Histoire de la guerre entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Angleterre/Chapitre 09

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Traduction par A. De Dalmas.
Corbet (Volume Ip. 283-305).

CHAPITRE IX.

Opérations navales. — Le Peacock est pris par le Hornet. — Le Shanon s’empare de la frégate la Chesapeacke. — L’Entreprise capture le Boxeur. — Croisière du commodore Porter. — Croisière du commodore Rodgers. — Celle du capitaine Sterret. — Corsaires.



EN dépit des nombreuses escadres de l’ennemi qui parcouraient toutes les mers à la poursuite de la faible marine américaine, celle-ci continuait à avoir un avantage marqué ; et les Anglais en étaient venus au point de refuser tout engagement naval lorsqu’ils n’étaient pas en nombre supérieur. La Grande-Bretagne fit raser plusieurs vaisseaux de ligne pour lutter contre les frégates de sapin des États-Unis ; aveu tacite que désormais elle renonçait à l’espoir de vaincre à forces égales. Le congrès, voyant de quelle importance était notre marine, ordonna la construction de plusieurs navires, et décida qu’à l’avenir une certaine somme serait chaque année destinée À l’accroissement de nos forces navales. Ces mesures étaient dictées par une saine politique ; car quel que soit pour nous, comme peuple libre, le danger d’avoir une forte armée permanente, jamais nous n’aurons rien à craindre de la marine. D’ailleurs c’est sur l’océan seul que nous pouvons rencontrer des ennemis dignes de nous. Par une faveur spéciale de la providence, nous sommes sans rivaux redoutables sur le continent américain ; les colonies anglaises et espagnoles ne peuvent nous inquiéter, et elles auraient au contraire tout à craindre si le génie de notre gouvernement ne s’opposait pas à toute idée de conquête. Toutes nos vues doivent donc être constamment tournées vers l’océan ; c’est le théâtre de notre immense commerce, et pour le protéger, pour faire respecter notre pavillon, une marine nombreuse et aguerrie nous est indispensable.

Dans le cinquième chapitre de cet ouvrage, nous avons dit que le Hornet avait été laissé devant San-Salvador pour y bloquer la corvette anglaise la Bonne Citoyenne. Le Hornet envoya un défi formel à cette corvette ; mais celle-ci, bien que plus forte que son antagoniste, soit qu’elle ne voulût pas exposer une quantité d’espèces d’or et d’argent qu’elle avait à bord, soit qu’elle craignît de s’engager dans un combat dont le succès était douteux, ne fit aucune réponse au cartel. Le Homet continua le blocus jusqu’au 24 janvier 1815, jour où il vint mouiller sous les batteries portugaises, après avoir été chassé par le vaisseau de ligne le Montagu. Aussitôt qu’il fit nuit, le capitaine Lawrence, commandant le Hornet, remit sous voile et dirigea sa course vers Fernambuco ; devant ce port, il captura le brick anglais la Résolution de dix canons, ayant à bord vingt-trois mille dollars en espèces. Ensuite il croisa successivement devant la côte de Moranham, devant Surinam, et enfin devant Démérari. Le 25 février, il vit un bâtiment armé, mouillé en dehors de la barre de ce dernier port ; en manœuvrant pour s’en approcher, le capitaine Lawrence reconnut à trois heures et demie de l’après midi un autre navire au vent qui laissa arriver sur lui ; c’était le Peacock, grand brick plus fort que le Hornet. De suite le capitaine Lawrence serra le vent, déployant le pavillon américain, et bientôt les deux navires passant à contre bord s’envoyèrent réciproquement leurs volées à portée de fusil ; le Peacock ayant alors viré de bord, le Hornet s’en approcha de très-près, et fit un feu si violent qu’en moins de quinze minutes, non-seulement l’Anglais se rendit, mais donna le signal de détresse, attendu qu’il était littéralement percé à jour et avait déjà six pieds d’eau dans sa cale.

Le lieutenant Shubrick, dont la conduite dans cette affaire n’avait pas été moins courageuse que celle qu’il avait tenue lors de la capture de la Guerrière et de la Java, fut envoyé à bord du Peacock pour l’amariner. En arrivant il trouva que le capitaine avait été tué ; la plupart des matelots gisaient sur le pont morts ou mourants, et l’eau malgré le jeu des pompes faisait de si rapides progrès qu’il était aisé de voir que bientôt ce malheureux navire allait couler à fond. On prit immédiatement les mesures nécessaires pour sauver ceux qui vivaient encore ; les canons furent jetés à la mer, on chercha à boucher les trous des boulets ; enfin les matelots du Hornet, au risque de leur existence, firent tous les efforts imaginables pour sauver les vaincus : bientôt, malgré tous les soins de ces braves gens, le Peacock coula au milieu d’eux et entraîna sous les eaux neuf hommes de son propre équipage et trois Américains. C’est ainsi que nos intrépides concitoyens hasardèrent deux fois de suite leur vie pour la cause de la patrie et pour la cause de l’humanité ! D’abord pour vaincre leurs ennemis, ensuite pour les secourir ! Voilà de ces nobles actions que les annales de la guerre n’offrent que trop rarement : de toutes nos victoires navales, c’est celle-ci que les Américains se rappellent avec le plus vrai plaisir, et sans doute, on ne peut offrir une meilleure preuve des sentiments généreux qui dominent chez nous dans tous les cœurs.

Les marins du Hornett partagèrent leurs effets avec leurs prisonniers, et les officiers anglais, reconnaissants de la manière généreuse dont on avait agi à leur égard, adressèrent au capitaine Lawrence, quand ils furent arrivés à New-Yorck, une lettre de remercîment qui fut par eux publiée dans les journaux ! « On prit tant de soins, disaient-ils, pour adoucir notre triste position, quand nous arrivâmes destitués de tout à bord de votre navire, que, pour exprimer tout ce que nous sentîmes, nous devons déclarer qu’il nous fut impossible de nous croire prisonniers de guerre : votre générosité, vos attentions délicates, celles de vos officiers, nous ont épargné les cruelles privations auxquelles la perte de tout ce que nous possédions Le Peacock perdit au moins une cinquantaine d’hommes, sans que cependant le nombre pût en être déterminé d’une manière certaine. Le Homet n’éprouva aucune perte sérieuse ; mais tous ses matelots, tous ses officiers firent preuve de la plus grande intrépidité, et le capitaine leur donna dans son rapport, les éloges qu’ils méritaient si bien.

Le 10 avril, la frégate la Chesapeake rentra à Boston après une croisière de quatre mois ; son capitaine ayant été appelle à New-Yorck, le capitaine Lawrence quitta le Hornet et fut chargé du commandement de cette frégate.

Les Anglais regardant, avec raison, leur réputation navale comme le plus fort boulevard de leur puissance, commencèrent à être vivement alarmés des échecs nombreux qu’elle venait de recevoir. Si une fois le charme de leur supériorité supposée était détruit, les autres nations qui jusqu’alors leur avaient abandonné les palmes navales pourraient bien à leur tour leur disputer l’empire de la mer. L’Amérique avait donné un grand exemple aux puissances européennes ; et l’Angleterre sentait combien il lui importait de réparer promptement le tort que ses défaites lui avaient causé. À cet effet, le gouvernement britannique fit choix d’une excellente frégate, l’arma avec l’élite de sa marine, et ne dédaigna pas dans ses arrangements intérieurs de copier servilement tout ce qui se faisait abord des bâtiments américains. On avait faussement prétendu que dans les hunes de nos frégates nous placions des chasseurs habiles pour tirer sur les officiers ennemis, cette mesure ne fut pas négligée ; le Shanon, ainsi se nommait la frégate spécialement chargée de venger l’honneur britannique, fut pourvu des meilleurs tireurs qu’on put trouver : ainsi disposée de la manière la plus formidable, cette frégate commandée par le capitaine Brooke parut sur les côtes d’Amérique. Au mois d’avril elle envoya une sorte de défi au commodore Rodgers qui se trouvait à Boston avec les frégates le Président et le Congrès : ces deux frégates mirent peu après à la mer ; mais le Shanon, qui croisait encore dans ces parages avec le Ténédos ne put ou ne voulut pas les engager. Quelques jours ensuite, le Shanon envoya un défi formel à la frégate la Chesapeake dont le capitaine Lawrence venait d’être nommé commandant ; mais il n’était pas encore de sa personne à Boston, et malheureusement ne put accepter alors le défi du capitaine anglais.

Nous allons avoir à retracer un triste événement qui vint jeter une teinte sombre sur notre gloire navale jusqu’alors si éclatante ; événement auquel une fatalité irrésistible sembla présider. Le capitaine Lawrence, en arrivant pour prendre le commandement de la Chesapeake, apprit qu’une frégate anglaise croisait devant le port et l’avait invité au combat ; n’écoutant que son bouillant courage, il résolut d’accepter le défi sans calculer un seul moment si des deux côtés les choses étaient égales. La plupart des anciens matelots de la Chesapeake avaient obtenu des congés, et étaient remplacés par de nouveaux hommes : il ne pouvait exister entre eux et leurs officiers cette mutuelle confiance si nécessaire dans l’instant du danger et qui ne résulte que d’une longue habitude de vivre et de servir ensemble. Mais le brave Lawrence, ne pouvant supporter l’idée de ne point répondre à un défi et se fiant à sa fortune, mit à la voile le premier juin. Au moment où il vint en vue du Shanon, il adressa une courte harangue à ses matelots pour leur rappeler ce que la patrie attendait d’eux ; mais loin que ses paroles excitassent l’enthousiasme qu’il avait voulu produire, il n’entendit que des murmures, et plusieurs matelots se plaignirent hautement de ce que leurs parts de prise ne leur avaient pas été payées. De suite il leur donna des bons pour en recevoir le montant, et il crut avoir ranimé leur zèle ; mais malheureusement il n’en était rien, ils étaient presqu’en pleine mutinerie. Quelques étrangers qui se trouvaient parmi eux avaient par leurs pernicieux conseils produit ce fâcheux état de choses. Quoi qu’il en soit, le brave Lawrence, jugeant les autres d’après son propre cœur, ne voyait que l’ennemi du dehors et non celui de l’intérieur, et continua sa route vers la frégate anglaise.

À cinq heures et demie du soir, les deux frégates s’envoyèrent réciproquement leurs bordées ; dans ce premier feu, bien funeste pour la Chesapeake, le maître d’équipage fut tué ; le lieutenant Ballar, Brown, lieutenant des soldats de marine, et le capitaine Lawrence, furent blessés grièvement. Ce dernier, quoique souffrant beaucoup, ne quitta point son poste, et continua à commander. Peu après, Ludlow ; premier lieutenant de la Chesapeake, fut emporté dans la cale mortellement blessé ; trois hommes furent tués successivement à la roue du gouvernail ; enfin un boulet ayant totalement désemparé la voile de misaine, la Chesapeake, qui avait encore éprouvé d’autres avaries, ne pouvant plus gouverner, fut donner de sa poupe contre les ancres du Shanon, accident cruel auquel on peut attribuer la perte de notre frégate ; car il donna à l’ennemi la facilité de balayer d’abord ses ponts par un feu d’enfilade, et d’aborder vers la fin de l’action. Le capitaine Lawrence, se voyant ainsi compromis, voulut faire monter les hommes destinés à l’abordage ; mais à peine en eut-il donné l’ordre qu’il reçut une balle au travers du corps : au moment où on le transportait mourant au poste du chirurgien, il prononça ces paroles mémorables, qui sont devenues la devise de la marine américaine : Ne rendez pas le navire ![1]Presque tous les officiers de la Chesapeake étaient tués ou blessés, et le commandement fut dévolu au lieutenant Budd, qui voulut faire exécuter l’ordre d’abordage donné parle capitaine Lawrence. Dans le même temps le capitaine Brooke, dont la frégate avait reçu tant de boulets à fleur d’eau qu’elle menaçait de couler, voyant le désordre qui régnait à bord de la Chesapeake, se jeta avec une vingtaine d’hommes sur cette frégate, pour décider la victoire en sa faveur. Le lieutenant Budd essaya de dégager la Chesapeake, et de s’éloigner du Shanon ; mais cet officier ayant été blessé, et l’équipage américain étant presque en révolte ouverte, cette manœuvre ne put s’opérer. Cependant quelques hommes continuèrent encore à combattre avec une rare intrépidité ; M.  Livermore, aumônier de la frégate américaine, tira un coup de pistolet qui traversa la gorge du capitaine anglais, et fut lui-même peu après grièvement blessé ; le lieutenant Walt qui, après que le capitaine Brooke avait été reporté à son bord, commandait l’abordage, fut tué à la tête de ses gens. Cependant l’ennemi, recevant de nouveaux renforts, se rendit bientôt maître du pont de la Chesapeake, et de suite arbora le pavillon anglais à l’un de ses mâts.

Dans cette sanglante action, la frégate ennemie eut vingt-trois hommes tués et cinquante-six blessés ; parmi les tués se trouvaient le premier lieutenant, l’écrivain, l’agent comptable ; et parmi les blessés, le capitaine Brooke. À bord de la Chesapeake, le capitaine, le premier et le quatrième lieutenants, l’officier des soldats de marine, le maître d’équipage, trois midshipmen, et environ soixante-dix matelots périrent ; le second et le troisième lieutenants, l’aumônier, quatre midshipmen et environ quatre-vingts matelots furent blessés : cette perte énorme n’eut lieu, en grande partie, qu’après l’abordage. On accusa les Anglais d’avoir agi avec cruauté envers les vaincus ; on assura même qu’après que les Américains se furent rendus, ils continuèrent encore le massacre : si cette accusation était fausse, on aurait dû la démentir formellement. Quoi qu’il en fût, nous devons ajouter qu’à l’arrivée du Shanon et de sa prise à Halifax, le brave Lawrence et son premier lieutenant Ludlow furent enterrés avec tous les honneurs tant civils que militaires, mais ils ne restèrent pas long-temps où on les avait placés, M.  Crowninshield de Boston, muni d’un passe-port du commodore Hardy, se rendit à Halifax avec une barque dont douze patrons de navires formaient l’équipage ; et ils ramenèrent les restes précieux de ces deux infortunés sur le sol de la patrie.


La perle de la Chesapeake fut due à l’état de mutinerie de son équipage et au malheur qu’elle eut d’aborder la frégate ennemie. Cependant ce triomphe, bien léger sans doute en comparaison de ceux que nous avions eus depuis le commencement de la guerre, fut célébré en Angleterre avec un enthousiasme que ni les succès obtenus sur terre par Wellington, ni même les victoires de Nelson n’avaient jamais produit : preuve de la hauteur à laquelle notre réputation navale était parvenue. Dans les États-Unis, ce malheur fut apprécié à sa juste valeur ; on fut loin d’en conclure que les Anglais eussent aucune supériorité sur nous, et tous les regrets se portèrent sur les braves officiers enlevés au service de la patrie.

La fortune pendant un court période sembla vouloir favoriser la Grande-Bretagne. Le 14 août, l’Argus, l’un de nos navires de guerre fut aussi capturé. Ce navire, après avoir porté au printemps de 1813 M.  Crawford en France, remit à la voile au commencement de juin il croisa pendant deux mois dans la Manche, et fit tant de mal au commerce anglais, qu’on envoya à sa poursuite plusieurs bâtiments bous voiliers. Le 14 août, à quatre heures au matin, le Pélican, corvette à trois mâts beaucoup plus forte que l’Argus, le découvrit à la lueur d’un brick que ce dernier venait d’incendier. À cinq heures le combat commença à portée de fusil, le Pélican ayant l’avantage du vent. Dès la première volée, le capitaine Allen de l’Argus fut dangereusement blessé, mais resta néanmoins sur le pont jusqu’à ce que ses forces l’abandonnant tout-à-fait, il se vit forcé de remettre le commandement au lieutenant Watson. À six heures le grément de l’Argus se trouva tellement haché qu’il pouvait à peine manœuvrer, et le lieutenant Watson, ayant reçu une blessure grave à la tête, fut contraint de quitter le pont. Le jeune Williams Allen eut alors à remplir les fonctions de capitaine, et fit tous ses efforts pour défendre le navire, mais à six heures et demie, l’Argus ayant perdu son gouvernail, et ne pouvant plus bouger de place, le Pélican prit position en poupe de manière à ce qu’aucun des canons de son antagoniste ne pouvait tirer sur lui : dans cet état de choses, le navire américain ne pouvant plus riposter que par sa mousqueterie aux volées destructives de l’ennemi, amena ; après avoir eu six hommes tués et dix-sept blessés. Le capitaine Allen mourut peu après son arrivée en Angleterre, et fut sincèrement regretté : c’était un bon et brave officier. Nous pourrions ici, à l’exemple des Anglais, chercher à atténuer le mérite des vainqueurs en disant, ce qui est de toute vérité, que le Pélican portait vingt canons et que l’Argus n’en avait que dix-huit ; mais loin de nous une pareille mauvaise foi : et quand dans vingt occasions les Anglais ont baissé leur pavillon devant le nôtre, nous ne disconviendrons pas que deux ou trois fois ils eurent l’avantage sur nous.

Vers cette époque, des lettres du commodore Porter annoncèrent qu’il avait capturé plusieurs navires anglais dans la mer du sud ; il ajoutait qu’avec ses prises, parmi lesquelles se trouvaient huit lettres de marque, il avait créé une petite flotte qui le rendait maître de la navigation de l’océan pacifique. Si un amiral anglais en eût fait autant, il aurait été porté jusques aux nues ; mais de la part d’un Américain ce n’était, à entendre les Anglais, que le fait d’un flibustier. Aucun de nos marins ne causa autant de dommages aux Anglais que le commodore Porter ; aussi fut-ce contre lui qu’ils vomirent le plus d’injures. Dans le cours de cette croisière il captura deux grands navires armés de seize canons ; et d’une cinquantaine d’hommes d’équipage, et qui de plus portaient des sommes considérables en espèces. Le 26 mars, ayant rencontré un navire espagnol qui s’était permis d’amariner plusieurs bâtiments américains, il le désarma de ses canons qu’il jeta à la mer, et rendit la liberté à ses compatriotes. C’est sans doute le juste châtiment infligé à ce pirate espagnol qui a valu au commodore Porter d’être traité de forban et de flibustier.

Les Anglais n’eurent pas long-temps à se glorifier des avantages qu’ils avaient obtenus sur nous ; la victoire revint bientôt du côté de la bonne cause, celle de la liberté des mers. Le brick l’Entreprise, commandé par le lieutenant W. Burrows, sorti de Porstmouth le 1er septembre, aperçut le 5 un grand brick auquel il donna chasse. Ce navire, après avoir fait différentes manœuvres, avoir hissé différents pavillons, arbora enfin les couleurs anglaises, et on le reconnut pour être le Boxeur, corvette un peu plus forte que l’Entreprise et commandée par le capitaine Blythe. À trois heures vingt minutes de l’après-midi le combat commença à portée de pistolet ; peu à près l’Entreprise parvint à prendre position de manière à balayer le pont de l’ennemi dans toute sa longueur : le combat dura encore vingt minutes ; alors les Anglais cessèrent de tirer et crièrent qu’ils étaient rendus ; ils ne pouvaient amener leur pavillon, car il était cloué à l’un des mâts. L’Entreprise eut quatorze hommes blessés, dont un mortellement, et ce fut précisément son capitaine. Atteint d’une balle dès le commencement de l’action, il ne voulut jamais abandonner le pont pour se faire panser, et il continua à encourager ses gens de la voix et du geste. Quand l’épée du capitaine ennemi lui fut apportée, la pressant contre son sein il s’écria avec enthousiasme : « Je meurs content ! » Tant que nos braves marins auront une semblable ardeur, on pourra à juste titre les nommer invincibles ; et si quelquefois la fortune les trahit, jamais leurs nobles cœurs ne seront subjugués ! On ne put connaître d’une manière précise la perte des Anglais ; ils eurent au moins trente à quarante hommes mis hors de combat ; parmi ceux qui périrent se trouva le capitaine Blythe. Quant à la précaution, déclouer le pavillon, l’événement fit voir combien elle était inutile ; mais c’est une nouvelle preuve de la terreur inspirée aux Anglais par ces mêmes Américains pour lesquels ils affectaient tant de mépris. Les deux capitaines, jeunes gens de la plus grande espérance, furent enterrés à côté l’un de l’autre à Portland avec tous les honneurs militaires.

Le 26 septembre, la frégate le Président, montée par le commodore Rodgers, arriva à Newport, Rhode-Island, après une croisière très-longue. Cet officier avait mis en mer le 30 avril, avec la frégate le Congrès, capitaine Smith. Le 8 mai, les deux frégates ayant été séparées, le commodore se mit à croiser dans le passage des Antilles en Europe ; il alla ensuite devant les Açores, et ayant reçu avis que le convoi de la Jamaïque était en route pour l’Angleterre, il se mit à sa poursuite sans pouvoir le joindre ; il fit cependant quatre prises du 9 au 15 juin. Ensuite s’étant porté plus au nord, et les vivres commençant à lui manquer, il relâcha à Berghen en Norwège le 27 juin. De là, il fut croiser devant les Orcades pour tâcher de s’emparer d’un convoi qui venait d’Archangel ; mais au moment même où il allait joindre ce convoi, il fut chassé par un vaisseau de ligne et une frégate cette chasse dura plusieurs jours à cause des calmes ; ce ne fut qu’avec peine qu’il parvint à se tirer d’affaire. Après avoir échappé à ce danger, il resta encore quelque temps à croiser sur les côtes d’Irlande, puis il revint sur le banc de Terre-Neuve où il fit deux prises. Enfin, le 25 septembre, aux atterrages d’Amérique, il captura d’une manière assez singulière la goélette la High-Flyer, aviso de l’amiral Warren. Cette goélette en s’approchant du Président hissa un pavillon auquel la frégate américaine répondit par un autre qui, par hasard, se trouva précisément celui que les Anglais avaient ce jour là pour signal de reconnaissance. De suite la goélette, croyant avoir affaire à une frégate amie, s’approcha de très-près, et fut amarinée. Le commodore Rodgers trouva à bord de ce petit navire les instructions secrètes de l’amiral Warren ; ce qui le mit à même d’éviter les escadres anglaises qui croisaient sur nos côtes : aussi le lendemain entra-t-il sans coup férir à Newport.

La frégate le Congrès, après avoir été séparée du Président, continua sa croisière jusqu’au 12 décembre, époque à laquelle elle rentra heureusement à Porstmouth, New-Hampshire elle était restée tout ce temps principalement sur les côtes de l’Amérique du Sud, ou elle avait capturé un grand nombre de bâtiments ennemis et entre autres deux bricks armés de dix canons chacun.

Nous avons dit dans un chapitre précédent que l’honneur du pavillon américain lut dignement soutenu par nos corsaires ; ils eurent des combats bien propres à flatter l’orgueil national, mais auxquels on n’accorda pas toute l’attention qu’ils méritaient, parce que les brillantes victoires de notre marine militaire éclipsaient tout le reste ; cependant quelques exemples pris au hasard prouveront aisément qu’il est impossible de montrer plus de valeur et d’habileté que n’en déployèrent presque tous les marins qui montaient les navires armés en course.

Le capitaine Boyle, commandant le corsaire la Comète, fut attaqué par un grand brick de guerre portugais, et par trois navires armés en guerre et en marchandises : après plusieurs heures de combat bord à bord, il réduisit le brick à prendre la fuite, et s’empara d’un des trois autres navires. Un pareil fait paraîtrait incroyable, si on n’en avait pas tous les détails authentiques.

Le 11 mars, le corsaire Général Armstrong, croisant devant Surinam aperçut pendant la nuit un grand navire qu’il prit pour une lettre de marque ; en conséquence il laissa arriver et lui envoya sa volée ; mais au moment où il virait de bord pour en tirer une seconde, il découvrit que c’était à une grande frégate qu’il avait affaire : de suite, le capitaine du corsaire chercha à s’éloigner, et, par une manœuvre aussi habile qu’audacieuse, il parvint à sauver son navire.

Le 15 août, le corsaire le Decatur, découvrit le paquebot la Princesse Charlotte et la goélette de guerre la Dominique, qui marchaient de conserve, et de suite il fut les attaquer ; pendant deux ou trois heures il manœuvra pour aborder la goélette qui de son côté faisait tous ses efforts pour échapper. Le corsaire dans le même temps était exposé au feu du paquebot ; néanmoins il parvint à engager son beaupré dans la poupe de la Dominique, et fit passer plusieurs de ses hommes à bord de celle-ci ; un feu de mousqueterie très-vif commença de part et d’autre, jusqu’à ce que la goélette n’ayant pu se dégager tomba tout-à-fait sur le côté du corsaire dont alors tout l’équipage sauta à l’abordage. En ce moment on abandonna les armes à feu, les matelots ne se servirent plus que de leurs poignards et luttèrent corps à corps. Enfin tous les officiers de la Dominique ayant été tués ou blessés, elle se rendit. La Princesse Charlotte voyant le sort de sa compagne força de voile et bientôt disparut.

Le Decatur était armé de six caronnades de 12, et d’une pièce de 18 montée sur pivot : son équipage était de cent trois hommes ; il eut trois tués et seize blessés. La Dominique avait douze caronnades de 12, deux coulevrines de 6, un canon de 4 en bronze et une grosse caronnade de 24 montée sur pivot son équipage était de quatre-vingt-trois hommes ; elle eut treize tués et quarante-sept blessés. Ceux de ses officiers qui survécurent attribuèrent leur malheur à ce que la mousqueterie à bord du Decatur était plus vive et mieux dirigée que la leur, et à ce que le corsaire, par ses habiles manœuvres, parvint à ne jamais s’exposer au feu de leurs longues pièces qui étaient sur coulisses. Le capitaine de la Dominique, jeune homme de vingt-trois ans, blessé dès le commencement de l’action, resta sur le pont jusqu’à sa mort, déclarant que tant qu’il aurait un souffle de vie jamais son pavillon ne serait amené.

Le Decatur entra heureusement avec sa prise à Charlestown le 20 août. Après avoir retracé les exploits des intrépides marins qui montaient ce corsaire, il nous est doux de pouvoir dire que les officiers de la Dominique rendirent le témoignage le plus flatteur des soins que leurs vainqueurs avaient pris d’eux. Ainsi dans cette occasion, comme dans toutes les autres, la générosité américaine se déploya envers ce même ennemi qui agissait à notre égard d’une manière si odieuse.



FIN DU PREMIER VOLUME.
  1. Don’t give up the ship.