers de la cour et les Diaks le reçurent dans le vestibule. Le Tsar et le Tsarévitche, portant des manteaux de velours pourpre brodés de grosses perles, la couronne sur la tête et la poitrine resplandissante de diamans et de rubis, l’attendaient dans la salle dorée. Dès que Boris et Fédor aperçurent le Duc, ils se levèrent, et, après l’avoir embrassé tendrement, ils le firent asseoir à côté d’eux, et causèrent long-temps avec lui en présence des grands de la cour qui admiraient sa grâce et sa beauté. Boris voyait déjà en lui l’époux de Xénie et le traitait comme un fils. On dîna dans la salle crénelée. Le Tsar était assis sur un trône d’or, à une table d’argent ; une couronne ornée d’une horloge était suspendue au dessus de sa tête ; Il avait à ces côtés Fédor, et le Duc qui était déjà comme admis dans sa famille. Le repas se termina par des présens : Boris et Fédor, ôtant les chaînes de diamans qu’ils portaient au cou, les passèrent à celui du Duc ; et les gens de la cour lui présentèrent deux coupes d’or ornées de rubis, quelques vases en argent, des étoffes précieuses, des draps anglais, des fourrures de Sibérie et trois habits russes ; mais le noble fiancé ne vit point Xénie, et fut obligé de s’en rapporter aux éloges qu’on donnait à sa beauté, à ses qualités aimables et à ses vertus.

Au dire des contemporains, elle était d’une taille moyenne et parfaitement bien faite ; sa peau avait la blancheur du lait ; ses cheveux noirs, épais et longs tombaient en tresses sur ses épaules ; elle avait un visage frais et coloré, des sourcils rapprochés et des yeux noirs d’une grande beauté, surtout lorsqu’ils étaient humides des larmes de la tendresse ou de la pitié ; elle n’était pas moins séduisante par la noblesse de son âme, sa candeur, son doux parler, son esprit, et son goût formé par la lecture des livres et des poésies sacrés (49). Un usage sévère défendait à toute jeune fille de se montrer aux regards de son futur époux, avant la cérémonie des fiançailles.

Cependant Xénie et la Tsarine, placées dans un lieu secret, purent voir de loin le jeune Duc. Les fiançailles et les noces furent remises à l’hiver, et on s’y prépara, non par des fêtes, mais par des prières. La jeune Princesse avec ses parens et son frère se rendit au couvent de Troïtsa. Des témoins oculaires parlent en ces termes (50) de ce voyage pompeux :

En avant marchaient six cents cavaliers et vingt-cinq chevaux de main, couverts de caparaçons éblouissans d’or et d’argent ; ils étaient suivis de deux voitures attelées de six chevaux ; la première, doublée en drap rouge, appartenant au Tsarévitche, marchait à vide ; la seconde, garnie en velours, portait le Souverain ; cette dernière était entourée de gens de la Cour à pied, et l’autre de cavaliers. Plus loin venait le jeune Fédor, monté sur un cheval conduit par des fonctionnaires de distinction. Les Boyards et toute la Cour fermaient le cortége. Un grand nombre de supplians couraient après le Tsar en tenant des suppliques sur la tête. On les prit toutes et on les enferma dans une boite rouge, afin de les présenter plus tard au Souverain. Une demi-heure après, la Tsarine parut dans une voiture magnifique, attelée de dix chevaux blancs ; dans une autre voiture traînée par huit chevaux de même couleur, et fermée de toutes parts, se trouvait la jeune Princesse. Elles étaient précédées par quarante chevaux de main et par une troupe de cavaliers, tous vieillards avec de longues barbes blanches, et suivies par vingt-quatre femmes de Boyards, montées sur des chevaux blancs. Ce cortége était environné de trois cents gardes armés de massues de fer. Arrivé dans ce séjour de paix et de sainteté, Boris y passa neuf jours avec sa femme et ses enfans, à prier sur le tombeau de Saint-Serge, afin que le Ciel daigne bénir l’union de Xénie et de Jean.

Pendant ce temps, on servit chaque jour au Duc resté chez lui, le dîner du Tsar. Il reçut en présent des velours, des moires et des dentelles pour son habillement russe ; on lui envoya un lit magnifique et du linge brodé en or et en argent. Jean voulait sérieusement apprendre notre langue, et on dit même (51) qu’il désirait changer de religion, afin que son épouse et lui n’en suivissent qu’une seule. Il se conduisait d’ailleurs avec beaucoup de sagesse, et plaisait à tout le monde par l’affabilité de ses manières. Mais ce que désiraient sincèrement les Russes et les Danois, ce que demandaient au ciel Xénie et sa famille, la Providence ne voulut pas en permettre l’accomplissement. À son départ du couvent, le 16 octobre, le Tsar apprit, dans le bourg de Bratoftchina (52), la maladie subite du Duc. Jean pouvait encore écrire et il lui expédia un de ses dignitaires pour le rassurer ; mais le mal faisait des progrès rapides, et une fièvre nerveuse se déclara. Les médecins Danois et ceux de Boris ne perdaient cependant pas encore toute espérance ; le Tsar les conjurait d’employer tous leurs talents et il leur promettait des récompenses inouies. Le 19 octobre, le jeune Fédor fit une visite à Jean ; et le 27 le Tsar lui-même y vint, avec le patriarche et les Boyards. L’ayant trouvé faible et sans voix, il se plaignit avec colère de ceux qui lui avaient caché le danger où il était. Le lendemain au soir, Boris trouva le Duc déjà expirant ; il versa des larmes et donna des marques d’une vive douleur, s’écriant : « Malheureux jeune homme, tu as quitté ta mère, tes parens, ta patrie, pour venir auprès de moi, périr d’une mort prématurée » (53). Dans l’espoir de fléchir la Providence, le Tsar fit alors le serment de délivrer quatre mille prisonniers, si le jeune Duc échappait au trépas et il conjura les Danois de prier Dieu avec ferveur. Mais le 28 octobre, à six heures du soir, le jeune duc, à peine âgé de dix-neuf ans, avait cessé de vivre. La douleur fut générale. Non seulement la famille du Tsar, les Danois, les Allemands, mais toute la cour et tous les habitans de la capitale furent vivement, affectés de cette perte. Boris alla trouver Xénie et lui dit : « Ma fille, ton bonheur et ma consolation, tout est détruit ». Et la jeune princesse tomba sans connaissance à ses pieds. On ordonna de rendre au défunt tous les honneurs qui étaient dus à son rang. Le trésor du Tsar fut ouvert aux veuves et aux orphelins ; on nourrit les pauvres dans la maison où Jean venait d’expirer, et des dignitaires distingués veillèrent auprès de son corps. On défendit d’en faire l’autopsie, et on le déposa dans un cercueil de bois rempli d’aromates, qui fut ensuite placé dans un second cercueil en cuivre, et celui-ci dans un troisième en chêne garni en velours noir et en argent, avec une croix au milieu, et une inscription latine qui rappelait les qualités du défunt, l’affection que lui portait le Tsar et la nation russe, et leur douleur inconsolable.

Le 25 novembre, jour de ses obsèques, Boris fit des adieux touchans aux restes inanimés du jeune Duc, et il les suivit en traineau, à travers le quartier de la ville nommée Kitaï, jusqu’à la ville blanche. Le cercueil était placé sur un char, couvert de trois drapeaux noirs avec les armes du Danemarck, du Meklembourg et du Holstein ; des deux côtés marchaient des soldats de la garde du Tsar, ayant les pointes de leurs piques tournées vers la terre. Les Boyards, les nobles et les bourgeois accompagnèrent le char funèbre jusqu’à la Slabode allemande ; là le corps de Jean fut déposé dans la nouvelle église de la confession d’Augsbourg, en présence des grands de Moscou qui mêlaient leurs larmes à celles des Danois, quoiqu’ils ne comprissent pas la touchante oraison funèbre que prononça le pasteur du Duc, dans laquelle il les remercia des marques de regrets qu’ils donnaient à la perte de ce jeune Prince.

S’il faut en croire notre Annaliste, Boris, dans le fond de son âme, ne regretta pas la mort de Jean, parce qu’il était déjà jaloux de l’amour que tous les Russes lui portaient, et qu’il craignait de laisser en lui un compétiteur dangereux pour le jeune Fédor. On ajoute que les médecins ayant appris la secrète pensée du Tsar, n’avaient point osé guérir le malade (54). Mais une semblable accusation est-elle digne de foi ? Le Tsar n’avait-il pas désiré lui-même que son gendre futur gagnât l’affection des Russes ? C’est à cet effet qu’il lui avait conseillé de se montrer affable et de suivre nos usages ; certainement Boris voulait le bonheur de sa fille ; il donnait aussi par cette alliance un nouvel éclat à sa maison, il l’affermissait encore sur le trône, et il ne pouvait, dans le court espace de trois semaines, avoir ainsi changé de sentimens et d’idée ; craindre ce qu’il avait désiré, entrevoir ce qu’il n’avait pas prévu ; confier un secret aussi horrible à des médecins étrangers qu’il refusa long-temps d’admettre en sa présence, après la mort du Duc, et qui l’avaient traité conjointement avec les médecins Danois attachés à sa personne. Les dignitaires de la cour de Christian, témoins de cette maladie, en publièrent une relation exacte, et on y voit clairement la preuve que tous les moyens de l’art, quoique sans succès, furent employés pour sauver le jeune Duc. Non, Boris ne fut point coupable de cette odieuse atrocité ; il fut sincèrement affligé et il regarda peut-être comme une punition du ciel, ce coup qui frappait une fille chérie dont il avait préparé le bonheur et qui devenait veuve avant d’être mariée. Il quitta les vêtemens de Tsar, revêtit la robe de deuil, et montra long-temps une profonde douleur (55). Tout ce qui avait été donné en présent au duc, fut envoyé à Copenhague ; On y laissa retourner tous ceux qui l’avaient accompagné et on leur fit encore des dons magnifiques. Ses derniers serviteurs ne furent pas oubliés dans ces libéralités (56). Boris écrivit à Christian que la Russie conserverait toujours la plus solide amitié pour le Danemarck. Elle se maintint en effet, comme si elle avait été consolidée entre les deux États, par le souvenir du sort déplorable de Jean, dont le corps fut transporté à Roschild, après être resté long-temps sous la voûte de l’église luthérienne à Moscou. Pour honorer la mémoire du jeune duc, Boris accorda des cloches à cette église et permit de les sonner les jours de fêtes (57).

Mais la douleur n’empêchait pas Boris de s’occuper des affaires de l’état, avec son activité ordinaire, ni de songer à un autre époux pour sa fille. Vers l’année 1604, nos Ambassadeurs se rendirent de nouveau en Danemarck et, par l’entremise de Christian, ils convinrent avec Jean, duc de Schlesvig, que Philippe, l’un de ses fils, irait à Moscou pour épouser Xénie, et y devenir prince apanagé (58). Mais cette convention n’eut pas de suite, et elle fut rompue uniquement par les circonstances malheureuses dans lesquelles se trouva alors la Russie.

Négociations avec l’Autriche. Nos relations avec l’Autriche étaient aussi amicales que du temps de Fédor et ne furent point infructueuses. Au mois de juin 1599, le Tsar envoya Vlassieff, diak du conseil, auprès de l’Empereur, pour lui porter la nouvelle de son avénement au trône de Russie ; Vlassieff monta sur un vaisseau de Londres à l’embouchure de la Dvina et toucha terre en Allemagne ; là, il fut reçu avec de grandes démonstrations d’amitié, au bruit du canon et de la musique, par les citoyens les plus distingués de Lubeck et de Hambourg, reconnaissans des dispositions bienveillantes que Boris manifestait envers les Allemands, et qui leur faisaient espérer de nouveau un commerce avantageux avec la Russie (59). Rodolphe, chassé de Prague par la peste, se trouvait alors à Pilsen, où Vlassieff se rendit, et où il eut des conférences avec les Ministres autrichiens. Il les assura que nos armées étaient déjà en marche contre les Turcs ; mais que Sigismond leur avait fermé, en Lithuanie, les routes vers le Danube ; que le Tsar, véritable frère des Monarques Chrétiens et ennemi juré des Ottomans, avait sollicité le Schah et plusieurs autres Princes de l’Asie d’agir offensivement contre le Sultan, et qu’il était lui-même prêt à marcher en personne contre les habitans de la Crimée, s’ils prenaient parti pour les Turcs. Vlassieff ajoutait, que nous ne cessions d’engager les Seigneurs polonais à confirmer leur alliance avec l’Empereur et notre pays, en faisant monter Maximilien sur le trône des Jagellons ; et que le pacifique Boris n’hésiterait pas même à prendre les armes pour parvenir à ce but, si l’Empereur se décidait jamais à venger sur Sigismond le déshonneur de son frère (60). Rodolphe témoigna de la reconnaissance ; mais, pour faire la guerre à Mahomet III, il exigea de nous de l’or et non des hommes, désirant seulement que nous tinssions le Khan en respect. « L’Empereur, disaient ses Ministres, chérit le Tsar, et il ne veut point qu’il s’expose à des dangers personnels, dans des combats avec les barbares (61). Vous avez beaucoup de braves Voïévodes, qui seuls peuvent facilement réduire les Tatares ; voilà votre principale affaire. Si le ciel le veut, alors avec les secours généreux du Tsar, la couronne de Pologne n’échappera pas à Maximilien ; mais ce n’est pas le moment d’accroître le nombre de nos ennemis ».

La Russie de son côté ne songeait certainement pas à déclarer la guerre pour faire monter Maximilien sur le trône de Pologne ; car Sigismond, déjà l’ennemi de la Suède, n’était pas plus dangereux pour nous, qu’un Prince autrichien qui aurait eu la couronne des Jagellons ; et malgré les assurances de Vlassieff, nous ne songions pas non plus à combattre le Sultan sans y être forcés ; mais, prévoyant que cela pourrait arriver, et sachant que Mahomet, irrité contre la Russie, ordonnait effectivement au Khan de dévaster nos possessions (62), Boris favorisait sincèrement la guerre de l’Autriche contre cet ennemi des Chrétiens. Depuis l’année 1598 jusqu’en 1604, plusieurs Dignitaires autrichiens vinrent en Russie, et entre autre un illustre Ambassadeur, le baron Logau. Le Diak du conseil, Vlassieff, alla une seconde fois auprès de l’Empereur en 1603 : mais nous n’avons aucune notion sur leurs conférences ; nous savons seulement que le Tsar donna des secours d’argent à Rodolphe (63), qu’il empêcha Kazi-Ghiréï de faire de nouvelles invasions en Hongrie, et qu’il chercha à former une alliance entre l’Empereur et le Schah de Perse, qui, à cette époque, combattait les Turcs avec succès, et auprès duquel les Ambassadeurs autrichiens se rendaient, en passant par Moscou (64). Le célèbre Abbas avait félicité Boris sur son avénement au trône ; il lui avait témoigné le désir de conclure un traité d’amitié avec lui et, en sa faveur, avec l’Autriche. En 1600 son ambassadeur Issenaléi s’était rendu par la Russie à Vienne, à Rome et auprès du roi Ambassade de Perse d’Espagne (65) ; et au mois d’août 1603, pour donner une preuve de l’affection particulière qu’il portait à son frère de Moscou, le Schah lui avait envoyé, par Laschin-Bec un de ses dignitaires, le trône d’or des anciens souverains de la Perse (66). Cependant il se montra tout-à-coup notre ennemi, au sujet de la malheureuse Géorgie ; et quoiqu’il n’eût point contesté à Fédor ni à Boris le titre de souverain suprême de ce pays, il voulut néanmoins y dominer en despote, et le comprima, comme une faible victime, dans ses mains sanglantes.

Événemens en Géorgie. Le Tsar Alexandre ne cessait de porter ses plaintes à Moscou sur le sort malheureux de l’Ibérie ; ses Ambassadeurs disaient aux Boyards (67) : « Les Infidèles nous faisaient répandre des larmes, et nous avons livré nos têtes au Tsar orthodoxe, afin qu’il nous défendit ; mais ces larmes coulent encore aujourd’hui ; nos maisons, nos églises et nos couvens sont en ruines, nos familles dans l’esclavage, et nos fronts courbés sous le joug. Est-ce là ce que vous nous avez promis ? Les Infidèles se rient des Chrétiens ; ils leur demandent : Où donc est le bouclier du Tsar-blanc ? Où donc est votre défenseur ? » Boris ordonna de leur rappeler la campagne du prince Khvorostinin, auquel leurs troupes avaient dû se joindre et ne l’avaient pas fait (68). Cependant il envoya en Ibérie deux dignitaires, Nastchokin et Léontieff, pour s’informer sur les lieux de toutes les circonstances, et pour convenir, avec les Voïévodes de Tersk, des moyens à prendre pour la défense de cette contrée. Il s’y opéra momentanément un changement de règne : pendant une violente maladie d’Alexandre, David, son fils, se déclara souverain. Le Tsar guérit, mais son fils ne voulut plus lui restituer les marques de la souveraineté, l’étendard royal, le bonnet et le sabre avec le ceinturon (69). Il fit plus, il fit périr de mort violente, tous ceux qui étaient restés fidèles à Alexandre. Ce malheureux père, sans vêtemens et pieds nus, accourut dans l’église, et d’une voix étouffée par les sanglots, il donna publiquement sa malédiction à son coupable fils, le livrant ainsi à la colère divine, qui, en effet, ne tarda pas à le frapper : David tomba inopinément malade et mourut dans de cruelles souffrances. Nos Ambassadeurs revinrent avec la nouvelle qu’Alexandre régnait de nouveau en Ibérie, mais qu’il se rendait indigne des bienfaits du Tsar, étant l’esclave soumis du Sultan, et qu’il osait encore accuser Boris d’être avide de présens. « Est-ce à moi, s’écria le Tsar avec colère, est-ce à moi à être séduit par les présens de mendians, moi qui puis remplir toute l’Ibérie d’argent et la couvrir d’or. » Il ne voulut pas voir le nouvel ambassadeur d’Ibérie, l’Archimandrite Cyrille ; mais ce sage vieillard prouva clairement que Nastchokin et Léontieff avaient calomnié son maître ; et, cependant, plein de générosité, il obtint du Tsar qu’il ne les punirait pas (70). Pour favoriser la réunion future de la Géorgie avec la Russie, il donna l’idée à Boris de faire construire trois forteresses en pierres ; l’une à Tarki, endroit inabordable, fertile et pittoresque ; l’autre, sur le Touslouk, où se trouvait un grand lac d’eau salée, et beaucoup de souffre et de salpêtre ; et enfin, la troisième, sur le Bouinak, où il avait existé une ville qu’on prétendait avoir été fondée par Alexandre de Macédoine, et où l’on voyait encore s’élever des tours antiques au milieu des vignobles.

Pour exécuter une entreprise aussi importante, Boris nomma deux voïévodes, Boutourlin et Plestcheeff, qui, après avoir pris des troupes à Cazan et à Astrakhan, devaient agir de concert avec les commandans de Tersk, et attendre la jonction des troupes auxiliaires d’Ibérie, que l’Ambassadeur avait promises avec serment au nom d’Alexandre. On ne perdit pas de temps, et l’argent ne fut point épargné ; le trésor du Tsar donna près de trois cent mille roubles pour cette entreprise aussi lointaine que pénible (71).

Une armée assez nombreuse partit en 1604 des bords du Terek, et marcha vers la mer Caspienne ; l’ennemi ne nous attendit pas. À l’approche de nos troupes ; le Schavkal, vieillard déjà débile et aveugle, s’enfuit sans combattre, dans les rochers du Caucase, et les Russes occupèrent Tarky. On ne pouvait trouver un endroit plus favorable pour la construction d’une forteresse : de trois côtés, des murs de rochers élevés pouvaient lui servir de rempart ; il ne s’agissait que de fortifier la pente douce qui conduisait vers la mer et qui était couverte de bois, de jardins et de champs. Les montagnes remplies de sources abondantes, fournissaient, au moyen de plusieurs conduits, de l’eau fraîche aux habitans. Les Russes ayant tous les matériaux nécessaires, du bois, des pierres et de la chaux, commencèrent à construire une muraille, sur la hauteur où se trouvait le palais du Schavkal avec deux tours ; ils donnèrent à Tarky le nom de Ville-Neuve. On fonda encore une forteresse sur le Touslouk. Tandis que les uns travaillaient, les autres combattaient ; ne rencontrant point de forte résistance, ils firent une excursion jusqu’à Andrie ou Endren, et jusqu’aux eaux thermales ; on faisait prisonnier les habitans des villages, mais quoiqu’on s’emparât du blé, des chevaux et des troupeaux, on craignit cependant de manquer de vivres, ce qui décida Boutourlin à envoyer, au milieu de l’automne, cinq mille homme passer l’hiver à Astrakhan. Ils marchèrent, heureusement, avec précaution, car les fils du Schavkal et les Koumiks les attendaient dans les déserts. Ils les attaquèrent avec courage et combattirent vaillamment pendant toute la journée ; mais quand la nuit fut venue, ils s’enfuirent, laissant trois mille morts sur le champ de bataille. Les Voïévodes firent le rapport de ce combat sanglant, à Moscou et au Tsar d’Ibérie, dont ils attendaient les troupes au plus tard vers le printemps, afin de chasser l’ennemi de toutes les montagnes, de s’emparer entièrement du Daguestan et d’y construire, sans opposition, de nouvelles forteresses. Mais on n’entendait plus parler de l’armée auxiliaire, et l’on n’avait aucune nouvelle de la malheureuse Géorgie. Alexandre ne trompait plus la Russie, il avait péri et pour notre cause.

Le Tsar ayant congédié l’archimandrite Cyrille, au mois de mai 1604, avait envoyé avec lui Michel Tatistcheff, gentilhomme du Conseil privé, d’abord afin de consolider notre domination en Géorgie, et en second lieu pour y traiter une affaire de famille encore secrète. Ce Dignitaire ne trouva pas le Tsar à Zagem, au mois d’août 1604 ; Alexandre était allé auprès du Schah, qui, sans égard pour sa qualité de tributaire de la Russie, et sans crainte d’offenser son ami Boris, lui avait sévèrement prescrit de se rendre avec ses troupes au camp des Persans. Iouri, fils d’Alexandre, reçu Tatistcheff, non seulement avec amitié, mais avec soumission. Il vantait la puissance du Tsar de Moscou, et pleurait sur le sort de sa malheureuse patrie. « Jamais, disait-il, l’Ibérie n’a éprouvé de plus grandes calamités : nous sommes sous le glaive du Sultan et du Schah ; tous deux sont avides de notre sang et de nos biens. Nous nous sommes livrés à la Russie : qu’elle nous adopte donc, non seulement de paroles, mais encore de fait ! Il n’y a point de temps à perdre : bientôt il ne se trouvera plus personne ici pour baiser la Croix en marque d’une fidélité inutile au Souverain. Boris pourrait nous sauver. Les Turcs, les Persans et les Koumiks, s’ouvrent le chemin de notre pays par la violence, et vous, nous vous appelons avec ardeur : venez et sauvez-nous ! Tu vois l’Ibérie, ses rochers, ses antres, ses défilés ; si vous y élevez des forts, et si vous les occupez par des troupes Russes, nous serons réellement à vous, nous serons inattaquables et nous ne redouterons plus ni le Schah ni le Sultan ». Iouri ayant appris que les Turcs marchaient vers Zagem, conjura Tatistcheff de lui donner ses streletz pour les combattre. Le sage Ambassadeur hésita long-temps, comme s’il avait craint de déclarer la guerre au Sultan, sans l’ordre du Tsar ; enfin, pour convaincre l’Ibérie du droit réel que Boris avait de se nommer Souverain suprême de ce pays, il donna à Iouri quarante guerriers Moscovites qui se joignirent, sous les ordres du vaillant officier Semovski, à cinq ou six mille Géorgiens ; ils marchèrent à leur tête, et, le 17 octobre, ils reçurent les Turcs par une décharge générale. Ce premier bruit de nos armes dans les déserts de l’Ibérie, étonna l’ennemi ; son épaisse avant-garde s’éclaircit tout-à-coup ; il vit un nouvel ordre de bataille, de nouveaux combattans ; il reconnut les Russes, et se troubla, ne connaissant pas leur petit nombre. Iouri fondit courageusement avec les siens sur les Ottomans et les chassa devant lui, plutôt qu’il ne les combattit, car ils fuyaient sans s’arrêter. Il semblait qu’en ce jour l’ancienne gloire de l’Ibérie était ressuscitée : ses troupes s’emparèrent de quatre étendarts du Sultan et firent un grand nombre de prisonniers. Le lendemain Iouri remporta une victoire complète sur les brigands Koumiks, et montra au peuple des trophées oubliés depuis long-temps ; il en attribua toute la gloire à ses auxiliaires, cette poignée de Russes qu’il regardait comme des héros.

Enfin, Alexandre revint de Perse, avec son fils Constantin qui s’y était fait Mahométan (72). Abbas, disposant arbitrairement de l’Ibérie, avait ordonné à Constantin de rassembler tous ses soldats, et de se rendre à Schamakha ; il lui avait donné deux mille de ses meilleurs guerriers, quelques Khans et Princes, et un ordre secret que devina Tatistcheff. Celui-ci avertit vainement Alexandre et Iouri que les troupes Persannes les menaçaient plus que les Turcs, et que Constantin ayant trahi le Dieu des Chrétiens pouvait également trahir les liens de famille : ils n’osèrent témoigner aucune méfiance, de peur d’irriter le puissant Schah, et, par ses ordres, ils rassemblèrent leurs troupes et se livrèrent à leurs assassins. Le 12 mars Tatistcheff se disposant à aller diner chez Alexandre, entendit tout-à-coup, des détonnations au palais, des cris et le bruit d’un combat ; il envoya son interprète savoir ce qui se passait, et ce dernier vit les soldats Persans le cimeterre à la main, du sang sur le plancher, des corps et deux têtes coupées aux pieds de Constantin : ces têtes étaient celles de son père et de son frère ! Constantin, musulman, déclaré déjà Souverain de l’Ibérie chrétienne, fit dire à Tatistcheff qu’Alexandre avait été tué par hazard, mais que Iouri avait mérité la mort comme traître au Schah et au Souverain de Moscou, comme ami et serviteur des Turcs abhorrés ; que cette punition ne changeait rien aux rapports de l’Ibérie avec la Russie ; que lui, remplissant la volonté du grand Abbas frère et allié de Boris, était prêt à servir en tout le Souverain chrétien. Tatistcheff avait déjà appris la vérité par les Seigneurs de la Géorgie. Abbas après avoir souffert pendant long-temps l’alliance d’Alexandre avec la Russie, espérant toujours que le Tsar lui prêterait son secours dans la guerre contre les Ottomans, dont il était maintenant vainqueur, ne voulut plus supporter notre domination, quoique vaine, dans un pays qu’il regardait comme un domaine de ses ancêtres. Il comprit le système de la politique de Boris, qui, tout en se réjouissant des sanglantes querelles du Schah et du Sultan, évitait d’y prendre part. Abbas ordonna donc à Constantin de tuer son père sous prétexte de son dévoûment aux Turcs ; mais en effet, à cause du serment de fidélité qu’il nous avait prêté ; serment téméraire et imprudent pour le malheureux Alexandre, puisqu’en cherchant un protecteur éloigné et si peu sûr, il irritait deux oppresseurs voisins. Cependant Constantin, qui n’était que l’instrument de la vengeance d’Abbas, et qui avait passé dans les larmes toute la nuit qui précéda son horrible parricide, assura l’Ambassadeur de Boris, que le Schah n’avait point de part à cet événement : « Mon père, dit-il, est devenu la victime de la désunion de ses fils, malheur très-ordinaire dans notre pays. Alexandre lui-même, avait fait périr son père et tué son frère de sa propre main ; j’en ai fait autant, est-ce pour le bien ou pour le mal ? Je l’ignore ; mais du moins je serai fidèle à ma parole et je mériterai la faveur du Souverain de la Russie, mieux qu’Alexandre et que Iouri. Je lui suis très-reconnaissant pour les forteresses qu’il a fait construire dans le pays du Schavkal, et bientôt j’enverrai de riches présens à Moscou ». Mais ce n’était point des tapis et des étoffes que Tatistcheff désirait : il voulait la sujétion et l’obéissance. Il exigea donc que Constantin prêtât serment de fidélité à la Russie, et il chercha à lui prouver que ce n’était qu’un Prince chrétien qui pourrait être Tsar d’Ibérie. Constantin lui répondit que pendant quelque temps, il resterait musulman et sujet du Schah ; mais qu’il serait le défenseur des Chrétiens et l’ami de la Russie, et il ajouta en terminant : « Où donc est votre appui pour y recourir en cas de besoin » ?

C’est ainsi que Tatistcheff fut obligé de quitter Zagem, après avoir déclaré solennellement que Boris ne cédait point l’Ibérie au Schah, et qu’Abbas, ayant arbitrairement fait périr Alexandre par la main de Constantin, avait rompu l’heureuse amitié qui jusqu’alors avait existé entre la Perse et la Russie. Telles furent les causes et les circonstances qui nous firent perdre ce Royaume, c’est-à-dire, le droit de le nommer dans les titres de nos Tsars ; mais Tatistcheff, sans sortir de la Géorgie, trouva un autre Royaume, pour remplacer dans les titres de Boris, celui qu’il venait de perdre.

Le jeune Fédor approchait de la puberté, et Boris qui avait de nouveau proposé la main de sa fille à un Prince Danois (73), mais qui toutefois, désirait avoir un autre parti en vue, chercha en même temps une bru et un gendre dans l’ancienne patrie de l’illustre Tamar, épouse de Georges fils du grand duc André Bogolubsky. Cyrille, ambassadeur d’Alexandre, avait parlé à nos Boyards avec beaucoup d’éloges de Teïmourasse, fils de David, tsarévitche d’Ibérie, et de la beauté d’Hélène, princesse ou tsarévna du Carthuel, petite fille de Siméon. Il fut ordonné à Tatistcheff de les voir ; mais il ne trouva pas Teïmourasse qui avait été donné en otage au Schah, et il alla dans le Carthuel, pour voir la famille du Souverain de ce pays. Cette partie de l’ancienne Ibérie, moins exposée aux incursions des Koumiks du Daguestan, offrait aussi moins de ruines que la Géorgie orientale ou Kahet. Le prince Georges, père d’Hélène, avait remplacé Siméon, fait prisonnier par les Turcs : il avait des Princes vassaux, une Cour nombreuse, des Boyards et des Évêques. Il reçut Tatistcheff sous des tentes et écouta avec des témoignages de reconnaissance, les propositions qu’il lui fit de se soumettre à la Russie, et d’envoyer avec lui à Moscou, Hélène et son proche parent le jeune prince Khosdroï, s’ils avaient toutes les qualités nécessaires pour mériter l’honneur d’entrer dans la famille de Boris. « Cet honneur est bien grand, dit le zélé Ambassadeur ; l’Empereur et les Rois de Suède, de Danemarck et de France, l’ont ardemment recherché ». Le sort d’Alexandre effrayait Georges ; mais Tatistcheff l’assura que ce malheureux Prince s’était perdu par sa duplicité, voulant servir en même temps les Souverains chrétien et musulman et les irritant tous les deux. « Désirant plaire à Abbas, dit-il, il ne nous donna point de troupes pour réduire le Schavkal ; il laissa son fils en Perse et lui permit de se faire mahométan, c’est-à-dire, d’éguiser son glaive contre son père et contre les Chrétiens. Il y envoya également son petit fils, lorsqu’il eut appris l’intention du Tsar de lui donner la main de sa fille, parce qu’il craignit que Teïmourasse ne reçut la Géorgie pour dot de la Princesse ; mais notre grand Monarque pouvait-il consentir à se séparer de sa fille, pour le misérable trône de Zagem, lorsqu’il avait chez lui de grandes principautés à donner en apanage à son gendre bien-aimé ? Alexandre est tombé parce qu’il ne fut pas loyal avec la Russie, et qu’il ne méritait pas sa puissante protection ». Quarante streletz de Moscou avaient sauvé Zagem : Tatistcheff s’engagea à envoyer immédiatement dans le Carthuel, cent cinquante des plus braves guerriers de la forteresse de Tersk, comme une avant-garde, pour veiller à la sûreté du gendre futur de Boris, et Georges, en remplissant toutes les cérémonies d’usage, se reconnut tributaire de la Russie. Désirant alors d’autant plus une alliance avec le Tsar, il présenta à Tatistcheff, les deux jeunes futurs, en lui disant : « Je me livre à la Russie avec mon Royaume et mon âme. Le prince Khosdroï a été élevé avec moi, par ma mère ; il me sert de main droite dans les combats ; lorsqu’il est au camp je puis être tranquille dans mon palais : j’ai deux enfans : mon fils est mon œil, et ma fille est mon cœur ; ils sont ma consolation même dans les malheurs de notre patrie ; mais je ne veux point refuser Hélène, puisque Dieu et le Souverain de la Russie en ordonnent ainsi ». Tatistcheff, dans le rapport qu’il fit au Tsar, disait : « Khosdroï a vingt-trois ans ; il est grand et bien-fait ; son visage est beau ; son teint clair, mais basané ; il a des yeux brun clair, un nez aquilin, des cheveux chatain foncé ; il a de petites moustaches et il rase déjà sa barbe ; sa conversation est spirituelle et il connait la langue Turque et celle d’Ibérie ; en un mot, il est bien, mais il n’a rien d’extraordinaire ; il est probable qu’il plaira, mais ce n’est pas sûr. Quant à Hélène, je l’ai vue sous une tente chez la Tsarine. Elle était assise entre sa mère et sa grand’mère, sur un tapis d’or ; elle avait une coiffure en perles sous un bonnet orné de pierres précieuses, et un habillement en velours garni de dentelle ; son père lui ordonna de se lever, d’ôter son habit de dessus et son bonnet ; il prit sa mesure avec une canne qu’il me donna, afin que je pusse la comparer avec celle qui m’a été remise par votre Majesté. Hélène est belle sans excès ; sa peau est blanche, mais elle met encore du blanc ; elle a des yeux noirs, un nez petit, et ses cheveux sont teints ; sa taille est droite, mais très-mince à cause de sa jeunesse, car elle n’a que dix ans, et son visage n’est pas assez plein. Le frère aîné d’Hélène est beaucoup plus beau ». Tatistcheff voulut emmener avec lui à Moscou, la jeune Princesse et Khosdroï, en disant que, Hélène, jusqu’au moment de sa puberté, demeurerait chez la tsarine Marie, et apprendrait la langue et les usages russes. Mais Georges, en laissant partir le jeune Khosdroï, voulut garder sa fille auprès de lui, jusqu’à une nouvelle ambassade du Tsar ; et il évita ainsi les larmes d’une séparation inutile, puisqu’Hélène n’aurait plus trouvé à Moscou, l’infortuné Fédor. Tatistcheff fut même obligé de laisser Khosdroï, pour sa sûreté, dans le pays de Sone, lorsqu’il apprit ce qui était Revers des Russes dans le Daguestan. arrivé dans le Daguestan où les Turcs s’étaient vengés, avec usure, des exploits des streletz de Moscou en Ibérie, et où quelques jours avaient suffi pour nous faire perdre tout, hormis l’honneur de nos armes.

Les rapports de la Russie avec Constantinople offraient un caractère singulier. On avait vu les Turcs du temps d’Ivan, assiéger Astrakhan sans déclaration de guerre, et même, du temps de Fédor, venir jusqu’à Moscou sous les drapeaux de la Crimée ; et les Tsars assuraient encore les Sultans de leur bonne amitié, feignant d’être surpris de ces hostilités, comme d’une erreur ou d’un mal-entendu. Le Schavkal, pressé par nos troupes, et attendant vainement des secours d’Abbas, chercha la protection de Mahomet III, qui ordonna à ses Pachas de Derbent et autres provinces de la mer Caspienne, de chasser les Russes du Daguestan. Les Turcs se réunirent aux Koumiks, aux Lesguiens et aux Avares ; et, au printemps de 1605, ils s’approchèrent de Koïssa où commandait le prince Vladimir Dolgorouky qui avait peu de troupes, parce que celles qui avaient été passer l’hiver à Astrakhan, n’étaient point encore de retour. Dolgorouky mit le feu à la forteresse, et montant sur des vaisseaux, il arriva par mer au fort de Tersk (74). Les Pachas assiégèrent Boutourlin dans Tarki ; ce Voïévode, déjà âgé, avait une grande réputation de courage : mais mal défendu par une muraille non encore achevée, il perdait beaucoup de monde pour repousser les assauts qu’on lui livrait. Enfin, une partie de la muraille s’écroula, et une tours en pierres, minée par les assiégeans, sauta avec l’élite des streletz de Moscou (75). Boutourlin se défendait encore, mais il y voyait l’impossibilité de sauver la ville : et après avoir hésité à écouter les propositions de l’ennemi, il se décida, contre l’avis de ses compagnons d’armes, à sauver du moins la garnison. Le Pacha en chef, lui-même, se rendit au camp du Voïévode, qui le traita avec distinction, et auquel il jura de permettre aux Russes de se retirer avec les honneurs de la guerre, et de leur donner toutes les provisions nécessaires : mais les perfides Koumiks, après leur avoir laissé un libre passage, depuis la forteresse jusqu’à la stèpe, les entourèrent tout-à-coup et commencèrent un horrible carnage. Les Russes, quoiqu’ils fussent à peine un contre trois, mais redoutant moins la mort que l’esclavage, et se vouant unanimement à un trépas glorieux, combattirent long-temps corps à corps avec ces ennemis cruels et féroces. Le premier qui tomba, sous les yeux de son père, fut le fils du chef Boutourlin, jeune homme doué de toutes les grâces de la nature ; son père le suivit de près ; puis le Voïévode Plestcheeff et ses deux fils, le Voïévode Poleff, et tous enfin, à l’exception du prince Bachteiaroff qui, dangereusement blessé, échappa au massacre général, avec un petit nombre des siens et fut ensuite rendu à la liberté par le Sultan. Ce malheureux combat, quoique glorieux pour les vaincus, nous coûta de six à sept mille hommes, et effaça, pour cent dix-huit ans, les traces de la domination russe dans le Daguestan.

Tatistcheff revint en Russie, déjà sous un nouveau règne (76), et Boris, n’ayant pas eu le temps d’apprendre qu’un Musulman parricide était monté sur le trône d’Ibérie, resta, jusqu’à la fin de ses jours, l’ami d’Abbas, voyant en lui un adversaire redoutable du Sultan, notre ennemi déclaré, et contre lequel nous soulevions alors l’Asie et l’Europe.

Rapports d’amitié avec l’Angleterre. Dans ses relations même avec l’Angleterre, Boris témoignait le désir que toutes les puissances chrétiennes se levassent en masse contre la Porte. « Non-seulement les Ambassadeurs de l’Empereur et de Rome (77) écrivait-il à Élisabeth, mais même les autres voyageurs étrangers, nous ont assuré que tu avais formé une alliance étroite avec le Sultan ; nous nous en sommes étonnés et nous ne l’avons pas cru. Non tu ne seras jamais en relation d’amitié avec les ennemis de la Chrétienté, et je suis sûr que tu te joindras à l’alliance générale des souverains de l’Europe, pour abattre l’orgueil des Infidèles. Ce noble but est digne de toi et de nous tous ». Mais Élisabeth n’avait en vue que les avantages du commerce de l’Angleterre, et, dans cette pensée, elle flattait l’amour-propre du Tsar par des témoignages de la plus haute considération. Le gentilhomme Mikoulin, notre ambassadeur, fut reçu à Londres avec des honneurs extraordinaires ; le canon tirait dans le port et dans la forteresse, tandis qu’il passait, le 18 septembre 1600, en bateau le long de la Tamise et qu’il traversait la ville dans une voiture d’Élisabeth, accompagné de trois cents nobles cavaliers, des aldermen et des marchands revêtus de riches habillemens et portant des chaînes d’or (78). Les rues étaient trop étroites pour la quantité de spectateurs. L’illustre étranger fut logé dans un des plus beaux hôtels de Londres, et servi par les gens de la Reine. Élisabeth lui envoya de son trésor des plats et des vases d’argent. On devinait ses moindres désirs, et on se hâtait de les satisfaire. Lui, de son côté, se conduisit avec beaucoup de tact et de retenue ; il remerciait de tout ce qu’on faisait pour lui, et n’exigeait jamais rien. Son audience eut lieu à Richmond, le 14 octobre. Élisabeth se leva de sa place et fit quelques pas à sa rencontre ; elle félicita l’Ambassadeur de l’avénement au trône de Boris, son frère bien aimé, et qui de tout temps avait été le protecteur des Anglais. Elle dit qu’elle priait journellement Dieu pour lui. Elle ajouta qu’elle avait des amis parmi les Souverains de l’Europe, mais qu’il n’y en avait pas un seul qu’elle aimât de toute son âme comme le Souverain de la Russie, et qu’un de ses plus grands plaisirs était de remplir sa volonté. Mikoulin dîna chez la Reine et fut le seul qui fut assis à table ; les lords et les principaux dignitaires se tinrent debout : elle se leva, et but à la santé de Boris.

Notre envoyé fut invité à voir tout ce qu’il y avait de curieux ; il assista à un tournoi le jour anniversaire de l’avénement d’Élisabeth au trône, à la fête de l’Ordre de Saint-Georges, au service divin dans l’église de Saint-Paul, et à l’entrée solennelle de la Reine dans Londres, qui eût lieu, pendant la nuit, au son des trompettes, et à la clarté des flambeaux : tous les pairs et tout ce qui était attaché à la cour lui servaient d’escorte, et elle marchait au milieu d’un peuple innombrable, plein d’amour et de dévoûment pour sa Souveraine.

Élisabeth remerciait partout Mikoulin de sa présence, et dans ses conversations intimes avec lui, elle n’oubliait jamais de louer Boris et les Russes. Enchanté de ses faveurs, cet envoyé saisit avec empressement l’occasion de lui prouver son dévoûment. Le 18 février 1601, jour épouvantable pour Londres, lorsque le malheureux d’Essex, après avoir osé se déclarer rebelle, marchait avec cinq cents hommes dévoués pour s’emparer de la forteresse, et que toutes les rues, fermées par des chaînes, se remplissaient de soldats et de citoyens armés, Mikoulin se joignit aux Anglais fidèles et prit avec eux les armes pour sauver Élisabeth. Cette généreuse conduite toucha la Reine, et, après avoir appaisé la révolte, elle en écrivit elle-même au Tsar et lui fit les plus grands éloges du courage de son envoyé. En un mot, cette ambassade resserra encore les relations amicales qui existaient déjà entre Boris et la Reine.

Élisabeth, ennemie de l’Espagne et de l’Autriche, ne pouvait, comme Boris, adopter l’idée d’une nouvelle Croisade ou d’une alliance générale de toutes les puissances chrétiennes, pour chasser les Turcs d’Europe ; mais elle l’assura qu’elle n’avait jamais songé à favoriser le Sultan, et qu’elle faisait les vœux les plus sincères pour le succès des armes des Chrétiens. Il restait au Tsar un autre soupçon : il avait entendu dire que l’Angleterre aidait Sigismond dans sa guerre avec le régent de la Suède ; mais Élisabeth chercha à lui prouver que la religion et la politique lui prescrivaient de protéger Charles. Satisfait de ces explications, Boris accorda de nouveaux priviléges aux Anglais commerçant en Russie. Il reçut avec une bienveillance particulière l’Envoyé d’Élisabeth, Richard Lee (79), dont l’objet principal était de porter au Tsar des assurances d’amitié et des éloges sur ses vertus. Lee, au moment de quitter la Russie, lui écrivit : « L’Univers est plein de ta gloire, parce qu’étant le plus puissant des Monarques, tu sais te contenter de ce que tu possèdes, sans désirer ce qui ne t’appartient pas ; la crainte oblige tes ennemis à désirer d’être en paix avec toi, et tes amis recherchent ton alliance, par l’amour et la confiance qu’ils te portent. Si tous les Souverains de la Chrétienté pensaient comme toi, la paix régnerait en Europe, et ni le Sultan ni le Pape ne pourraient en troubler la tranquillité ».

Élisabeth ayant appris que Boris avait l’intention de marier son fils, lui proposa, en 1603, la main d’une jeune anglaise, âgée de onze ans, parée de tous les charmes et douée des qualités les plus rares ; la Reine promettait d’envoyer, non seulement le portrait de cette beauté de Londres, mais encore celui de plusieurs autres, et désirait surtout que, jusqu’à ce moment, le Tsar ne cherchât point d’autre épouse pour le jeune Fédor. Mais Boris voulut savoir d’abord qui était cette jeune future et si elle était parente de la Reine, assurant Élisabeth que plusieurs grands Souverains briguaient pour leurs enfans l’honneur de son alliance. La mort de cette princesse, si célèbre dans les Annales britanniques, et dont le règne se rattache aussi à notre Histoire, par sa constante amitié pour les Souverains de Russie, écarta la négociation de ce mariage, mais sans interrompre toutefois les rapports de l’Angleterre avec le Tsar. Le nouveau roi, Jacques Ier. (80), ne tarda pas à informer Boris de la réunion de l’Ecosse à l’Angleterre, et il lui écrivit : « Ayant hérité du trône de ma tante, je désire hériter également de l’amitié que tu lui portais ». Au mois d’octobre 1604, l’Ambassadeur de Jacques, Thomas Smith, offrit en présent à Boris, une magnifique voiture et quelques vases d’argent (81). Il lui dit : « Que le roi d’Angleterre et d’Écosse, puissant par ses forces de terre et de mer, et qui l’était encore plus par l’amour de ses sujets, ne recherchait la bienveillance que du seul Souverain de la Russie, tandis que tous les autres Monarques de l’Europe recherchaient eux-mêmes la sienne ; qu’il avait un double titre à cette bienveillance, et qu’il la réclamait en mémoire de la Grande Élisabeth et de son beau-frère, d’éternelle mémoire, Jean, duc de Danemarck, que le Tsar avait aimé si tendrement et qu’il avait si amèrement pleuré ». Boris répondit qu’il n’avait porté à aucun Souverain autant d’affection qu’à Élisabeth ; et qu’il désirait rester à jamais l’ami des Anglais. Outre le droit de faire le commerce dans toutes nos villes sans payer d’impôt, Jacques demandait qu’on accordât aux Anglais un libre passage à travers la Russie, pour se rendre en Perse, dans l’Inde et dans d’autres contrées de l’Orient, afin de chercher une route jusqu’en Chine, plus courte et plus sûre que celle qu’on connaissait par mer, en doublant le cap de Bonne-Espérance. Il ajouta que c’était pour l’avantage mutuel de l’Angleterre et de la Russie ; attendu que les trésors transportés par les marchands, de pays en pays, laissaient sur leur passage des traces d’or. Les Boyards assurèrent l’Ambassadeur que les lettres de grâce accordées par le Tsar, aux Anglais, conserveraient toute leur valeur ; mais ils lui annoncèrent qu’une guerre sanglante désolait les bords de la mer Caspienne, qu’Abbas marchait contre Derbent, Bakou et Schamakha, et que pour le moment, le Tsar ne pouvait permettre aux Anglais d’y aller, à cause des dangers qu’ils pourraient y courir. C’est avec cette réponse que Smith quitta Moscou, le 20 mars 1605. Il ne fut plus question d’une alliance politique entre l’Angleterre et la Russie : le commerce seul, également avantageux aux deux nations, servait à entretenir leurs relations.

Villes Anséatiques. Boris, tout en favorisant exclusivement ce commerce, comme le plus important pour la Russie, n’hésita cependant pas à accorder de nouveaux avantages aux négocians Allemands. La Ligue Anséatique, non contente encore de la lettre de grâce accordée par Fédor, envoya à Moscou, son Secrétaire, le Bourgmestre de Lubeck, Hermers, et trois Magistrats qui, le 3 avril 1603, offrirent en présent au Tsar et à son jeune fils, deux statues, Vénus et la Fortune, deux grands aigles, deux chevaux, un lion, une licorne, un Rhinocéros, un cerf, une autruche, un pélican, un griffon et un paon (82) ; tous coulés en argent et dorés : on reçut les Marchands, comme d’illustres Ambassadeurs. On leur servit à diner sur des plats d’or ; ils présentèrent une supplique aux Boyards, au nom des cinquante-neuf villes unies d’Allemagne ; elle était rédigée en termes persuasifs et humbles : il y était dit, que l’ancienneté de leur commerce dans notre patrie se comptait, non par des années, mais par des siècles ; que lorsque les Anglais, les Hollandais et les Français connaissaient à peine le nom de la Russie, la Ligue Anséatique lui fournissait depuis long-temps tout ce qui lui était nécessaire et agréable pour la vie, et qu’elle avait joui de temps immémorial de la bienveillance des ancêtres du Tsar qui lui avaient toujours accordé des droits et des avantages exclusifs. La Ligue Anséatique demandait donc le retour de ces privilèges ; et, en flattant Boris, elle désirait obtenir un commerce exempt d’impôts, et voulait qu’il lui permit de l’exercer librement dans les ports de la mer du nord, à Kholmogory, à Arkhangel, et qu’il lui donnât des Basars à Novgorod, Pskof et Moscou, ainsi que le droit dont elle avait joui autrefois, d’avoir ses églises. Elle demandait en outre des chevaux pour le transport des marchandises, d’un endroit à l’autre, etc. Le Tsar répondit : que la Douane prélevait des impôts en Russie sur les Marchands de l’Empereur, des rois d’Espagne, de France, de Pologne et de Danemarck ; que les habitans des villes libres de l’Allemagne devaient les payer également, mais que, par faveur, on ferait remise de la moitié aux Lubeckois ; car les autres Allemands étant sujets de différens Souverains, rien ne nous engageait à être aussi désinteressés envers eux ; Boris ajouta que les seuls Lubeckois seraient dispensés de toute visite des Douaniers, leur laissant la faculté de déclarer et d’estimer eux-mêmes leurs marchandises, d’après leur conscience ; qu’on permettait à la Ligue Anséatique de faire le commerce à Arkhangel et d’acheter ou de bâtir des Basars à Novgorod, Pskof et Moscou, à leurs propres frais et non à ceux du Tsar : que toutes les religions étaient tolérées en Russie ; mais que la construction des églises n’était permise ni aux Catholiques, ni aux Luthériens et qu’on l’avait refusée aux principaux Souverains de l’Europe, à l’Empereur, à la reine Élisabeth, etc. ; enfin, que les relais n’étaient point établis en Russie, pour les marchands, mais uniquement pour les courriers du gouvernement et pour les Ambassadeurs étrangers. C’est dans ce sens, que le 5 juin, on rédigea une Charte, en y ajoutant que les biens des négocians étrangers qui mourraient en Russie, ne seraient point confisqués au profit du Tsar, mais qu’ils seraient rendus en entier à leurs héritiers ; que les Allemands pourraient tenir dans leurs maisons de l’eau-de-vie russe, de la bierre et de l’hydromel pour leur usage ; mais qu’ils ne pourraient vendre que des vins étrangers en gros, et non en détail. Les Ambassadeurs se rendirent avec cette Charte à Novgorod, la présentèrent au voïévode, prince Bouinos-Rostofsky, et lui demandèrent un emplacement pour construire des maisons et des boutiques ; mais le Voïévode attendit pendant si long-temps un ordre particulier à cet égard, qu’ils perdirent patience et se rendirent à Pskof, où ils furent plus heureux : le Gouverneur de la ville leur donna tout de suite un emplacement sur les bords de la Velika, hors la ville, à l’endroit où se trouvaient autrefois les boutiques des Allemands, et où l’on voyait encore leurs ruines, monumens de l’ancienne splendeur du commerce dans la patrie d’Olga. Les habitans de Pskof étaient aussi satisfaits que les Lubeckois ; car ils connaissaient par tradition l’heureuse alliance qui avait existé entre leur ville et la Ligue Anséatique ; mais le passé ne pouvait plus revenir, vu le changement des rapports de cette Ligue avec l’Europe, et de Pskof avec la Russie.

Après avoir laissé des fondés de pouvoirs, pour préparer tout ce qui était nécessaire à l’établissement d’un comptoir à Novgorod et à Pskof, Hermers et ses compagnons se hâtèrent de porter à la ville de Lubeck l’heureuse nouvelle du succès de leur entreprise ; et, dès l’an 1604, les vaisseaux de Hambourg commencèrent à arriver à Arkhangel.

Ambassades de Rome et de Florence. Parmi les ambassades Européennes, nous devons remarquer encore celles de Rome et de Florence. En 1601, on vit à Moscou, les Nonces de Clément VIII, François Costa, et Miranda ; d’autres en 1603, vinrent demander la permission d’aller en Perse (83). Le Tsar leur fit donner des bâtimens pour descendre le Volga jusqu’à Astrakhan. Ferdinand, grand-duc de Toscane et de Florence, un des plus illustres Souverains de la célèbre maison des Médicis, généreux ami de Henri IV, expédia, au mois de mars 1602, un des Seigneurs de sa Cour, Abraham Luce, près de Boris pour lui proposer d’envoyer en Russie des savans, des artistes, des artisans (84), et les riches productions indigènes de l’Italie, particulièrement des marbres et des bois précieux, qu’on transporterait par mer dans nos ports de la Dvina.

Les Grecs à Moscou. N’ayant eu aucune relation avec Mahomet III, ni avec son successeur Achmet Ier. (85), nous n’apprenions les événemens qui se passaient à Constantinople que par les Évêques grecs qui venaient sans cesse à Moscou, pour y recueillir des aumônes et nous apporter des Images et la bénédiction des Patriarches. Le tsar Ivan avait déjà donné aux religieux de la Visitation du Mont-Athos, une maison dans le Kataï-Gorod, auprès du couvent de l’Épiphanie où s’arrêtaient les Moines voyageurs et d’autres grecs qui venaient chercher du service en Russie. Les nouvelles que donnaient ces zélés co-religionnaires des embarras et du mauvais état où se trouvaient les affaires intérieures de l’Empire Ottoman, affermissaient encore Boris dans sa sécurité, du moins pour le moment.

Affaires des Nogais. C’était dans les camps des Nogais que Boris, au dire des Annalistes, exerçait avec le plus de succès, sa politique adroite, excitant leurs Princes les uns contre les autres par les intrigues de ses Lieutenans d’Astrakhan (86). Mais des actes officiels contredisent cette assertion et présentent au contraire Boris comme le pacificateur des Nogais, au moins de ceux du grand camp du Volga ou d’Oural, qui depuis le temps de Ioussouf, l’illustre père de Suumbecka, n’avait jamais eu qu’un seul Prince et trois Dignitaires Régens (87). Mais qui, à cette époque, se trouvait sous la domination de deux Princes, ennemis jurés l’un de l’autre, Ichterek, fils de Tin-Achmat, et Ianaraslan fils d’Ourouss. Ianaraslan répondit à l’ordre que Boris leur donna de vivre en paix : « Le Tsar désire un miracle : il veut que les agneaux fassent un pacte d’amitié avec les Loups et qu’ils boivent à la même source ». Le boyard Siméon Godounoff, chargé des pleins pouvoirs du Tsar, arriva à Astrakhan ; il réunit, au mois de novembre 1604, les principaux seigneurs Nogais, déclara Ichterek premier prince ou le plus ancien, et lui fit signer un serment par lequel il s’engageait lui et tous les descendans d’Ismael, à servir la Russie et à combattre avec elle ses ennemis jusqu’à la mort ; à ne conférer à personne les titres de prince et de régent, sans la confirmation du Tsar ; à ne point avoir de guerre intestine, et à ne pas conserver de rapport avec le Schah, le Sultan, le Khan de Crimée, les Tsars de Bukharie et de Chiva, la Horde des Kirguises, le Schavkal et les Tcherkesses. Ichterek s’engagea également à camper auprès de la mer dans les stèpes d’Astrakhan sur les bords du Terek de la Kouma et du Volga, près de Tsaritzin, et de s’emparer, par force ou par ruse, du camp de Kazi, afin que, depuis la mer Noire jusqu’à la mer Caspienne et au delà, à l’Orient et au Nord, il n’y eut plus dans les stèpes d’autre Horde de Nogais que la sienne, soumise au Tsar de Moscou.

Le camp de Kazi s’étant séparé de celui du Volga, et établi près d’Azof avec Barangazi, son Prince, était sous la dépendance des Turcs et des Tatares de Crimée ; souvent il implorait la protection du Tsar et promettait de servir la Russie ; mais il la trompait sans cesse et pillait ses possessions : Boris résolut donc de le détruire, et il ordonna aux cosaques du Don de secourir Ichterek, à qui il écrivit, en lui envoyant un sabre richement orné : « Il frappera les ennemis de la Russie ou toi-même ». Ce prince, fidèle aux conditions qu’il avait jurées, opprima les Nogais d’Azof, au point qu’un grand nombre d’entre eux furent réduits à la mendicité, et vendirent leurs enfans à Astrakhan.

Le troisième camp des Nogais, nommé Altaoul, occupait les stèpes des environs de la mer Bleue ou d’Aral et se trouvait en rapports intimes avec la Bukharie et Chiva : Ichterek devait également engager les Mourzas de ce troisième camp, à se soumettre à la Russie, qui leur offrait de grands avantages commerciaux, attendu que Boris permettait aux Nogais fidèles de trafiquer à Astrakhan, sans être soumis à aucun impôt.

Affaires intérieures. Après avoir exposé rapidement les faits principaux de la politique européenne et asiatique de Boris, politique généralement prudente, ambitieuse, mais avec modération, et tendant plus à conserver qu’à envahir ; voyons maintenant ce que fit ce prince dans l’intérieur de l’empire, pour la législation et la civilisation de son peuple.

Charte donnée au Patriarche. En 1599, Boris, comme gage de l’amitié qu’il portait au patriarche Job, renouvela la lettre de grâce accordée par Ivan au métropolitain Athanase, et par laquelle il était reconnu que tous ses gens, ses couvens, ses fonctionnaires, ses valets et ses paysans, tous justiciables du Patriarche, excepté pour le seul cas de meurtre, étaient non seulement affranchis du pouvoir des Boyards, des Lieutenans et des Magistrats du Tsar, mais qu’ils étaient également délivrés de tout impôt envers la couronne, ancien droit politique de notre clergé, qui se conserva intact, même sous les règnes de Vassili Schouisky, de Michel et de son fils (88).

Loi au sujet des Paysans. La loi qui rendait serfs les paysans, était favorable par son but aux propriétaires peu riches, mais elle avait pourtant, comme nous l’avons dit, (89), même pour ceux-là, un résultat fâcheux ; c’était la désertion fréquente : surtout dans les terres qui appartenaient à la petite noblesse : les Seigneurs, recherchant les fuyards, s’accusaient entre eux de les receler, et s’engageaient souvent dans des procès qui les ruinaient (90). Le mal devint si grand que Boris, ne voulant pas supprimer une loi faite pour le bien, résolut toutefois de la déclarer provisoire ; et en 1601, il permit partout, excepté dans le district de Moscou, aux cultivateurs des nobles d’un rang peu élevé, d’enfans Boyards et autres, de passer, à une époque fixée, d’un propriétaire à l’autre, pourvu qu’il fut de la même classe, et que cette mutation ne se fit point en masse, mais seulement de deux cultivateurs à la fois. Cette faveur ne fut point accordée aux paysans des Boyards, des Nobles, des Diaks de distinction, ni à ceux de la Couronne, du Patriarche et des Couvens (91). On assure que le changement de l’ancienne loi et l’instabilité de la nouvelle, en excitant le mécontentement de beaucoup de monde, eurent de l’influence même sur le malheureux sort de Godounoff ; mais cette assertion des historiens du dix-huitième siècle (92) n’est point fondée sur les écrits des contemporains qui s’accordent tous à reconnaître la sagesse de Boris dans la législation.

On le louait également pour son zèle à détruire les vices grossiers du peuple. La passion des liqueurs fortes, plus ou moins commune à tous les peuples septentrionaux, ne fut long-temps condamnée en Russie que par les prédicateurs du Christianisme et les hommes de mœurs austères. Ivan III et son petit-fils voulurent arrêter ces excès par une loi et les punir comme un délit civil (93). Ivan IV avait mis un impôt sur le droit de brasser la bierre et l’hydromel, plutôt peut-être pour retenir ceux qui se livraient à la boisson, que pour augmenter les revenus de l’État. Cabarets. Du temps de Fédor, il existait dans les grandes villes, des cabarets appartenant à la Couronne, où l’on vendait de l’eau-de-vie de grains (94), inconnue en Europe, jusqu’au quatorzième siècle ; mais il y avait également beaucoup de particuliers qui vendaient aussi des liqueurs fortes, ce qui contribuait à propager l’ivrognerie : Boris défendit avec sévérité ce libre commerce, et déclara qu’il pardonnerait plutôt à un voleur ou à un brigand, qu’aux cabaretiers non privilégiés. Il les engagea à chercher un autre moyen d’existence dans d’honnêtes travaux, et il promit de leur donner des terres, s’ils voulaient s’occuper d’agriculture (95). Mais le Tsar voulant, comme on l’affirme, empêcher le peuple de se livrer à une passion funeste et honteuse, ne parvint point à arréter la vente défendue des liqueurs fortes, et les cabarets même appartenant à la Couronne, affermés à l’envi à des prix exhorbitans, servaient de lieux de corruption et de débauche. Boris, dans son zèle sincère pour la civilisation, surpassa tous ses prédécesseurs. Voulant Boris protège l’instruction et les étrangers. établir des écoles et même des universités (96), pour instruire les jeunes Russes dans les langues européennes et les sciences, il envoya, en 1600, le saxon, Jean Kramer, en Allemagne pour y chercher et amener à Moscou des professeurs et des docteurs. Les amis des lumières applaudirent en Europe à cette heureuse idée ; un d’entre eux, Tobi-Lonzius, docteur en droit, écrivit à Boris, au mois de janvier 1601. « Votre Majesté veut être le véritable père de son peuple, et mériter une gloire universelle et immortelle. Le ciel vous a choisi pour une grande œuvre, inconnue à la Russie, celle d’élever l’âme de vos innombrables sujets, de même que la puissance de votre Empire, en éclairant leur raison à l’exemple de l’Égypte, de la Grèce, de Rome et des plus illustres nations européennes qui florissent par les sciences et les arts libéraux ».

Cet important projet ne s’exécuta pas ; le Tsar trouva une trop forte opposition dans le Clergé, qui lui représenta que l’unité de la religion et de la langue était indispensable à la prospérité de la Russie, parce que la différence des langages pouvait amener dans les idées une diversité dangereuse pour l’Église (97), et que, dans tous les cas, il n’était point prudent de confier l’éducation de la jeunesse à des Catholiques et à des Luthériens. Mais le Tsar, en renonçant à établir des universités en Russie, envoya toutefois dix-huit jeunes gens Boyards à Londres, à Lubeck et en France, pour y apprendre les langues étrangères ; suivant en cela l’exemple de quelques jeunes anglais et français qui vinrent alors à Moscou, s’instruire dans la langue russe. Ayant compris cette grande vérité que, la civilisation fait la force des empires, et voyant la supériorité réelle des autres européens, Boris appela auprès de lui, d’Angleterre, de Hollande et d’Allemagne, non seulement des chirurgiens, des artistes et des artisans, mais même des officiers pour entrer à son service. C’est ainsi que notre envoyé à Londres, Mikoulin, dit à trois Barons allemands, voyageurs, que s’ils étaient curieux de voir la Russie, le Tsar les recevrait avec plaisir et les renverrait avec honneur ; mais que s’ils aimaient la gloire et voulaient le servir de leurs talens et de leurs bras, comme le faisaient même des Princes souverains, ils seraient étonnés des grâces et des faveurs qu’il répandrait sur eux (98). En 1601, Boris reçut à Moscou, avec une rare bienveillance, trente-cinq Livoniens nobles et bourgeois, chassés de leur patrie par les Polonais ; et comme ils n’osaient pas se rendre au palais, parce qu’ils étaient mal vêtus, le Tsar leur fit dire : « je veux voir des hommes et non des habits ». Il dîna avec eux, les consola et les toucha jusqu’aux larmes, par sa promesse de leur servir de père ; de faire princes les nobles, et nobles les bourgeois. Outre de riches étoffes et des zibelines, il donna à chacun d’eux des appointemens convenables et un domaine (99) ; n’exigeant de leur part que de l’amour, de la fidélité et des prières pour lui et pour la prospérité de sa famille. Tisenhausen, le plus distingué d’entre eux, jura, au nom de tous, de mourir pour Boris ; et ces braves Livoniens, comme nous le verrons, justifièrent la confiance du Tsar, en entrant, avec empressement, dans sa garde allemande.

Bien disposé, en général, pour les gens d’un esprit cultivé, Boris aimait beaucoup ses médecins étrangers (100) ; il les voyait tous les jours, et s’entretenait avec eux des affaires de l’État et de la religion ; souvent il leur demandait de prier pour lui ; et ce fut pour les satisfaire qu’il consentit à reconstruire l’église luthérienne dans la slobode de la Iaousa. Martin Bär, pasteur de cette église, auquel nous devons une histoire très-intéressante du règne de Godounoff et des événemens qui le suivirent, dit que les Allemands de Moscou versaient des larmes de joie, d’avoir obtenu le bonheur d’écouter en paix la parole de Dieu, et de pouvoir louer solennellement l’Éternel, d’après les rites de leur religion.

La reconnaissance des étrangers, pour les faveurs du Tsar, ne resta pas sans effet pour sa gloire : en 1602, le savant Fidler, habitant de Kœnigsberg, et frère d’un des médecins de Boris, Panégyrique de Godounoff. composa, en son honneur, un panégyrique latin (101) qui fut connu en Europe, et dans lequel l’orateur, comparant son héros à Numa, célèbre sa sagesse dans la législation, son amour pour la paix, et la pureté de ses mœurs. Ce dernier éloge était mérité par Boris, zélé observateur de tous les réglemens de l’Église et des convenances morales ; sobre, laborieux, ennemi des plaisirs frivoles, Tendresse de Boris pour son Fils. bon époux et père tendre ; il aimait surtout jusqu’à la faiblesse (102), son fils qu’il comblait de caresses, qu’il nommait son maître, dont il ne se séparait jamais, qu’il élevait avec le plus grand soin et qu’il faisait instruire même dans les sciences : Comme monument intéressant des connaissances géographiques de ce jeune Prince, il nous est resté une carte de la Russie, publiée, sous son nom, en 1614, par un allemand nommé Gerhard (103).

Dans le dessein de préparer le jeune Fédor à devenir le digne monarque d’un grand empire, et voulant d’avance lui assurer l’amour de la nation, Boris lui accordait, dans toutes les affaires intérieures et extérieures, le droit d’intercéder et celui d’être protecteur et pacificateur (104). Il attendait que son fils eût parlé pour accorder une grâce ou une indulgence, agissant en cela, sans doute, comme un habile politique, mais plus encore comme un père passionné, parfaitement heureux, et digne de l’être, au sein de sa famille ; Boris prouvait combien est inexplicable le mélange du bien et du mal dans le cœur humain.

Commencement des malheurs. Mais le temps approchait, où ce sage souverain, justement admiré en Europe pour sa politique prudente, son zèle pour les lumières, son désir ardent de mériter le titre de père de la patrie, de même que pour ses qualités privées, devait goûter le fruit amer du crime et devenir un exemple effrayant des jugemens de la Providence. Les troubles secrets de son âme en furent les précurseurs, ainsi que différentes calamités contre lesquelles il combattit d’abord avec force, pour se montrer tout à coup faible et comme sans défense, dans le dernier acte de sa destinée extraordinaire.



NOTES

DU ONZIÈME VOLUME.

(1) V. aux Archives du Coll. des Affaires Étrangères, parmi les faits historiques de l’année 1598 no. 1. — Relation de Michel Schiel, 458. — La Charte d’élection de Boris.

(2) V. la biblioth. Russe. (t. VII, p. 83). — Le manuscrit de la Charte d’élection.

(3) Ce serment se trouve dans les Archives du Collège des Aff. étrangères. — Lettres de Job à Hermogène.

(4) V. la Charte d’élection.

(5) V. Idem p. 100, 102, et relation de Schiel, 458, 459.

(6) V. La relation du prince Ivan Solnzeff-Zassékin. — Les livres du Rosrède, f. 831. — Les livres des Degrés de Latoukhin. — La chronique moscov. de Bär. — Margeret, 23.

(7) V. Les livres du Rosrède, f. 832, 833, 836, 837 et suiv.

(8) V. les contemporains, Margeret et Bär.

(9) V. Liv. du Rosrède, 830.

(10) V. Margeret, 62.

(11) V. Liv. du Rosrède.

(12) V. Idem, 840, 847. — Annales de Nikon, 38.

(13) V. Livres du Rosrède, 848. — Bär. — On trouve aux archives, dans le livre des Correspondances de l’année 1614, la lettre de Kazi-Ghiréï, à Mourza-Ali.

(14) V. Chronique de Pétréjus, 270. — Celle de Bär. — Livres des Degrés de Latoukhin.

Pour ce qui regarde le mouvement des troupes aux frontières de la Lithuanie et de la Suède, voyez les livres du Rosrède, 855.

(15) Le manuscrit de ce temps, que je tiens de M. Iermolayeff, contient le panégyrique et le discours de réception tenu à Boris. — Voyez Pétréjus, 271.

(16) V. Charte d’élection, 110, 111. — Dans la charte imprimée l’on ne trouve que les signatures du Clergé ; mais dans le manuscrit, on voit celles de tous les Dignitaires de l’Empire.

(17) V. l’histoire du contemporain, l’Abbé du couvent de Troïtzk, Abraham Palitzin. — Livres des Degrés de Latoukhin et les Chronographes.

(18) V. Bär et Pétréjus, 271 : ils disent que Boris donna cette promesse pour cinq ans.

(19) V. dans les Archives, les actes de 1600, sur la Sibérie. — Notices dans la bibliothèque Russe, XX, 70.

(20) V. Livres des Degrés de Latoukhin.

(21) V. la relation de Schiel, 462. — Dans l’histoire de la Sibérie de Müller, pag. 347, on trouve l’oukase de Boris, du 25 juin 1600.

(22) V. Relation de Schiel, 462. — Cet oukase intéressant ne nous est pas parvenu : Schiel dit que sous les autres Grands-Ducs, les Seigneurs traitaient leurs paysans en esclaves, malgré que ces derniers eussent la liberté de changer de maîtres.

(23) V. tome X de cet ouvrage.

(24) V. dans les Archives du Collége des Aff. étrangères, les lettres des Voïévodes de Tara, septembre 1598.

(25) V. Annales de Sibérie, de Rémézoff et de Sava Iessipoff, et l’histoire de la Sibérie de Müller, 305—307.

(26) V. Relation de Schiel, pag. 432.

(27) V. Dans les Arch. du Coll. des Affaires étrangères, les papiers sur l’arrivée de la famille de Koutchoum à Moscou en 1598—1600. — Liv. du Rosrède.

(28) V. Histoire de la Sibérie, de Müller, 329—392.

(29) Dans les livres du Rosrède il est dit, que les habitans de la Crimée attaquèrent Bielgorod au mois de juin 1600, et avancèrent jusqu’à Koursk, mais qu’ils en furent chassés par le voïévode d’Orel, le prince Boris Tatieff : Tcheli-Bey resta à Moscou jusqu’au règne du faux Dmitri.

(30) V. tome X de cet ouvrage, et Dalin, chap. XV, 22—23.

(31) V. Dans les Archives du Coll. des Aff. étrangères, les papiers sur l’arrivée du prince Gustave.

(32) V. Dalin, chap. XV, 22.

(33) V. Dans les Archives du Coll. des Aff. étrangères, de l’année 1509. — Lettres de grâce aux marchands. — Les chroniques de Bär et Pétréjus, 272.

(34) V. Dans les Arch. du Coll. des Aff. étrangères, l’ordre donné à Klause de gagner les habitans de Riga. — La lettre de Gustave à Charles, du 28 octobre 1599, qui ne semble pas être traduite du suédois.

(35) V. la chronique de Pétréjus, 277, qui cite Conrad Busse comme traître principal. — Parmi les actes dans les archives de 1601, l’on trouve une lettre du voïévode de Pskof, prince Galitzin, où il est question du désir du suédois Conrad Busse de rendre aux Russes la ville d’Aliste ou de Marienbourg. Parmi ces mêmes actes on trouve, sous l’année 1600, une notice sur l’arrivée d’un fonctionnaire de Narva, Herman Skroff, qui dit, qu’une grande partie de ses concitoyens désire se soumettre au Tsar. — En 1599, Boris fit demander aux habitans de Narva la permission d’y construire une Eglise russe sous l’invocation de S.-Nicolas.

(36) V. Chroniques de Bär et Pétréjus, 274. On raconte la fable que Gustave, allant à Moscou, avait laissé le sauf-conduit du Tsar à Riga, dans les mains de Henri Flogel ; que Boris s’en rendit maître par le secrétaire de Gustave, Skoult, qu’il avait gagné ; que Skoult, pour plaire à Boris, avait écrit, à l’inçu du Prince, un manifeste aux habitans de la Finlande pour les inviter à reconnaître Gustave pour leur souverain ; que Gustave désirant partir de Russie pour l’Allemagne, y envoya son maître de la cour, Christophe Kator ; mais que ce serviteur fidèle fut empoisonné à Pskof, et privé de tous ses papiers ; que Gustave s’en plaignit à Fiedler, médecin de Boris, et que Fiedler le calomnia auprès du Tsar. (Voyez Dalin, chap. XV, §. 23). — Dans l’année 1614, il y avait encore dans les archives un rouleau qui contenait la description du séjour de Gustave à Ouglitche, mais ce rouleau a été perdu depuis, ou brûlé. — Margeret dit que Gustave pouvait avoir eu à Ouglitche, un revenu de quatre mille roubles.

(37) V. la Chronique de Bär qui enterra Gustave lui-même, non dans le couvent de Dmitri-Solounsky, comme il le dit, mais peut-être tout près. — La Chronique de Pétréjus, 276.

(38) V. Affaires de Pologne, no. 24.

(39) V. Affaires de Pologne, no. 25, f. 147. — Sur Vladislaff, no. 24, f. 178.

(40) V. Dans les Archives, la lettre du maréchal-de-camp Axel Rining, du 13 novembre 1599, au voïévode de Koporié, le prince Svénigorodsky, ainsi que les lettres du duc Charles à Boris, du 14 juillet 1598, et des 8 et 10 janvier 1599, en langue russe, avec la signature de Charles en latin.

(41) V. Dans les Archives du collége des Affaires étrangères, le Mémorial de l’ambassadeur suédois Hendrikson.

(42) Dans nos livres du Rosrède, de l’année 1601, le titre de Roi est dejà donné au duc de Suède, dont lui-même ne se servit qu’en l’année 1604.

(43) V. dans le Magasin historique de Buching, tome VII, 317—319, les nouvelles tirées des archives Danoises.

(44) V. Les papiers de l’ambassadeur Rgefsky, sur le baptême des Lapons. Tome VII de cet ouvrage.

(45) V. Mallet, histoire du Dannemarck, livre X, année 1601.

(46) Cette convention nous est connue par la lettre de Jean, duc de Slesvig au roi Christian.

(47) V. Annales de Nikon. — Buching, p. 264, le voyage en Moscovie.

(48) V. Voyage en Moscovie, p. 268.

(49) V. Notices sur les Tsars de la Moscovie, dans les Mémoires Russes, I, 174. — Voyage en Moscovie, p. 270. — M. Schlegel dit, dans la vie de Christian, p. 314, que la promesse de mariage eut lieu le même jour ; mais les fiançailles n’eurent pas lieu, et le Prince quitta le palais sans voir Xénie.

(50) V. Voyage en Moscovie, p. 270,

(51) V. Livres des Degrés de Latoukhin.

(52) V. Livres du Rosrède. — Margeret.

(53) V. Voyage en Moscovie, p. 272. Suivant un exemplaire du livre du Rosrède, Jean mourut le 29 octobre à trois heures de la nuit ; et suivant un autre du même livre, le 27 octobre à deux heures de la nuit ; l’inscription sépulcrale dit : Septima hora vespertina.

(54) V. Annales de Nikon.

(55) V. Affaires de Crimée, du 7 novembre 1602. — Le Tsarévitche et toute la cour portèrent le deuil.

(56) V. Chronique de Bär.

(57) V. Vie de Christian, par Schlegel, 315. — Et chronique de Bär.

(58) V. Dans le Magasin historique de Buching, VII, 321, les notices tirées des archives de Copenhague.

(59) V. Affaires de l’Autriche.

(60) V. tome X de cet ouvrage.

(61) V. le rapport de Vlassieff.

(62) V. Affaires de Crimée de ce temps.

(63) V. Affaires de la Géorgie, 1604. — Bär, dit dans sa chronique Moscovienne, que Boris envoya à l’Empereur, des zibelines et des renards noirs pour quelques milliers de roubles, et qu’il lui promit dix mille soldats comme troupes auxiliaires. — Relation de Schiel dans la collection de Wichmann. — La lettre latine de Rodolphe, du 31 mai 1600, qui se trouve dans nos archives.

(64) V. Schiel et Kakuss. — Lettres de Rodolphe de 1600 et 1602.

(65) V. Affaires de l’Angleterre, en 1600.

(66) V. Id. de l’Autriche, en 1604. — Livre du Rosrède.

(67) V. Dans les archives, les documens relatifs à l’arrivée des ambassadeurs de la Géorgie.

(68) V. tome X de cet ouvrage.

(69) V. Dans les archives, les actes de l’Archimandrite Cyrille, ambassadeur d’Alexandre, dans l’année 1603.

(70) Nachtchokin mourut avant d’arriver à Moscou, et Léontieff fut mis en prison. Ils étaient fâchés contre Alexandre, parce qu’il les avait mal reçus et leur avait fait des présens de trop peu de valeur.

(71) Toutes les particularités suivantes sont tirées des rapports de Tatistcheff.

(72) V. tome X de cet ouvrage.

(73) V. sur Tamir, tome III de cet ouvrage.

(74) La forteresse de Tersk fut bâtie près de l’embouchure du Terek.

(75) V. Livres des Degrès de Latoukhin, dans lequel ce qui est rapporté sur les événemens les plus mémorables, se trouve parfaitement d’accord avec ce qu’en dit Tatistcheff. — Annales de Nikon.

(76) Tatistcheff retourna à Moscou le 5 novembre 1605, où le faux Dmitri régnait déjà.

(77) V. Dans les Archives, les actes sur le congé du voyageur anglais, Francis Cherry, en décembre 1598.

(78) V. Rapport de Grégoire Mikoulin.

(79) Lee arriva à la fin de 1600, et partit en avril 1601 ; il avait une très bonne opinion de Boris. (V. dans les archives les documens relatifs à l’ambassade de Lee). — La Reine écrivit encore plusieurs autres lettres à Boris, par Merik et par d’autres négocians anglais.

(80) Jacques Ier. avait déjà, avant son avénement au trône, de très-bonnes dispositions pour Boris, comme Mikoulin le prouve dans ses rapports.

(81) V. Sur les présens du Roi, dans les Archives les documens relatifs à l’ambassade de Smith.

Milton dit dans son histoire de la Moscovie, que Boris envoya à Smith, après lui avoir donné son audience de congé, trois cents plats de poisson, (c’était pendant le Carême) d’une grandeur énorme et d’une qualité parfaite.

(82) V. Chronique anséatique, III, p. 122. — La collection de Müller, V, p. 164. — Dans nos archives, les papiers sur l’arrivée des envoyés de Lubeck et d’autres villes maritimes.

(83) V. Annales de Nikon, VIII, 48. — Livre du Rosrède. — Dans les archives la lettre de Rodolphe à Boris, du 2 mai 1601.

(84) En 1600, Boris envoya un certain Bérendt-Hepper à Florence ; il partit d’Arkhangel et se rendit par mer en Hollande. Arrivé auprès du duc de Toscane, il lui dit que le Tsar désirait avoir des médecins et des artisans habiles.

(85) Dans les Aff. de la cour d’Autriche, 1604, on trouve : « Du moment, disent les Boyards, que notre Souverain monta sur le trône, il n’entretint aucune correspondance avec le Sultan, et il ne vint également aucun envoyé de ce dernier auprès du Tsar ». Par conséquent Pétréjus et le pasteur Bär disent à tort, qu’en 1602, il y eût un ambassadeur du Sultan à Moscou, avec des présens et des protestations d’amitié ; mais que le Tsar le congédia avec déshonneur, refusa les présens, et envoya au Sultan au lieu de fourrures, une peau de cochon avec un sac de drap d’or plein d’ordures. Le spirituel Boris n’était pas capable de se permettre de pareilles choses.

(86) V. Annales de Nikon, VIII, 40.

(87) V. Dans les archives, les affaires des Nogais, en 1601—1604.

Les Nogais étaient déjà divisés en trois hordes sous le régne de Vassili ; la dénomination Chidak, est sans doute la même que Cheidak, dont on fait mention dans les papiers des Nogais de 1604 ; et le prince que Herberstein nomme Koschoume, n’est-il pas Kazi ?

(88) V. Collection des actes de l’Empire, II, 153.

(89) V. Tome X de cet ouvrage.

(90) V. L’oukase du Tsar Vassili-Schouisky, de 1607. — La note 349 dans le tome X de cet ouvrage — Le Soudebnik de Tatistcheff, p. 241.

(91) V. Soudebnik de Tatistcheff, p. 222. — Histoire de Palitzin, p. 9.

(92) V. Soudebnik de Tatistcheff, p. 224.

(93) V. Tome VI de cet ouvrage, et tome IX.

(94) Fletcher dit, p. 44, que le Tsar avait dans chaque grande ville, un Cabak (cabaret), où l’on vendait de l’eau-de-vie, appelée par les Russes vin russe ; de l’hydromel, de la bière, etc.

(95) V. Bär, dans sa Chronique de Moscovie. — Nos Chronographes. — Abraham Palitzin dans son histoire.

(96) V. dans les Archives du Collège des Affaires étrangères, la lettre de Thobias Loncius à Boris, datée de Hambourg, le 24 janvier 1601. Vers la fin de sa lettre, il demande un sauf-conduit et de l’argent pour son voyage ; il parle aussi de Bekmann qui fut envoyé de Moscou à Lubeck pour chercher des médecins, etc.

(97) V. Bär, dans sa Chronique. — Pétréjus, 271. — Lettre du voïévode d’Arkhangel au Tsar, du 1er. août 1602. — Dans les Archives du Coll. des Affaires étrangères, les papiers de Lubeck et de l’Angleterre de ces années.

(98) V. Rapport de Mikoulin, f. 40.

(99) V. Bär dans sa Chronique. — Ces Livoniens exilés, demeurèrent quelque temps dans le couvent de Petchersk, près Pskof, d’où Boris les fit venir à Moscou. Ils furent divisés en quatre classes : la 1re. fut formée par les nobles de la première classe, dont chacun recevait un cadeau de cinquante roubles, un habit hongrois en drap d’or, une pièce de velours noir, quarante zibelines, huit cents tchetvertes de terre, cent paysans, et annuellement cinquante roubles en argent. Un gentilhomme de la 2me. classe recevait un cadeau de trente roubles, un habit en drap d’argent, quarante zibelines, cinq cents tchetvertes de terre, cinquante paysans, et annuellement trente roubles en argent. De la 3me. classe, un cadeau de vingt roubles, une pièce de velours et une de drap écarlate, quarante zibelines, quatre cents tchetvertes de terre, trente paysans et annuellement vingt roubles. De la 4me. classe (composée en plus grande partie de serviteurs), un cadeau de quinze roubles, ane pièce de damas, quarante zibelines, trois cents tchetvertes de terre, vingt paysans et annuellement quinze roubles.

(100) V. Tome X. — La chronique de Bär qui dit que les Allemands à Moscou, outre les vieux prêtres qui étaient au nombre des prisonniers livoniens, en avaient encore deux autres : Herman-Hubemann de Westphalie et Martin Bär, de Neustadt, (auteur de cette Chronique).

(101) Constantini Fiedleri oratio loculenta in Borissum Godunowium. Regiomonti, 1602.

(102) V. Milton, histoire de Moscovie, 53.

(103) V. Hessel-Gerard. — L’Atlas de Blaenwisch, tome I, et Gottfriede Archontol, connu sous le titre : Tabula Russiæ ex autographo, quod delineandum curavit Fœdor, filius Tzaris Boris, desumpta, etc. etc.

(104) Par exemple, la trève avec la Lithuanie fut conclue par Boris, à cause de l’intervention du Tsarévitche. (Voyez plus haut).