Aller au contenu

Histoire de la Révolution française (Michelet)/Livre VII/Chapitre 1

La bibliothèque libre.

LIVRE VII



CHAPITRE PREMIER

LE 10 AOÛT.


La pensée du 10 août. — Les vainqueurs du 10 août. — Les sections nomment des commissaires et les envoient à l’Hôtel de Ville. — Précautions militaires de la cour, qui retient Pétion aux Tuileries. — Pétion délivré. — La nouvelle Commune prépare la voie à l’insurrection. — État intérieur du château. — Les nobles, les Suisses, la garde nationale. — Défiance témoignée à la garde nationale. — Le roi essaye de passer la revue. — Le roi universellement abandonné. — La Commune arrête le commandant de la garde nationale. — Mandat est tué. — Le roi quitte le château avec la reine. — L’avant-garde de l’insurrection se présente aux Tuileries ; elle est surprise, égorgée, dispersée. — La cour espérait-elle frapper un coup sur l’Assemblée ? — L’insurrection attaque les Tuileries. — Le roi fait dire de cesser le feu lorsqu’il n’a plus d’espoir. — Défense obstinée des Suisses, leur belle retraite. — La garde nationale tout entière se déclare pour l’insurrection. — Massacre des Suisses. — Clémence et modération de plusieurs des vainqueurs du 10 août.


La nuit du 10 août fut très belle, doucement éclairée de la lune, paisible jusqu’à minuit et même un peu au delà. À cette heure, il n’y avait encore personne ou presque personne dans les rues. Le faubourg Saint-Antoine, en particulier, était silencieux. La population dormait, en attendant le combat.

Et pourtant le bruit avait couru dans la soirée qu’une colonne envoyée des Tuileries allait marcher vers l’Hôtel de Ville. On craignait une surprise. De fortes patrouilles de garde nationale allaient et venaient dans le faubourg. Toutes les fenêtres étaient illuminées. Tant de lumières pour une si belle nuit, ces lumières solitaires pour n’éclairer personne, c’était d’un effet étrange et sinistre. On sentait assez que ce n’était pas là l’illumination d’une fête.

Quelle était la pensée forte et calme sur laquelle dormait le peuple et qui servit d’oreiller à tant d’hommes dont cette nuit fut la dernière ? Un des combattants du 10 août, qui vit encore, me l’a expliquée nettement : « On voulait en finir avec les ennemis publics ; on ne parlait ni de république ni de royauté ; on parlait de l’étranger, du comité autrichien qui allait nous l’amener. Un riche boulanger du Marais, qui était mon voisin, met dit sous le feu le plus vif, dans la cour des Tuileries : « C’est grand péché pourtant de tuer ainsi des chrétiens ; mais, enfin, c’est autant de moins pour ouvrir la porte à l’Autriche ! »

Le 10 août, répétons-le, fut un grand acte de la France. Elle périssait, sans nul doute, si elle n’eût pris les Tuileries.

La chose était fort difficile. Elle ne fut nullement exécutée, comme on l’a dit, par un ramas de ' populace, mais véritablement par le peuple, je veux dire par une masse mêlée d’hommes de toute classe ; militaires et non militaires, ouvriers et bourgeois, Parisiens et provinciaux. Plusieurs quartiers de Paris envoyèrent, sans exception, tout ce qu’ils avaient d’hommes qui pussent combattre ; dans la section des Minimes, par exemple, sur mille hommes inscrits, six cents se présentèrent, proportion considérable, lorsqu’on savait très bien qu’il s’agissait non de parade, mais d’une affaire sérieuse. Les hommes à piques composaient à peu près seuls les premières bandes qui parurent de bonne heure devant le château ; mais l’armée réelle de l’insurrection, qui s’en empara, en avait peu en comparaison : elle était surtout armée de fusils. Sa colonne principale, qui, entre sept ou huit heures, se rassembla, s’échelonna de la Bastille à la Grève, comptait quatre-vingts ou cent compagnies, chacune de cent hommes armés régulièrement ; c’étaient environ huit ou dix mille gardes nationaux. Il y avait deux ou trois mille hommes armés de piques, alignés entre les bataillons de ces dix mille baïonnettes. C’est ce que nous ont affirmé les témoins et acteurs encore vivants du 10 août. Pour l’avant-garde qui affronta le premier péril, força l’entrée du château, fit enfin la très rude et périlleuse exécution, elle se composait, on le sait, de cinq cents fédérés marseillais, levés et choisis avec soin parmi d’anciens militaires, de trois cents fédérés bretons, l’honneur et la bravoure même, dont beaucoup avaient servi. Et ce qu’on n’a dit nulle part, mais qui est plus que vraisemblable, ces braves durent être appuyés d’autres braves, bien plus animés encore, de la masse des Gardes-françaises, devenus sous La Fayette garde nationale soldée, puis licenciés récemment avec autant d’imprudence que d’ingratitude. Nous y reviendrons.

Tout cela fut enlevé d’un même mouvement d’indignation, de patriotisme. Il n’y eut aucun préparatif, aucun chef, quoi qu’on ait dit[1]. Bien loin qu’aucun individu eût assez d’influence en ce moment pour soulever le peuple, les clubs mêmes y firent très peu. Ils étaient moins fréquentés au mois d’août qu’à une autre époque de l’année. On se lassait aussi de leur parlage éternel ; on sentait qu’il fallait des actes. Leurs plus grands orateurs parlaient dans le désert.

Ce qui brusqua l’insurrection et la fit éclater à un jour peu ordinaire, un vendredi, c’est que les Marseillais, sans ressource à Paris, voulaient combattre ou partir. Le tocsin paraît avoir sonné d’abord aux Cordeliers, où ils logeaient. Le faubourg Saint-Antoine répondit, et tout le reste de la ville. Les sections, on l’a vu, étaient d’accord ; quarante-sept sur quarante-huit avaient voté la déchéance du roi. Le 9 août, avant minuit, elles avaient fait l’acte décisif de nommer chacune trois commissaires, pour se réunir à la Commune, sauver la Patrie. Tel fut le pouvoir général et vague qui leur fut donné. Ces commissaires furent pour la plupart des hommes obscurs, inconnus ou du moins fort secondaires. Ni Marat ni Robespierre ne fut nommé, ni aucun des grands chefs d’opinion. Pour Danton, il était déjà, ainsi que Manuel, dans l’ancienne municipalité. Ces commissaires s’en allèrent un à un à l’Hôtel de Ville, sans armes ; on les laissa entrer. Ils trouvèrent l’ancien conseil de la Commune en permanence, mais fort peu nombreux, toujours décroissant de nombre. Sous l’Hôtel de Ville, à l’arcade Saint-Jean, principale issue de la rue Saint-Antoine qui débouchait dans la Grève, une force considérable avait été postée par le commandant général de la garde nationale, Mandat, zélé fayettiste, royaliste constitutionnel. Cette force lui répondait de l’Hôtel de Ville, gardait le passage ; elle avait pour instruction, si le faubourg descendait, de le laisser passer et le prendre en queue. Mandat avait de plus mis de l’artillerie au Pont-Neuf, de sorte que si le faubourg poussait jusque-là, il y était foudroyé et ne pouvait opérer sa jonction avec les Cordeliers et le faubourg Saint-Marceau.

Tout ceci n’était pas fort encourageant pour les commissaires des sections envoyés à l’Hôtel de Ville. Comment remplaceraient-ils l’ancienne Commune royaliste et se constitueraient-ils souveraine autorité de Paris ? C’était toute la question. Le tocsin sonnait de tous côtés sans produire de grands résultats. L’armée de la cour était debout dès longtemps et l’arme au bras ; l’armée de l’insurrection était dans son lit ; il n’y avait pas quinze cents personnes rassemblées autour des Quinze-Vingts. Seulement, en regardant dans les longues et profondes impasses qui s’ouvrent sur les rues du faubourg Saint-Antoine, on commençait à voir s’agiter les lumières, les hommes aller et venir. Quelques-uns des plus diligents étaient sur leurs portes, tout prêts, armés, et attendaient les autres. Beaucoup étaient paresseux ; ils entendaient bien sonner, mais ce n’était pas l’usage de commencer l’émeute en pleine nuit ; il y avait là-dessus une tradition établie.

Ce retard était effrayant. Plusieurs des commissaires de sections, réunis à l’Hôtel de Ville, en étaient à regretter qu’on eût fait sonner le tocsin. L’ancienne Commune s’était écoulée ou à peu près. Mais, pour constituer la nouvelle, les commissaires ne se voyaient pas suffisamment appuyés. Ce qui ajoutait à leur embarras, c’est que la cour avait en ce moment un grand otage dans les mains, le maire populaire de Paris, Pétion. Elle avait aussi Rœderer, procureur-syndic du département. Elle pouvait, au besoin, faire parler les deux premières autorités de la ville, le département, la mairie. Pétion, mandé vers onze heures au château, n’avait osé refuser de s’y rendre. Sa première conduite dans les jours précédents avait été fort étrange. Le 4, on l’a vu, il avait dénoncé la guerre à la royauté. Le 8, il avait paru s’intéresser encore à cette royauté, avait averti le département qu’il ne pouvait répondre de la sûreté du château. Le 9, il avait demandé qu’un camp fût établi au Carrousel, pour protéger les Tuileries. Ce camp de gardes nationaux, en couvrant la place, l’eût-il défendue ? ou, tout au contraire, rendu la défense impossible ? C’est ce qu’on ne peut pas trop dire. Le château n’eût tiré de ses fenêtres qu’en tirant sur ses défenseurs. Le 9 encore, Pétion, soit pour endormir la cour, soit par lassitude, par conviction que le mouvement n’aurait pas lieu, demanda au département la somme de vingt mille francs pour renvoyer les Marseillais, qui, dans leur découragement, voulaient s’éloigner de Paris.

Pétion entra donc, bon gré mal gré, dans la fosse aux lions. Jamais le château n’avait eu un aspect si sombre. Sans parler d’une masse de troupes de toutes armes, de l’artillerie formidable qui remplissait les cours, il lui fallut passer à travers une haie d’officiers français ou suisses, qui le regardaient d’un œil peu amical. Pour les gardes nationaux, leur attitude n’était nullement plus rassurante ; ceux qui s’y trouvaient étaient pris uniquement dans les plus violents royalistes des bataillons connus pour leur royalisme, des Filles-Saint-Thomas, des Petits-Pères et de la Butte-des-Moulins. Les noms de traître et de Judas se disaient très haut autour du maire de Paris. Il montra son flegme ordinaire. Il arriva sans encombre aux appartements du roi, tout remplis de monde et sombres, à ce même appartement où, le soir du 21 juin, Louis XVI lui avait parlé si durement ; le même dialogue, s’il se fût reproduit la nuit du 10 août, eût été pour Pétion un arrêt de mort. Il y avait là beaucoup de gentilshommes à visage pâle, que la vue seule du maire de Paris agitait d’une sorte de tremblement nerveux. Mandat, le commandant de la garde nationale, sans trop calculer s’il ne risquait pas de faire poignarder Pétion, lui fit subir cette espèce d’interrogatoire : « Pourquoi les administrateurs de la police de la ville avaient distribué des cartouches aux Marseillais ? Pourquoi lui, Mandat, pour chacun de ses gardes nationaux, n’avait reçu que trois cartouches ?… » — La cour, fort défiante pour la garde nationale, n’avait pas exigé qu’elle fût mieux pourvue de munitions. En revanche, chacun de ses Suisses avait quarante coups à tirer.

Pétion, sans s’étonner, répondit avec l’air froid qui lui était ordinaire : « Vous avez demandé de la poudre ; mais vous n’étiez pas en règle pour en avoir. » La réponse n’était pas trop bonne ; c’était le maire lui-même, Pétion, qui devait faire décider la chose par la municipalité, donner pouvoir au commandant ; si celui-ci n’était pas en règle, c’est que le maire ne l’y mettait pas.

L’entretien prenait une fâcheuse tournure ; tout le monde était ému, excepté le roi peut-être, qui quittait son confesseur, venait de mettre ordre à sa conscience et ne s’inquiétait pas beaucoup de ce qui pourrait arriver. Pétion n’était pas bien. L’appartement était petit, la foule trop serrée, l’air raréfié. « Il fait étouffant ici, dit-il, je descends pour prendre l’air. » Sans que personne osât l’en empêcher, il descendit au jardin.

Sa promenade fut longue, beaucoup plus qu’il n’eût voulu. Le jardin était fermé très exactement. Pétion n’était pas gardé, mais suivi et serré de près. Les gardes nationaux royalistes, qui allaient et venaient, ne lui épargnaient pas les injures et les menaces. Il prit un moment le bras de Rœderer, procureur-syndic du département. Un moment, il s’assit en causant sur la terrasse qui longe le palais. La lune éclairait le jardin ; mais cette terrasse, étant dans l’ombre que les bâtiments projetaient, avait été éclairée par une ligne de lampions. Les grenadiers des Filles-Saint-Thomas les renversèrent et les éteignirent. Plusieurs disaient : « Nous le tenons ; sa tête répondra de tout. » D’autres, plus jeunes ou plus exaltés par le vin et le péril, ne semblaient pas trop bien comprendre combien il importait de ménager une tête si précieuse. De moment en moment, le ministre de la justice venait lui dire : « Montez, Monsieur, ne vous en allez pas sans avoir parlé au roi ; le roi veut absolument vous parler. » À quoi il répondait flegmatiquement : « C’est bon » ; et il gagnait ainsi du temps.

On ne pouvait rien faire à l’Hôtel de Ville qu’on n’eût repris Pétion. On imagina d’envoyer demander à l’Assemblée qu’elle le réclamât. Quelques députés, au bruit du tocsin, s’étaient rassemblés, toutefois en petit nombre ; ils ne décrétèrent pas moins, comme Assemblée nationale, que le maire devait paraître à la barre. Pétion, sommé au nom du roi de rester, au nom de l’Assemblée de partir, opta de bon cœur pour l’Assemblée, ne fit que la traverser, retourna à pied chez lui. Cependant sa voiture restait, comme pour le représenter, dans la cour des Tuileries ; jusqu’à quatre heures, on eut au château la simplicité de croire qu’il allait revenir d’un moment à l’autre et se replacer dans la main de ses ennemis.

Les amis de Pétion le reçurent joyeusement, mais le consignèrent, fermèrent les portes sur lui, jugeant avec raison que, dans ce moment d’action, l’idole populaire n’était bonne à nulle autre chose. L’ayant maintenant en sûreté, ils étaient libres d’agir. Les commissaires des sections remplacèrent l’ancienne Commune au nom du peuple, maintinrent à leur poste le procureur de la Commune Manuel et son substitut Danton, et firent donner par le premier l’ordre d’éloigner du Pont-Neuf l’artillerie qu’y avait placée le commandant de la garde nationale. Ils rétablirent ainsi la communication des deux rives, ouvrirent le passage au faubourg Saint-Marceau, aux Cordeliers, aux Marseillais.

C’était en réalité l’acte décisif de l’insurrection. Danton, qui jusque-là était à l’Hôtel de Ville, revint tranquillement chez lui, rassura sa femme[2]. Le sort en était jeté et le dé lancé. Le reste était du destin.

L’intérieur du château, à cet instant, offrait un spectacle comique et terrible. Ce n’était qu’indécision, faiblesse, ignorance. La seule autorité populaire qui fût au château était Rœderer, procureur-syndic du département. Un des ministres lui dit : « Est-ce que la constitution ne nous permettrait pas de faire proclamer la loi martiale ? » Le procureur tira la constitution de sa poche et chercha en vain l’article. Mais, quand on l’eût proclamée, cette loi, qui l’aurait exécutée ?

Lorsqu’on apprit que Manuel avait donné ordre de désarmer le Pont-Neuf, c’est-à-dire d’assurer le passage à l’insurrection, ni les ministres, ni Rœderer ne voulurent prendre sur eux de donner un ordre contraire. Rœderer dit qu’il ne pouvait rien faire sans savoir si Manuel n’avait pas agi avec l’autorisation de la municipalité ; qu’il fallait, pour en délibérer, faire venir tous les membres du département aux Tuileries (chose difficile à cette heure). Le département envoya seulement deux de ses membres ; Rœderer les voulait tous. Pour cela, il fallait un ordre du roi. Le roi dit que constitutionnellement il ne pouvait rien ordonner que par un ministre. Le ministre n’était pas là ; on remit la chose au moment où il serait revenu.

Il était environ quatre heures. On entendit dans la cour un bruit de voiture ; on entr’ouvrit un contrevent ; c’était la voiture du maire, qui, lasse de l’attendre, s’en allait à vide. Le jour commençait à luire ; Madame Élisabeth s’approcha de la fenêtre et dit à la reine : « Ma sœur, venez donc voir le lever de l’aurore. » La reine y alla ; le jour était déjà splendide, mais le ciel d’un rouge de sang.

Regardons, puisqu’il fait jour, l’état de la place, calculons ses forces. Elles étaient encore formidables, moindres qu’à minuit, il est vrai ; une partie des gardes nationaux s’était écoulée.

Le nerf de la garnison, c’étaient treize cent trente Suisses, soldats excellents, braves et disciplinés, obéissants jusqu’à la mort. Ce nombre est celui qu’accuse dans son livre le commandant suisse Pfyffer. Mais il y faut ajouter un nombre assez considérable de gardes constitutionnels licenciés, qui avaient pris l’habit rouge des Suisses et vinrent combattre sous ce déguisement. Leurs corps morts, après le combat, se distinguèrent facilement à la finesse du linge, à l’élégance de la coiffure ; les vrais Suisses avaient les cheveux tout simplement coupés en rond ; leurs chemises étaient grossières. La présence de ces faux Suisses dans les rangs des vrais étonna sans doute ceux-ci et ne laissa pas de les inquiéter. Ils durent mieux voir qu’il s’agissait de guerre civile, de querelles entre Français, où les étrangers ne pouvaient se mêler qu’avec précaution. Le vieux colonel suisse, Affry, s’abstint positivement et ne voulut pas tirer. Les autres promirent seulement de faire ce que ferait la garde nationale, pas davantage, ni moins.

Celle-ci, à plus forte raison, avait l’esprit traversé des mêmes pensées. Quoiqu’elle fût toute tirée des trois bataillons royalistes et encore soigneusement triée dans ces bataillons, quoique nul garde national n’eût répondu au suprême appel de cette nuit sans avoir une opinion décidée pour le roi, ces défenseurs bourgeois du château ne voyaient pas sans jalousie les nobles cavaliers qu’on avait appelés à partager le péril, et à qui, sans nul doute, la cour eût attribué tout l’honneur de la défense. Ces gentilshommes étaient généralement les mêmes chevaliers du poignard que la garde nationale, sous le règne de La Fayette, avait chassés du château, en avril 1790. Ils n’acceptèrent pas moins le péril et vinrent défendre le roi au 10 août 1792. Péril réel, en plus d’un sens. Ils n’arrivaient au château qu’à travers une population très hostile, en simple habit noir, sans armes ostensibles, avec des poignards ou des pistolets. Et là ils trouvaient la malveillance, la jalousie naturelle des gardes nationaux. Il y avait lieu d’hésiter ; mais on leur avait envoyé des cartes d’entrée personnelles, à domicile. Six cents répondirent à l’appel, auxquels il fallait ajouter l’honorable domesticité des châteaux royaux, d’anciens serviteurs, qui ne manquèrent pas au jour du péril. Le tout formait une cour fort sérieuse, sans ordre, sans étiquette, mais vraiment imposante et militaire. Ces gens en noir, tous officiers ou chevaliers de Saint-Louis, portaient le costume civil, et, par un contraste étrange, c’étaient des marchands, des employés, des fournisseurs qui, comme gardes nationaux, étaient en soldats. Sur l’aspect de ces figures bourgeoises, les gens d’épée crurent qu’ils ne feraient pas mal de les remonter un peu. Ils leur frappaient sur l’épaule : « Allons, Messieurs de la garde nationale, c’est le moment de montrer du courage. — Du courage ? soyez tranquilles, répliqua un capitaine de la garde nationale, nous en montrerons, croyez-le, mais non à côté de vous. »

En réalité, on ne témoignait pas beaucoup de confiance à la garde nationale. Les nobles occupaient les appartements les plus intérieurs, les postes de confiance. Les Suisses avaient chacun quarante cartouches, les gardes nationaux trois. L’artillerie surtout de la garde nationale fut l’objet d’une défiance excessive, ce qui fit, comme il arrive, qu’elle la mérita de plus en plus. On plaça derrière les canonniers de chaque pièce des pelotons de Suisses ou de grenadiers des Filles-Saint-Thomas, qui les surveillaient, le sabre nu, et se tenaient prêts à tomber sur eux. Ces canonniers se voyaient d’ailleurs placés juste sous les balcons dont le feu plongeait sur eux. Plusieurs fois ils essayèrent d’écarter la batterie ; autant de fois l’état-major les remit au point où il pouvait toujours les écraser à plaisir.

Qui commandait dans le château ? Les gardes nationaux ne connaissaient d’autre chef que Mandat. La Commune le fit appeler. Son instinct lui disait de ne pas s’y rendre. Au second appel, il hésita, consulta autour de lui. Les ministres l’engageaient à ne point obéir. Le constitutionnel Rœderer lui dit qu’aux termes de la loi, le commandant de la garde nationale était aux ordres de la municipalité. Dès lors, il ne résista plus. Il lui parut qu’en effet il lui fallait éclaircir l’affaire des canons du Pont-Neuf, et sans doute aussi s’assurer du poste qu’il avait mis à la Grève pour attaquer, écraser le faubourg à son passage. Donc il se raisonna lui-même, étouffa ses pressentiments, fit un effort et partit.

Son départ ébranlait la défense du château. Il laissait le commandement à un officier fort peu rassuré. La reine, qui n’était pas non plus sans pressentiments, prit Rœderer à part et lui demanda ce qu’il pensait qu’il y eût à faire.

Et, justement pendant ce temps, les conseillers de la reine avaient fait, à l’insu des ministres, la chose la plus imprudente. À cette garde nationale flottante et de mauvaise humeur, qui se demandait pourquoi elle allait combattre et si elle n’était pas folle de tirer avec les gentilshommes sur la garde nationale, ils imaginèrent de montrer ce qui devait la mieux convaincre qu’elle avait raison d’hésiter. Pour confirmer tout le monde dans la conviction que la royauté était impossible, il ne fallait qu’une chose, c’était de montrer le roi.

Ce pauvre homme, lourd et mou, n’avait pu, même en cette nuit suprême de la monarchie, veiller jusqu’au bout ; il avait dormi une heure et venait de se lever. On le voyait à sa coiffure, aplatie et défrisée d’un côté. On put juger alors du danger de ces modes perfides en révolution. Qui est sûr, en de telles crises, d’avoir là, à point nommé, le valet de chambre coiffeur ?… Tel il était, et tel les maladroits le firent descendre, le montrèrent, le promenèrent. Pour comble de mauvais augure, il était en violet ; cette couleur est le deuil des rois ; ici, c’était le deuil de la royauté. Il y avait pourtant, même en ceci, quelque chose qui pouvait toucher. Mais on eut encore le tact de rendre une scène tragique parfaitement ridicule. Aux pieds de ce roi défrisé, le vieux maréchal de Mailly se jette à genoux, tire l’épée et, au nom des gentilshommes qui l’entourent, jure de vaincre ou mourir pour le petit-fils de Henri IV. L’effet fut grotesque et dépassa tout ce que la caricature a représenté des voltigeurs de 1815. Le roi, gras et pâle, promenant un regard morne qui ne regardait personne, apparut, au milieu de ces nobles, ce qu’il était réellement, l’ombre et le néant du passé.

Par un mouvement naturel, tout ce qu’il y avait de gardes nationaux et d’hommes de toutes sortes, se rejetant violemment de ce néant à la réalité vivante, crièrent : « Vive la nation ! »

Décidément la nation ne voulait pas s’égorger elle-même ; ce massacre impie était impossible. Aux réquisitions des officiers municipaux, les gardes nationaux avaient répondu : « Pouvons-nous tirer sur nos frères ? » La vue du roi et des nobles acheva de les décider. Ce fut une désertion universelle. Les canonniers auraient voulu non seulement partir eux-mêmes, mais emmener leurs canons. Ne le pouvant sous le feu des balcons qui les menaçaient, ils rendirent du moins les pièces inutiles en y enfonçant de force un boulet sans charge de poudre ; il eût fallu pour le retirer une opération longue et difficile, impossible au moment où le combat allait commencer.

Le roi remonta essoufflé, échauffé du mouvement qu’il s’était donné, rentra dans la chambre à coucher, s’assit et se reposa. La reine pleurait, sans mot dire ; mais elle se remit très vite, reparut avec le dauphin, courageuse et l’air dégagé, les yeux secs, rouges, il est vrai, jusqu’au milieu des joues. La foule des assistants se trouvait réunie surtout dans la salle du billard, beaucoup montés sur les banquettes, pour voir ce qui allait se passer. M. d’Hervilly, l’épée nue, dit d’une voix haute : « Huissier, qu’on ouvre les portes à la noblesse de France. » L’effet du coup de théâtre que ces mots faisaient attendre fut très médiocre. Deux cents personnes entrèrent dans cette salle, d’autres se mirent en ligne dans les pièces précédentes. Une bonne partie de cette noblesse se composait de bourgeois. Beaucoup d’entre eux étaient ridiculement armés et en plaisantaient eux-mêmes. Un page et un écuyer du roi, par exemple, portaient sur l’épaule, en guise de mousquet, une paire de pincettes qu’ils venaient de se partager. La plupart néanmoins avaient des armes moins innocentes, des poignards et des pistolets, des couteaux de chasse. Plusieurs avaient des espingoles.

Ils se rangèrent en bataille dans les appartements. Ce qui restait de garde nationale pour défendre le château crut que c’était surtout contre elle que cette noblesse, si brusquement appelée, faisait cette manœuvre. Le commandant des gardes nationaux avait été demander des ordres et n’en avait point reçu. On avait profité de ce moment d’absence pour lui diviser sa troupe, en mettant vingt hommes à un autre poste. La garde nationale, manifestement en suspicion, ne s’obstina plus à défendre ceux qui ne voulaient point être défendus par elle ; elle acheva de s’écouler, sauf un nombre imperceptible. De ceux-ci était Weber, le frère de lait de la reine ; éperdu de douleur et d’inquiétude pour elle, il retourna, rentra aux appartements, la trouva en larmes : « Mais, Weber, que faites-vous ? dit-elle, vous ne pouvez rester ici… Vous êtes ici le seul de la garde nationale. »

L’abandon des Tuileries était bien plus grand encore que ne le pensait la reine. Le château était déjà seul et comme une île dans Paris. Toute la ville était ou hostile ou dans une neutralité moins que sympathique. La Révolution venait de s’accomplir à l’Hôtel de Ville ; le premier sang était versé, celui de Mandat, commandant général de la garde nationale.

Mandat, arrivé à la Grève, l’avait trouvée toute changée. Une foule immense remplissait tout l’Hôtel de Ville, toute la place. Le poste qu’il avait mis à l’arcade Saint-Jean en avait été écarté. Avancer était périlleux, retourner était impossible. Il suivit la fatalité, monta et se trouva en face de la nouvelle Commune, en présence de l’insurrection qu’il avait promis d’écraser. Tombé au piège de ceux contre qui il avait dressé ses pièges, interrogé en vertu de quel ordre il avait doublé la garde du château, il allégua un ordre du maire (ordre déjà ancien et sans rapport avec la journée du 10) ; puis il convint qu’il n’avait à présenter nul autre acte qu’une réquisition adressée par lui au département. Enfin, ne sachant plus que dire, il prétendit qu’un commandant avait droit de prendre des précautions subites pour un événement imprévu. On lui rappela qu’il avait dit au château, en parlant de Pétion : « Sa tête nous répond du moindre mouvement. » Celle de Mandat ne tenait guère. Ce qui décida son sort, c’est qu’on jeta sur le bureau l’ordre même qu’il avait donné au commandant du poste de l’arcade Saint-Jean, de faire feu sur les colonnes du peuple en l’attaquant par derrière. Un hourra universel s’éleva contre lui, on lui mit la main au collet, on le traîna à la prison de la ville ; mais quelqu’un observa qu’il y serait tué sur l’heure. On essaya de le transférer à l’Abbaye.

Il y avait jusque-là, ce semble, hésitation parmi les chefs, incertitude sur les dispositions réelles du peuple, crainte et tâtonnement. Le tocsin leur avait paru d’abord si peu réussir qu’un moment ils eurent l’idée de le suspendre ; peut-être l’eussent-ils fait, s’ils l’eussent pu ; mais le contre-ordre eût été long à répandre dans Paris, et les cloches étaient lancées. Vers six heures, lorsque Mandat parut à l’Hôtel de Ville et fut arrêté, la Commune essaya de justifier cet acte. Elle envoya à l’Assemblée nationale accuser Mandat, assurer que, lui seul, avait fait sonner le tocsin, que c’était pour cette cause qu’on l’avait réprimandé. Un accident rompit ces ménagements politiques. Les violents ne permirent pas que Mandat parvînt vivant à l’Abbaye. À la sortie même de l’Hôtel de Ville, ils lui cassèrent la tête d’un coup de pistolet. La Commune, perdant ainsi son plus précieux otage, ne pouvait plus reculer ; elle fut, décidément et sans retour, jetée dans l’insurrection, et donna l’ordre de battre la générale.

Il était sept heures du matin, et déjà, de la Bastille jusqu’à l’église de Saint-Paul, dans cette partie ouverte et large de la rue Saint-Antoine, il y avait, nous l’avons dit, quatre-vingts ou cent divisions, chacune de cent hommes, armés de fusils, environ huit ou dix mille gardes nationaux. Leur empressement avait été extraordinaire, ce qu’on n’eût guère supposé d’après les lenteurs de la nuit. La masse, grossie dans la rue Saint-Antoine par chaque rue latérale qui avait fourni des affluents à ce fleuve, passa sans difficulté la fatale arcade Saint-Jean, où Mandat s’était flatté de l’anéantir. Elle resta une heure à la Grève, sans pouvoir obtenir d’ordres ; les uns disaient que la Commune espérait encore quelque concession de la cour, les autres que le faubourg Saint-Marceau traînait, qu’on craignait qu’il ne pût faire à temps sa jonction au Pont-Neuf.

À huit heures et demie, un millier d’hommes à piques perdirent patience et prirent leur parti. Ils percèrent les rangs de la garde nationale, disant qu’ils se passeraient d’elle. Ils étaient fort mal armés ; ils n’avaient pas entre eux tous une douzaine de fusils ; beaucoup n’avaient pas même de piques, mais des broches, ou tout simplement des outils de leur état. Quelques fédérés, Marseillais ou autres, qui étaient des soldats aguerris, ne purent voir ces gens s’en aller seuls, avec si peu de chances ; ils essayèrent de les diriger et hasardèrent d’aller à leur tête essuyer le premier feu.

La famille royale venait de quitter les Tuileries. Le procureur-syndic, Rœderer, avait lui-même joint sa voix à celle des zélés serviteurs qui voulaient à tout prix mettre le roi hors de péril. Des deux côtés on parlementait. Un jeune homme, pâle et mince, introduit comme député des assaillants, avait tiré de Rœderer l’autorisation d’introduire vingt députés dans le château. En attendant, plusieurs, sans autre façon, chevauchaient sur la muraille et causaient familièrement avec les quelques gardes nationaux qui étaient encore dans les cours.

Rœderer crut le danger très imminent. Il amusa le jeune parlementaire de l’offre d’introduire les députés de l’insurrection, courut à toutes jambes au château, traversa rapidement la foule qui remplissait les salles : « Sire, dit-il au roi, Votre Majesté n’a pas cinq minutes à perdre ; il n’y a de sûreté pour elle que dans l’Assemblée nationale. » Un administrateur du département (marchand de dentelles de la reine, zélé constitutionnel) parlait aussi dans ce sens : « Taisez-vous, monsieur Gerdret, lui dit la reine ; quand on a fait le mal, on n’a pas droit de parler… Il ne vous appartient pas, Monsieur, d’élever ici la voix. » Puis, se tournant vers Rœderer : « Mais enfin nous avons des forces… — Madame, tout Paris marche… Sire, ce n’est plus une prière que nous venons vous faire… Nous n’avons qu’un parti à prendre… Nous vous demandons la permission de vous entraîner. » Le roi leva la tête, regarda fixement Rœderer, puis, se tournant vers la reine, il dit : « Marchons », et se leva.

Le roi, adressant ce mot à la reine, trancha une question délicate, qui autrement se fût agitée. Irait-il seul à l’Assemblée ? ou bien y serait-il accompagné d’une épouse si impopulaire ? C’était peut-être en ce moment la question décisive de la monarchie. M. de Lally-Tollendal, dans les prétendus Mémoires de Weber, avoue ce qu’ont dissimulé tous les autres historiens, à savoir que, selon le bruit public, le département et la municipalité devaient engager le roi à quitter seul les Tuileries et se placer seul dans l’Assemblée nationale.

Ce projet laissait à la royauté quelque chance de salut. La reine, il est vrai, restait en péril ; elle risquait moins d’être tuée peut-être que d’être prise et jugée (ce qu’elle craignait bien plus), d’avoir un procès scandaleux qui l’aurait mise, déshonorée, dégradée, au fond d’un couvent.

Rœderer, obligé d’emmener la reine avec le roi, insista du moins pour n’emmener personne de la cour. Mais la reine voulut être suivie de Mme de Lamballe et de Mme de Tourzel, gouvernante des enfants. Les autres dames restèrent terrifiées, inconsolables, d’être abandonnées.

« Lorsque nous fûmes au bas de l’escalier, dit Rœderer, le roi me dit : « Que vont devenir toutes les personnes qui sont restées là-haut ? — Sire, elles sont en habit de ville. Elles quitteront leur épée et vous suivront par le jardin. — C’est vrai, dit le roi… Mais pourtant il n’y a pas un grand monde au Carrousel. — Ah ! Sire, douze pièces de canon, un peuple immense qui arrive ! »

Ce dernier regret, ce petit mot de sensibilité, cette hésitation, ce fut tout ce que Louis XVI donna à ses défenseurs. Il se laissa entraîner et les abandonna à la mort.

Un officier suisse, d’Affry, a déclaré que la reine lui avait ordonné de faire tirer les Suisses. Un autre, le colonel Pfyffer, dans son livre publié en 1821, dit que le vieux maréchal de Noailles annonça que le roi lui laissait le commandement et qu’on ne devait pas se laisser forcer. — La reine ne doutait pas que la défense ne fût victorieuse ; elle dit en partant à ses femmes qu’elle laissait : « Nous allons revenir. »

Ceux qui restaient se trouvèrent très diversement affectés du départ du roi. Un officier suisse dit tristement à Rœderer : « Monsieur, croyez-vous donc sauver le roi, en le menant à l’Assemblée ?» Quelques-uns se désespérèrent d’être ainsi abandonnés ; plusieurs arrachèrent leurs croix de Saint-Louis, brisèrent leurs épées.

D’autres, par une disposition contraire, n’ayant plus rien à ménager, plus de roi, de femmes ni d’enfants à protéger, eurent comme une joie furieuse du combat à mort qu’ils allaient livrer. Ils versèrent aux Suisses l’eau-de-vie à pleins verres, et, sans s’amuser à défendre la longue ligne de murailles qui régnait entre les cours et le Carrousel, ils ordonnèrent au concierge de lever les barres de la porte royale. Il les leva en effet, se sauva à toutes jambes. La foule, qui frappait à cette porte, s’y précipita avec une confiance aveugle, s’élança par l’étroite cour, sans remarquer ni les fenêtres de face toutes hérissées de fusils, ni les baraques latérales qui fermaient la cour de droite et de gauche et la regardaient d’un œil louche.

Ceux qui entrèrent étaient ces impatients dont nous avons parlé, ces hommes à piques qui étaient partis en avant, et qui, sur la route, avaient augmenté jusqu’au nombre de deux ou trois mille. Ils arrivèrent, sans s’arrêter, tout courants, au vestibule. Là enfin ils regardèrent. Ce vestibule du palais, bien plus vaste qu’aujourd’hui, était vraiment imposant. Le grand escalier qui montait majestueusement à la chapelle, puis en retour aux appartements, était, sur chaque marche, chargé d’une ligne de Suisses. Immobiles, silencieux, du haut en bas de l’escalier, ils couchaient en joue la foule des assaillants. Quelles étaient les dispositions de ces Suisses ? Bien diverses, difficiles à dire. Beaucoup, sans nul doute, désiraient de ne pas tirer. Un grand nombre de ces soldats étaient du canton de Fribourg, quelques-uns Vaudois sans doute, c’est-à-dire Français, Français de langue, Français de caractère. Nul doute qu’il ne leur semblât odieux, impie de tirer sur leur vraie patrie, la France.

Un moment avant l’irruption, des canonniers de la garde nationale étaient venus trouver ces pauvres Suisses, qui, avec beaucoup de larmes, s’étaient jetés dans leurs bras. Deux même n’hésitèrent pas à laisser là le château et suivre nos canonniers. Ils étaient sous le balcon, d’où les voyaient leurs officiers. Ils furent tirés, et avec une si remarquable justesse, que les deux Suisses tombèrent, sans que les Français eussent été touchés.

Forte leçon pour les autres. La discipline aussi sans doute, l’honneur du drapeau, le serment les retenaient immobiles. La foule des assaillants, voyant ces hommes de pierre, n’eut aucune peur, mais se mit à rire. Elle leur lança des brocards, mais les Suisses ne riaient pas. On aurait pu douter qu’ils fussent vraiment en vie. Le gamin s’enhardit vite, et tout le peuple parisien est gamin sous ce rapport. Ceux-ci, avec douze mauvais fusils, des piques et des broches, n’étaient point pour engager le combat avec cette troupe de Suisses armés jusqu’aux dents. Ils savaient que plusieurs Suisses avaient essayé de passer du côté de la garde nationale ; ils résolurent d’aider à leur bonne volonté. Quelques-uns qui avaient des crocs au bout d’un bâton s’avisèrent de jeter aux soldats cette espèce de hameçon, d’en accrocher un, puis deux, par leurs uniformes ; ils les tiraient à eux avec de grands éclats de rire. La pêche aux Suisses réussit. Cinq se laissèrent prendre ainsi sans faire résistance[3]. Les officiers commencèrent à craindre une sorte de connivence entre les attaqués et les attaquants, et ils ordonnèrent le feu.

On vit alors toute la force de la discipline. Ils tirèrent sans hésiter. L’effet de ces feux, étagés du haut en bas de l’escalier et qui plongeaient tous ensemble et presque à bout portant sur une même masse vivante, fut épouvantable. Il n’y eut jamais dans un lieu si étroit un si terrible carnage. Tout coup fut mortel. La masse chancela tout entière et s’affaissa sur elle-même. Nul de ceux qui entrèrent sous le vestibule n’en sortit. Les seuls récits que nous ayons sont ceux des royalistes qui étaient sur l’escalier. Deux heures après, un des assaillants, qui traversa le vestibule et vit cette montagne de morts, dit qu’on était suffoqué de l’odeur de boucherie et qu’on ne respirait pas.

Il ne faut pas demander si ceux qui étaient dans la cour s’enfuirent à toutes jambes. Ils ne purent le faire si vite qu’ils ne fussent criblés au passage du feu des baraques qui serraient la cour de droite et de gauche ; elles étaient pleines de soldats. Ce fut, à la lettre, la chasse à l’affût ; les chasseurs avaient le gibier au bout du fusil et pouvaient choisir. Trois ou quatre cents hommes périrent dans ce fatal défilé, sans riposter d’un seul coup.

Deux sorties se firent à la fois de ce palais meurtrier, une des Suisses au centre, sous le pavillon de l’Horloge, une autre des gentilshommes qui s’élancèrent du pavillon de Flore, poussèrent toute la déroute loin du quai, vers les petites rues du Louvre et la rue Saint-Honoré. Les Suisses, se formant en bataille dans le Carrousel et faisant feu de toutes parts, criblèrent la queue des fuyards, et toute la place fut encore semée de cadavres.

Le château se crut vainqueur, s’imagina avoir écrasé l’armée de l’insurrection ; mais c’était seulement l’avant-garde. Au milieu même du feu, pendant que les Suisses tiraient encore sur la foule entassée au passage étroit des rues, M. d’Hervilly se jette à eux, sans chapeau, sans armes : « Ce n’est pas cela, dit-il, il faut vous porter à l’Assemblée, près du roi. » Le vieux Vioménil criait : « Allez, braves Suisses, allez ; sauvez le roi ; vos ancêtres l’ont sauvé plus d’une fois. »

Rœderer pensa alors (plusieurs des acteurs du 10 août pensent encore aujourd’hui) que ce moment était prévu, et que la cour, avait, dans cette espérance, voulu le combat. L’insurrection écrasée ou du moins découragée par la vigueur du premier coup, la garnison se repliait sur l’Assemblée nationale : on la proclamait dissoute ; le roi, enveloppé de troupes, sortait de Paris, fuyait à Rouen, où on l’attendait, se retrouvait roi. Jamais la reine, je le pense, si elle ne se fût crue bien sûre de son fait, n’eût laissé aux Tuileries tant de serviteurs dévoués. Elle attendait, dans l’Assemblée, pâle et palpitante, le succès de ce violent coup de Jarnac frappé sur la Révolution. L’Assemblée elle-même, un moment, se crut à sa dernière heure, au moment d’être massacrée, tout au moins prisonnière du roi qu’elle avait sauvé dans son sein.

Et cependant, bien loin que la contre-révolution eût vaincu, la Révolution marchait. La jonction de Saint-Antoine et de Saint-Marceau s’était faite au Pont-Neuf. On pouvait, du pavillon de Flore, voir au levant, déjà au quai du Louvre, l’armée vengeresse du peuple, la forêt de ses baïonnettes, flamboyante des feux du matin.

Il y avait eu bien des lenteurs ; l’armée, peu formée aux manœuvres, avait perdu du temps, surtout à s’allonger en colonnes, sur ces quais alors très étroits. Les cinq cents Marseillais, les trois cents Bretons et les autres fédérés, une troupe très militaire, avaient le poste d’honneur ; ils allaient les premiers au feu ; ils devaient entrer au Carrousel par les guichets voisins du Pont-Royal. Le Marais et autres sections de la rive droite devaient pénétrer par le Louvre ; Saint-Marceau et la rive gauche se chargeaient du Pont-Royal, du quai des Tuileries, du quai de la Concorde et de la place, de sorte que le château fût entre deux feux, Saint-Antoine avait deux petits canons, Saint-Marceau autant, c’était toute l’artillerie.

Si la masse des fuyards avait été rejetée vers le quai, elle eût pu jeter du trouble, du découragement dans les colonnes qui venaient ; mais elle fut, comme on l’a vu, rejetée vers la rue Saint-Honoré et les petites rues du Louvre. Les Marseillais et le faubourg Saint-Antoine ne virent rien de ce spectacle affligeant ; ils arrivèrent frais, confiants, la tête haute. Ils savaient en général qu’on avait attiré, massacré leurs frères ; ils doublèrent le pas, furieux. Les sections du Marais, arrivées au Carrousel par les petites rues du Louvre, virent nombre de blessés ; mais ces blessés, pleins d’enthousiasme, de haine et de colère, demandaient vengeance pour la perfidie des Suisses : « Nous avions encore, dirent-ils, la bouche à leur joue qu’ils ont versé notre sang. »

Les Marseillais passèrent les guichets du quai, virent les Suisses en bataille sur le Carrousel, s’ouvrirent brusquement, démasquèrent leurs petits canons et tirèrent à brûle-pourpoint deux coups à mitraille. Les soldats rentrèrent sans attendre un second coup, laissant leurs blessés et sans doute un peu surpris de trouver vivante à ce point l’insurrection qu’ils croyaient avoir tuée. Les fédérés et Saint-Antoine avancèrent au pas de charge et remplirent deux des trois cours : la cour Royale ou du centre, et celle des Princes, voisine du pavillon de Flore et du quai. Les sections venues par le Louvre avaient rempli le Carrousel, bien moins grand à cette époque ; elles poussaient les premiers venus et, tant qu’elles pouvaient, fonçaient dans les cours. L’immense et sombre façade, par ses cent fenêtres, scintillait d’éclairs. Outre tous les feux de face, les gentilshommes, à l’affût aux fenêtres du pavillon de Flore et de la grande galerie du Louvre, tiraient sur le flanc. Derrière le pavillon de l’Horloge, sous le réseau de feux croisés qui retardaient les assaillants, restèrent fermes les grenadiers suisses, qui répondaient par des salves aux tirailleurs de l’insurrection. Le temps était calme, la fumée fort épaisse ; il n’y avait pas un souffle d’air pour la dissiper ; on tirait comme dans la nuit, chose contraire aux assaillants ; ils distinguaient peu les fenêtres, leurs coups allaient frapper les murs. Au contraire, leurs ennemis, visant des murailles vivantes, je veux dire des masses d’hommes, n’avaient que faire de tirer juste ; chaque coup tuait ou blessait. Las de recevoir sans donner, des fédérés, au milieu d’une grêle de balles, mirent en batterie, à la grande porte, une pièce de quatre, dont deux boulets persuadèrent aux Suisses de quitter la cour. Ils rentrèrent au vestibule, en bon ordre, et, de temps à autre, ils en sortaient par pelotons pour tirer encore.

Au moment où les fédérés passèrent du Carrousel dans la cour, les baraques alignées parallèlement au château firent feu sur eux par derrière, ne doutant pas d’obtenir le même succès qu’elles avaient eu une heure plus tôt. Mais, dès la première décharge, les Marseillais se jetèrent avec furie sur les ouvertures des baraques, et, ne pouvant les forcer, ils y lancèrent des gargousses d’artillerie dont l’explosion fît sauter les toits, renversa les murs, incendia tout. Le feu courut en un clin d’œil d’un bout à l’autre, enveloppa toute la ligne, et tout disparut dans des tourbillons de flamme et de fumée, scène effroyable dont les assaillants eux-mêmes détournèrent les yeux avec horreur.

Est-ce alors, ou beaucoup plus tôt, qu’un capitaine suisse, Turler, vint demander au roi s’il fallait déposer les armes ? Grave question historique qui, résolue dans un sens ou dans l’autre, doit modifier nos idées sur le caractère de Louis XVI.

Selon une tradition royaliste, les Suisses, un moment vainqueurs, allaient marcher sur l’Assemblée, un député les arrêta, les somma de poser les armes, et le capitaine, s’adressant au roi, n’en tira nulle réponse, sinon qu’il fallait les rendre à la garde nationale.

Selon une version plus sûre, puisqu’elle est constatée par le procès-verbal de l’Assemblée, ce fut après que le roi eut entendu le rapport du procureur général Rœderer annonçant à l’Assemblée que le château était forcé, ce fut alors, et même après une vive terreur panique répandue dans l’Assemblée, que le roi avertit le président qu’il venait de faire donner ordre aux Suisses de ne point tirer.

Ceci éclaircit la question qu’on a essayé d’obscurcir. Le roi voulut éviter une plus longue effusion du sang, lorsqu’il sut que le château était forcé, lorsqu’il n’eut plus d’espoir. Cet ordre pouvait avoir le double avantage de diminuer l’exaspération des vainqueurs et de couvrir l’honneur des vaincus, de sorte que ceux-ci pussent dire, comme ils n’ont pas manqué de le faire, que l’ordre du roi avait pu seul leur arracher la victoire.

À cette heure, le château était forcé ; les Suisses, qui avaient défendu pied à pied l’escalier, la chapelle, les galeries, étaient partout enfoncés, poursuivis, mis à mort. Les plus heureux étaient les gentilshommes qui, maîtres de la grande galerie du Louvre, avaient toujours une issue prête pour échapper. Ils s’y jetèrent et trouvèrent à l’extrémité l’escalier de Catherine de Médicis, qui les mit dans un lieu désert. Tous ou presque tous échappèrent ; on n’en vit point parmi les morts. Les corps qui portaient du linge fin portaient aussi l’habit rouge ; c’étaient les faux Suisses, anciens gardes constitutionnels, et non pas les gentilshommes.

Les habits rouges étaient fort nombreux, bien au delà des treize cent trente véritables Suisses qu’accuse leur capitaine. Suisses ou non, tous furent admirables. Ils se retirèrent lentement par le jardin, attendant, ralliant leurs camarades avec le sang-froid et l’aplomb de vieilles troupes manœuvrant comme à la parade, serrant tranquillement leurs rangs, à mesure que la fusillade les éclaircissait. Ils firent dix haltes peut-être dans la traversée du jardin (dit un témoin oculaire[4]) pour repousser les assaillants, chaque fois avec des feux de file parfaitement exécutés. Une chose dut les étonner fort, ce fut la prodigieuse multitude de gardes nationaux qui remplissait le jardin et allait toujours croissant. À huit heures, avant le combat, il y avait eu à la Grève huit ou dix mille gardes nationaux armés de fusils ; entre midi et une heure, immédiatement après le combat, le même témoin en vit aux Tuileries jusqu’à trente ou quarante mille. En faisant la part, ordinairement nombreuse, des hommes qui volent toujours au secours de la victoire, il reste néanmoins bien évident que le 10 août fut fait ou consenti, ratifié en quelque sorte par l’ensemble de la population, non par une partie du peuple, et nullement la partie infime, comme on l’a tant répété. Il y avait un grand nombre d’hommes en uniforme parmi ceux qui prirent le château. Ces uniformes même causèrent une fatale méprise. Les fédérés bretons, portant des habits rouges, furent pris par les officiers du château pour des Suisses qui auraient passé à l’ennemi, et tirés de préférence ; huit tombèrent du premier coup.

L’effrayante unanimité de la garde nationale, qui, de moment en moment, se manifestait aux Suisses, acheva de les briser. Arrivés près du grand bassin, vers la place Louis XV, leurs rangs flottèrent, ils commencèrent à se débander ; la mortelle pensée du salut individuel, qui perd presque toujours les hommes, entra visiblement en eux. Ils virent ou crurent voir que leur courage, leur discipline admirable, les avait perdus, en ralentissant leur retraite. Quelques centaines se lancèrent, comme des cerfs furieux, sous le couvert des grands arbres, renversèrent les tirailleurs ennemis, gagnèrent la porte qui est en face de la rue Saint-Florentin : trois cents environ échappèrent ; un groupe, serré de trop près, se jeta dans l’hôtel de la marine ; ils y furent cherchés, égorgés. Ceux qui restèrent mieux ensemble essayèrent, des Tuileries, de passer aux Champs-Élysées ; mais à peine eurent-ils posé le pied sur la place qu’un bataillon de Saint-Marceau, qui avait deux pièces en batterie à la descente du pont, leur tira un coup à mitraille, un seul coup, qui en mit trente-quatre sur le carreau. Les autres, dispersés par cette terrible exécution, jetèrent leurs fusils, mirent le sabre à la main, arme inutile contre les piques de leurs ennemis acharnés. Une trentaine tinrent un instant près de la statue de Louis XV (où est maintenant l’obélisque), au pied de ce triste monument de la monarchie, si peu digne de leur dévouement et de leur fidélité.

Quelques-uns, qui eurent le bonheur de gagner les Champs-Élysées, furent cachés par de braves gens qui les travestirent et les firent évader le soir. En général, dans cette journée sanglante, il n’y eut point de milieu : les vaincus trouvèrent ou la mort, ou l’hospitalité la plus dévouée, généreuse jusqu’à l’héroïsme, et qui, au besoin, pour les sauver, elle-même affronta la mort. Et cela à part de toute opinion politique ; de violents révolutionnaires se conduisirent en ceci tout comme les royalistes.

Au château même, la foule, horriblement irritée par ses pertes énormes et par ce qu’elle croyait de la perfidie des Suisses, ne se montra pas aussi aveuglément barbare qu’on eût pu le supposer. Les dames de la reine, qu’on haïssait infiniment plus qu’aucun homme, comme les conseillères, les confidentes de l’Autrichienne, n’éprouvèrent nulle indignité. La princesse de Tarente avait fait ouvrir les portes et recommanda aux premiers qui entrèrent une très jeune demoiselle, Pauline de Tourzel. Quelques femmes, Mme Campan, entre autres, furent un moment saisies, menacées de la mort. Elles n’en eurent que la peur ; on les lâcha avec ce mot : « Coquines, la nation vous fait grâce. » Les vainqueurs les escortèrent eux-mêmes pour les faire échapper et les aidèrent à se déguiser pour échapper aux bandes de poissardes qui criaient derrière elles qu’on aurait dû les tuer.

Un des assaillants, M. Singier (depuis connu et estimé comme directeur de théâtre), a conté qu’entrant dans la chambre de la reine, il vit la foule qui brisait les meubles et les jetait par les fenêtres ; un magnifique clavecin, orné de peintures précieuses, allait avoir le même sort. Singier ne perd pas de temps ; il se met à en jouer, en chantant la Marseillaise. Voilà tous ces hommes furieux, sanglants, qui oublient leur fureur au moment même ; ils font chorus, se rangent autour du clavecin, se mettent à danser en rond et répètent l’hymne national.

Non, cette foule, si mêlée, des vainqueurs du 10 août, n’était pas, comme on l’a tant dit, une bande de brigands, de barbares. C’était le peuple tout entier ; toute condition, toute nature et tout caractère se rencontraient là, sans nul doute. Les passions les plus furieuses s’y trouvèrent ; mais les basses, les ignobles, rien n’indique qu’en ce moment d’exaltation héroïque elles se soient montrées chez personne. Il y eut beaucoup d’actes magnanimes. Et le mot touchant du boulanger que nous avons rapporté au commencement de ce chapitre montre assez que le péril, qui rend si souvent féroces les hommes qui l’affrontent pour la première fois, n’avait nullement éteint dans le cœur des assaillants les sentiments d’humanité.

Une scène extraordinaire, pathétique au plus haut degré, eut lieu dans l’Assemblée nationale. Qu’elle passe à la postérité, pour témoigner à jamais de la magnanimité du 10 août, du noble génie de la France, qu’elle conserva encore dans les fureurs de la victoire.

Un groupe de vainqueurs se jeta dans l’Assemblée, pèle-mêle avec des Suisses. L’un d’eux porta la parole : « Couverts de sang et de poussière, le cœur navré de douleur, nous venons déposer dans votre sein notre indignation. Depuis longtemps une cour perfide a préparé la catastrophe. Nous n’avons pénétré dans ce palais qu’en marchant sur nos frères massacrés. Nous avons fait prisonniers ces malheureux instruments de la trahison ; plusieurs ont mis bas les armes : nous n’emploierons contre eux que celles de la générosité. Nous les traiterons en frères (il se jette dans les bras d’un Suisse, et, dans l’excès de l’émotion, il s’évanouit ; des députés lui portent secours. Alors, reprenant la parole) : il me faut une vengeance. Je prie l’Assemblée de me laisser emmener ce malheureux : je veux le loger et le nourrir. »

  1. Il faut le répéter. Il n’y eut aucun auteur du 10 août, nul que l’indignation publique, l’irritation d’une longue misère, le sentiment que l’étranger approchait et que la France était trahie. Nul homme alors, ni Danton, ni Santerre, ni personne, n’avait assez d’ascendant pour décider un tel mouvement. Il n’y eut aucun général de l’insurrection.

    Les seuls qui aient vu le Prussien Westermann en tête de la colonne, ce sont ceux qui n’y étaient pas. Il n’y eut rien de préparé. Excepté les cinq cents fédérés marseillais qui se firent livrer des cartouches, les assaillants n’avaient presque aucune munition ; ils furent tout d’abord réduits à celles qu’ils trouvèrent dans le Carrousel sur les cadavres des Suisses. Quelques gardes nationaux avaient par bonheur gardé celles que La Fayette fit distribuer un an auparavant au Champ de Mars, le 17 juillet 1791.

  2. Quelle part Danton eut-il à ce premier acte de l’insurrection ?… On l’ignore ; il ne présidait pas ce jour-là le club des Cordeliers. Ses ennemis ont assuré que le grand agitateur avait reçu, la veille même, 50.000 francs de la cour, qu’il l’avait ainsi endormie par la confiance ; que Madame Élisabeth disait : « Nous ne craignons rien, nous avons Danton. » — La chose n’est pas impossible ; cependant on n’en a jamais donné la moindre preuve… Il n’y a aucun homme révolutionnaire dont on n’ait dit de telles choses.
  3. À qui persuadera-t-on que les assaillants, si intéressés à encourager la défection, aient sur-le-champ massacré, comme le prétend Peltier, les Suisses qui s’étaient laissé prendre ?
  4. Ce témoin, qui observa avec tant de sang-froid, est M. Moreau de Jonnès. Je dois plusieurs détails très importants à son récit du 10 août, encore inédit, qu’il a bien voulu me communiquer. Je rappellerai, entre autres, la curieuse anecdote contée à la page 2 de ce volume.