Histoire de la littérature dramatique (Janin)/1/4/Camille Desmoulins. — Le marquis de Favras.

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Histoire de la littérature dramatique
(p. 239-242).

CAMILLE DESMOULINS. — LE MARQUIS DE FAVRAS.

Parmi les pièces nouvelles et les pièces du bon temps que le théâtre aux abois avait la faiblesse, en ce temps-là, de remettre en honneur, j’en retrouve plusieurs qui seraient retombées dans l’oubli définitif avec tant d’autres de la même famille des pièces tombées, s’il n’était pas nécessaire de les laisser ici comme un exemple. Hélas ! l’exemple, à quoi bon, à quoi bon surtout l’exemple au Théâtre-Français, et ferez-vous qu’il devienne, une fois pour toutes, le modèle et l’exemple de la constance politique ? Il dit volontiers, selon le temps : Vive le roi ! et Vive la Ligue ! Théâtre royal aujourd’hui, il sera le lendemain Théâtre de la République, et si le mot république vient à mal sonner, aussitôt voilà mon théâtre déconfit qui se retranche dans un moyen terme, et il s’appelle Comédie-Française. De république, pas un mot, et si on lui disait qu’il a chanté naguère la Marseillaise par la voix stridente de sa comédienne, il vous répondrait qu’il exècre la politique, et qu’il n’en fait pas. Pourtant, cette même Comédie-Française avait payé, elle aussi, son tribut aux gens de la Terreur ; elle avait vu ses meilleurs comédiens remplir les prisons de la Convention nationale, elle s’honorait, entre autres souvenirs, de l’aumône d’un casaquin blanc que sa plus illustre comédienne avait faite à Sa Majesté la reine de France, lorsque Sa Majesté, les mains liées par une corde, montait sur le tombereau fatal qui la traînait à l’échafaud !

De ce Camille Desmoulins, au Théâtre-Français, je n’ai rien à dire, sinon qu’il fit sur moi une profonde impression de terreur. C’était si nouveau, en effet, pour un jeune homme de mon âge, cet appareil de tribunal révolutionnaire, et si nouvelle était cette ardeur de sang humain sur cette scène vaillante et rieuse, où Corneille et Molière avaient semé, celui-ci ses grands diseurs, celui-là ses grands hâbleurs. Même en relisant ce feuilleton inachevé, je ne retrouve pas, tant s’en faut, l’effroi et le malaise que me firent éprouver ces sans-culottes, ces bonnets rouges, ces clefs, ces geôliers en costumes mortuaires, ces coquins s’appelant tout haut : Voleurs, gredins, brigands, assassins, bourreaux ! et sur le théâtre des Femmes savantes et sur le théâtre de Britannicus venant s’ébattre à loisir Saint-Just et Danton et leurs dignes complices les pourvoyeurs de guillotine ! J’aime assez cependant tout ce passage où je semblais répondre à l’avance aux tentatives que plusieurs ont faites, de nos jours, pour nous montrer, semblables à des philosophes du Lycée ou du Portique, ces malheureux égorgeurs dont le nom seul restera comme une tache éternelle au front de notre nation :

« Figurez-vous, disais-je à mon lecteur, que tous ces hommes de dommages et de meurtres sont devenus dans ce drame autant de philosophes et de héros. Danton surtout, le républicain, le vertueux Danton, saluez, c’est le Socrate matérialiste qui renie l’âme humaine avec les arguments d’un méchant rhéteur. Voulez-vous tenter un essai sur l’injustice de certaines apothéoses, oubliez un instant ces noms atroces, ces noms d’assassinat et de sang, et tout d’un coup introduisez, au milieu de ce drame burlesque qui se joue en ce moment, un honnête homme de province, un bourgeois élevé dans les habitudes et dans les respects de la tragédie des grandes époques ; ne dites pas à votre homme de quoi il s’agit dans ce drame qui va passer sous ses yeux, placez-le quelque part où on ne le voie pas rougir ; à peine au fond de cette loge obscure, notre homme est attentif, et voulant se mettre au courant de l’action qui se passe sur le théâtre : — Quel est, dit-il, ce pauvre diable qui s’empoisonne et qui meurt bourrelé de remords ? — On lui répond : C’est le capucin Chabot ! — Quel est ce jeune homme si intéressant qui parle avec tant de feu de la liberté et de la vertu ? — C’est Camille Desmoulins ! — Et celui-là, orateur inspiré, inflexible républicain, plus beau que Brutus, qui est-il ? — À quoi on serait forcé de répondre : C’est Danton ! Oui, Monsieur ; oui, pauvre étranger, c’est Chabot que vous plaignez, c’est Camille Desmoulins qui vous fait répandre tant de larmes, lui-même, ce forcené qui s’intitulait avec fierté le procureur général de la lanterne ! Enfin, ô misère ! ô crime ! ceci nous représente Danton, le farouche et ivre Danton, l’auteur des massacres de septembre, avec Fabre d’Églantine, ce comédien manqué ; oui, monsieur, vous avez sous les yeux ces hommes qui ont voté tant de lois atroces, qui ont lancé les égorgeurs sur les prisons, qui ont tenté de massacrer et de déporter toute la France, et dont la rage fut vaincue par une rage supérieure à leur rage ! » À ces mots, notre provincial indigné se demande de quel droit on joue en ce lieu, un drame chargé de ces impitoyables démentis donnés aux enseignements de l’histoire, à l’exécration de nos pères, aux premières leçons de notre enfance, à la haine et au mépris indestructibles de la postérité ?

« Oui, c’est un épouvantable spectacle, le Panthéon tout grand ouvert à ces noms horribles dont l’écho seul est encore une épouvante ; c’est la plus malheureuse de toutes les tentatives, la réhabilitation de ces hommes affreux que la France adorait, il n’y a pas si longtemps, sur les autels de la peur ; c’est un vrai malheur pour un homme ami de son pays et de sa gloire d’assister à cette réaction perfide du drame contre les faits de l’histoire, contre les attestations les plus sincères et les souvenirs les plus cruels des contemporains. »

Dans tout ce passage, il y avait un accent qui était vrai, une parole digne d’être écoutée ! Bientôt Camille Desmoulins disparut de l’affiche du Théâtre-Français, on le croyait à tout jamais parmi les drames morts, lorsque, dix-huit ans après, il reparut sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin, enfant mal né d’une révolution, exhumé par une révolution ! En littérature révolutionnaire, il est rare que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets : les révolutions elles-mêmes sont-elles autre chose qu’un immense plagiat ?

Le mélodrame consacré au Marquis de Fauras, reposait sur les mêmes cris, les mêmes peurs, les mêmes meurtres ! Tous ces drames révolutionnaires portent la même livrée et procèdent par les mêmes moyens. Au premier tableau, la populace crie : À la lanterne ! Au second tableau, la populace porte des têtes coupées au bout des piques. Le quatrième tableau représente une visite domiciliaire, et ainsi de suite le tribunal, le cachot, la toilette, l’échafaud. Dans ce mélodrame, on voyait Théroigne Méricourt, cette goule du 10 août, qui s’en allait les seins nus, les cheveux épars, à cheval sur les canons. Qui raconte un de ces drames, raconte tous les autres ; cependant je ne veux pas passer sous silence un très-curieux incident du Marquis de Favras :

« Je disais donc qu’à la dernière scène on voit la potence, une échelle est appuyée à cette potence, et l’illusion est au dernier complet. Chose étrange ! cette échelle et cette potence ont compromis le succès de la pièce ! L’administration de la Gaîté est d’autant plus coupable en ceci, que les bûchers et les hideuses chemises soufrées des Dragonnades lui avaient déjà valu une sévère leçon. La leçon continuait hier. La pièce finie, Adrien est venu pour nommer les auteurs. Alors, du milieu du parterre, mille voix se sont élevées, criant : Ôtez l’échafaud ! ôtez l’échafaud ! Et, par ses trépignements, ses sifflets et ses cris, toute la salle a protesté contre l’échafaud. L’opposition a duré plus de dix minutes. L’administration, qui tenait à sa potence, ne comprenait pas ce qu’on lui demandait. Alors, on a crié de nouveau : Ôtez l’échafaud ! ôtez l’échafaud ! et force a bien été de venir enlever cette échelle et ce poteau final.

« Vous voilà donc dûment avertis, vous tous qui écrivez, qui jouez ou qui montez des drames,… avant tout, obéissez à la voix du peuple, ôtez l’échafaud. C’est le seul mot consolant que nous ayons entendu au théâtre depuis six mois. »