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Histoire de la conquête de l’Inde par l’Angleterre (Barchou de Penhoën)/Livre XIX

La bibliothèque libre.
Au comptoir des imprimeurs-unis (tome 5p. 249-364).

LIVRE XIX.

SOMMAIRE.


Nouveaux troubles dans Java. — Expédition dans l’île de Sumatra. — Massacre des Hollandais. — Déchéance de l’ancien souverain et couronnement du nouveau. — Hostilités dans Java avec le sultan de Mataram. — Prise du chef rebelle Bangoor-Rangin. — Retour de lord Minto en Europe. — Caractère général de son administration. — Comment il se trouve obligé de revenir au système politique de lord Wellesley. — Renouvellement du privilège de la Compagnie en 1813. — Nomination du marquis de Hastings au poste de gouverneur-général. — Discussions survenues entre le gouvernement anglais et celui de Népaul. — Origine des Goorkhas. — Suite de leurs discussions avec le gouvernement britannique. — État des affaires à l’arrivée du marquis de Hastings. — Des commissaires anglais et goorkhas sont chargés d’une nouvelle délimitation de frontières. — Les commissaires goorkhas rompent les conférences. — La guerre est résolue dans une assemblée générale des chefs goorkhas. — L’armée anglaise se dispose à entrer en campagne. — Composition de cette armée et répartition de ses différents corps. — Entrée en campagne. — Siège de Nalapanee. — Le fort Jythuck. — Lettre de Umuz-Singh un des chefs goorkhas à la cour de Katmendoo. — Division d’Ochterlony. — Ramaghur. — Division du Gournekpoor. — Division de la frontière de Sarun. — Détachements des capitaines Blackney et Sibley. — Fin de la première campagne. — Situation générale de l’Inde britannique. — Organisation militaire et tactique des Goorkhas. — Ouverture de la seconde campagne. — Opération contre le fort Jythuck. — Opération d’Ochterlony. — Les deux armées se trouvent en présence ; leurs positions respectives. — Négociations commencées. — Dispositions des esprits à Katmendoo. — Préparatifs des Goorkhas. — Combat de Hureehurpoor. — Conclusion de la paix. — Relations du Népaul avec la Chine. — Une entrevue entre des chefs Goorkhas et des kants, fonctionnaires chinois. — Embarras pécuniaires. — Affaires de Oude.
(1811 — 1813.)


Séparateur


L’empire de Java ayant été ainsi enlevé aux mains des Français, le repos ne fut pas long. Après l’avoir conquis sur les Français, il fallut la conquérir de nouveau sur ses propres habitants. Le sultan de Djocjocarta, le plus puissant, le plus turbulent des princes du pays, en était aussi le chef nominal. Il nourrissait depuis long-temps des dispositions hostiles aux Européens établis à Java. En les voyant se combattre entre eux, il se flatta de l’espérance de profiter de ces désordres pour les expulser tous ; dispositions qu’il avait déjà laissées paraître sous le dernier gouvernement. À peine les Anglais se trouvèrent-ils en possession de leurs conquêtes qu’elles éclatèrent de nouveau. M. Raffles, nommé lieutenant-gouverneur de Java, jugea convenable d’examiner les choses de plus près ; dans le mois de décembre 1811, il se rendit à la cour du sultan pour fixer définitivement les relations existantes entre les deux gouvernements. Cette démarche amena la conclusion d’un traité, qui parut tout à l’avantage des intérêts britanniques. Dans ce traité, la souveraineté des Anglais sur l’île de Java fut reconnue par le sultan, tous les droits et avantages possédés par les gouvernements hollandais et français furent transférés à la Compagnie. Il lui transféra en outre la régulation des droits des douanes, la collection des tributs dans l’intérieur de la domination du sultan, l’administration générale de la justice dans les cas où les intérêts britanniques seraient en jeu. À la facilité avec laquelle il accepta ces conditions on put croire qu’elles lui convenaient. L’escorte du gouverneur, fort peu considérable, n’aurait pas été en mesure de contraindre sa volonté. Cependant des signes de mécontentement éclatèrent à plusieurs reprises parmi les gens de son escorte, dans l’intérieur même de la salle où se passait l’entrevue.

Les circonstances devaient sembler favorables au sultan pour chasser les Européens de Java. Les querelles de ces étrangers entre eux avaient réveillé le sentiment de nationalité chez les indigènes. La population tout entière de l’île se montrait animée du plus vif désir de s’affranchir du joug étranger. D’ailleurs beaucoup d’autres embarras se joignaient à ceux-là pour le gouvernement anglais. Un grand nombre de mécontents, parmi lesquels se trouvaient plusieurs Français, s’étaient réfugiés dans les montagnes d’Indramayo. Ils avaient pour chef un certain Bangoor-Rangin, qui, se donnant pour prophète, savait leur inspirer un dévouement et un fanatisme aveugles. Plein de ruse et de bravoure, même de talents, il déjoua pendant six ans tous les efforts du gouvernement anglais pour s’emparer de sa personne. Les forces dont il disposait s’accrurent tellement, qu’il menaça le fort et la ville d’Indramayo. Un détachement de Cipayes, sous les ordres du capitaine Pool, fut immédiatement envoyé de Batavia pour renforcer la garnison de cette dernière ville ; un autre détachement d’Européens et d’indigènes, sous ceux du capitaine Ralph, se mit de même en campagne avec l’ordre d’attaquer les rebelles. Celui-ci rencontra tout-à-fait à l’improviste un corps considérable de ces derniers ; 2,000 mousquets ouvrirent tout-à-coup leur feu sur les Anglais, tandis qu’ils traversaient avec grand’peine des champs de riz, où la marche était difficile pour aborder l’ennemi. La baïonnette dispersa bientôt les Javanais, dont un grand nombre demeurèrent sur la place. La perte des Anglais ne se monta qu’à 59 hommes tant tués que blessés. Bangoor-Rangin parvint à s’échapper de sa personne ; mais cet échec reçu par ses troupes n’en fut pas moins décisif : ses partisans cessèrent de le croire un chef invincible et infaillible. L’île de Sumatra voyait alors d’autres scènes plus sanglantes et plus affreuses. À Palimbang, les Européens et les indigènes de la factorerie hollandaise ayant été massacrés par les ordres du sultan, une expédition fut envoyée à Batavia pour réprimer ou venger ces désordres ; elle fut commandée par Gillespie récemment promu au grade de général. Elle mit à la voile le 20 mars 1813 ; des vents contraires allongèrent de beaucoup la durée du passage ; le 3 avril, elle se trouva contrainte de jeter l’ancre dans l’île de Nauka. Des tentes furent aussitôt dressées sur le rivage, et l’on construisit des baraques pour protéger les soldats contre la chaleur brûlante du soleil ou l’air glacé de la nuit. L’île, toute couverte de bois, n’avait d’autres habitants que des animaux sauvages. Le 9, un coup de vent d’une violence extrême menaça d’engloutir la flotte tout entière ; le 15 elle put cependant mettre à la voile et vint peu après jeter l’ancre devant Palimbang. Des pirogues armées se montrèrent à l’embouchure de la rivière, on en prit une ; l’équipage des autres, effrayé, se jeta dans les jungles qui bordaient la rivière. L’éloignement du rivage de Palimbang, le peu de renseignements recueillis sur ce pays forçaient à beaucoup de précautions. Le sultan ayant envoyé dans l’intérieur de l’île ses femmes et ses trésors, se préparait à une vigoureuse résistance ; les retards essuyés par la flotte lui donnaient le temps de préparer tout ce qu’il avait de moyens disponibles. Demeuré de sa personne à Palimbang, il cessait d’envoyer de nombreux messagers aux Anglais.

Le premier de ceux-ci vint demander au commandant anglais dans quelles intentions il se présentait dans l’île. Gillespie répondit qu’il n’expliquerait les intentions de son gouvernement qu’au sultan lui-même. C’était le 19 avril ; le 21, un autre messager se présenta porteur d’une nouvelle lettre où le sultan le complimentait sur son heureuse arrivée dans la rivière de Soodang ; il se disait l’ami des Anglais. Gillespie répondit qu’il espérait être à Palimbang dans deux jours ; que là il ferait au sultan en personne des communications de grande importance ; il donnait en même temps aux habitants de Palimbang l’assurance de la protection britannique. L’envoyé du sultan ne s’était point encore remis en route avec cette réponse qu’un troisième se présenta avec une autre lettre, demandant une explication immédiate. Tous deux s’en retournèrent ensemble sur les cinq heures du soir. La flottille mit à la voile aussitôt que la marée le permit, et le 22 avril, au lever du soleil, découvrit le fort de Borang qui défendait la ville ; mais, la marée manquant, elle se trouva obligée de s’arrêter à environ cinq milles. Dans le courant de l’après-midi, deux officiers anglais en firent la reconnaissance ; plusieurs batteries flottantes, soutenues par des pirogues armées, en défendaient les approches, par un feu croisé sur toute la largeur du passage. De nombreuses pièces de canon placées sur le rivage enfilaient en outre le canal par où les Anglais devaient s’acheminer. Des brûlots étaient échelonnés de distance en distance, tout prêts à être lancés dans des directions différentes. Des piles de bois, entassées dans la rivière, soit devant le fort, soit devant les batteries du rivage, en rendaient l’abordage impossible aux bateaux ; sur toute la cote on apercevait çà et là des détachements de soldats, s’occupant des préparatifs de la défense. À tous ces obstacles il faut ajouter celui du temps, qui dès le début était défavorable à l’expédition ; tantôt c’étaient des pluies tombant avec une violence extrême, tantôt les chaleurs brûlantes et malsaines d’un soleil équatorial. Cependant rien ne ralentissait l’ardeur des marins ou des soldats.

Le 22 au soir, un nouvel envoyé du sultan arriva de Palimbang. Le sultan serait charmé, disait-il dans cette nouvelle lettre, de recevoir à Palimbang son bon ami le commandant des Anglais ; seulement il le priait de congédier sa nombreuse suite, dans l’appréhension que la présence des troupes européennes n’amenât quelques troubles ; il l’engageait à venir seul, ce qu’il pouvait faire sans crainte et sans défiance. Gillespie répliqua en demandant le libre passage de la rivière, et de plus des otages comme preuve de la bonne foi du sultan. L’ambassadeur y consentit aussitôt, offrant en même temps de mettre les Anglais en possession des batteries ainsi que des bâtiments qui les défendaient. Comme gage de la sincérité de cette promesse, un personnage portant le titre de commandant de ces batteries, et qui avait accompagné le messager, demeura après son départ pour y conduire les Anglais. Le lendemain, deux officiers se dirigèrent vers le vaisseau arabe dans le but de l’examiner ainsi que les batteries ; ils rencontrèrent des canots qui les avertirent de ne pas aller plus loin. Les pirogues armées firent aussi un semblant de résistance. De nombreux signes de mécontentement se manifestèrent dans les batteries ; des cris hostiles se firent entendre. Pendant ce temps, Gillespie avait fait les préparatifs nécessaires. Deux autres officiers anglais furent envoyés aux batteries avec l’officier javanais laissé comme otage. Il s’agissait de demander une réponse décisive, à savoir, s’ils voulaient livrer le passage à la flotte anglaise ou résister ; Gillespie se montra tout prêt à se porter immédiatement en avant. Au point du jour du 24, le chef commandant les batteries se présenta et offrit de livrer les batteries et les autres moyens de défense ; elles furent en conséquence occupées immédiatement par les troupes anglaises. Saisie de terreur à l’approche soudaine des Anglais, la garnison se dispersa. Tous les canons furent pris, au nombre de 102, encore chargés et pointés. Le soir, les troupes se rembarquèrent et continuèrent leur chemin ; mais, à une petite distance, des feux parurent dans toutes les directions ; l’ennemi mit le feu à un grand nombre de brûlots dans la vue d’incendier, s’il était possible, l’escadre anglaise ; à l’aide de bateaux légers on parvint néanmoins à les tenir au large.

Le sultan avait jusque la considéré Borang comme une formidable barrière qui ne lui laissait rien à craindre pour sa sûreté personnelle. À la nouvelle de la capture de ce fort par les Anglais, il se sauva immédiatement à Palimbang. Gillespie poussa aussitôt plus avant avec les bâtiments légers. La nouvelle du départ du sultan, d’abord douteuse, ne tarda pas à se confirmer. Mille autres bruits d’une nature alarmante se joignaient à celui-là ; on disait que la plus grande confusion régnait dans la ville ; on allait jusqu’à affirmer qu’elle se trouvait livrée au pillage et à l’assassinat. Suivant quelques uns, et ceux-la paraissaient les mieux informés, tous les riches Chinois logeant dans un quartier séparé devaient être massacrés pendant la nuit par les partisans du sultan ; toutes ces nouvelles, en arrivant à Gillespie, le rendaient de plus en plus impatient de prévenir ou d’arrêter ces scènes terribles. Cédant enfin à un sentiment d’humanité, il mit pied à terre, et, à la tête d’un détachement de grenadiers et de quelques officiers, se dirigea en toute hâte vers Palimbang. À peine était-il hors de vue qu’un coup de canon se fit entendre du côté de l’ennemi, ce qui produisit une vive anxiété parmi les marins de la flotte ; ils craignirent quelque trahison, quelque embûche. Un nouveau détachement s’embarqua en toute hâte sur quelques bateaux légers, qui firent force de voiles pour rejoindre Gillespie et ses compagnons. L’aspect du pays était effrayant. Un orage terrible éclatait au ciel, et de longs éclairs déchiraient les nues ; des deux côtés de la rivière, une multitude confuse bordait le rivage, faisant entendre des cris et des menaces ; des lueurs rougeâtres erraient çà et là dans la campagne. De nombreuses bandes armées se pressaient en désordre autour du chef anglais, lui adressant mille et mille menaces. Accompagné de huit ou dix soldats ou officiers, Gillespie, le front toujours calme, n’en continuait pas moins de s’avancer en toute hâte vers Palimbang. À peine y fut-il parvenu qu’il se dirigea vers le palais. La première cour était rouge de sang ; laissant quelques uns de ses compagnons dans cette première enceinte, il pénétra dans l’intérieur du palais qui, livré au désordre, au pillage, étalait un spectacle affreux : laissant voir çà et là des groupes de cadavres baignés dans leur sang. Le feu avait pris ou avait été mis dans plusieurs endroits de la ville, la pluie qui tombait par torrents ne pouvait en arrêter ou seulement en retarder les progrès. Déjà l’intérieur du palais était menacé ; les toits des maisons voisines s’enfonçaient de temps à autre avec un grand fracas, pendant que les craquements des bambous dont elles étaient bâties semblaient des décharges de mousqueterie. Après avoir dévoré les bâtiments extérieurs, l’incendie commençait à gagner le lieu où se tenaient les Anglais. Mais il fallait y rester ; on ne pouvait en sortir sans se mêler à une multitude hostile où les assassins devaient abonder.

À la lueur des torches, Gillespie reconnut soigneusement toutes les avenues du palais. À l’exception d’une seule, il ferma et barricada toutes les entrées ; toutefois, à peine ces précautions pouvaient-elles paraître suffisantes à écarter des inquiétudes trop bien fondées. Mais à minuit des cris de bon augure se firent entendre : ils annonçaient l’arrivée d’un détachement du 89e régiment, montant à 60 hommes. Le palais était compris dans l’enceinte d’un fort ou citadelle garni de 110 pièces de canon ; par cette action hardie, le colonel Gillespie s’en empara sans perdre un seul homme. Le nombre des Anglais, si peu considérable, avait été grossi par l’imagination populaire. D’ailleurs la rapidité des mouvements de Gillespie, la dispersion des soldats du sultan, la terreur panique dont elle frappa la population, enfin le succès qui d’ordinaire accompagne l’audace, toutes ces circonstances concoururent à faire réussir l’entreprise. Les mesures les plus promptes et les plus décisives furent aussitôt prises pour rétablir l’ordre et la tranquillité. Les habitants reprirent confiance ; une partie de ceux qui s’étaient sauvés dans les bois revinrent peu à peu dans leurs maisons ; bientôt même la masse du peuple laissa percer sa satisfaction d’être délivré de la domination du sultan. Le fils aîné de ce prince, Pangarang-Battoo, était en outre l’objet de la haine universelle ; c’était lui dont le libertinage avait amené le dernier massacre des Hollandais.

Le prince, dans une de ses excursions nocturnes, tenta de faire violence à la femme d’un marchand indigène. Les cris de la femme et de son mari attirèrent une patrouille de Hollandais, car la scène se passait dans leur factorerie, et ceux-ci le poursuivirent tellement de près, qu’il ne leur échappa qu’en se jetant à l’eau. Il se réfugia, mais non sans difficultés, dans un bateau, à l’ancre à quelque distance du rivage. Irrité de sa mésaventure, on l’entendit faire à plusieurs reprises le serment d’anéantir tout l’établissement hollandais. Deux jours après, le sultan envoya inviter le chef de cet établissement à se rendre à son palais de Palimbang ; ce dernier, malgré la prière de ses amis, obéit à cet ordre. Pendant ce temps, des Malais armés s’étaient introduits un à un dans l’enceinte européenne. Se trouvant en force, ils se saisirent des Hollandais, les embarquèrent sur des pirogues préparées à cet effet, et les descendirent jusqu’auprès de Soosang où ils furent poignardés avec des criss, déchirés, soumis à toutes sortes de tortures. Pas un n’échappa. Une femme européenne ayant suivi une pirogue où se trouvait son mari, partagea le sort de ce dernier, elle et ses enfants. Les autres femmes, chassées de l’établissement, ainsi que leurs enfants, se virent dans la nécessité de se sauver dans les bois ; scène d’horreur qui avait suivi de près la conquête de Java par les Anglais. Cette circonstance avait paru favorable, en effet, au sultan pour se soustraire au pouvoir de l’étranger, et rétablir sa propre autorité sur les ruines des établissements européens. Il se flattait de devenir indépendant en détruisant leurs forteresses. Il espérait aussi pouvoir piller à sa fantaisie les vaisseaux qui font le commerce de ces mers.

Le 28 avril, le pavillon britannique fut arboré sur le palais du sultan avec un salut royal. Le même jour, Pangarang-Adipati, frère du sultan, invité par le commandant anglais à une conférence, fit connaître qu’il se rendrait à cette invitation. Ce prince passait pour avoir un caractère doux et modéré ; il s’était efforcé, disait-on, de dissuader le sultan du massacre des Hollandais, motifs qui faisaient désirer à Gillespie de le mettre à la tête d’un nouveau gouvernement. À son arrivée au lieu de la conférence, Gillespie alla le recevoir à la porte de la salle d’audience, pendant qu’on lui faisait un salut de dix-neuf coups de canon. Après quelques minutes d’audience publique, le prince et le général anglais passèrent dans un autre appartement, où s’ouvrit une longue conférence. Le prétendant ne pouvait qu’être promptement d’accord avec celui qui voulait le mettre sur le trône ; mais le caractère malais, plein de ruse et de fourberie, ne rendait pas facile la tâche de former un gouvernement. Les princes expulsés rodaient autour de Palimbang à la tête de quelques troupes. On apprit en outre que des armes en grande quantité étaient secrètement portées dans la maison de Pangarang-Adipati. Les gardes envoyés pour s’assurer du fait entrèrent dans la maison à l’improviste. Plusieurs chefs y étaient alors rassemblés pour délibérer ensemble sur les arrangements proposés. Surpris de l’entrée de ce détachement, un des chefs frappa de son criss l’officier qui le commandait ; celui-ci répondit par un coup de sabre ; un soldat qui se trouvait près de lui perça le Malais de sa baïonnette. Profitant de ce désordre, Pangarang-Adipati s’échappa. Un chef arabe ayant servi de guide aux Anglais le jour de la prise de Palimbang, assistait à cette réunion. Désarmé, il parvint néanmoins à se rendre auprès de Gillespie, à qui il apprit ce qui se passait. Peu après, les soldats du détachement revinrent portant en trophées de riches armes, des sabres, des poignards, etc., etc., ornés de diamants. Gillespie acquit la preuve que les chefs se trouvaient assemblés dans le seul but de délibérer sur les affaires de l’État ; que d’ailleurs ils étaient favorables, non hostiles aux Anglais. L’explication fut un peu tardive pour le chef blessé ; il mourut peu d’instants après, et sa mort produisit une certaine agitation parmi le peuple. Les Anglais se hâtèrent de répandre des proclamations propres à le calmer, ils restituèrent à leurs propriétaires les riches armes enlevées par les soldats, et peu à peu la confiance se rétablit. On fit des préparatifs pour le couronnement du nouveau sultan, pendant que l’ancien, à la tête de quelques partisans dévoués, errait çà et là dans les bois. Ce dernier possédait encore des trésors considérables, mais il les avait fait soigneusement enfouir, puis mettre à mort tous ceux employés à ce travail, de sorte que lui seul en conservait le secret.

Le 14 mai fut choisi pour le couronnement, car c’était nouvelle lune, et le peuple espérait par là rendre cet astre favorable au nouveau monarque. Ce jour venu, Gillespie lut au peuple assemblé une proclamation dans laquelle il déclarait déchu du trône, à cause de ses crimes, de ses cruautés et de ses rapines, l’ancien sultan, et proclama le nouveau. S’adressant alors au peuple, il demanda par un interprète à la foule assemblée : « Est-ce votre désir à tous que Pangarang-Adipati règne sur vous ? » De bruyantes acclamations de consentement répondirent, car Pangarang-Adipati jouissait d’une grande popularité. Alors le colonel Gillespie conduisit ce dernier vers le trône, placé sur une estrade élevée. Un salut royal fut tiré, et le pavillon du sultan arboré sur le palais à la place de celui d’Angleterre. Placé sur son trône, le roi reçut les hommages de ses nouveaux sujets. Les officiers européens passèrent les premiers ; ils saluèrent le sultan, qui le leur rendit en ôtant son chapeau à l’européenne, puis allèrent se placer du côté opposé de la salle. Les indigènes se présentèrent ensuite dans leur ordre de préséance, les uns baisant les mains, les autres les genoux du nouveau souverain. La cérémonie achevée, tous s’assirent. Au moyen d’un interprète, le colonel Gillespie, prenant de nouveau la parole, s’adressa au sultan en ces termes : « Au nom de Sa Majesté britannique et de l’honorable Compagnie des Indes orientales, je vous place, vous, Pangarang-Adipati, sur le-trône de votre frère Mahmoud-Badruddim, déposé pour ses actes de féroce cruauté, et je vous déclare dûment institué sultan de Palimbang et de ses dépendances, sous le titre de sultan Ratee-Acmeth-Najmuddin. Puissiez-vous vivre long-temps pour jouir du rang élevé auquel la nation anglaise vous a appelé ! Que Dieu veille sur vos actions et dirige vos conseils ! Puisse le juste châtiment du dernier sultan (qui, en écoutant de mauvais conseillers et de méchants hommes, a appelé sur sa tête la vengeance d’une grande et puissante nation), puisse cet exemple être pour vous un avertissement salutaire qui vous fasse éviter de semblables erreurs ! Que votre règne soit heureux et prospère ! Puissiez-vous contribuer, par votre justice et votre bonté, au bonheur et au bien-être de vos sujets ! Puissent-ils avoir lieu de bénir le peuple qui vous place sur le trône ! » Après ce discours, le sultan descendit du trône. Le prenant par la main, Gillespie le conduisit jusqu’à un escalier au pied duquel son bateau attendait. Au moment où il quittait le rivage, les bricks de guerre et les sloops qui couvraient la rivière le saluèrent d’une salve royale. Le 16, le colonel Gillespie et tous ses officiers furent invités à un grand banquet chez le sultan, Le jour suivant, les troupes s’embarquèrent pour Batavia, d’où elles ne tardèrent pas à être dirigées sur Samarang, au centre même de l’île. Là, de nouveaux dangers les attendaient.

Après avoir réussi à dépouiller de ses États le prince de Jacatra, dont ils détruisirent la capitale, les Hollandais dirigèrent leurs attaques contre le Soosoohoon. Mais, dans cette occasion, n’osant employer la force ouverte, ils eurent recours à la ruse. Un des membres de la famille de ce prince s’étant révolté, les Hollandais lui offrirent contre le rebelle un secours qu’il accepta avec empressement. Par un revirement de politique, et dans le but d’affaiblir le prince qu’ils avaient d’abord servi, ils se joignirent plus tard au chef rebelle. Une guerre où la victoire demeura à la cause embrassée par eux, fut suivie de la paix. Le prince conserva l’ancienne capitale de Solo, avec le titre d’empereur. Pour prix de leur coopération dans la guerre, les Hollandais se firent adjuger la totalité de la côte du nord, seule partie de l’île propre au commerce et par conséquent la seule à leur convenance. Une souveraineté indépendante et considérable fut créée en faveur du rebelle, qui prit le titre de sultan de Mataram et fixa sa résidence à Djocjocarta. Le nouveau sultan et les Hollandais cessèrent bientôt de vivre en bonne intelligence ; des querelles et des discussions survinrent. Le général Daendels, alors gouverneur de la colonie, fit une expédition dans le but de rétablir la bonne harmonie entre eux. On conclut un arrangement qui parut de nature à tout concilier ; mais la haine du sultan subsista avec le souvenir de son humiliation ; d’ailleurs, il ne cessait de nourrir au fond du cœur le projet de renverser le pouvoir des Européens et de les expulser de Java. Or le moment paraissait favorable à l’exécution de ce projet. L’inimitié qui naguère le rendait ennemi de l’empereur de Solo céda à ce sentiment de nationalité ; une même haine de l’étranger les rapprocha. Les liens d’une étroite féodalité encore existantes entre tous les États indigènes de Java les unissaient dans une vaste confédération dont les chefs pouvaient disposer d’une force considérable. Les établissements européens disséminés le long d’une côte de sept cents milles d’étendue couraient donc un imminent danger, et demandaient de vigoureuses mesures de défense. Sous peine de tout compromettre, les autorités anglaises durent prendre un parti sans attendre l’arrivée des troupes de Sumatra. Le 17 juin, le lieutenant-gouverneur, depuis sir Stampfort, alors M. Baffles, et le commandant militaire arrivèrent à Djocjocarta avec toutes les forces disponibles qu’ils purent rassembler. Le sultan, déjà prêt à entrer en campagne, envoya sur-le-champ un corps de cavalerie considérable pour intercepter les communications des Anglais avec leurs magasins, couper les ponts, dévaster le pays, etc., etc.

Gillespie, récemment arrivé, accompagné d’une cinquantaine de dragons, alla lui-même reconnaître la route ; il rencontra un gros corps de cavalerie du sultan. Hésitant à commencer les hostilités, il les exhorta à retourner chez eux ; ils répondirent en lançant avec leurs frondes, dont ils se servent avec une merveilleuse adresse, quelques pierres aux dragons. Ces derniers ne répondirent pas. Le colonel leur adressa de nouvelles représentations. Ils semblèrent y céder ; puis, avec ces brusques changements d’humeur habituels à ces peuples, ils revinrent sur leurs pas, et, avec leurs pierres, blessèrent quatre hommes et un sergent. Les mêmes symptômes d’hostilité se manifestèrent dans d’autres endroits où plusieurs patrouilles se trouvèrent aussi subitement attaquées. Les dragons se virent obligés de se faire un chemin le sabre à la main au milieu d’une multitude immense. Le jour suivant, le lieutenant gouverneur se flattait pourtant encore d’éviter l’effusion du sang. Il envoya un messager au sultan, porteur, d’une demande d’accommodement. Mais ce chef, devenu plus arrogant par cette démarche, demeura sourd à sa proposition, et renvoya le messager avec insulte et menaces. Il devint évident que la crise ne pourrait finir que par un conflit à main armée.

Les troupes anglaises se trouvaient alors fort peu nombreuses, mais aguerries et animées d’une résolution intrépide. Elles consistaient en une partie du 14e régiment d’infanterie, une partie de l’infanterie légère du Bengale, le troisième bataillon de volontaires, de l’artillerie en petite quantité, deux compagnies de dragons ; le reste des forces anglaises n’était attendu que pendant la nuit. Les Anglais occupaient un fort jadis bâti par les Hollandais. Ceux-ci, dès qu’ils contractaient une alliance avec un chef quelconque du pays, ne manquaient jamais de bâtir un petit fort dans le voisinage de la capitale, précaution qui les en rendait presque inévitablement les maîtres. Le sultan résidait avec toute sa cour dans une sorte de citadelle ou d’enceinte fortifiée appelée cratten. Celle-ci, ayant trois milles de circonférence, était entourée d’un rempart épais, d’un large fossé et de bastions, le tout défendu par 100 pièces de canon. L’intérieur se divisait en cours nombreuses défendues par de hautes murailles, chacune susceptible d’une longue défense. La garnison de la place montait à 6 ou 7,000 hommes. Le sultan, qui, après la petite escarmouche de la journée, se croyait déjà victorieux, envoya dès le même jour un parlementaire aux Anglais. Il les sommait de se rendre à discrétion. La nuit venue, ces derniers furent attaqués sur plusieurs points ; mais sur tous ils repoussèrent l’ennemi. Toujours bercé par les mêmes espérances chimériques, le sultan, dès le lendemain, envoya de nouveau sommer les Anglais, au moment même où ceux-ci s’occupaient des préparatifs de l’assaut. L’étendue de la place rendait fort difficile l’exécution de cette entreprise, qu’il fallait néanmoins tenter à tout prix ; le sort de la colonie tout entière dépendait de son issue. À Bantaram, à Cheribon, à Sourabaya, un nombreux parti s’étant récemment formé contre les Anglais, n’attendait que l’occasion d’éclater. Déjà à Sourabaya, les Cipayes avaient été attaqués pendant la nuit. Les Hollandais, effrayés, s’attendant à un massacre général, s’étaient hâtés de s’enfermer dans leurs maisons. Mais les troupes campées dans leur voisinage eurent le temps d’arriver, et le tumulte s’apaisa pendant la journée. Un prêtre était le principal auteur de cette tentative. Dans un songe récent, ce prêtre avait vu, suivant ce qu’il racontait, deux aigles voler à la rencontre l’un de l’autre des extrémités de l’horizon. Ces deux aigles, dont l’un blanc, l’autre noir, s’étaient long-temps combattus à forces égales au milieu des airs ; mais, à la fin, l’aigle noir, saisissant son adversaire dans ses serres vigoureuses, le déchirant d’un bec impitoyable, l’avait mis en pièces. Allusion facile à saisir. Aussi les peuples de Java tournaient-ils en ce moment les yeux vers Djocjocarta dans la plus grande anxiété. Nulle tranquillité pour la colonie n’était à espérer tant que le sultan demeurerait à la tête de forces considérables. Les Anglais se trouvaient donc dans une de ces situations périlleuses où la prudence elle-même commande de hasarder beaucoup.

Un détachement sous les ordres du lieutenant colonel Watron fut désigné pour l’attaque. Ce détachement arriva au point désigné pour l’escalade sans avoir été découvert. La tête des colonnes était justement occupée à planter les échelles lorsque l’alarme fut donnée. Le fort fit feu immédiatement ; mais cela ne ralentit point l’ardeur des troupes. Le lieutenant-colonel parvint à gagner le sommet du rempart à la tête de quelques grenadiers. Les assiégés, surpris, abandonnent les remparts et se réfugient dans une mosquée, où par les embrasures ils se défendirent trois heures entières ; au bout de ce temps la victoire se décida enfin pour les Anglais, et le sultan se vit dans l’obligation de se livrer à eux. La disproportion du nombre des assaillants à celui des assiégés rendit cet assaut une des actions les plus glorieuses de la guerre. Les assiégés, outre l’avantage de la situation, étaient 17 contre 1, et 100,000 hommes erraient aux environs de l’armée anglaise, n’attendant pour l’attaquer que le moment de sa retraite, qui fût ainsi devenue impossible ; aussi le mot d’ordre était-il : la victoire ou la mort. La vérité de cette terrible alternative étant évidente pour le moindre soldat, aucun d’eux n’eut, dit-on, seulement la pensée de quitter son rang pour le pillage. Les femmes du sultan, encore dans l’intérieur du palais, ne reçurent pas le moindre outrage. Le sultan, exilé à l’île de Galles, eut pour successeur le prince héréditaire, qui prit en montant sur le trône le nom et le titre de Hamang-Cubuana le troisième. Également étonné et effrayé du résultat de cette campagne, l’empereur de Solo accepta promptement les conditions de paix offertes par le gouvernement britannique. Les autres princes indigènes se hâtèrent de suivre cet exemple, et la suprématie anglaise sur l’île de Java fut proclamée. La prise de Bagoor-Rangin, ce chef rebelle dont nous avons parlé, qui eut lieu peu de jours après, acheva de rétablir la tranquillité dans toute l’île.

De retour en Angleterre, en 1813, lord Minto mourut peu après d’une maladie soudaine. Arrivé dans l’Inde avec l’intention de continuer son prédécesseur, il ne tarda pas à en différer beaucoup : c’est qu’il sut modifier ses plans et ses projets suivant les circonstances ; preuve infaillible d’un esprit supérieur. D’abord il voulut sincèrement la mise en pratique d’un système de neutralité politique ; il abandonna ce système dès qu’il en eut aperçu les inconvénients. Chose bien autrement difficile, il eut encore l’habileté de faire goûter cette variation d’idées aux autorités d’Angleterre, de faire approuver par eux des mesures en contradiction manifeste avec leurs premières instructions. Au reste, la responsabilité la plus menaçante ne l’eût pas effrayé. Nul ne sut faire parler l’autorité britannique un langage plus hardi, plus élevé. Promptemnent revenu à comprendre l’utilité des alliances subsidiaires, il écrivait à ce sujet : « Il ne s’agit nullement de mettre en question la politique de ses alliances subsidiaires ; encore moins est-il question de la grande et favorable influence sur la condition de l’empire britannique dans l’Inde dans le passé et dans le moment actuel. Cette politique eût ajouté à notre pouvoir et à nos ressources ; elle eût éloigné pour toujours de nous des dangers beaucoup plus grands qu’aucun de ceux qui pourraient résulter des inconvénients qu’on lui attribue. » Dans une lettre aux directeurs à propos de la balance des pouvoirs, ce rêve long-temps chéri des hommes d’État de l’Angleterre par rapport à l’Inde, il disait : « Toutes les opinions tombent d’accord sans doute qu’une balance de pouvoirs, entre, des États unis par des liens de commerce et de politique, est le meilleur sinon le seul moyen de sécurité contre les funestes effets de l’ambition ou de la haine réciproque. Mais, pour être efficace, une balance de pouvoirs doit être formée sur des principes de convention, tels que ceux qui existaient sur le continent européen avant la révolution française. Il faut que ce système se trouve en harmonie avec un droit public des gens, une reconnaissance implicite des droits et des devoirs réciproques de chaque État, qui restreigne leur propre ambition ou l’ambition de leurs voisins. Et à aucune époque de l’histoire de l’Inde nous ne rencontrons l’existence d’un tel système de fédération ou balance des pouvoirs entre États étrangers ; et, à la vérité, il n’aurait pas été compatible avec le caractère, les principes ou la constitution des États qui ont été établis sur le continent de l’Inde… » L’administration de lord Minto fut sous quelques rapports un système de transaction ; elle marqua le retour de la politique négative de lord Cornwallis et de Barlow à la politique active de Wellesley, lui-même continuateur de celle de lord Clive et de Warren Hastings. Avec l’autorité que donne une grande considération personnelle, lord Minto tint d’abord d’une main aussi impartiale que ferme la balance entre les systèmes de Cornwallis et de Wellesley, et, par la force des choses, ce dernier l’emporta.

À la fin de février 1813, la Compagnie des Indes sollicita du parlement le renouvellement de ses privilèges. Le 13 mars 1813, lord Castlereagh présenta à la chambre, en comité secret, une série de résolutions contenant les modifications à faire au système existant ; à la requête de la Compagnie, des témoins furent entendus. Les grandes questions de monopole, ou de liberté, de droit commun ou de privilège, se trouvèrent de nouveau en présence, furent de nouveau débattues. Le premier des témoins qui vint prêter à la Compagnie l’appui de son témoignage, fut Warren Hastings : que les temps étaient changés depuis le moment où il vint pour la dernière fois à cette barre ! L’empire, jusqu’à un certain point créé par lui, atteignait alors des destinées que lui-même n’aurait osé rêver. La plupart de ses illustres accusateurs, Burke, Fox, son douteux allié Pitt, n’étaient plus sur ces bancs ; après avoir triomphé de leurs puissantes inimitiés, il leur survivait à tous, comme par une dernière sorte de triomphe. À peine eut-il paru à la barre, que l’assemblée, par un mouvement spontané de respect et de curiosité, se leva tout entière ; hommage tardif, au grand homme trop long-temps méconnu. Le résultat des interrogatoires des témoins fut immédiatement publié. Présenté le 26 juin, le nouveau bill passa le 13 juillet à la chambre des Communes, et peu de jours après, sans modification aucune, à celle des Lords.

Les modifications apportées au régime de la Compagnie se trouvaient en petit nombre. Le commerce avec l’Inde demeurait libre aux vaisseaux d’un certain tonnage, moyennant une licence accordée par la cour des directeurs ; sur le refus de ces derniers, il y avait faculté d’appel au bureau du contrôle. Les contestations pour tout ce qui regardait l’Inde, en matières commerciales ou autres, étaient soumises à la même autorité. Les comptes de la Compagnie durent être présentés sous deux chapitres différents et principaux : le revenu territorial, le revenu commercial. Le bureau du contrôle reçut une autorité spéciale pour disposer de l’excédant des revenus territoriaux et commerciaux, après que les conditions d’appropriation auraient été soigneusement observées. Les emplois de gouverneur-général, de gouverneur, de commandant en chef, étaient soumis à l’approbation de la couronne ; les appointements et les démissions d’employés de toute sorte au bureau de contrôle. La cour des directeurs ne pouvait accorder aucune somme au-delà de 600 livres sterling sans son consentement. Depuis longtemps de nombreuses pétitions adressées au parlement demandaient des missionnaires pour l’Inde ; les hommes religieux s’étonnaient que les conquêtes de la foi fussent demeurées en arrière de celles de la politique. Les conversions des Indous au christianisme étaient, en effet, fort peu nombreuses ; cependant on ne pouvait accuser de ce résultat la tiédeur des directeurs et des employés de la Compagnie. Dès les premiers temps de l’existence de celle-ci, certaines mesures avaient été prises pour la prédication du christianisme soit parmi des employés, soit parmi les indigènes. Par la charte de 1698, la Compagnie était tenue d’entretenir un ministre et un maître d’école dans chaque garnison ou factorerie d’un ordre supérieur, et de fournir un local pour la célébration du culte ; elle était tenue en outre d’avoir un chapelain dans tout vaisseau au-dessus de 500 tonneaux. Après la réunion des deux Compagnies en 1708, le chapelain prenait place après le cinquième membre du conseil à la factorerie. La Bible fut traduite dès lors dans la plupart des langues de l’Indostan et depuis répandue avec profusion. La charte de 1813 ajoute à ces mesures la création d’un établissement épiscopal.

Le marquis de Hastings, alors comte de Moira, fut nommé au gouvernement-général de l’Inde le 18 novembre 1812 ; lord Minto lui remit le gouvernement le 4 octobre 1813. Les affaires du Népaul attirèrent d’abord l’attention de lord Hastings. Les Goorkhas qui l’habitent, firent leur nom d’une province ainsi appelée, dont ils sortirent il y a soixante-dix ou quatre-vingts ans, réduisant successivement de proche en proche les chefs des montagnes voisines ; ils sont Indous, et ceux de la vallée du Népaul sectateurs de Boudha. À cette époque, leur domination s’étendait à l’est jusqu’à la rivière Tœsta, à l’ouest jusqu’à la Suttlège ; du nord au midi depuis les hautes terres de la Tartarie et du Thibet jusqu’aux plaines de l’Indostan. Tout le pays montagneux et difficile faisant la frontière septentrionale de l’Indostan, se trouvait en la possession de cette nation guerrière, et cinquante ans leur avaient suffi pour ces immenses conquêtes ; c’est qu’ils avaient pratiqué une politique semblable à celle qui allait mettre les Anglais en possession de l’empire de l’Indostan. Les rajahs, leurs voisins, en général en mauvaise intelligence avec leurs sujets, souvent avec leurs propres familles ; aucune confédération ne les unissait contre l’ennemi extérieur auquel aucun d’eux n’était en mesure de résister seul, pourvu que ce dernier eût été redoutable. Or, c’était le cas des Goorkhas, braves, rusés, et possédant une armée régulière. Parmi les rajahs qui se trouvaient sur les frontières, les uns ou les autres ne manquaient pas de réclamer leur secours ; ils l’accordaient volontiers, mais sous des conditions qui au bout d’un certain temps ne manquaient pas de les mettre en possession d’une partie et souvent de la totalité des ressources et des territoires de ceux qu’ils avaient secourus. Prythee-Nuragun-Shah fut celui qui fonda le pouvoir de sa nation, en ayant eu l’idée d’armer et de discipliner ses soldats à l’européenne. Dans une guerre de dix années, commencée vers 1760, il subjugua par leur moyen la vallée du Népaul. Le gouvernement anglais, pendant la durée de cette guerre, essaya bien de secourir la dynastie qui régnait à Katmandoo ; mais ce fut sans succès. À sa mort, Prythee-Nuragun-Shah fut remplacé sur le trône par son fils Singh-Purtap ; puis, quelques années après, par son petit-fils Run-Bahadur ; ce dernier encore enfant, ce qui amena des troubles. Son oncle et la veuve de son frère se disputèrent long-temps la régence, que la mort de celle-ci finit par laisser au premier ; ayant atteint l’âge d’homme, Run-Bahadur se saisit ensuite du sceptre, puis, devenu peu après insupportable à ses sujets, se fit chasser du trône vers 1800, et se réfugia à Benarès.

À cette époque, pendant la durée de l’exil de Run-Bahadur, un traité de commerce fut passé entre le gouvernement britannique et la faction alors dominante chez les Goorkhas. Le capitaine Knox fut nommé résident à Katmondoo en 1802, puis rappelé deux ans plus tard. Le monarque exilé reparut au milieu de ses sujets, devenus oublieux pendant son absence de ses torts passés, et remonta sans difficulté sur le trône. Mais ces mêmes dispositions de cruauté qui l’en avaient fait chasser, il les rapportait plutôt exaspérées qu’adoucies par l’exil. Les grands de la cour formèrent une nouvelle conspiration. Elle fut découverte ; alors ceux qui y avaient pris part, se voyant trahis, résolurent de vendre au moins chèrement leur vie. L’un d’eux, proche parent du rajah, se précipitant sur lui en plein durbar, lui asséna un coup de son sabre recourbé, d’une telle force, qu’il le fendit, assure-t-on, jusqu’au milieu du corps. Un affreux tumulte, un carnage sans but, s’ensuivirent et devinrent funestes à la plupart des grands de l’État, à la famille royale presque tout entière. Un fils de Run-Bahadur, encore enfant, en échappa seul, parce qu’on eut le temps de le cacher dans l’appartement des femmes ; il monta sur le trône peu de jours après, sous le nom de Kurman-Jodth-Bikrum-Sah, et se trouvait encore mineur à l’époque où nous sommes parvenus. Une aristocratie composée des plus grands officiers de l’armée, quelques parents éloignés du rajah et quelques brahmes, exerçaient le pouvoir. L’un d’eux, Been-Scin-Tahapa, sous le titre européen de général, ayant aidé jadis au salut du rajah, possédait la plus grande part d’influence dans le gouvernement. Un de ses parents, Umur-Sing-Tahapa, long-temps à la tête de l’armée, avait acquis tout le territoire possédé par les Goorkhas à l’ouest de la Gogra. Aussi se tenait-il dans une sorte d’indépendance à l’égard du gouvernement à Katmondoo, Au reste, la suite des événements montrera facilement le genre de relations qui existaient entre eux.

La chaîne de montagnes habitée par les Goorkhas est bordée, à sa base méridionale, par une magnifique forêt. Les bateaux qui naviguent dans la partie supérieure du Gange, et même jusqu’à Calcutta, sont presque sans exception faits du bois qu’elle fournit. D’ailleurs cette forêt est d’un grand prix. Elle abonde en éléphants d’une espèce inférieure à ceux du reste de l’Indostan ou de Ceylan, mais dont les dents sont plus estimées que toutes les autres. Au-delà de la forêt, du côté de l’Indostan, est une plaine ouverte appelée Turae, précieuse surtout par les pâturages qu’elle donne pendant les mois d’avril et de mai. À cette époque les vents périodiques brûlants ont en général détruit les pâturages des régions plus méridionales ; les Bindjarries de Malwa, et même de la partie plus septentrionale de cette province, viennent y faire paître leurs troupeaux ; et le tribut levé sur eux à cette occasion par les zemindars des frontières est une excellente branche de leurs revenus. Le sol de cette plaine est extrêmement riche sur toute son étendue ; l’insalubrité du climat empêche pourtant l’établissement des grandes villes ; la population change d’habitation selon la saison, se portant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Depuis un temps immémorial, le pays situé au bas de la montagne appartient à de petits rajahs indous, parmi lesquels la prairie et la forêt de Turae ont formé de tous temps un sujet de contestations perpétuelles. Ceux de la plaine et ceux de la montagne ne cessent de s’en disputer telle ou telle partie. Ces derniers, certains d’un refuge assuré, se livraient au pillage, la déprédation, rançonnant à leur gré qui bon leur semblait. Aussi chaque rajah des montagnes avait-il presque nécessairement sous sa domination une partie de la forêt et de la prairie de Turae, qu’il s’efforçait d’étendre de plus en plus, suivant les circonstances, par la politique ou les armes. Les rajahs de la plaine pouvaient bien, à la vérité, pénétrer aussi dans les montagnes ; mais ce cas était fort rare. Pendant des siècles, la guerre continuait de la sorte sur la frontière, de père en fils. Les empereurs mogols n’eurent jamais l’idée d’ajouter la partie montagneuse de ce district à leur empire ; ils se contentèrent de soumettre les rajahs de la plaine ; devenus tributaires de l’empire, ceux-ci n’en poursuivirent pas moins avec ceux des montagnes leurs guerres héréditaires. Tout se passa long-temps comme si la conquête mogole n’avait pas eu lieu. Mais une circonstance nouvelle ne tarda pas à se présenter ; la plaine tomba au pouvoir des Anglais, pendant que les montagnes du côté opposé se trouvèrent graduellement envahi espar les Goorkhas qui finirent par établir leur souveraineté sur tous ces petits rajahs des montagnes. Imitant la politique mogole, le gouvernement britannique n’intervint pas dans les affaires intérieures des rajahs de la plaine ; il se contenta d’un tribut qui fut déterminé par un arrangement perpétuel. De leur côté, les Goorkhas, à mesure qu’ils soumettaient un rajah des montagnes, exterminaient sa famille. En héritant de ses possessions, il héritait aussi de ses prétentions sur les États des rajahs ses voisins, puis aussi des discussions, des contestations qu’il pouvait avoir eues avec eux. Par là ils se trouvèrent en rapport avec les zemindars des Anglais. Ceux-ci, incapables d’entrer en lutte contre de tels ennemis, se voyaient contraints de se soumettre à toutes leurs exigences. Les zemindars comprenaient fort bien qu’à moins de circonstances tout-à-fait exceptionnelles, il leur était interdit de compter sur la protection du gouvernement anglais. Ce gouvernement ne perdait rien, en effet, à toutes les extorsions dont les zemindars pouvaient avoir à se plaindre, pourvu que le tribut qui lui était dû continuât de lui être également payé. D’un autre côté, il inclinait à regarder comme exagérées (ce qu’elles étaient nécessairement fort souvent) les plaintes et les réclamations de ses zemindars. Enfin il était bien aise de conserver de bonnes relations avec des voisins aussi puissants et surtout aussi turbulents que les Goorkhas.

Le rajah de Chumparum, résidant à Betia, était perpétuellement en guerre avec le rajah de Muckwanpoor, celui-ci résidant dans les montagnes. Quelques portions de la Turae constituaient les points en litige. Chacun d’eux avait des prétentions à la souveraineté d’un district appelé Suneroun, où se trouvent les ruines d’une ancienne capitale dont le souvenir même a péri. Un musulman, nommé Abdallah, obtint en jaghire deux sous-divisions de ce district, Rooteehut et Puchrouto. Le rajah de Betia, ayant lui-même des prétentions sur ce territoire, résista ; toutefois il finit par donner un sunnud pour ces mêmes terres à cet Abdallah, qui dès lors dut se croire en sûreté dans sa possession. Le sunnud donné par Muckwanpoor, de plus ancienne date que l’autre, fut accueilli le premier à Moorshedabad, ce qui impliquait jusqu’à un certain point le droit qu’on avait eu de le donner. Mais, en 1763, Prythee-Nuragun, ayant subjugué le rajah, de Muckwanpoor, réclama une supériorité féodale sur le possesseur du jaghire ; il résolut de le reprendre, et s’en mit effectivement en possession. Il se saisit même en outre de vingt-deux villages, en dehors de ce jaghire, qu’il réclama comme faisant partie du Rooteehut. Abdallah invoqua la protection du gouvernement anglais qui prit effectivement sa défense. Une déclaration de guerre s’ensuivit en 1767 ; puis une expédition commandée par le major Kinloch ne réussit pas à pénétrer dans les montagnes ; en revanche il occupa la totalité de la plaine Turae, comme dédommagement pour le gouvernement britannique. Abdallah réclama son jaghire. Rooteehut et Puchrouta lui furent en conséquence abandonnés. La paix se fit avec les Goorkhas. Ceux-ci envoyèrent aussitôt un agent qui réclama le territoire donné à Abdallah comme faisant partie des États du Muckwanpoor. Le rajah de Betia s’opposa à ce que cette réclamation fût admise. Une longue contestation s’ensuivit. En 1781, M. Hastings, plutôt pour en finir que par conviction d’un droit, décida que Rooteehut et Puchrouta appartenaient aux Muckwanpoor. et ne faisaient pas partie de Beatia ou du Champarum.

Tant que dura cette contestation, les Goorkhas manifestèrent les meilleures dispositions à l’égard d’Abdallah. Le principal titre sur lequel ils appuyaient leur protection consistait dans quelques lignes gravées sur une plaque de cuivre donnée jadis à celui-ci par les rajahs de Muckwanpoor, et ils avaient besoin de son témoignage à ce sujet. Le procès gagné, ils l’expulsèrent et reprirent son territoire. Les vingt-deux villages saisis par eux à leur première invasion n’avaient jamais été abandonnés aux Goorkhas ou bien à Abdallah. Aucune demande ne fut faite à leur sujet ; au contraire, depuis l’époque de l’expédition du major Kinloch en 1768, les revenus en avaient été touchés comme appartenant, ainsi que Rooteehut, aux districts de Suneroun. De plus, lors de la fixation du tribut perpétuel en 1790, ils formèrent une partie des terres pour lesquelles s’engagèrent le rajah de Betia : il en fut de même les années suivantes où les vingt-deux villages continuèrent à demeurer dans la possession du rajah. Le Rooteehut, qui dans l’origine avait sans doute appartenu au rajah de la plaine, fut ainsi transféré à celui de la montagne.

Sur la même frontière, les Goorkhas s’étaient mis d’une autre façon en possession des districts de Bootwul et de Shecorai, des petits forts de Tilpoor et de Bunackpoor. Après avoir usurpé ces territoires, fait des arrangements avec les collecteurs, ils s’étaient eux-mêmes reconnus redevables de l’impôt dû par ces territoires à leurs possesseurs légitimes. À la vérité, ils ne payaient ce tribut qu’à leur corps défendant, et profitaient de toutes les circonstances de nature à leur permettre de s’en affranchir. À l’époque où les Anglais occupèrent Gouruckpoor, le rajah de Palpa, récemment chassé de sa principauté, avait été obligé de chercher un refuge à Bootwul, à l’entrée de la première passe des montagnes. Le collecteur du rajah s’engagea, vis-à-vis les Anglais, à un tribut annuel de 32,000 roupies ; peu de temps après, le rajah confirma l’engagement. Le rajah mort, sa famille abandonna Bootwul à la Compagnie, et reçut une autre propriété comme dédommagement. En 1804, les Goorkhas ayant soumis le rajah de Palpa, réclamèrent Bootwul comme une partie du territoire de ce dernier ; ils envoyèrent des collecteurs pour percevoir les rentes. Sir George Barlow réclama vivement contre ce procédé ; il mettait même en avant certaines prétentions sur Shecorai, proposant d’ailleurs d’y renoncer en échange de l’abandon de Bootwul. Les Goorkhas répondirent par l’offre d’affermer Bootwul, comme zemindars, aux mêmes conditions que celles acceptées par le rajah et son collecteur à la première fixation du tribut : cette offre fut refusée. L’affaire en était là lorsque sir Georges Barlow passa au gouvernement de Madras. L’attention de lord Minto fut absorbée par d’autres sujets, et la chose en demeura là pendant quelques années. Enhardis par cette condescendance, les Goorkhas passèrent la rivière en 1810 et 1811 ; et commencèrent à occuper quelques villages. Le gouvernement britannique, qui en ce moment redoutait beaucoup la guerre, se contenta de réclamer une nouvelle délimitation de frontières ; il désigna un commissaire chargé de s’acquitter de cette tâche conjointement avec des négociateurs nommés par le rajah de Katmundoo. Sur la frontière de Sarun les Goorkhas ayant fait une tentative semblable, s’étaient de même emparés de quelques uns des villages occupés dans le temps de Prythee-Nuragun : ils se mirent à y lever des taxes sous le prétexte que ces villages appartenaient au Rooteehut. Le rajah de Betia résista ; une collision s’ensuivit. D”autres villages, au nombre de vingt-deux, subirent peu après le sort du premier. Les choses en étaient là quand le major Bradshaw, premier assistant du résident de Lucknow, et les négociateurs des Goorkhas, commencèrent à s’occuper de la délimitation des frontières réciproques.

Le résultat de l’examen des faits établit ce que nous venons de raconter pour Bootwul. Quant à Shecorai, il fut prouvé que les Goorkhas s’en étaient emparés seize ans avant la cession de Gouruckpoor aux Anglais ; toutefois ce n’était qu’une usurpation à force ouverte. La propriété légale n’en pouvait être raisonnablement constatée. Le major Bradshaw réclama en conséquence l’évacuation des deux territoires, ce dont les commissaires goorkhas demandèrent à référer à leur gouvernement. De son côté, le major soumit au gouverneur-général le résultat de ces négociations ; il insistait énergiquement sur la nécessité d’obtenir la restitution des vingt-deux villages. Beaucoup de temps fut encore consumé en réponses évasives de la part des négociateurs goorkhas ; le moment vint pourtant où il fallut donner un ultimatum définitif ; alors feignant de se trouver tout-à-coup blessés de certains procédés du major, ils déclarèrent leur résolution de n’avoir plus désormais de rapports avec lui, puis se retirèrent subitement à Katmondoo. Lord Minto se trouvait au contraire parfaitement satisfait de la manière d’agir de Bradshaw ; se rendant au conseil de celui-ci, il réclama du rajah, dans les termes les plus positifs, la restitution des deux territoires. Il disait : « Si la réparation des dommages endurés ne nous est pas faite ; si des procédés semblables à ceux dont je me plains ne sont pas prévenus à l’avenir, le gouvernement britannique se verra dans la nécessité de ne plus compter que sur ses propres moyens pour assurer les droits et les propriété de ses sujets, sans aucun égard à votre propre gouvernement. » Malgré la fermeté de ce langage, toute chance d’un arrangement à l’amiable avec le Népaul ne tarda pas à s’évanouir. La dépêche de lord Minto avait été écrite en juin 1813 ; la réponse des Goorkhas se fit attendre jusque dans le mois de décembre. Cette lettre, toute remplie de protestation de bonne amitié, n’en contenait pas moins un refus formel d’évacuer les deux territoires ; d’ailleurs aucune raison n’était donnée, aucun droit mis en avant. À son retour, lord Hastings répondit par une nouvelle et plus formelle invitation d’évacuer les deux territoires. Les chefs des Goorkhas, à la réception de cette dernière sommation, tinrent une longue et solennelle assemblée, pour y débattre la grande question de la guerre ou de la paix : commencée à neuf heures du matin, la séance ne fut levée qu’à huit heures du soir.

Le rajah du Népaul soumit ainsi la question à l’assemblée : « Des disputes existent entre moi et le gouvernement anglais. Le gouverneur-général m’écrit qu’il a donné des ordres au juge et au collecteur d’établir leur autorité dans les terres en litige entre nous sur la frontière de Gouruckpoor. Il dit qu’il ne juge plus nécessaire de répéter son intimation à ce sujet. Alors que deviendra mon autorité de rajah ? Dans mon opinion, nous devons en appeler aux armes. Délibérez et donnez-moi votre avis. »

Le général Beem-Sein-Thapa se levant, et le visage tourné du côté du rajah, dit : « Grâce à l’influence de votre fortune et à celle de vos ancêtres, il ne s’est jamais trouvé un ennemi de force à lutter contre le Népaul. Jadis les Chinois nous ont fait la guerre ; qu’en est-il résulté, c’est qu’ils nous ont bientôt demandé la paix. Comment les Anglais seraient-ils en état de pénétrer dans nos campagnes ? Sous vos auspices, nous serons en mesure de leur opposer une armée de 52 lacs de guerriers, avec laquelle nous les chasserons. Le petit fort de Bhurtpoor était l’œuvre d’un homme ; cependant les Anglais, vaincus sur les glacis, renoncèrent à le conquérir. Nos montagnes sont l’œuvre de Dieu ; comment les prendraient-ils ? Donc je demande le commencement des hostilités. Après la guerre, nous ferons la paix à notre convenance. »

Kajee-Bundoi-Singh-Thapa dit : « Ce qu’a dit Bheem-Sein est bon ; Alexandre a renversé des empires, mais il n’a pu établir son autorité dans nos montagnes. Cependant il y a une source d’appréhensions : les rajahs des montagnes ont été chassés de leur domination ; et ils en découvriront les secrets passages. Ils seront les guides des Anglais dans ces régions. Si les rajahs s’unissent aux Anglais, ces derniers acquerront de la confiance et se fraieront de force leur chemin. Par cette raison je recommande pour un temps une politique de temporisation. Par la même raison l’abandon par nous d’une partie de ce qu’ils possèdent maintenant, me semble préférable à la guerre. Les machinations et les intrigues de nos ennemis se trouveront de cette façon plus sûrement déjoués. J’ai dit ce qui s’est présenté à mon esprit. »

Gooro-Bungnat-Pundit dit : « Je conçois que la volonté du souverain domine toute autre considération ; mais puisqu’on m’a demande mon opinion, je dois la dire ; ce sera ensuite l’affaire du rajah de l’adopter ou de la rejeter à son bon plaisir. Jusqu’à présent nous avons tendu à notre but tantôt par un chemin, tantôt par un autre, mais nous voici à un moment décisif. Sans un nouvel ajustement de l’affaire des frontières, les Anglais ne se retireront pas ; voila qui est certain. D’ailleurs aucune injure ne nous force encore à en appeler aux armes. Je propose donc que la moitié du territoire contesté soit abandonné comme prix de la paix. Ce n’est pas un sacrifice, car si les Anglais veulent la guerre, nous ne saurions conserver ces territoires. Nous ne pouvons les combattre dans les plaines de Turae. Dans les montagnes c’est autre chose et nous n’avons rien à craindre. Voila mon opinion. Je suis prêt, au reste, à me rendre à de meilleurs avis ouverts par d’autres. »

Kajee-Dilbunjun-Pandee dit : « Le Gooroo a étudié les desseins et les procédés des Anglais, et il les croit décidément hostiles. C’est bien. Mais sommes-nous inférieurs aux Anglais, pour que nous leur cédions ? Ils ne peuvent envahir notre territoire. S’ils tentent de le faire, qu’ils soient repoussés. S’ils y pénètrent une fois, tout cet État sera jeté dans la confusion. Mais s’ils excitent des troubles, ne pouvons-nous leur rendre la pareille ? Comment seront-ils capables de protéger leur propre territoire ? »

Chontra-Bum-Sah, Kajee-Umur-Singh-Thapa, Hustodeel, trois chefs importants, avaient chargé l’un d’eux de porter la parole. Celui-ci s’exprima en ces termes : « Nous en avons assez à gouverner le territoire que nous possédons ; mais si les circonstances entraînent à une guerre avec les Anglais, grâce à l’heureuse fortune du rajah, nous saurons vaincre et conquérir. Cependant le moment actuel n’est pas favorable. Les Anglais, voyant l’occasion bonne pour eux, se sont mis dans une attitude offensive. Si le combat s’engage, il sera désespéré. Ils ne seront satisfaits qu’en établissant leur propre pouvoir et leur autorité ; ils s’allieront avec les rajahs des montagnes, que nous avons dépossédés. Jusqu’à présent c’est le daim que nous avons chassé ; si nous nous engageons dans la guerre, préparons-nous à combattre le tigre. Si le rajah veut se rendre à notre avis, nous lui recommanderons l’abandon, pour le moment, de toutes les terres nouvellement occupées, de manière à éviter une rupture. Si les choses sont poussées à l’extrémité avec les Anglais, tout cet État sera jeté dans la confusion ; toutes choses dans les montagnes de l’ouest sont déjà dans le trouble et dans le désordre. D’autres provinces de notre territoire deviendront le théâtre des mêmes désordres. Quel est le grand avocat de la guerre, quel est celui qui propose de combattre et de soumettre les Anglais ? C’est un homme nourri à la cour. Les périls et les fatigues d’une vie guerrière lui sont étrangers. À présent même qu’il parle pour la guerre, c’est aux côtés de votre personne. Nous, nous avons passé notre vie dans les forêts, le fusil d’une main, la hache de l’autre. Nous menons encore le même genre de vie. Nous savons que la guerre est une rude entreprise : et si elle l’est pour nous, vieux guerriers, ne le sera-t-elle pas bien plus encore pour de jeunes recrues ? Il y a un vieux proverbe : « Ceux-là font le mieux les affaires de leur maître qui emploient le plus de prudence et de circonspection. Toutefois, je dois rendre grâce à l’heureuse influence de la fortune du rajah, en cas de rupture, le succès couronnera sans doute nos efforts. J’ai dit. »

Dans ce sénat guerrier, les avocats de la paix retrouvaient, on le voit, en grand nombre. Cependant les partisans de la guerre mettaient en avant qu’en demeurant dans leurs montagnes et leurs forêts, et se bornant à faire de là des excursions de pillage et de butin, la guerre serait plus profitable, plus avantageuse, que ne pouvait être la paix. Ils démontrèrent qu’en cette circonstance la paix était à tout jamais l’abandon de ce système d’usurpation continuelle, qui jusqu’alors leur avait toujours réussi. La guerre fut donc décidée dès ce moment, toutefois cette résolution fut long-temps tenue secrète. Les Goorkhas répondirent au gouverneur général, au sujet de ses représentations sur Bootwal et Shecorai, par des lieux communs sur leur attachement au gouvernement britannique, leur désir de vivre en bonne intelligence avec lui, etc. ; mais pas un mot sur le sujet en litige. Dans sa lettre aux Goorkhas, le gouverneur-général fixait un terme pour l’évacuation du territoire contesté ; il les menaçait, ce terme passé, de le faire reprendre de vive force. Trois compagnies anglaises, à l’expiration de ce délai, se mirent effectivement en marche pour occuper ces terres. Les Goorkhas se retirèrent à mesure qu’elles avançaient. Non seulement ils ne tentèrent aucune résistance, mais ne firent même aucune remontrance sur l’occupation des territoires contestés. Les employés anglais entrèrent dans l’exercice de leurs fonctions sans la moindre difficulté ; mais le détachement anglais eut à peine commencé son mouvement rétrograde, que ces fonctionnaires se virent entourés par les Goorkhas, qui les attaquèrent à l’improviste, leur tuèrent 18 hommes et leur en blessèrent 4. Le daroga, ou le chef de la Thana de Chitwa, fut massacré de sang-froid après qu’il se fut rendu. La saison était trop avancée pour que les troupes pussent entrer en campagne ; il fallut abandonner pour le moment les territoires contestés. Peu de temps après, dans un des avant-postes surpris par les Goorkhas, 4 hommes furent tués et 2 autres blessés. Les choses prenaient absolument la même tournure sur la frontière de Sarun. En apprenant ces nouvelles, le marquis de Hastings se hâta de diriger de ce côté tout ce qu’il avait de troupes disponibles ; toutefois, il différa toute déclaration de guerre, ou quoi que ce fût qui pût y rassembler. Il voulait donner aux négociants engagés dans des affaires avec le Népaul le temps de se retirer. Au reste, d’autres agressions fort nombreuses avaient déjà eu lieu ; mais il n’était besoin que d’en raconter les principales. Dès son arrivée dans l’Inde, lord Hastings forma la résolution de visiter les provinces de l’ouest. S’embarquant pour cet objet à Calcutta en juin 1814, il atteignis Capwore à la fin de septembre. À cette époque, le meurtre des fonctionnaires anglais que nous avons raconté avait déjà eu lieu. Lord Hastings poussa avec activité ses préparatifs de guerre ; il s’agissait tout à la fois, d’un côté, d’entamer vigoureusement la guerre avec les Goorkhas, de l’autre de se mettre à l’abri d’une attaque des Pindarries qui ne laissait pas que d’être à redouter ; on pouvait craindre que ceux-ci ne profitassent du moment ou les troupes anglaises seraient employées dans une direction opposée pour faire une invasion dans l’intérieur du territoire de la Compagnie. Tout étant enfin disposé, le marquis de Hastings fit publier sa déclaration de gyerre, datée de Lucknow, et du 1er novembre 1814.

Le théâtre de la guerre était une frontière d’environ six cents milles de longueur, formée par des montagnes et des forêts ; les passages et les défilés les plus difficiles étaient occupés par les Goorkhas ; cette circonstance jointe à beaucoup d’autres, surtout à leur caractère plein de ruse et d’audace, rendaient fort difficile la conception d’un plan de campagne. Le marquis de Hastings se résolut pourtant à prendre l’offensive tout le long des frontières, c’est-à-dire depuis la Suttlege jusqu’à Cossee. Le colonel Ochterlony, qui commandait un poste établi en 1808 à Loodheeana, eut pour instruction de manœuvrer dans la contrée montagneuse qui borde la Suttlege ; ses forces consistaient en 6,000 hommes environ d’infanterie et d’artillerie indigène. Le major-général Gillespie en quittant Meeruth dans le Doab, avait ordre de se diriger sur le Dehra-Doon, riche vallée entre le Gange et la Jumna, entre les premiers rangs des montagnes ; puis, rendu là, de diviser son armée en deux corps, dont l’un attaquerait Gurhwal et Sirinighur, et l’autre se dirigerait sur Nahn, à l’ouest de la Jumna, pour y seconder les opérations du major-général Ochterlony ; 1,000 Européens, 2,500 indigènes, et quelque cavalerie, formaient cette division, soldats et officiers pleins de confiance dans leur chef. Un troisième corps d’armée rassemblé à Benarès et dans le Gouruckpoor, sous le major-général John Wood, devait pénétrer par le Bottwul dans Palpa ; il consistait en un régiment d’infanterie du roi, 3,000 hommes d’infanterie indigène, un train d’artillerie de 7 pièces de 6 et 4 mortiers ou obusiers. Le corps d’armée principal, composé de 8,000 hommes, y compris un régiment d’infanterie du roi, devait se porter directement sur Katmondoo, la capitale du Népaul, par les passes de Gunduk et de Bagmuttee ; le major-général Marley la commandait. L’artillerie consistait en 4 pièces de 18, 8 pièces de 6, et 14 mortiers ou obusiers. À l’est, et au-delà de Kossee, , 2,000 hommes, y compris un bataillon de district, se trouvaient sous le commandement du major Lutter, chargé de la défense de la frontière de Pooruca. Voila l’ensemble des dispositions des Anglais pour cette campagne.

Les Goorkhas n’étaient pas des ennemis méprisables : cinquante années de guerre des montagnes leur en avaient donné une grande expérience ; leur armée, composée de soldats robustes, actifs, courageux, infatigables à la marche, avait l’habillement et la discipline européenne ; ils avaient de même adopté pour leurs grades les dénominations de général, colonel, capitaine. Cependant les pouvoirs ne se correspondaient pas exactement ; le titre de général n’appartenait qu’au général en chef, et celui de colonel à quatre officiers seulement ; les capitaines et les lieutenants sous les capitaines, commandaient de moindres corps, mais distincts les uns des autres. Leur manière de fortifier ou de défendre leurs montagnes était redoutable ; ils construisaient dans les défilés de ces montagnes une sorte de remparts en terre, soutenus par des troncs d’arbres couchés les uns sur les autres, ayant leur axe perpendiculaire à la ligne des assaillants ; puis sur le parapet de ce rempart ils plantaient une palissade très forte, garnies de meurtrières, et d’où, tout en demeurant à couvert, ils pouvaient faire un feu meurtrier. Souvent ils fermaient avec ces palissades les défilés ; d’autres fois ils les plaçaient sur des points élevés qui dominaient les passes où l’ennemi cheminait ; souvent ils les combinaient ensemble de manière à avoir des feux croisés sur les points les plus accessibles. Se trouvant partout, en tous lieux, les matériaux de ces sortes de fortifications pouvaient être appliqués à toutes les formes de terrains. Enfin, cette sorte d’ouvrage jouissait encore du grand avantage de braver impunément l’artillerie légère.

Le 22 octobre, le major-général Gillespie, se mettant en mouvement, s’empara de la passe de Keree, conduisant dans le Doon. Il se porta de là sur Dehra, la principale ville de la vallée, sans rencontrer d’opposition. La totalité de la contrée montagneuse à l’ouest du Gange se trouvait sous les ordres de Umur-Sing, qui lui-même avait préposé Bahadur-Sing à la défense de Doon, à la tête d’une force de 6,000 hommes. À environ cinq milles de Dehra, s’élevait une montagne de 5 ou 600 pieds de hauteur, ayant à son sommet une forteresse redoutable, nommée Nalapanee. Bahadur, en la choisissant pour sa résidence, fit tous ses efforts pour ajouter encore à sa force naturelle ; à la vérité, plusieurs des ouvrages commencés par lui n’étaient pas encore terminés à l’arrivée du major-général Gillespie dans leur voisinage. Ce dernier envoya immédiatement un détachement sous les ordres du colonel Mawbey pour s’emparer de la place ; lui-même, à la tête du corps d’armée principal, se dirigea sur Nahn. Après avoir reconnu la force et la situation de la place, le colonel Mawbey envoya demander de nouvelles instructions. Le général Gillespie vint alors lui-même à la tête du reste de l’armée, et, après une courte reconnaissance, résolut l’assaut. Il établit à la hâte une batterie sur le sommet d’une montagne voisine, à la distance de 600 verges ; il se proposait d’occuper les assiégés et de commencer la brèche. Pendant la nuit, il dispose sa division en quatre détachements qui, à un signal donné, devaient sortir simultanément des batteries et des vallées voisines pour se porter en avant ; quelques compagnies munies d’échelles afin d’escalader les murailles. À dix heures du matin, aucune brèche n’existait encore. Irrité de ce résultat et cédant à l’impétuosité de son caractère, le major-général fait donner le signal une heure avant le moment convenu. Ce signal, consistant en un certain nombre de coups de canon, n’est entendu ou compris que par deux des colonnes d’attaque qui se trouvaient au nombre de quatre. Le commandant du fort, loin d’être pris au dépourvu, avait renforcé les remparts, embarrassé les approches de gros troncs d’arbres, placé quelques pièces de canon de manière à prendre les assaillants en flanc. Les colonnes s’approchent résolument sous le feu du rempart. Le lieutenant Ellis conduit les pionniers tout près des murailles, il plante les échelles. Mais alors quelques pièces d’artillerie cachées par les abatis font un terrible feu de mitraille. Ellis, les pionniers, les premiers rangs de la colonne, sont renversés, balayés. Une attaque dirigée contre l’abatis échoue complètement ; les troupes rétrogradent, et vont chercher abri à quelque distance.

Gillespie, demeuré tout ce temps dans les batteries, voit tout-à-coup les troupes en pleine retraite. Il s’élance aussitôt à la tête de trois compagnies du 53e, décidé à enlever le fort ou à mourir. Les troupes hésitent, un petit nombre de soldats suit le général, qui pourtant continue d’avancer ; à la tête d’une centaine de dragons démontés du 8e régiment qu’il avait commandé, et qui l’auraient suivi en enfer, il arrive après des efforts inouïs jusqu’à quelques pieds de l’abatis. Alors il agite son chapeau en l’air et pousse un hourra, mais au même instant, frappé d’une balle au cœur, tombe roide mort. Son aide-de-camp subit le même sort ; sur les 100 dragons qui l’ont suivi, en peu d’instants 60 sont mis hors de combat. Les officiers, qui comprennent l’inutilité de plus longs efforts, donnent l’ordre de la retraite, qui s’effectue en toute hâte. La perte des assiégeants fut de 5 officiers y compris Gillespie, et 27 hommes tués, 15 officiers et 213 soldats blessés. Officier d’une bravoure et d’une résolution extrêmes, Gillespie fut regretté de l’armée entière ; c’était un de ces hommes indomptables que la guerre anime au lieu de fatiguer. Nous le retrouvons aussi ardent, aussi téméraire dans les montagnes du Népaul que naguère dans les plaines brûlantes de Java. Le colonel Mawbey, du 53e régiment, le plus ancien officier du corps d’armée, prit le commandement. Il se retira aussitôt sur Dehra pour y attendre un train d’artillerie de siège qui devait venir de Delhi, le dépôt le plus voisin.

Ayant reçu le renfort attendu, le colonel Mawbey reprit immédiatement l’offensive. Deux jours après la reprise des opérations, une partie de la muraille extérieure se trouvant abattue, l’assaut fut ordonné. Les grenadiers du 53e escaladent la brèche, mais sont renversés ; au lieu de les suivre, le reste des troupes engage, à quelque distance, un feu assez vif avec les assiégés. Ils leur tuent quelques hommes ; mais eux-mêmes se trouvent exposés à un feu très vif de mitraille et de mousqueterie, en même temps qu’assaillis par une pluie de flèches et même de grosses pierres lancées par des machines. Les ordres et les exhortations des officiers ne peuvent décider les troupes à se porter en avant. Espérant les entraîner par son exemple, le lieutenant Harrington s’élance tout seul, il tombe aussitôt mortellement frappé. Le colonel Mawbey, dirige sur la brèche une pièce de campagne, dans le double but d’en éloigner les ennemis et d’en faciliter le passage aux assiégeants en les couvrant de fumée. La pièce atteint le pied de la brèche ; l’officier qui la conduit est aussitôt renversé. Convaincus que la brèche est impraticable, les soldats refusent d’avancer. La retraite est ordonnée ; mais, en raison de la difficulté du chemin et de la situation des ennemis ne tarde pas à devenir plus périlleuse que ne l’eût été l’assaut. 4 officiers, 15 Européens et 18 indigènes sont tués ; 7 officiers, 250 Européens et 221 indigènes blessés. Cette petite forteresse coûtait déjà plus de soldats à l’armée anglaise qu’elle-même n’en contenait. Convaincu de l’inutilité de toute attaque de vive force, le colonel Mawbey prit dès lors le parti de se contenter de bloquer la place et de la bombarder ; moyen dont le succès fut complet. Au bout de trois jours la garnison abandonna la place. Le manque d’édifices à l’abri de la bombe rendait terribles, malgré son peu de durée, les effets du bombardement. Bahadur, le commandant, se retira à la tête de 70 hommes, seul reste d’une garnison de 600. À la tête de cette poignée de soldats, il traversa la ligne des postes anglais et rejoignit un détachement de 300 chevaux envoyé de Nahn à son secours. Depuis quelques jours, on les voyait errer dans la campagne ; mais le colonel Mawbey n’avait pas jugé nécessaire de les faire suivre par un détachement. Quoi qu’il en soit, irrité de voir Bahadur s’échapper, le colonel Mawbey voulut essayer de le surprendre. Il proposa l’entreprise au major Ludlow, qui l’accepta avec empressement. Ayant marché toute la nuit du 1er décembre, le major arriva en effet, sans avoir été découvert, jusqu’au bivouac des Goorkhas ; il les dispersa, en tua quelques uns et en prit un grand nombre ; Nalapanee, toute remplie de cadavres mutilés, de lambeaux de chair épars, offrit un spectacle affreux à ses conquérants. Un petit nombre de blessés se traînaient çà et là, consumés par une soif intolérable. 90 cadavres furent recueillis et brûlés, les blessés envoyés à l’hôpital, le fort rasé jusque dans ses fondements.

Après la chute de Nalapanee, Umur-Singh, le commandant de Goorkhas, celui qui jouissait parmi eux de la plus haute réputation, fut consulté par la cour de Katmandoo sur l’opportunité de la paix. La cour consentait à acheter cette paix par l’abandon de Dehra-Doon des montagnes à l’ouest de la Jumna, de plus par celui des terres contestées de Saran et de Gouruckpoor. Umur-Singh était opposé à toute cession de territoire. Les négociations qu’il ouvrit avec Ochterlony laissèrent bientôt voir que son seul but était de découvrir l’étendue et la nature des prétentions des Anglais, soit pour le moment, soit pour l’avenir. Ceux-ci demandaient, avant tout, la cession d’une partie considérable des districts montagneux, à peine l’eût-il entendu ou deviné, qu’il répondit fièrement : « Depuis la Suttlège jusqu’à la Teesta, les Goorkhas disputeront chaque pouce de montagnes. S’ils sont chassés de là, ils se retireront sur la frontière de la Chine. » Il ajouta : « Cette contrée n’est ni riche ni peuplée comme le Bengale ou l’Indostan mais elle contient des hommes dont aucun, tant que l’âme leur tient au corps, ne voudrait se soumettre à vivre comme les rajahs de la plaine au milieu de leur luxe et de leurs richesses. » Umur-Singh refusa en définitive d’avoir de plus amples communications avec les Anglais. Il n’indiqua jamais au général Ochterlony aucune disposition à traiter sur les bases proposées par celui-ci ; en même temps il écrivait au rajah, sous la date du 2 mars, une lettre qui fut interceptée. Après avoir accusé au rajah la réception de ses ordres, il faisait, dans cette lettre, un grand nombre d’objections aux conditions proposées. Selon lui, les Anglais n’étaient pas gens à se contenter pour long-temps de ce qu’ils demandaient alors ; s’ils paraissaient le faire, ce ne serait que dans le but de se réserver les moyens d’en agir à l’égard des Goorkhas comme jadis à celui de Tippoo. Cependant la cession qu’on nous demande, porterait, disait-il, en s’effectuant, un coup terrible à leur puissance. Umur-Sing consentait bien cependant à ce que l’on abandonnât les territoires disputés dans la plaine ; la conservation des districts montagneux n’en aurait pas moins laissé la route ouverte aux Goorkhas à de nouvelles conquêtes. Aussi était-ce là les limites de ses concessions. Puis il continuait :

« … À cette mesure je n’ai nulle objection ; je ne me sens aucune animosité contre ceux qui se chargeront de l’accomplir ; mais je me sens au contraire au fond du cœur une haine déclarée contre tous ceux qui nous poussent à une réconciliation avec les Anglais, ne consultant que leur propre intérêt, et oubliant leurs devoirs envers leur souverain. Si les Anglais n’acceptent pas nos conditions, qu’avons nous à craindre ? Les Anglais ont essayé de prendre Bhurtpoor d’assaut ; et le rajah a détruit un régiment anglais et un bataillon de Cipayes. Depuis ce moment, ils ne se sont plus aventurés devant Bhurtpoor ; et ainsi une seule forteresse a suffi pour mettre un terme à leurs progrès. Ils sont entrés dans le pays bas de Dhurma, mais leur armée, leur artillerie, leurs magasins, tout cela est détruit par le rajah, et maintenant celui-ci vit paisible et en repos au sein de ses États. Nos offres de paix, nos démarches de conciliation, seront considérées comme les résultats de la peur. Comment l’ennemi respecterait-il un traité conclu dans de semblables sentiments ? Confions donc notre fortune à nos épées. Attaquons vigoureusement l’ennemi pour le contraindre à rentrer dans les limites de son propre territoire. S’il continue à avancer, aiguillonné par la honte de rétrograder après tant de préparatifs immenses, alors nous serons assez à temps d’abandonner les territoires contestés et d’ajuster nos différends. Et cependant telle est la renommée de nos épées et la terreur qu’elles répandent au loin, que Bahadur, avec une garnison de 600 hommes, a repoussé 3 ou 4,000 Anglais. Cette garnison était uniquement composée de vieilles bandes de Gouruckh et Kurrukh, recrutés parmi les habitants de notre ancien royaume et de ceux des contrées de Bheree et de Gurnwal, et elle suffit à anéantir un bataillon, à écraser et éloigner l’autre. Mon armée est composée de soldats de même espèce ; d’ailleurs, tous sont ardents au-dessus de toute expression, tous bouillonnent d’une égale impatience de rencontrer l’ennemi. Vous-même avez pour gardes les vétérans de notre armée, et n’avez point à craindre leur désertion. Vous avez une immense multitude de milice ; vous êtes entouré des jageerdars, qui combattront jusqu’à la mort, les uns par honneur, les autres par intérêt. Assembler les milices des basses terres et combattre dans la plaine est impolitique… attirez l’ennemi dans les montagnes, et détruisez-le en détail, un à un.

« J’enverrai Ram-Doss [1] proposer au général Ochterlony l’abandon de notre part des terres disputées, et je vous ferai connaître la réponse qui sera faite à cette démarche. Tous les ronas, rajah et thakooraen, ont rejoint l’ennemi, et je suis entouré ; néanmoins nous saurons combattre et triompher. Tous mes officiers sont animés des mêmes sentiments. Les Pundits ont annoncé le mois de Bysakh [2] (2) comme particulièrement propice aux Goorkhas ; et, en choisissant un jour heureux, nous devons vaincre, il n’est pas permis d’en douter. Je désire m’engager avec l’ennemi doucement et avec précaution ; je ne puis toujours y réussir : les Anglais sont ordinairement les premiers à commencer le combat. J’espëre cependant réussir à éloigner la bataille jusqu’au mois de Bisakh, où je choisirai une occasion favorable. Quand nous aurons repoussé l’ennemi, ou Kunjooh [3] ou moi-même, selon que vous le désirerez, nous nous rendrons en votre présence. Dans la crise actuelle, il me paraît fort à propos d’écrire à l’empereur de la Chine, au lama de Lassa et autres lamas. Par cette raison, je prends la liberté de vous soumettre le projet d’une lettre à leur adresse. Vous pardonnerez, j’espère, toutes les erreurs qui pourraient s’y rencontrer. Je finis en prenant la liberté de vous recommander de nouveau et bien instamment d’envoyer une supplique à l’empereur de la Chine et une lettre au grand lama. »

Lord Hastings, voyant l’xtrême résolution de l’ennemi, fit quelques modifications à son plan de campagne. Il donna l’ordre au colonel Mawbey de laisser un détachement peu nombreux chargé de la protection du Doon, et de se porter sur Nahn, où se trouvaient 2,300 hommes d’élite de l’armée goorkha. Le commandement de cette division, qui devait être renforcée, passait au major-général Martindall. Le colonel Mawbey, laissant le colonel Carpenter à Kalsec, à l’extrémité nord-ouest du Doon, rétrograda à travers la passe de Keree ; il quitta le Doon le 5 décembre, et entrant dans la vallée au-dessous de Nahn, campa à Mogammd le 16. Nahn était à soixante-dix milles de distance : située sur une montagne de 2,000 pieds d’élévation, elle n’avait pourtant pas paru assez forte à l’ennemi pour servir de centre à leurs opérations. Le commandant de ce lieu, Runjoor-Singh, reçut du généralissime des Goorkhas l’ordre de se porter à une position au nord de cette ville et d’occuper le fort de Jythuck ; situé au point d’intersection de deux chemins de montagnes ; à 3,600 pieds au-dessus du niveau des plaines de l’Indostan, ce fort dominait une multitude de montagnes s’élevant tout à l’entour à des hauteurs diverses, dont l’armée occupait quelques unes. Ayant appris l’évacuation de Nahn, Martindall la fit occuper par un détachement, puis, à la tête du reste de l’armée, alla prendre position devant Jythuck. Deux détachements furent aussitôt formés pour aller occuper les sommets de deux montagnes, l’une au nord, l’autre au midi de ce dernier lieu ; le premier sous les ordres du major Richards, le second sous ceux de Ludlow. De l’artillerie de montagne et des éléphants accompagnaient ces deux détachements, mais ne purent les suivre ; un sentier à peine frayé, ne laissant passer qu’une seule personne de front, était le seul chemin praticable.

Parti à minuit, le major Ludlow rencontra à trois heures un poste avancé de Goorkhas, à environ un mille du point qu’il allait occuper ; ceux-ci se retirèrent sur ce point à mesure que l’avant-garde du major avançait. Au haut de cette montagne se trouvaient un village et les ruines d’un temple : second poste, que les Goorkhas abandonnèrent comme le premier. Le major Ludlow, à la tête de ses grenadiers, poussa impétueusement en avant pour saisir le poste qui lui était assigné ; l’ayant atteint, il fit une halte pour attendre le reste du détachement. Un peu au-delà du terrain de cette halte, on aperçut un poste retranché. Échauffés par les succès de la journée, et voulant prendre leur revanche de Nalapanee, les Anglais se pressent en foule autour du major ; ils demandent à grands cris l’assaut. Le major accueille volontiers cette demande en harmonie avec son caractère ; en voyant les bonnes dispositions des soldats, il ne doute pas que ce retranchement ne puisse être emporté d’un coup de main, avant que les Goorkhas n’aient le temps de renforcer la garnison. Juspao-Thapa, l’un des meilleurs officiers des Goorkhas, commandait ce poste ; une partie de ses forces étaient rassemblées ou derrière ou tout autour des palissades, mais hors de la vue des assaillants. Les Anglais arrivent jusqu’à quelques verges de la palissade ; alors Juspao lance de tous côtés des détachements qui les cernent, les environnent, ouvrent un feu terrible dans toutes les directions à la fois ; après quelque hésitation, les grenadiers, surpris, étonnés, se retirent en désordre. Les Goorkhas, enflammés par le succès, s’élancent en dehors de la palissade, et les attaquent le sabre à la main. En peu d’instants le détachement a perdu tout le terrain qu’il avait gagné ; il rétrograde jusqu’aux ruines du temple. L’infanterie qui s’y trouvait, composée pour la plus grande partie de Cipayes, à la vue de l’échec essuyé par les Européens, est elle-même saisie d’une terreur panique ; le major n’en peut tirer le moindre secours. Dès ce moment la retraite ne fut plus qu’une véritable fuite. Quant au major Richards, il avait fait un circuit de seize milles avant d’atteindre le point où il devait se rendre. À huit heures du matin, parvenu au pied de la montagne qu’il s’agissait de gravir, il arriva sans difficulté jusqu’au sommet, distant de 800 verges de Jythuck. Il occupa avec un détachement une grande cavité, située 300 verges au-dessous, et remplie d’excellente eau. Tous ces arrangements furent complètement terminés dans la matinée ; officiers et soldats commencèrent alors à s’étonner de ne rien savoir du major Ludlow et de son détachement.

Cependant Rungoor-Singh assembla toutes ses forces sur les glacis de Jythuck. Les Goorkhas s’avancent déterminément à l’attaque du sommet de la montagne occupée par les Anglais. La première décharge les disperse ; mais, se servant avec une dextérité merveilleuse des moindres quartiers de roches, des moindres plis de terrain, qui peuvent les protéger, ils font sur les Anglais un feu irrégulier, mais continu. Le temps se passe ainsi jusqu’à quatre heures. Les Goorkhas avaient chargé neuf fois et s’étaient vus repoussés tout autant. Le major Richards, craignant de se trouver sans munitions, écrit au major Martindall pour demander du renfort. Les Goorkhas deviennent de plus en plus hardis. Pour concentrer ses forces, le major est obligé de faire revenir le poste qui garde la citerne ; avant le coucher du soleil, il fait rassembler par des pionniers de grosses pierres, que la nature du lieu rend une arme redoutable. À sept heures, il reçoit des ordres positifs du major-général de se retirer ; il n’avait perdu que 20 ou 30 hommes ; toutefois, comme les munitions allaient manquer, comme aucun espoir de renfort ne restait, l’obéissance demeurait le seul parti. Mais il fallait passer par un sentier étroit, bordant de terribles précipices, difficile à passer même en plein jour. L’arrière-garde est obligée de charger sans cesse les Goorkhas ; bientôt la moitié de ses soldats est hors de combat. Elle ne perd pas courage ; mais l’officier qui la commandait est tué, puis, au même instant, celui qui le remplace ; et alors il s’y met une confusion inévitable. Elle est enfoncée, dispersée ; tout ce qui la compose, dans l’espace de quelques minutes, est tué, blessé ou prisonnier. La tête de la colonne atteignait fort heureusement alors le bas de la montagne, ce qui la sauva du sort de l’arrière-garde. Malgré ce mauvais succès, grâce à la prudence et à l’habileté du major Richards, les Anglais n’en demeurèrent pas moins convaincus de leur grande supériorité sur l’ennemi. La trop grande ardeur de Ludlow à l’attaque de la barricade fut, en effet la seule cause de l’échec de ce jour-là ; s’il eût pris le temps de s’établir plus solidement à son premier poste, c’est-à-dire aux ruines du temple, il lui eût été facile de s’y maintenir, même en cas d’échec dans le coup de main qu’il tenta sur la palissade. Ainsi finirent dans ce quartier les opérations de cette division ; aucune entreprise un peu considérable ne fut plus tentée par le major-général Martindall.

De son côté, le général Ochterlony était entré en campagne en même temps que Gillespie. Ayant une assez haute opinion de Umur-Singh, le chef goorkha qui lui était opposé, il avait résolu d’agir avec beaucoup de prudence. Le 21 octobre, ce même jour où Gillespie tombait à la tête de ses troupes, il atteignit Plasee, située dans une vallée dans l’intérieur des montagnes. Umur-Singh occupait en ce moment une très forte position dans les montagnes. Les montagnes de cette partie du Népaul courent du nord au nord-ouest, elle s’élèvent successivement d’étage en étage dont chacun forme une position forte par elle-même, de plus servant comme de poste avancé aux positions plus élevées. Ainsi Umur-Singh se trouvait alors à Urkee, et entre cette ville et Plasee où se trouvaient les Anglais, on voyait deux étages intermédiaires, tous deux inférieurs à Urkee, supérieur à Plasee, constituant chacun une excellente position. La moins élevée, c’est-à-dire la plus rapprochée d’Ochterlony, était défendue par les forts de Nalaghur, Ramghur, Joorjoore, Chamba ; l’autre supérieure à celle-là formée par les monts Maloun, derrière lesquels on voyait, d’un côté, Urkee, et de l’autre la capitale du rajah de Belaspoor ; une fertile vallée séparait ces deux derniers. Le général anglais, suivant Umur-Singh, ne pouvait manquer de perdre beaucoup de temps pour gravir ces montagnes, et s’emparer des postes intermédiaires ; aussi se tenait-il fort tranquille à Urkee. Ne voulant rien abandonner au hasard, Ochterlony se fraya une route avec de grands travaux jusqu’à Nalaghur, où il arriva avec son artillerie de siège le 1er novembre. Il fit une brèche aux murailles, et la garnison se rendit le 5 ; elle capitula aussi le même jour pour un poste retranché appelé Taragurh, qui occupait une des passes de cette rangée. Le même jour, Umur-Singh, laissant une petite garnison à Urkee, vint s’établir à Ramghur ; position qu’il eût été d’une difficulté extrême d’atteindre du côté de la plaine. Après l’avoir reconnue, Ochterlony se décida à la tourner de manière à la dominer. Ces diverses chaînes de montagnes sont, en effet, autant de degrés inférieurs de l’Hymalaya : c’est un amphithéâtre de montagnes qui s’élève graduellement à partir de la plaine. Les plus éloignées sont aussi les plus élevées.

Ramghur formait à la droite de Umur-Singh. Ochterlony, en venant de Nalaghur, le tourna par la gauche. Dans le mois de novembre, il se saisit d’un point d’où il espérait pouvoir battre en brèche une des palissades de cette aile. Le 26 novembre, après d’immenses travaux pour rendre la route praticable, une batterie fut construite pour 6 canons. Mais lorsqu’on commença à la faire jouer, on s’aperçut qu’elle était trop éloignée de Ramghur pour produire le moindre effet ; le chef des ingénieurs s’avança à la tête d’un petit détachement pour reconnaître une autre position plus avancée. Les Goorkhas, apercevant ce mouvement, firent une sortie. Le détachement anglais chercha un abri derrière un vieux mur qui se trouvait en ce lieu. Un autre détachement fut aussitôt envoyé à son secours, car sa situation devenait critique. De leur côté, les Goorkhas, qui avaient reçu un renfort, entourèrent le parti anglais ; et celui-ci, pour rejoindre le reste du corps d’armée, se vit dans l’obligation de se faire jour de vive force à travers les Goorkhas. Quoique habilement exécutée, cette retraite ne coûta pas moins de 75 hommes ; elle eut de plus ce résultat fâcheux d’exciter l’enthousiasme, d’encourager la hardiesse de l’ennemi ; elle leur parut une fuite. Le lendemain, les Goorkhas demandèrent la permission d’enterrer leurs morts. Le 2 décembre, le major-général Ochterlony se décida à faire un logement sur un point plus rapproché de Ramghur ; opération fort difficile. Une seule route conduisait de la batterie à ce point, et cette route passait sous le feu d’un des principaux postes retranchés des Goorkhas. Cependant, comme c’était le seul moyen de causer un dommage sérieux à l’ennemi, ce fut celui qu’il adopta, de l’avis des colonels Arnolds et Thompson. À cette époque, la nouvelle du second échec devant Nalapanee arriva à l’armée ; elle fut suivie de près de l’annonce d’un renfort, circonstances qui déterminèrent Ochterlony à différer de quelque temps l’exécution de son plan. Des doutes sérieux sur le succès définitif de l’expédition traversaient de temps à autre l’esprit du major-général Ochterlony. La discipline des Cipayes lui semblait parfois devoir être rester inutile contre l’adresse, la bravoure, la détermination de ces montagnards. Toutefois ce ne fut qu’à lord Hastings qu’Ochterlony communiquait de pareilles appréhensions ; il conservait au milieu de l’armée son calme et sa gaieté ordinaire.

En attendant l’arrivée du renfort, Ochterlony, négociant avec le rajah de Plasee, s’en fit un allié. Il obtint son aide pour percer une route praticable à l’artillerie. Ayant reçu quelque renfort d’artillerie, il détacha le colonel Thompson à la tête de 14 compagnies, deux canons et deux obusiers, avec ordre de s’emparer de deux postes retranchés à la gauche de l’ennemi. Cette opération exécutée, le détachement devait encore occuper un troisième point, celui-ci non retranché. Après avoir marché toute la nuit et une partie de la matinée, arrivé en face du premier poste, Thompson ne jugea pas prudent de tenter un coup de main. Se saisissant d’un point élevé, il attendit son artillerie, et, lorsqu’elle fut arrivée, ouvrit son feu sur le second poste palissadé. Les ouvrages des Goorkhas étant d’ordinaire à l’épreuve de l’artillerie, aucun résultat ne fut produit ; il l’évacuèrent néanmoins pendant la nuit. S’étant aperçu de leur retraite, Thompson, envoya occuper ce poste par un détachement. La nuit suivante fut employée par les Goorkhas à concentrer leurs forces. Au point du jour, d’un autre poste retranché qui dominait Ramghur, il commencèrent une sérieuse attaque ; mais le détachement était sur ses gardes ; les assaillants, repoussés, laissèrent 150 hommes sur le champ de bataille. Les Anglais eurent 12 hommes tués et 157 blessés. Le major-général, entendant le feu, envoya des renforts ; de plus, le fort fut palissadé et fortifié de nouveau.

Comme nous l’avons dit, Ramghur formait la droite de Umur-Singh et faisait face à la plaine. Le poste du colonel Thompson était en arrière du centre de l’ennemi ; il pouvait tout à la fois lui couper les vivres sur la route de Urkee ou bien intercepter ses communications avec Belaspoor. S’apercevant de cet inconvénient, le général goorkha y remédia comme il suit : opérant une conversion sur Ramghur, demeurant toujours à sa droite, il fit un changement de front et se retrouva en face de l’ennemi. Or la montagne sur laquelle le colonel Thompson était placé ne donnait aucun moyen d’attaquer les palissades du camp retranché des Goorkhas dans cette nouvelle position. Un terrain absolument impraticable les protégeait ; de plus, circonstance plus avantageuse encore, ils couvraient Belaspoor, d’où venaient leurs approvisionnements. Ochterlony sut néanmoins les priver de tous ces avantages par une belle manœuvre. Abandonnant sa situation, il fit un long détour, et alla se poster dans les environs de Belaspoor, sur les hauteurs de Punalie, qui couronnent la ville de Belaspoor et la vallée de la Sutlège ; là il opéra sa jonction avec le colonel Thompson, couvrit Belaspoor, et se mit en mesure d’agir au nord-est des monts Maloun. Le colonel Arnold, laissé dans le camp retranché, abandonné pendant tout ce temps, était charge de surveiller Umur-Singh, de suivre ses mouvements, de se trouver toujours prêt à l’attaquer en queue si lui-même tentait d’en venir aux mains. avec le corps d’Ochterlony. Dans le cas où l’armée ennemie prendrait la route de Belaspoor, Arnold devait s’emparer des palissades abandonnées afin de les détruire. Aussitôt qu’il comprit l’objet de ce mouvement des Anglais, Umur-Singh se mit en marche avec toute son armée se proposant de s’emparer de la forte position des monts Maloun. Il abandonna, pour exécuter ce mouvement, un poste retranché fort important. Mungo-Ka-Der, dont le colonel Arnold s’empara le même jour ; il laissa d’ailleurs de nombreuses garnisons dans les forts de Ramghur, Taraghur, Chamoa et Joojoore. Le colonel Cooper fit ses dispositions pour attaquer ces postes, et Arnold se dirigea sur Belaspoor. Il n’éprouva aucun obstacle de la part de la garnison de ces forts. Cependant il n’exécuta son mouvement qu’avec beaucoup de lenteur, les difficultés naturelles du terrain se trouvant alors fort augmentées par la pluie et la neige. Au commencement de février, il atteignit Tulsoora, point situé à l’extrémité de la chaîne des monts Maloun, et qui devait être le terme de son mouvement. Il réduisit presque immédiatement le fort de Butungurh, au-delà des monts Maloun, entre ces montagnes et Belaspoor. Les forts de Bungurh exigèrent un peu plus temps. Pendant ce temps, le général Ochterlony faisait ses efforts pour réduire le rajah de Belaspoor ; et celui-ci, craignant de voir ses États conquis, sa capitale dans des mains ennemies, ne tarda pas à faire sa soumission. Cette campagne ajouta beaucoup à la réputation de courage et d’habileté d’Umur-Singh. Avec tout au plus 2,000 hommes sous ses ordres, il sut tenir tête au général anglais qui n’en avait pas moins de 7,000. Plus d’une fois il déjoua ses combinaisons, l’empêcha de rien effectuer de décisif, le tint constamment en haleine. Le succès de la campagne demeura indécis.

Le major-général J. S. Wood était entré en campagne vers la fin de décembre à la tête de la division assemblée à Gouruckpoor. Il se proposa de laisser Bootwul à droite et d’attaquer Nyakot, poste qui couronne les hauteurs à l’ouest de la ville. Mais une palissade avait été construite à l’ouverture de la passe au milieu de laquelle Boowul est situé. Ce poste, appelé Jeejgurh, devait être d’abord emporté avant qu’aucune autre entreprise pût être tenté. Le 3 janvier, le major-général Wood se mit en mouvement à la tête de 21 compagnies dans le but de s’en emparer. Un brahme lui servait de guide ; la route côtoyait la rivière Tenavee, et pendant sept milles traversait une forêt. Le général Wood s’attendait à traverser un pays découvert avant d’arriver à la palissade. Il marchait avec l’avant-garde, lorsqu’il se trouve tout-à-coup en face du poste retranché, d’où part aussitôt un feu bien nourri qui jette sur le carreau deux officiers et plusieurs soldats. Le 17e régiment, formant l’arrière-garde, arrive au pas de course sur le terrain et prend ses rangs : il repousse-des détachements de Goorkhas qui s’étaient hâtés de faire une sortie. On gagne le sommet d’une colline, d’où l’on domine la palissade. Les Goorkhas ne songeaient point à la défendre ; mais en arrière se trouvait une montagne d’où il leur aurait été facile de faire un feu meurtrier sur les Anglais demeurés possesseurs de la palissade. Cette circonstance détermina le général Wood à se retirer, et cette retraite donna à l’affaire, insignifiante en elle-même, toute l’apparence d’une défaite pour les Anglais. À la vérité, le général Wood lui-même sembla juger les choses ainsi. Abandonnant l’exécution des ordres qui lui avaient été donnés, il n’essaya plus de pénétrer dans les montagnes ; et se tint constamment sur la défensive. Le bruit public faisait l’armée des Goorkhas forte de 12,000 hommes, tandis qu’ils avaient à peine quelques centaines d’hommes de troupes régulières. Cette conduite méticuleuse du général enhardit l’ennemi, abattit le courage des siens ; les Goorkhas se répandirent çà et là dans le pays, le pillant et le ravageant à leur guise. Cet état de choses dura pendant les mois de janvier, de février et mars. À cette époque, le général Wood reçut des renforts considérables ; toutefois il n’osa pas reprendre l’offensive. Sur la frontière de Sarun, le major Bradshaw avait établi une chaîne de postes qui pendant quelque temps ne furent point inquiétés : toutefois, la fortune n’était pas plus favorable aux Anglais de ce côté que partout ailleurs.

Malgré ces succès, la cour de Katmandoo n’en éprouvait pas moins de graves inquiétudes sur l’issue définitive de la lutte. Elle ne voulait pourtant rien céder ; aussi tous ses efforts tendaient-ils à faire traîner les choses en longueur, en ouvrant des négociations sans but, en offrant de frivoles concessions. Dans le mois de novembre un de ses envoyés, nommé Chundur-Seekur, demanda un sauf-conduit pour se rendre à Calcutta. Il était chargé de dépêches pour le gouverneur-général. Or ces dépêches ne consistaient qu’en une simple lettre de compliment à lord Hastings, sur sa nomination. Le major Bradshaw adressa à Chundur-Seekur, une copie de la déclaration de guerre précédemment publiée, et refusa de le laisser passer à moins qu’il ne fût muni de pouvoirs pour traiter de la paix. La lettre fut envoyée au gouverneur-général, qui approuva la conduite du major Bradshaw ; peu après, il permit cependant à Chundur-Seekur de demeurer sur la frontière. Le major Bradshaw se résolut à ne pas différer plus long-temps d’entrer en campagne, mais à attaquer le poste goorkha de Burhorwa, puis à occuper après cela toute la plaine de Turae. Le 25 novembre, ayant rassemblé ses forces, il attaqua ce poste, en tua le commandant et fit prisonnier Chundur-Seekur, qui s’y trouvait. Les instructions de l’envoyé furent saisies et achevèrent de rendre manifeste que l’objet de sa mission n’avait été autre que de gagner du temps. Le major Bradshaw eut 2 hommes tués et 14 hors de combat, les Goorkhas 75 tant tués que blessés. La plaine de Turae fut immédiatement évacuée par les Goorkhas, et annexée par proclamation au territoire britannique. Le major Bradshaw y établit les postes suivants : le capitaine Hay à Baragurhee, le capitaine Blackney à Sumunpoor, le capitaine Sibley, avec environ 500 hommes, à Pursa, sur la route conduisant à Hetounda.

Le général Marley arriva à Puchroute-Tuppa avec le corps d’armée principal le 12 décembre. Déjà une avant-garde avait poussé jusque là. Les Goorkhas ne manifestaient aucune envie de se défendre ; seulement ils firent quelques tentatives pour empoisonner les puits et les fontaines. Le général Marley forma son armée en trois divisions. Il se dirigea de sa personne, à la tête de 2,200 hommes, sur la passe d’Hétounda ; le colonel Dick, avec 1,500 hommes, devait prendre la route de Hureepoor, à l’est ; le major Rroughdge, avec 1,300 hommes, pénétrer dans la passe de Suckteeduree et Joorjooree, située entre les deux autres. L’arrière-garde, formée du reste de l’armée, se tint prête à se porter où besoin serait, surtout à maintenir les communications. Un poste commandé par le capitaine Sibley était a vingt milles à la gauche du corps d’armée principal ; un autre, sous les ordres du capitaine Blackney, à sa droite, mais tous deux isolés, tous deux sans aucun retranchement qui les défendît. Le général Marley employa le mois de décembre à faire les préparatifs de ce plan de campagne. Un corps d’armée goorkha s’assembla pendant ce temps à Muckwanpoor, sous un chef nommé Runder-Sing. Ce dernier, ayant une connaissance exacte des positions du capitaine Sibley et du capitaine Blackney, les fit attaquer par deux détachements de ses troupes.

Blackney fut complètement surpris ; lui et son premier lieutenant furent tués dès les premiers coups de fusil. Au bout de dix minutes, les Cipayes, dont une petite partie seulement avait eu le temps de prendre les armes, s’enfuirent dans toutes les directions. Les Goorkhas, ayant pénétré jusqu’au centre du camp, achevèrent de rendre la confusion sans remède en mettant le feu aux tentes. Le capitaine Sibley, à Pursa, était mieux sur ses gardes. Plusieurs circonstances l’ayant mis à même de craindre une attaque, il avait demandé du renfort au général Marley. Celui-ci en avait envoyé sous les ordres du major Greenstreet. Malheureusement ce détachement campa en route, quoique la distance ne fût que de vingt milles ; c’était la nuit du 31 décembre au 1er janvier. Le lendemain les Goorkhas attaquèrent sur trois colonnes. Sibley avait fait la faute de placer son avant-garde fort en avant du reste de son détachement ; son arrière-garde, abandonnée à 70 cavaliers irréguliers, était encore un point vulnérable, surtout pendant une attaque de nuit. L’avant-garde repousse avec succès le premier choc des Goorkhas ; le lieutenant Smith, qui la commande, comprenant cependant qu’il ne pouvait tenir long-temps, fait demander du secours. Sibley se met à la tête d’un détachement qu’il veut conduire lui-même ; il reçoit une blessure à la cuisse ; puis une seconde, celle-ci mortelle. Le feu éclate aussitôt sur les derrières et les flancs des Anglais. Des partis de Goorkhas se glissent entre l’avant-garde et le corps principal ; d’ailleurs c’était sur l’arrière-garde que l’attaque principale se trouvait dirigée. Après avoir dispersé la cavalerie irrégulière des Anglais, ils pénètrent dans le camp et s’emparent du bazar. Le lieutenant Smith, à qui le commandement échut par la mort de Sibley, forme un bataillon carré avec ce qui lui reste de troupes ; il tient les Goorkhas à distance ; mais ceux-ci, protégés par des troncs d’arbres, tiraient à coup sûr et sans risque aucun. Smith voyant tout perdu s’il ne parvient à les déloger, veut les charger à la tête des Cipayes ; ceux-ci refusent d’obéir ; et se contentent de tirer à distance jusqu’à ce que leurs munitions soient épuisées. Smith, désespéré, se voit obligé d’ordonner la retraite. Entièrement occupés du pillage, les Goorkhas ne l’inquiétèrent que fort peu ; mais l’artillerie, les munitions, les approvisionnements de toute sorte furent perdus. La perte des Anglais fut de 123 hommes tués, 187 blessés ; 77 manquant à l’appel, avaient probablement été faits prisonniers. Le major Greenstreet, entendant le bruit de l’artillerie dans la direction de Pursa, se mit promptement en marche ; mais il était encore à trois milles du champ de bataille quand le feu cessa. De nombreux fuyards ne tardèrent pas à l’instruire du triste résultat de l’affaire.

Le général Marley attendait en ce moment un train de grosse artillerie, parti de Betia pour venir le rejoindre. Dans le but de couvrir ce mouvement, il renforça le poste de Baragurhee, puis manœuvra lui-même à l’ouest, disposé à le secourir au besoin. D’ailleurs l’audace, l’activité des Goorkhas lui en avaient singulièrement imposé. En dépit de ses instructions, il abandonna toute idée de pénétrer plus avant dans les montagnes. Le marquis de Hastings commença dès lors à concevoir de sérieuses craintes sur le résultat de l’expédition. L’armée tout entière, partageant, exagérant les dispositions de quelques uns de ses chefs, avait perdu toute confiance en elle-même, cette première condition des succès militaires ; l’audace, l’esprit d’entreprise paraissaient morts en elle. Ce fut en vain que toutes les stations militaires du Bengale et de Bahar furent mises à contribution pour fournir des renforts au général Marley ; à peine se décida-t-il à exécuter quelques marches dans la plaine ouverte de Turae ; il n’osa s’aventurer dans la forêt ni dans les montagnes. Enhardis de plus en plus par cette timidité, les Goorkhas parcouraient le pays à leur gré, venaient brûler des villages jusque dans le voisinage du camp anglais ; menaçant Bagurhee, ils élevèrent un camp retranché à peu de distance. Enivré de ses succès, le rajah, ou, pour mieux dire, la cour de Katmandoo ordonna à Rhugut-Sing, qui commandait de ce côté, d’attaquer les cantonnements anglais, de prendre sur tous les points une offensive hardie. Des dépêches sous le sceau rouge, c’est-à-dire expédiées de la manière la plus solennelle en usage chez les Goorkhas, arrivaient journellement pour lui renouveler cet ordre. À même d’apprécier les difficultés de l’entreprise, satisfait de ses dispositions, Rhugut-Sing différa sagement de les mettre à exécution. Les courtisans, partout les plus hardis guerriers, attribuèrent sa prudence à la timidité. Ils le sommèrent de venir à la capitale expliquer sa désobéissance ; mais ils l’engageaient à ne paraître qu’en habit de femme, plus d’accord avec son caractère que l’attirail des guerriers. La conduite de Bunghut-Sing fut plus tard mieux appréciée de ses compatriotes ; mais toutes les injures dont on l’assaillait en ce moment n’en manifestaient pas moins combien les Anglais étaient alors tombés dans l’opinion de leurs ennemis. Troublé de l’audace de ceux-ci, privé, dit-on, de ses conseils habituels, Marley, n’osant ou ne pouvant agir, prend tout-à-coup une résolution fort étrange. Il se dérobe à son armée, sans avoir prévenu personne, sans avoir remis son commandement aux mains d’un successeur. Lord Hastings, qui depuis long-temps hésitait à le remplacer, se hâta de le faire et désigna pour ce poste le major-général George Wood.

Les résultats de cette première campagne ne furent donc nulle part à l’avantage des Anglais. De leurs généraux, Ochterlony seul n’avait pas essuyé d’échec ; toutefois il n’avait pas obtenu d’avantages ; l’honneur de la campagne demeurait même à son adversaire. Le général Martindall essuya trois échecs, deux fois devant Nalapanee, un troisième devant Jythuck ; il perdit le tiers de son monde. La division de Gourckpoore recula devant l’ennemi d’une façon qui donnait à sa marche rétrograde l’aspect d’une retraite, presque d’une fuite. Enfin l’armée de Sarun, cette armée qui devait pénétrer jusqu’à Katmandoo, désertée de son général, affaiblie de la perte de deux détachements de 500 hommes ; se trouvait réduite à l’inactivité la plus complète. Depuis Oude jusqu’à Rungpoor, les Anglais étaient tenus en échec par les Goorkhas, sans qu’il leur fût permis de pénétrer dans la forêt ; leur territoire était en même temps journellement insulté, et avec impunité. Des bruits d’une nature alarmante, souvent absurde, mais n’en exprimant que mieux l’anxiété des esprits, circulaient journellement sur la frontière de Morung. Il est vrai de dire cependant qu’aucune portion de territoire n’était perdue pour la Compagnie ; que de plus ils avaient conclu avec le rajah de Sikhun une alliance avantageuse. De ce côté encore une tentative d’irruption des Goorkhas avait échoué, et, les postes avancés ayant reçu des renforts, on jouissait de quelque sécurité.

Dans le premier moment, la guerre avec les Goorkhas ne produisit dans l’Inde aucune sensation. Les nombreux revers essuyés par les armes anglaises à son début ne tardèrent pas à éveiller l’attention des chefs indigènes ; plusieurs d’entre eux se demandèrent dès lors si le moment n’était pas venu de se déclarer contre les Anglais, qu’ils ne pouvaient manquer de haïr en leur qualité d’étrangers. Runjeet-Singh avait une nombreuse armée à Lahore et paraissait prêt à quelque démonstration alarmante dans le nord-ouest ; Ameer-Khan, ayant rassemblé de nombreux bataillons afghans, s’était porté à quelques marches d’Agra, et de là faisait des offres de service en termes fort ambigus. Le durbar de Poonah et celui de Scindiah, dans leurs communications avec le gouvernement anglais, prenaient un ton presque menaçant. Toutes ces circonstances donnaient à la guerre actuelle une plus grande importance, et devaient déterminer le gouverneur-général à la poursuivre avec une vigueur plus grande encore. Malgré ces débuts désavantageux, malgré tant d’échecs inattendus, lord Hastings n’avait jamais douté d’ailleurs que cette guerre n’eût en définitive une issue favorable. Anglais et Cipayes au service britannique avaient depuis long-temps perdu l’habitude de la guerre ; la nouveauté, l’étrangeté de la scène, l’aspect même de ces contrées montagneuses, toutes couvertes de forêts, commencèrent par les étonner. Leurs premiers revers contre des ennemis à demi barbares mêlèrent quelque crainte à cet étonnement ; la confiance en eux-mêmes ne pouvait manquer de leur revenir. D’un autre côté, la manière de faire la guerre aux Goorkhas ne pouvait donner d’inquiétudes sérieuses ; satisfaits qu’ils étaient d’avoir coupé un avant-poste, repoussé une attaque, détruit un détachement, l’idée ne leur venait pas de prendre une vigoureuse offensive sur une large échelle ; se réduisant volontairement à une pure défensive, ils laissaient de la sorte l’ennemi toujours libre de les attaquer où et quand bon lui semblait. Depuis Clive jusqu’à lord Lawrence, les Anglais, habitués à marcher délibérément à l’ennemi, à le voir s’enfuir, quelle que fût sa supériorité, étonnés d’une résistance inattendue, passèrent, quelques uns du moins, et malheureusement parmi les chefs, de l’excès de la présomption à celui du découragement. Mais ces deux sentiments extrêmes étaient en définitive en désaccord avec le fond même du caractère anglais ; c’est avec raison que lord Hastings se flattait de voir à la longue le succès couronner sa persistance.

Le général George Wood arriva le 20 février à l’armée récemment délaissée par Marley. Les différents renforts qui l’accompagnèrent ou le suivirent de près portèrent son armée à 13,000 hommes. Toutefois, craignant que la saison malsaine ne fût arrivée, il ne voulut rien tenter de décisif. Il se contenta d’exécuter quelques marches et contremarches jusqu’à la fin de la campagne. Dans le Goruckpoor, le major-général John-Sullivan-Wood brûla, comme représailles, un certain nombre de villages appartenant aux Goorkhas. Il marcha partout où devait se trouver l’ennemi, le plus souvent, à la vérité, trompé, égaré par de faux rapports ; à la fin de la saison, c’est-à-dire dans le mois d’avril, il vint prendre de nouveau position devant Botwul. Le 17 avril, il ouvrit contre cette place un feu de toute son artillerie, mais sans produire de résultats ; il dut se borner à ravager la portion de la plaine de Turae appartenant aux Goorkhas, puis se retira immédiatement dans ses cantonnements. Les divisions de l’ouest se montrèrent, au reste, moins découragées que celles de l’est et du centre.

Pendant ce voyage dans le Rohilcund, lord Hastings fit une reconnaissance exacte de la frontière de Kumaon, qui le borde au nord ; il acquit la certitude qu’elle se trouvait presque entièrement dégarnie de troupes. En ce moment, la totalité des forces des Goorkhas faisait face en effet aux divisions britanniques opérant à l’est et à l’ouest. Une attaque sur ce point lui parut avoir l’avantage d’attirer de ce côté l’attention de l’ennemi, de l’empêcher en même temps de diriger aucun renfort sur Jythuck. On comptait en outre sur le concours des habitants de Kumaon qu’on savait au fond du cœur ennemis des Goorkhas, qui les tenaient dans un rude assujettissement, qui enlevaient femmes et enfants au gré de leurs caprices ; la seule difficulté venait de l’absence momentanée de troupes régulières à employer à ce service. Les divisions engagées dans les montagnes demandaient sans cesse du renfort ; et, d’un autre côté, les dispositions de la population des provinces ne permettaient pas d’affaiblir les garnisons. Dans ces conjonctures, lord Hastings résolut de se servir de la population autrefois si guerrière du Rohilcund, race faite dès l’enfance à se servir du mousquet et du sabre. Deux officiers habitués à ce genre de service, le colonel Gardner et le major Hearsey, furent employés à faire des levées de Rohillas contre le Kumaon : tous deux avaient longtemps servi dans les armées mahrattes. Le premier de ces officiers dut agir de Kasheepoore (district de Merodabad) ; le second d’opérer contre Chumpaweet, à l’est de la province.

Le 11 février 1815, le colonel Gardner, accompagné d’un agent civil, ce dernier chargé de l’administration de la province, se mit en campagne. Il atteignit la première passe des montagnes, d’où il délogea un piquet de Goorkhas. Un détachement ennemi était retranché sur le sommet du Kat-kee-Nao, poste élevé qui dominait l’entrée de la passe ; un autre détachement occupait le Gurhee ou le fort de Kotha, tout-à-fait sur la droite ; la Kosila passait entre ces deux palissades ou camps retranchés. Après avoir reconnu les deux positions, le colonel Gardner marcha le long de cette rivière. Il se proposait de pénétrer entre ces deux postes pour se porter sur Almora. Une très forte pluie qui en ce moment commença, ne tarda pas à faire déborder la rivière. Dans la soirée, Gardner envoya un détachement dans la direction de Kotha menacer le poste ; 200 Rohillas et 100 Mewaties marchèrent le long de la Kosila pour se saisir d’une forte passe appelée Thangura ; d’où elle se précipite à travers un défilé commandé des deux côtés par de hautes montagnes. Mal dirigé par ses guides, ce détachement, ne put s’assurer de la passe des deux côtés de la rivière, et se contenta de s’établir sur une montagne qui la dominait au sud-est. Le second détachement envoyé dans la direction de Kotha s’arrête à une montagne appelée Rouseldeh ; entre la passe de Thangura et Kotha, passe dès le matin occupée par l’ennemi. À la tête de 500 hommes, le colonel Gardner l’en délogea, puis rétrograde sur Thangura, où se trouvait son détachement. Le 20, les Koorkhas évacuèrent Kat-kee-Nao, et se retirèrent à Googur-Gurh, d’où ils furent délogés dès le soir même. Le jour suivant, 700 Rohillas campèrent aux environs de Seethee, et atteignirent le lendemain un point où se joignent deux routes conduisant l’une et l’autre à Almora. L’une d’elles était gardée par un sirdar goorkha à la tête des deux garnisons de Katnee-Nao et de Kotha. Après une courte halte, Gardner se dirigea aussitôt sur l’autre route, qui est aussi celle qu’on rencontre d’abord dans cette direction et qui, au sortir de la vallée, gravit aussitôt dans les montagnes. Cette marche longue et pénible consomma toute la journée. Au coucher du soleil, Gardner et son corps d’armée se trouvaient encore à six milles du sommet de la montagne de Choumer, qu’il voulait occuper ; à peine 40 hommes purent-ils y arriver. Au point du jour, l’ennemi se dirigea vers le même lieu, conduit par Ungut-Syrdar, arrivé au moment même d’Almora avec un renfort. Ce poste était très faible, mais il s’y trouvait plusieurs étendards qu’ils eurent soin de déployer ; il ne fut point attaqué. Le 28 seulement les vivres et les bagages purent atteindre le sommet du Choumon. Gardner avait été obligé d’établir des garnisons à Kat-nee-Nao et à Kotha. Il trouva prudent d’attendre de nouveaux renforts avant de s’aventurer plus loin dans ces montagnes. 1,000 Patams, levés à Hâpur dans le Meeruth, étaient alors en route pour le rejoindre. Pendant cette halte, des escarmouches de peu d’importance eurent lieu ; et l’avantage demeura aux Rohillas. Durant ce temps, le major Hearsey avait pénétré dans la province de Kumaoun par la Kalee sans rencontrer d’obstacles. La population sembla même montrer quelques dispositions à se déclarer en sa faveur. Laissant la moitié de son monde à la garde de cette dernière passe, il se mit en mesure de coopérer avec le lieutenant-colonel Gardner en se portant sur Almora à l’est. Il établit dans ce but un blocus devant un fort nommé Kootulgurh, qui était sur son chemin.

Le mois de mars s’était passé de la sorte ; le colonel Gardner, ayant reçu ses renforts, trompa par un mouvement hardi le général goorkha ; il parvint à s’établir sur ses derrières dans le voisinage et presque en vue d’Almora. Gardner envoya un autre détachement se saisir au midi d’une montagne précisément en face, où se trouvaient les ruines d’un temple appelé Shee-ka-Devee ; il faisait en même temps une démonstration sur Keompoor, dans le but d’arriver à Shee-ka-Devee. Trompés par ces diverses manœuvres, les Goorkhas se mirent eux-mêmes en mouvement ; ils incendièrent leurs palissades, et se hâtèrent, d’aller prendre position dans le voisinage de Shee-ka-Devee. Gardner continuant à s’avancer hardiment, se fraya un chemin jusqu’au cœur même de la province de Kumaoun. Sa conduite conciliatrice envers les indigènes, portait de meilleurs fruits encore que sa hardiesse dans les opérations de guerre ; les vivres abondaient dans son camp, et bientôt il lui devint facile d’obtenir des renseignements sur les mouvements de l’ennemi. À la fin de mars, un renfort assez considérable pour suffire à la conquête de la province entière se mit en route pour le rejoindre. Le colonel Jasper Nicolls commandait ce détachement composé de 2,000 hommes d’infanterie et 10 pièces d’artillerie de différents calibres, envoyées de Moradabad. L’état des affaires devant Jythuck, l’assurance que la tranquillité de l’Inde centrale ne serait pas troublée pendant la saison, avait permis au gouverneur général de prendre cette mesure. Le 5 avril, Nicolls entra donc dans les montagnes et marcha pour opérer sa jonction avec le colonel Gardner ; En ce moment un des chefs goorkhas, Ustee-Dul, à la tête d’un détachement, après avoir traversé la passe de Kalee, se dirigeait vers le major Hearsey. Instruit de ce mouvement, ce dernier marcha lui-même à la rencontre de l’ennemi avec un assez faible détachement ; le reste de ses forces disséminé çà et là, se trouvait employé à la garde de différents postes ; formés de nouvelles levées, les Rohillas se troublèrent au premier feu. Le major fut blessé et fait prisonnier. Aucun des points où il avait mis garnison ne tint ; leurs défenseurs, à la première démonstration hostile des Goorkhas, gagnèrent la plaine. Apprenant ces nouvelles le jour même de son entrée dans le Kumaoun, Nicolls précipita son mouvement dans le but d’opérer sa jonction avec Gardner, ce qu’il parvint à exécuter. Deux jours après, Ustee-Dul faisait son entrée dans Almora avec ses prisonniers, événement célébré par des salves d’artillerie entendues du camp britannique. Détaché du camp anglais, le major Patton fut chargé de suivre les mouvements du chef goorkha ; les deux détachements se rencontrèrent au moment où tous deux gravissaient la même montagne de côtés opposés. Le chef goorkha fut tué, et le champ de bataille, c’est-à-dire le sommet de la montagne, demeura aux Anglais. Ustee-Dul jouissait d’une grande réputation militaire, et sa perte fut vivement déplorée à Almora ainsi qu’à Katmandoo.

Au retour du major Patton, Nicolls espéra profiter de l’impression nécessairement produite par leur dernière défaite sur l’esprit des ennemis. À la tête d’un bataillon et des troupes irrégulières de Gardner, il se mit en mouvement dans le but d’établir un logement sur les montagnes de Sectolee, où se trouvait l’ennemi. Il s’empara effectivement des hauteurs, mais il rencontra un petit fort bâti en pierres. Nicolls lui fit donner l’assaut sans avoir battu en brèche afin de gagner du temps. Malgré sa témérité, l’entreprise réussit, et bientôt toutes les palissades de cette chaîne de montagnes se trouvèrent évacuées. Les Goorkhas se réfugièrent dans Almera, et comme les montagnes voisines qui dominaient la ville étaient alors en la possession des Anglais, ils se préparaient à la reprendre ; le lendemain, à onze heures du soir, ils enlevèrent effectivement un des postes anglais. Nicolls, accouru aussitôt en personne, reprit ce poste ; toutefois le combat fut long, sanglant, et devint le signal d’une sortie générale ; 211 hommes tués ou blessés demeurèrent sur le champ de bataille. Le jour suivant, Nicolls prit position à 70 verges seulement du fort d’Almora. Le gouverneur de la province, voyant sa situation désespérée, fit demander et obtint une suspension d’armes ; les négociations commencèrent aussitôt pour la paix. On vit alors arriver dans le camp anglais grand nombre d’officiers goorkhas blessés, qui venaient demander les secours de la chirurgie. Ces guerriers avaient quelque chose de chevaleresque dans les manières, mais ne brillaient pas par la prudence politique. Ils avouaient sans détour leur manque de vivres ; ils permettaient aux ingénieurs d’examiner à loisir les fortifications de la place. Dans la discussion des articles de la capitulation, ils insistèrent surtout sur la faculté d’envoyer 500 hommes au secours de Jythuck, ce qui leur fut refusé. Cette convention stipulait la reddition de la province de Kumaoun et de toutes les places fortifiées sans exception ; la retraite, dans le délai de dix jours, de toutes les troupes et officiers des Goorkhas à l’est de la Kalee, par des moyens de transport que les Anglais s’engageaient à fournir ; enfin la liberté sans condition du major Hearsey. Tous ces articles furent fidèlement exécutés. Nicolls accompagna les troupes goorkhas jusqu’à la Kalee, puis disposa ses forces de la manière la plus avantageuse à la défense de la province.

Nous avons laissé le général Martindall persuadé de l’insuffisance de ses forces pour entrer en campagne ; en conséquence, il ne tenta rien contre Jythuck et demeura oisif à Nahn. Le gouverneur-général lui envoya de nombreux renforts, mais ne parvint pourtant pas à le décider à reprendre l’offensive. Au commencement de février, le major Kelly fut détaché de Nahn avec un bataillon d’infanterie légère ; il avait l’ordre d’aller occuper un poste important dans cette même chaîne de montagnes où avait échoué le major Ludlow ; Kelly s’avança effectivement jusqu’à un lieu désigné sous le nom de Montagne-Noire. À peine y fut-il arrivé que le major-général lui envoya de la grosse artillerie afin de le mettre à même de battre en brèche les premières palissades des ennemis. Pour cela, il fallut pratiquer un chemin sur les flancs de la montagne au sommet de laquelle se trouvait la palissade ; l’artillerie et les munitions furent portées à grand’peine le long des précipices qui la bordaient ; opération qui excita l’étonnement, ou pourrait dire l’enthousiasme de l’ennemi. Pendant ce temps, les communications se trouvaient toujours ouvertes entre la garnison de Jythuck et les différents partis qui couvraient la campagne. Le 17 février, la nouvelle se répandit dans le camp anglais qu’un détachement de Goorkhas assez nombreux se dirigeait vers Jythuck. Le lieutenant Young fut détaché avec un corps de cavalerie légère pour l’intercepter. Ne trouvant point l’ennemi au point indiqué, il revint au camp ; sur de meilleurs renseignements, il se remit de nouveau en marche avec un parti de cavalerie irrégulière montant à 2,000 hommes. Les Goorkhas se trouvaient alors à un lieu appelé Chumalgurh. N’osant engager une action de vive force avec ses troupes composées de nouvelles recrues, il se posta de manière à intercepter leurs communications avec Jythuck. La situation des Goorkhas, en raison de leur grande infériorité de numérique, car ils n’étaient que 200 contre 2,000, était tout-à-fait désespérée ; mais loin d’en être abattus, ils s’assemblent en conseil de guerre, et comme les Spartiates aux Thermopyles, prennent la résolution de mourir à leur poste. Ainsi décidés, ils s’avancent délibérément sur l’ennemi, font feu à quelques pas, et chargent le sabre à la main. Ceux-ci, cédant pied, se sauvent dans une confusion extrême ; les postes suivants prennent la panique, et bientôt tout ce détachement, montant à 2,000 hommes, comme nous venons de le dire, prend la fuite. Enhardis par ce succès, les Goorkhas poussent jusqu’à Jythuck sans autre obstacle. Plus tard, le souvenir de cet exploit exalta tellement leur courage qu’ils n’hésitèrent jamais à attaquer un poste de soldats irréguliers, malgré le nombre ou la position de ceux-ci.

L’artillerie transportée sur la montagne Noire commença à jouer le 27 mars ; dès ce premier jour, la palissade fut abattue ; mais le major-général, en dépit de l’ardeur des troupes, recula pour ainsi dire devant un succès que tout annonçait comme certain. Il craignit de ne pouvoir conserver ce poste contre Runjoor-Sing, qui ne pouvait manquer de venir l’y attaquer avec toutes ses forces. Le général était beaucoup supérieur à ce dernier, tant en nombre qu’en artillerie ; mais intimidés par tant et tant de revers, les Anglais poussaient en ce moment la prudence jusqu’à un degré voisin de la pusillanimité. Renonçant à toute attaque de vive force, il se proposa donc seulement d’entourer Runjoor-Sing, le commandant de Jythuck, de le bloquer de manière à le réduire par famine. En exécution de ce nouveau plan, il envoya le major Richards se saisir d’un poste à l’est de Jythuck et lié à cette forteresse. Après avoir fait un circuit considérable pour arriver à un endroit accessible à l’artillerie, Richards se mit à gravir les flancs de la montagne dont les Goorkhas occupaient le sommet. Les Goorkhas les laissèrent approcher jusqu’à 40 verges, puis firent alors un feu très meurtrier. Le poste fut cependant emporté. Le major Richards poursuivit son avantage jusqu’à une autre montagne de cette chaîne appelée Punchul, où les Goorkhas semblaient décidés à une sérieuse résistance. Le major fit une halte pour donner à la queue de ses colonnes le temps de se rejoindre ; alors il attaqua le poste sur deux colonnes, s’en rendit maître, puis se porta aussitôt sur la palissade. Il s’attendait à une grande résistance de la part des Goorkhas. Mais intimidés par les préparatifs dont ils avaient été témoins, les Goorkhas ne montrèrent aucune disposition à prendre l’offensive. Dans cette affaire, un officier goorkha de grande réputation, Ujamba-Punt, fut fait prisonnier. Le 16 avril, un poste intermédiaire entre le major-général et le quartier-général fut occupé par le capitaine Wilson. Mais c’était au seul sir David Ochterlony qu’était réservée la gloire de prendre Jythuck.

Le colonel Arnold que nous avons laissé à Rutungurh, avait pris position entre l’ennemi et Belaspoor, au pied d’une chaîne de montagnes dont Umur occupait les sommets. Cooper réduisait pendant ce temps les forts de la chaîne de Ramgurh, en commençant par ce dernier. La garnison ayant capitulé aussitôt que la brèche eut été reconnue praticable, obtint de se retirer avec les honneurs de la guerre. En revanche, à son retour au quartier-général goorkha, le commandant fut puni de cette capitulation hâtive, par la perte du nez et des oreilles. Les forts de Turugurh et de Chumha eurent le même sort que Ramgurh. Ochterlony, renforcé dès lors par Cooper, prit position devant Umur-Singh ; il se proposait d’établir des logements sur toute la série de hauteurs qui formaient la position de ces derniers, depuis les forts Maloun jusqu’à ceux de Soorujgurh. Cette ligne présentait une série de points élevés, de pics disséminés çà là, tous d’un accès difficile ; chacun d’eux couronnés avec une palissade, deux seuls exceptés, nommés l’un le Ryla, l’autre Deothul. Le premier se trouvait convenablement situé pour servir aux opérations contre Soorujgurh ; le second au centre même de la position de Goorkhas, à un millier de verges environ du mont Maloun lui-même. Ochterlony résolut de les attaquer simultanément tous les deux ; croyant ce mouvement sur deux points différents propre à dérouter l’ennemi. Plusieurs autres détachements, dans le but de favoriser cette entreprise par une diversion, devaient en outre marcher sur les cantonnements de l’ennemi, sous les murailles de Maloun. Le premier de ces détachements se mettait en route de Pulta, un des postes opposés au Soorjgurh, sur la droite de l’ennemi ; il était composé de deux compagnies et d’un certain nombre de troupes irrégulières ; il était chargé d’une démonstration sur Ryla, et, parvenu dans le voisinage, avait ordre de lancer une fusée pour donner le signal aux autres colonnes ; il était commandé par le lieutenant Flemming. À la vue de ce signal, le capitaine Hamilton devait marcher sur le même point avec son détachement et celui d’un lieutenant sous ses ordres. Pendant que ces deux détachements opéraient leur jonction à Jynigur, un bataillon de grenadiers sous le major Junes se mettait simultanément en mouvement dans la même direction, dans le but de soutenir le lieutenant Flemming et d’occuper Ryla. Deux autres colonnes parties pendant ce temps, l’une de la droite, l’autre de la gauche du quartier-général Ochterlony, celle de droite, commandée par le major Lawrie, celle de gauche par le colonel Thompson, avaient pour instruction de se porter sur Deothul. Deux autres petits détachements conduits, l’un par le capitaine Bowyer, l’autre par le capitaine Showers, consistant chacun en trois compagnies régulières, plus un certain nombre de soldats irréguliers, se mettaient encore en mouvement, dans des directions opposées, sur les cantonnements des Goorkhas ; leur tâche était de créer une diversion et d’aider à l’occupation de Deothul.

Le lieutenant Fleming occupa Ryla dans la nuit du 14. Le major Junes et le capitaine Hamilton marchèrent immédiatement sur le même point, et dans la matinée s’y établirent sans rencontrer d’opposition. À un autre signal, les deux colonnes du colonel Thompson et du major Lawrie se mirent immédiatement en mouvement, et par des côtés différents se portèrent sur Déothul ; arrivées en même temps, elles attaquèrent ce point simultanément. Alors commença un engagement aussi sérieux qu’aucun de ceux qui avaient encore eu lieu. Au moment où la tête de la première colonne approchait du sommet de Déothul, un détachement de 25 à 30 Goorkhas la chargea hardiment. Le major Lawrie ne parvint pas sans peine à rallier ses hommes, à gagner le sommet et à les en déloger, aussi bien que des autres sommets les plus voisins ; le reste de la journée, l’ennemi se contenta de tirailler aux environs. Le major Lawrie s’empressa de remettre en bon état les défenses de Déothul. Pendant ce temps, la diversion faite par les capitaines Showers et Bowyer avait réussi à attirer de ce côté l’attention des Goorkhas. Partis de Rutnugurh, Showers, se trouva dès le commencement du jour dans le voisinage d’une des palissades ennemies. Homme d’un caractère entreprenant, hardi, chevaleresque, il ne fait pas charger les armes et ordonne à ses soldats de ne se servir que de la baïonnette. Un corps de Goorkhas vient bravement au devant de la colonne quand elle approche de la palissade ; le désordre s’y met, elle se disperse, et le capitaine reste seul pour soutenir le choc ; un combat personnel s’engage alors entre lui et le chef goorkha ; le goorkha fut tué, mais le capitaine Showers le fut lui-même un moment après. Cet incident acheva de rendre la confusion complète parmi les soldats qui ne songèrent qu’à la fuite. Ralliés toutefois par quelques uns de leurs officiers, ils chargèrent leurs armes et reprirent bravement l’offensive. Le capitaine Bowyer, après s’être mis en marche de son côté au point du jour ; atteignit à sept heures du matin le point qui lui avait été assigné comme poste d’observation. Apprenant l’échec éprouvé par le détachement du capitaine Showers, il commença lui-même sa retraite, d’ailleurs dans le meilleur ordre. Les Goorkhas enhardis par ce mouvement rétrograde, suivirent la colonne une partie de la journée sans parvenir à l’entamer. Mais cette manœuvre leur devint fatale en les attirant hors du poste de Déothul, dont les Anglais s’emparèrent comme il a été raconté.

La nuit s’écoula pleine d’anxiété pour les deux armées. Buckthyar-Thapa, un des meilleurs officiers de Umur-Singh, vit de Looraghur l’importance de l’opération commencée ; il quitte aussitôt ce poste à la tête d’une troupe d’élite et accourt prendre part au combat qui allait s’engager. Les Anglais avaient en ce moment deux bataillons réguliers au sommet de la montagne, deux pièces de canon, et des troupes irrégulières en assez grand nombre. Umur-Singh résolu aux plus grands efforts pour rentrër en possession de Déothul, rassembla l’élite de son armée. Au point du jour, 2,000 hommes marchent contre ce poste auquel l’escalade est donnée de tous les côtés à la fois. Commandés par Bukhtyar-Thapa, ils se précipitent à cette attaque avec une audace intrépide ; quelques uns se font sabrer dans l’intérieur même des ouvrages anglais. À demi-portée de fusil, un grand drapeau à la main ; ayant à ses côtés le plus jeune de ses fils, encore enfant, Umur-Singh se montrait général habile et soldat intrépide. Par ses ordres les Goorkhas visaient particulièrement à démonter l’artillerie ; ce fut d’abord avec tant de succès qu’en peu d’instants ils jettent sur le carreau la plupart des artilleurs, deux pièces se trouvèrent entièrement démontées ; un renfort d’artilleurs et de munitions arriva fort heureusement de Ryla. Au bout de deux heures, l’ardeur de Goorkhas paraissant enfin se ralentir, les Anglais, sous les ordres de Lawrie se hasardèrent à reprendre l’offensive ; et les Goorkhas, privés de leurs principaux chefs, se débandèrent aussitôt. Les Anglais eurent 213 hommes tués ou blessés ; les Goorkhas laissèrent 500 des leurs seulement dans les environs de Déothul. Ils demandèrent la permission de chercher le corps de Bukhtyar-Thapa ; on le trouva sur le champ de bataille, couvert de blessures, entouré de morts et de mourants. Au moment d’engager le combat, il dit : « Si je reviens, ce sera victorieux. » Mot vraiment héroïque, car il en avait si peu l’espoir qu’il écrivit le même jour à ses femmes de préparer leurs sutties. Le général Ochterlony s’empressa de le faire relever, on l’entoura soigneusement des plus beaux châles, puis un détachement anglais le rapporta à Umur-Singh avec toutes sortes de paroles d’admiration et de compliments sur sa bravoure.

Cette série d’actions séparées se combinèrent de manière à former une action générale la plus considérable de cette campagne. Les Anglais eurent contre eux dans cette journée l’infériorité du nombre et le désavantage du terrain ; mais leurs dispositions furent si bien prises, exécutées avec tant de résolution, que le succès les couronna complétement. D’ailleurs Ochterlony, remarquable surtout par une infatigable activité, n’était pas homme à s’endormir sur ces avantages. Il ouvrit de Déothul à son ancienne position une route praticable à l’artillerie ; il bloqua de près Maloun. De leur côté, les Goorkhas faisant rétrograder toutes leurs garnisons qui se trouvaient au-delà de Déothul, les concentrèrent au pied de cette forteresse. Dès la première semaine de mai, une batterie considérable avait ouvert son feu contre Maloun. La nouvelle de la chute d’Almora était arrivée à cette époque. Les chefs goorkhas pressèrent Umur-Sing d’accepter une capitulation pour lui et pour son fils Runjoor, qui commandait Jythuck. Il répondit par des refus obstinés. Il s’efforçait de persuader à ses soldats qu’en ayant la constance de résister jusqu’à la saison des pluies, ils forceraient les Anglais à se retirer. Mais la désertion se mit parmi ses troupes. Bientôt 200 guerriers fidèles demeurèrent seuls à ses côtés. Il se retira avec eux dans la forteresse de Maloun. Mais le moment vint où le brave chef dut céder à la destinée. Il signa le 15 mai une capitulation par laquelle il consentit à se retirer à l’est de la Kalee ou Gogra, à laisser les Anglais maîtres de tout le territoire à l’ouest de Kumaoun. Runjoor-Sing se trouvait compris dans cette capitulation. Le père et le fils, tous deux hardis guerriers, frémirent, dit-on, plus d’une fois en jetant les yeux sur l’immense étendue de terrain qu’ils abandonnaient à l’ennemi. Beaucoup de soldats goorkhas prirent du service parmi les Anglais. Cette campagne, qui au mois de janvier ne promettait que désastres ; et après avoir tout-à-coup changé de face, se termina ainsi par l’acquisition, au profit de la Compagnie ; de tout le pays montagneux compris entre la Gogra et la Suttlège. Kamaoun devint une province de l’empire britannique. L’honorable sir Edward Gardner reçut mission de l’organiser, avec plein pouvoir pour l’administration des affaires.

À l’époque de leur rupture avec le gouvernement britannique, ils n’avaient nullement prévu les événements importants que nous venons de raconter. Au milieu de leurs premiers succès au début de la guerre, ils éprouvaient déjà de cuisants regrets de se voir engagés dans cette rude entreprise. Voyant les grands préparatifs des Anglais, connaissant leur persévérance, ils auraient dès lors abandonné les territoires contestés en échange d’une prompte paix ; peut-être se seraient-ils même résignés à quelques sacrifices plus considérables. Après la campagne, ces dispositions devinrent plus marquées encore à la cour de Katmandoo. Les chefs voyaient depuis long-temps qu’ils avaient mis trop de confiance dans leurs montagnes ; déjà tous voulaient la paix, ne différant plus entre eux que sur les moyens de l’obtenir, c’est-à-dire sur les concessions à faire. La nouvelle des désastres d’Umur-Singh trouva les esprits dans cette disposition ; aussi la résolution de traiter fut-elle prise immédiatement. Gooroo-Guirai-Misur, gourou de la famille du rajah, reçut des pouvoirs pour conclure un arrangement : des négociations ne tardèrent pas à s’ouvrir effectivement entre lui et le major Bradshow, agent politique et intermédiaire du gouverneur-général. — Lord Hasting demandait, 1° la cession de toute la contrée montagneuse prise pendant la campagne, c’est-à-dire se trouvant à l’ouest de la Kalee ; 2° la cession entière de la plaine Turace, depuis le pied des montagnes, sur toute la longueur du reste du territoire des Goorkhas ; 3° l’abandon par les Goorkhas de ce qu’ils avaient conquis sur le territoire de Sikhim-Rajah, et la restitution à ce chef des postes fortifiés de Nagree et de Nagurket ; 4° la réception à Katmandoo d’un résident anglais avec l’escorte et le genre d’établissement d’usage ordinaire pour ce fonctionnaire ; 5° enfin la stipulation ordinaire de ne recevoir aucun Européen au service du rajah sans l’autorisation spéciale du gouvernement anglais. C’était, en un mot, une renonciation complète à toute espèce d’indépendance nationale.

Le major Bradshaw fit immédiatement savoir au négociateur goorkha sa résolution de ne négocier sur aucune autre base. Le goorkha déclara que ses pouvoirs n’allaient pas jusque là. Les conférences furent rompues. Un autre négociateur adressé par la cour de Katmandoo au commissaire chargé de l’organisation de la province de Kumaoun reçut la même réponse. Pendant ce temps, l’armée rassemblée sur la frontière de Sarum, au nord du Gange, se trouvait prête à entrer en campagne. Une seconde campagne paraissait inévitable à lord Hastings ; mais il voulait la conduire de manière à ce qu’une troisième ne le fût pas. Le lieutenant-colonel Adams se trouvait en mesure de se mettre en mouvement en partant de Kumaoun, comme base de ses opérations ; le colonel Nicolls à opérer contre Bootwall et Palpa ; enfin le général Ochterlony, à la tête des troupes de Sarum, à pénétrer dans la vallée de Népaul. On en était là, lorsque, dans le mois d’août, le négociateur goorkha se présenta de nouveau dans le Turaee. Une des grandes objections des Goorkhas à la cession de la plaine de Turaee venait de ce que beaucoup de chefs y possédaient des jaghires. Lord Hastings l’ayant appris autorisa le négociateur à offrir à la cour de Katmandoo, comme compensation de la perte de ces jaghires, le paiement annuel d’une somme égale à leurs revenus, c’est-à-dire de 2 ou 3 lacs de roupies. En dépit de ces intentions libérales du gouverneur-général, la négociation fut rompue. Les chefs goorkhas ne renonceraient jamais, à ce qu’assura le gourou, à leurs possessions dans la plaine de Turaee ; c’est de là qu’ils tiraient leurs subsistances, les montagnes ne leur rapportant rien. Lord Hastings fit alors un pas de plus dans les voies de la conciliation. Aucune compensation ne pouvait exister pour le gouvernement goorkha à l’abandon par lui de la plaine de Turaee et des forêts au pied des montagnes. La valeur réelle de la plaine était d’ailleurs ce qui faisait la difficulté, non le désagrément d’amour-propre de l’abandonner. D’un autre côté, le mauvais climat de cette plaine, la difficulté de l’administrer, en faisait une sorte d’embarras pour le gouvernement britannique. S’il en demandait la cession, c’était dans l’intention d’éloigner de lui les Goorkhas autant que possible ; de leur enlever tout intérêt dans la plaine, mais non l’espoir d’en tirer quelque profit. Lord Hastings se relâcha donc sur ce point ; il restreignit ses demandes à la portion comprise entre la Kalee et Gunduck, qui de fait se trouvait déjà en la possession des Anglais. Il offrait encore à la cour de Katmandoo un subside annuel de 2 lacs de roupies pour en disposer comme elle-même l’entendrait.

La minute d’un traité établi sur ces conditions fut montrée au négociateur goorkha ; il lui déclara ne pouvoir l’accepter, même ainsi modifié, avant d’en avoir référé à sa cour. D’ailleurs la réponse définitive ne pouvait pas, selon lui, se faire attendre plus de quinze jours. Ce terme expiré sans qu’elle arrivât, il sollicita la permission de se rendre lui-même à Katmandoo ; il voulait s’enquérir des causes de ce retard, promettant d’être de retour dans un délai de douze jours. Revenu au bout de ce temps, avec des pouvoirs plus étendus, il signa effectivement le traité le 28 novembre 1815. Ratifié peu après par le gouverneur-général, ce traité fut immédiatement rendu public à Calcutta. Les préparatifs pour une seconde campagne, jusqu’à ce moment poussés avec activité, furent aussitôt suspendus. On eut bientôt lieu de se repentir de cette précipitation. Une des conditions du traité était que sa ratification sous le sceau rouge (c’est-à-dire dans la forme qui en consacrait la validité) serait délivrée au major Bradshaw dans l’espace d’une quinzaine de jours. Or, non seulement ce délai se passa sans l’arrivée de cette ratification, mais on reçut en outre des nouvelles fort alarmantes de Katmandoo. La faction de la guerre l’avait emporté encore une fois sur celle de la paix, à laquelle appartenait le gourou, signataire du traité. Dès ce moment force fut de se préparer à un renouvellement d’hostilités. Sir David Ochterlony reçut l’ordre de se préparer à entrer en campagne le plus tôt possible. On fit mille efforts pour réformer les magasins, reconstituer les dépôts, en un mot, pour donner à l’armée les moyens d’agir.

La non-ratification du traité par les Goorkhas ne saurait être attribuée, en dépit des apparences, à un plan combiné d’avance pour tromper le gouvernement britannique. Le rajah-goorou, c’est-à-dire le négociateur, était lui-même sincère dans ses démarches et ses discours. Le désaveu qu’il reçut de son gouvernement provenait d’un changement survenu dans l’opinion des chefs du conseil. Parmi eux, une partie était d’avis d’accepter les termes proposés ; les autres les rejetaient énergiquement. Les plus ardents parmi ces derniers étaient Umur-Singh et ses fils ; récemment arrivés dans la capitale ils se montraient encore tout animés de l’ardeur du champ de bataille. Umur-Singh poussait le rajah à la guerre par tous les arguments possibles : « C’était folie, disait-il, de se fier à un traité conclu après une défaite ; les Anglais verraient dans un traité semblable, le résultat de la peur ; ils ne pouvaient manquer dès lors de tenter de profiter de la faiblesse présumée de ceux qui l’avaient signé ; ils ne cesseraient d’en exiger de nouvelles concessions, de chercher des motifs, des prétextes, pour mieux dire, de nouvelles guerres. La condition politique des Goorkhas, qui tenaient dans une sujétion involontaire plusieurs rajahs et plusieurs nations, leur fournirait en grand nombre ces motifs et ces prétextes. Rien ne leur serait plus facile que d’intervenir sans cesse dans les affaires du pays, d’y exciter constamment de nouveaux troubles. D’un autre côté, la présence d’un résident anglais à Katmandoo ne devait-elle pas entraîner celle d’un corps de troupes auxiliaires, formé de quelques compagnies d’abord, bientôt de bataillons, qui ne manquerait pas de grossir incessamment ? et le moment ne viendrait-il pas enfin où le Népaul tout entier ne serait pour eux qu’une proie assurée, une facile conquête ? Le double exemple du rajah de Burthpoor et de Tippoo manifestait suffisamment, au dire de Umur-Singh, ce que pouvait promettre d’un côté une mâle défense, de l’autre d’une paix faite ou plutôt achetée au moyen de concessions semblables. Le rajah avait vigoureusement défendu sa forteresse ; depuis lors, il jouissait d’une paix non interrompue. Après de nombreuses concessions pour acheter la paix de Cornwallis, Tippoo-Sultan, quelques années plus tard, n’en avait pas moins été renversé du trône. Umur-Singh parlait encore des ressources innombrables du Népaul, du courage de ses habitants, du secours à espérer des ennemis des Anglais, ou déjà déclarés ou n’attendant qu’une occasion de se déclarer ; il se flattait aussi d’un secours de l’empereur de la Chine, etc., etc. Les succès des Goorkhas pendant une partie de la campagne inspiraient à leurs chefs une confiance présomptueuse qui leur fit goûter les arguments de Umur-Singh et de ses fils. Le traité d’abord approuvé fut donc en définitive rejeté ; Umur-Sing, ses fils, et leurs adhérents, firent de nouveau triompher dans l’assemblée la résolution de la guerre. Ils ne perdirent pas de temps pour s’occuper de leurs mesures défensives. La principale route conduisant dans la vallée du Népaul est celle qui aboutit à la passe de Bicheea-Koh, qu’on appelle aussi Chooreea-Ghatee. Les Goorkhas défendirent cette passe par trois fortifications successives, dont la dernière était absolument imprenable ; ils fortifièrent de même les autres routes. Ces dispositions faites, ils attendirent l’arrivée du général Ochterlony, à qui ils laissèrent l’entrée de la forêt absolument libre.

L’armée britannique sous les ordres d’Ochterlony se composait de 20,000 hommes effectifs. Il divisa ses forces en quatre brigades qui furent commandées par le colonel Kelly, le lieutenant-colonel Nicol, le lieutenant-colonel Miller et le colonel Dick. Le colonel Kelly fut détaché sur la droite, par Bhugwanpoor ; le lieutenant-colonel Nicol prit position à Bhamnugur, à la gauche ; lui-même, à la tête de deux brigades, dut prendre l’offensive à travers la forêt par Simlabassa, jusqu’au pied de la passe de Bichea-Koh. Le 10 février 1816, Ochterlony se porta de sa personne à une sorte de caravansérail au pied de la passe, et à peu de distance de la première palissade ennemie ; il en fit aussitôt une reconnaissance, mais la jugea imprenable ; il s’occupa dès lors de tourner la passe par quelque sentier inconnu de l’ennemi, ou qu’il aurait négligé de garder. Il employa quatre jours entiers à ces recherches, auxquelles l’ennemi ne fit seulement pas mine de s’opposer ; le soir du quatrième, une route fut enfin découverte par le capitaine Pickergill. À la tête de la brigade du colonel Miller, Ochterlony marcha à travers un ravin étroit et profond appelé Baleekola ; il franchit par une pente escarpée la première barrière des montagnes, continua sa marche pendant toute la nuit, et, au point du jour ; occupa les monts Chooree, à l’ouest des positions de l’ennemi. Après avoir fait cinq milles encore le lendemain, il prit position pour attendre des renforts. Aucune bête de somme n’ayant pu accompagner les troupes, elles souffrirent les plus grandes privations ; les soldats demeurèrent environ deux jours entiers sans nourriture. La joie du succès, l’exemple du général cheminant à pied en tête des troupes, faisaient d’ailleurs supporter tout cela gaiement aux officiers et aux soldats. Les palissades ennemies se trouvèrent évacuées sans qu’on eût tenté de les défendre. Le 20 février, le corps d’armée s’occupa de perfectionner la route et de la pousser plus avant, tandis que les deux brigades firent une halte à Etounda, sur les bancs de la Raptee, au milieu d’une vallée magnifique.

Le général y fit établir un second dépôt ; il se dirigea ensuite sur Muckwanpoor, et prit position sous les murs de cette place, à un village appelé Chougurha-Mundée. Muckwanpoor était située au nord de la position des Anglais ; en face et à gauche, on apercevait un village nommé Seekhur-Kutrie, c’est là que les Goorkhas avaient pris position à la première apparition des Anglais ; mais dès le lendemain ils abandonnèrent ce point. Par les ordres d’Ochterlony, quatre compagnies observèrent leurs mouvements et se saisirent du point qu’ils quittaient. Au point du jour, revenant sur leurs pas, ils en prirent de nouveau possession, et en furent chassés peu après. Se montrant alors au nombre de 2,000 hommes, ils parurent disposés à reprendre ce village à tout prix. Le combat devenant sérieux, Ochterlony fit soutenir ses troupes déjà engagées par de nouvelles troupes et de l’artillerie. Les Goorkhas, de leur côté, entamèrent un feu très vif, non seulement sur le village, mais sur le reste du corps d’armée ; ils n’en furent pas moins repoussés ; obligés de se retirer au-delà d’un ravin qui séparait ce lieu de l’éminence où se trouvait Muckwanpoor. Leurs détachements, pendant ce temps, de différents points qui dominaient le village, continuèrent un feu très animé ; ils amenèrent en outre quelques canons sur le côté opposé du ravin. Bientôt le feu devint meurtrier, Ochterlony se décida à le faire cesser par une attaque hardie : deux bataillons franchirent le ravin, et, parvenus du côté opposé, chargèrent délibérément à la baïonnette ; la plus grande partie de l’artillerie ennemie demeura entre leurs mains. Surpris, étonnés, les Goorkhas abandonnent dès lors le champ de bataille, et, ce qui était encore plus pour eux, leurs morts et leurs blessés. La totalité de leurs forces se trouva engagée dans cette affaire, aussi leur perte fut de 800 hommes ; celle des Anglais seulement de 45 hommes tués et 170 blessés.

Le colonel Nicolls et sa brigade rejoignirent Ochterlony le lendemain de ce combat. Après avoir pénétré heureusement dans la vallée de Raptee par une passe au nord de Bamnugur ; il avait cheminé à travers la vallée sans rencontrer la moindre opposition. Il laissa un détachement de deux bataillons en position à Ekoor, avec ordre de maintenir les communications par cette route. Le colonel Kelly se dirigeait vers le même lieu, mais par Hureepoor ; à l’ouest de ce poste, la principale palissade de l’ennemi, couronnant une hauteur en forme circulaire, commandait une vallée que les Anglais devaient absolument traverser. À son arrivée en face de cette palissade, il aperçut qu’une hauteur qui s’en trouvait éloignée de 800 verges n’était pas occupée par l’ennemi. Mettant à profit cette négligence, il envoya dès le lendemain un fort détachement pour se saisir de ce point. Celui-ci franchit facilement l’éminence, et gagna le sommet, où il s’établit sans difficulté. Les Goorkhas marchèrent aussitôt contre les troupes qui eurent à soutenir un combat obstiné, depuis six heures du matin jusqu’à près de midi. Inférieures en nombre, elles eussent probablement succombé s’il ne leur était arrivé un renfort, avec deux canons de 6 et deux obusiers portés par des éléphants. Obligés dès lors de se retirer avec une perte considérable, les Goorkhas renoncèrent à tout espoir de reprendre cette position. Leur attaque vigoureuse avait été dirigée par le fameux Runjoor-Singh, l’intrépide défenseur de Jythuck, accompagné de ceux qui combattirent sous ses ordres. Ils portaient un turban d’une forme particulière et s’appelaient pompeusement les fils de la Lune. Le fort de Hureepoor fut évacué dans la nuit qui suivit cette affaire. Kelly, après s’en être emparé, se préparait à se porter au-delà ; il reçut au contraire du général l’ordre de rétrograder.

La nouvelle de la perte de la bataille de Seekhur-Kutree jeta la consternation dans Katmandoo. Bien qu’elle ignorât encore la perte de Hurehurpoor, la cour du rajah n’en prit pas moins le parti de la soumission. Un négociateur arriva en toute hâte annoncer à Ochterlony la prochaine réception du traité dont nous avons déjà parlé, et qu’on s’était empressé de sceller du grand sceau rouge. Mais les Goorkhas, répondit le général anglais, ne devaient pas s’attendre à obtenir les mêmes conditions qu’avant le renouvellement des hostilités ; il ajouta qu’il recevrait volontiers l’envoyé dans son camp, dans le cas où il serait muni de pleins-pouvoirs. Ochterlony continuait en même temps ses approches de Muckwanpoor, qu’il poussa jusqu’à 500 verges de la place ; bientôt une batterie considérable se trouva prête à commencer son feu. L’envoyé goorkha ne l’en pressait pas moins d’accepter le traité. Muni de pleins-pouvoirs, Ochterlony pouvait à son gré se contenter des anciennes conditions, ou en imposer de nouvelles ; il usa de cette dernière faculté, mais avec modération. Le principe fondamental de l’ancien traité avait été de maintenir les Anglais en possession des territoires occupés par eux à l’époque où il fut conclu ; appliquant ce principe au nouveau traité, Ochterlony demanda en outre la vallée de Raptee et les territoires d’Hetounda et de Hurehurpoor. Le Goorkha consentit à cette condition, qui fut approuvée par la cour de Katmandoo. Il présenta alors à genoux, en plein durbar, en présence de tous les wackels, un exemplaire du traité au général Ochterlony. Cette solennité accomplie, le général envoya un officier de son état-major comme résident à Katmandoo. Lord Hastings reçut avec grande satisfaction la nouvelle de la conclusion de ce traité. Déjà la saison était avancée ; d’un autre côté, le manque d’approvisionnements ou la mauvaise qualité de ceux faits à la hâte n’aurait pas permis de continuer la campagne, et, en tout cas, on n’aurait pas été au-delà du point où l’on se trouvait. Ochterlony comptait clore ses opérations par la prise de Muckwanpoor. Les limites des possessions anglaises et de celles des Goorkhas furent aussitôt soigneusement déterminées par des piliers de maçonnerie, élevés de distance en distance ; il s’agissait de prévenir, dans l’avenir, du moins autant que possible, toute discussion entre les fonctionnaires du Népaul et les zemindars des Anglais. La partie de la plaine de Turae, à l’entour du territoire de Oude, fut pourtant abandonnée au nabob-visir en paiement d’un prêt d’argent considérable fait par lui pendant la guerre. Une autre petite partie de la Turae fut aussi cédée au rajah de Sickun pour assurer une ligne de communications. Un traité conclu avec ce rajah pendant la guerre, par le major Latter, lui garantissait ses États à lui et à sa famille ; mesure habile et prudente ayant pour but d’ôter aux Gorkhas toute vue, tout espoir d’agrandissement à l’est. Leur territoire se trouvait donc circonscrit de trois côtés par les possessions britanniques ; de l’autre, les montagnes inaccessibles de l’Hymalaya et l’empire chinois leur présentaient une barrière infranchissable. Entre ces deux empires puissants, qu’ils ne pouvaient être en mesure d’attaquer, les Goorkhas se trouvaient dans la nécessite de renoncer à l’esprit de conquête qui avait fait la gloire de leurs aïeux et long-temps leur prospérité ; il est vrai qu’ils n’avaient eu alors pour adversaires que les petits rajahs du voisinage

Pendant la durée de la campagne, les Goorkhas adressèrent une demande de secours à Pékin. Ce n’étaient pas leurs premières relations avec le céleste empire. Dans le premier gouvernement de lord Cornwallis, les Goorkhas avaient envahi le Thibet et pillé le palais du Thesoo-Lama. Une armée chinoise fut envoyée pour châtier ces agresseurs ; les Gorkhas se retirèrent, mais se maintinrent assez long-temps dans les montagnes. Le général chinois commandant cette armée fit alors des ouvertures au gouvernement anglais. Il demandait que les Anglais l’aidassent dans son entreprise en attaquant les Goorkhas d’un autre côté ; la proposition ne fut point acceptée. Un peu plus tard, les Chinois remportèrent un avantage important dans le désert de Tingré ; les Goorkhas se virent forcés de se retirer. De ce moment, à la cour de Pékin on considéra le Népaul comme une contrée tributaire ; d’ailleurs, fidèle à sa politique ordinaire, elle sut se contenter de quelques marques de soumission purement nominales. Cependant une ambassade partait tous les trois ans solennellement de Katmandoo, allait renouveler l’assurance de foi et hommage. Quand la guerre éclata entre le Népaul et les Anglais, les Goorkhas la représentèrent à la cour de Pékin comme une conséquence de leur refus de livrer les passes de Heemachul qu’ils avaient voulu les garder en fidèles alliés du céleste empire. La cour de Pékin n’attacha d’abord aucune importance à ces représentations. Mais le gouvernement britannique, sachant les relations existantes entre le Népaul et la Chine, s’empressa d’envoyer à Pékin un manifeste qui expliquait à son point de vue les causes de la guerre. Cette démarche alla contre son but ; en voyant les Anglais les démentir, la cour de Pékin pensa qu’il y avait quelque vérité dans les allégations des Goorkhas. Elle résolut en conséquence d’envoyer une armée du côté menacé ; un général chinois partit en même temps pour le Népaul avec mission de reconnaître par lui-même l’état des choses et d’en faire un rapport circonstancié. Les Chinois ne sont point prompts à l’exécution ; tout était déjà fini avec le gouvernement anglais, lorsqu’on entendit parler à Katmandoo de l’arrivée du général chinois. Le gouverneur-général reçut alors, en septembre 1816, une lettre en persan à peine intelligible. Cette lettre signée d’un homme s’intitulant visir ou premier ministre du céleste empire et des principaux officiers de la frontière, avait pour objet de demander promptement au gouvernement britannique compte de ses projets à l’égard du Népaul. On apprit en même temps la marche d’une armée chinoise sur Jigurchee. Or la paix était faite alors ; en sorte que les Goorkhas s’adressant au résident anglais lui demandèrent la conduite à tenir à l’égard de cette armée. Dans le cas où elle voudrait exiger d’eux une soumission plus complète, que devraient-ils faire ? Dans le cas ou la Chine voudrait tenter la conquête du Népaul, la cour de Katmandoo pouvait-elle compter dans sa résistance sur la coopération des Anglais ? Le gouvernement britannique éluda toute promesse de secours ; il craignit, qu’en raison de leur humeur belliqueuse, les Goorkhas ne les compromissent immédiatement vis-à-vis le céleste empire. Il se hâta, d’un autre côté, d’envoyer au général chinois une relation exacte de tout ce qui s’était passé entre les Anglais et le Népaul. Ce dernier se montra satisfait de cette réponse en tout ce qui regardait les Anglais ; il demanda pourtant à la cour de Katmandoo que quelque agent confidentiel lui fût envoyé, afin de s’éclairer encore mieux sur tout cela.

La première visite fut de pure cérémonie. Les wackels goorkhas étaient Dilbunjun Paude et Rhumbeer-Singh-Thapa. Après cette première visite, ils se rendirent de nouveau chez le ministre chinois, nomme Cheeoon-Chang. Celui-ci leur demanda : « Que sont devenus les Pandes et les Bishnawuth (les généraux qui avaient conduit la première expédition du Thibet) ? » — Il ajouta : « Qu’est-ce que c’est que ces Umur, ces Thapa dont on n’a jamais entendu parler auparavant ?… Vous autres Goorkhas, vous êtes une méchante race, et vous avez pausé la ruine de plus d’un rajah. Digurchee, vous l’avez pillé sans aucune provocation ; et maintenant vous avez voulu renouveler avec les Anglais la scène de Digurchee en tuant leurs officiers de police après que la question avait été arrangée à l’amiable. Vous avez été punis justement. Vous nous avez écrit de guerre, puis de paix, et maintenant voilà que vous nous demandez encore notre secours. Quel genre de paix est-ce donc que cela ? » La réponse des Goorkhas fut humble ; ils n’osaient se flatter du secours des autorités chinoises pour reconquérir ce que les Anglais venaient de leur enlever ; peut-être daigneraient-elles, toutefois consentir à se joindre à eux pour obtenir l’éloignement du résident anglais à Katmandoo. Cheeoon-Chang répondit : « Vous nous avez écrit que c’était pour établir une factorerie que les Anglais étaient venus. Pourquoi éloignerais-je des marchands ? — Ce ne sont pas les marchands, répliqua l’un des Goorkhas, mais les soldats et les officiers que nous voudrions éloigner » — Alors Cheeoon-Chang reprit : « Les Anglais nous ont écrit que leur objet était de cimenter la paix, et il paraît que vous-mêmes ayez consenti à recevoir un résident. Vous nous avez écrit que les Anglais voulaient vous contraindre à leur livrer la passe de Koten-China ; nous savons que cela est faux. S’ils avaient envie de venir en Chine, ce ne serait pas par cette route. » Se tournant vers Runber-Sing, l’autre wackel, et continuant sur un ton d’ironie : « Vous autres Goorkhas, vous pensez qu’il n’y a pas dans les montagnes d’autres soldats que vous-mêmes. Combien donc pouvez-vous être ? environ deux lacs, je suppose… Quel est votre revenu ? » — Le Goorkha répondit : « Vous dites bien pour le nombre des combattants ; mais le revenu des montagnes n’est pas considérable ; il ne va pas au-delà de 5 lacs de roupies. — Vraiment ! répondit Cheeoon-Chang, vraiment ! vous êtes une puissante nation… » Cela dit avec une ironie marquée, il congédia les envoyés goorkhas. On voit que l’impertinence du fort vis-à-vis du faible n’est pas chose absolument, uniquement européenne.

Les Chinois, satisfaits des informations qu’ils avaient reçues, retirèrent leurs troupes de Dugurehee et de Lassa. Ils montrèrent cependant quelque défiance à l’occasion de l’établissement d’un résident britannique à Katmandoo. Dans sa réponse au gouverneur-général, tout en se disant parfaitement satisfait des explications obtenues, Cheeoon-Chang disait : « Vous m’écrivez que vous avez établi un wackel dans le Népaul ; c’est là une chose de peu d’importance. Mais le rajah, en raison de sa jeunesse et de son inexpérience, et aussi de la nouveauté de la chose, nourrit quelques soupçons, à ce sujet. Par tendresse pour nous, et en considération des liens d’amitié qui nous unissent, si vous vouliez retirer votre wackel, cela serait mieux. Nous vous en serions fort obligés. »


  1. Un de ses fils.
  2. Commençant le 10 ou 12 avril.
  3. Un de ses fils