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Histoire de la littérature dramatique (Janin)/1/4/Le Collier de la Reine.

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Histoire de la littérature dramatique
(p. 242-246).

LE COLLIER DE LA REINE.

Quand la queue abominable de ces histoires en pleines ténèbres eut été épuisée à force de sévices et d’injures graves, comme il est dit dans les séparations de corps, messieurs les auteurs montèrent volontiers de la cause au principe, et l’on nous donna, pour commencer, cette histoire infernale avec laquelle on a fait tant de grosses histoires et tant de mauvais romans : le Collier de la Reine.

La maladresse, et la mauvaise foi en tout ceci, étaient d’autant plus dignes de blâme et de colère que racontée avec le zèle et le soin d’un honnête homme qui évite avant tout, dans une pareille histoire, ce qui peut ressembler au roman, cette histoire fameuse ne perdrait rien de cette curiosité mêlée de pitié et de respect qui entoure la reine de France à l’épogée de ses malheurs.

« Vers la fin du règne de Louis XV, un bijoutier, nommé Boëhmer, avait réuni à grands frais, un assortiment des plus beaux diamants en circulation dans le commerce, pour en composer un collier à plusieurs rangs qu’il se proposait de faire acheter au roi pour madame Dubarry. Cette parure s’élevait au prix de seize cent mille livres. Louis XV mort, Boëhmer proposa sa parure à Louis XVI ; le roi la vit, et désira en faire présent à la reine : il fit porter l’écrin chez elle ; mais la reine assura son époux qu’elle serait très-fâchée d’une semblable dépense, disant, ce sont ses propres paroles, que la France avait plus besoin d’un vaisseau qu’elle d’un bijou. À cette réponse Boëhmer fut désolé. Pendant un an entier il offrit son collier à toutes les cours de l’Europe, vainement, soit que le temps des diamants fut passé, soit que les rois de l’Europe comprissent confusément, comme la reine de France, qu’ils auraient bientôt besoin de vaisseaux et de soldats. Au retour de son voyage, Boëhmer obtint encore une audience de la reine ; il menaça de se noyer si la reine n’achetait pas son collier ; Sa Majesté fut même obligée de chasser le bijoutier de chez elle : de ce jour on n’entendit plus parler de lui.

Certes, il est difficile à une jeune femme, belle et reine, d’avoir autant de retenue en présence d’une des plus riches parures du monde, que lui offre son époux. Ce collier, que la comtesse Dubarry eût porté sans remords, Marie-Antoinette n’ose pas y songer ! En ceci les auteurs du drame de l’Ambigu ont fait un cruel mensonge : au premier acte, dans la galerie de Versailles, la reine regarde ce collier avec envie ; cela n’est pas ; la reine, à cette époque, était déjà moins dans le monde, elle était peu jalouse de riches parures ; elle préférait à tous les diamants de la couronne, les jardins de Saint-Cloud ou de Trianon.

Je poursuis mon histoire. Quelque temps se passe ; la reine n’entend plus parler de Boëhmer, lorsqu’un jour Boëhmer, tout troublé, se présente au palais, réclamant quinze cent mille francs pour un collier que la reine lui a fait acheter par le cardinal de Rohan. — « Vous vous êtes trompé, s’écrie Mme Campan ; la reine n’a pas adressé la parole une seule fois au cardinal depuis son retour de Vienne ; il n’y a pas d’homme plus en défaveur à la cour. » Boëhmer, confondu, soutient cependant que le cardinal a vu la reine prendre elle-même trente mille francs dans le secrétaire de porcelaine de Sèvres qui est auprès de la cheminée de son boudoir.

Tels sont les faits. La reine n’a pas paru une seule fois dans cette infernale histoire ; il était donc inutile de la compromettre dans ce drame, de la faire agir et parler au milieu de tous ces escrocs des deux sexes : le drame, ainsi débarrassé de cet auguste personnage, aurait été ainsi plus vrai, plus juste, et surtout plus à l’aise dans ses invraisemblables développements.

J’ai déjà dit qu’au premier acte, la reine, à l’aspect du collier, exprimait le plus vif désir de l’avoir, c’est une erreur. Il se trouve aussi que madame de Lamotte est très-connue de Sa Majesté. Dans ce drame, madame de Lamotte est à-la cour sur un très-bon pied ; elle parle très-hardiment au ministre M. le baron de Breteuil, la reine la prend par la main, et la recommande vivement ; autre erreur. Marie-Antoinette n’avait jamais parlé à cette intrigante et odieuse femme qui l’a chargée de tant d’outrages ; madame de Lamotte, quoi qu’elle eût dit, n’a jamais approché de la reine. Il est vrai que cette femme descendait de Henri II par un Valois, bâtard des princes de ce nom. C’était une famille que des vices héréditaires avaient perdue. L’un d’eux, à qui Louis XIII demandait ce qu’il faisait à sa campagne, répondit au roi : Je n’y fais que ce que je dois, Sire ; en effet, on découvrit qu’il était un faux monnayeur.

Voici donc, au premier acte de ce drame, madame de Lamotte à la cour, parlant à la reine, et ne pensant d’abord qu’à gagner un pot de vin de 50 000 fr. Au second acte, madame de Lamotte pense à voler le collier. Elle a pour aide de ses projets deux escrocs, monsieur son mari d’abord, et surtout son amant nommé Villette, faussaire expert, qui contrefait l’écriture de la reine à tromper le cardinal et Boëhmer ; sur l’entrefaite, arrive le cardinal qui, non content des lettres de la reine, demande absolument un entretien avec elle. Grand désespoir des co-associés ! Cependant le hasard, qui les sert, vient encore à leur secours.

Dans l’histoire, ce hasard c’est tout simplement une fille du Palais-Royal qui, par sa prodigieuse ressemblance avec madame de Lamotte, trompe le cardinal dans une nuit d’été. Le mélodrame est plus difficile que l’histoire, la fille du Palais-Royal lui a fait peur, il en a fait noblement une jeune personne dont le père est condamné à mort, qui vient implorer sa grâce, et qui s’imagine l’obtenir en se faisant passer pour la reine, dans les jardins même de la reine, dans la galerie même de Versailles ! On reconnaît bien là des dramaturges vieillis dans le métier. Il faut bien être dramaturgiste dans l’âme pour mêler un amour à cette escroquerie, pour ajouter une dupe vulgaire à ces dupes royales ! Mais ceci est un innocent stratagème littéraire, nous aurions tort de nous en inquiéter ! Vous ne sauriez croire ce que sont devenues dans cette pièce les délicieuses scènes d’intérieur que raconte madame Campan, lorsque la reine Marie-Antoinette, reine en robe blanche et en simple chapeau de paille, apparaissait dans les campagnes éblouies de sa beauté et répandant mille bienfaits sur son passage. Ce sont là pourtant des souvenirs qui doivent être chers à tous ceux qu’intéressent encore tant de majesté et tant de malheur ! Qui de nous, dans ces moments indicibles de tristesse où nous jette l’histoire, se refuserait à déplorer ces royales infortunes, par l’admiration, par l’amour, par les larmes, par la poésie, par l’histoire, en attendant qu’un autre Schiller s’empare de cette autre Marie Stuart et l’entoure, comme c’est le devoir d’un poète dramatique, de toute l’histoire de son temps, des passions, des vices et des vertus de cette époque, mettant à côté d’elle lord Cécil et Mortimer, le bourreau et le défenseur. Que voulez-vous donc, vous qui me présentez Marie-Antoinette isolée de tout ce qui fut sa vie, se livrant à des quolibets dignes de mademoiselle Arnould, se déguisant en rosière, et quittant son théâtre pour voir danser des sarabandes ? De grâce, respectons cette élégie et ne nous livrons pas à raconter ces misères royales, sans avoir interrogé nos forces et notre conscience ! C’est ce qu’on n’a pas fait pour la reine aussi n’avons-nous retrouvé ni la reine, ni la femme, ni l’époque.

Heureusement, car c’est un éloge à rendre aux deux auteurs, leur fable une fois acceptée, ils ont été pleins de respect et de réserve ; leur drame est un drame d’honnêtes gens. Hors quelques propos un peu lestes que la reine ne pouvait pas tenir, ils l’ont montrée aussi noble, aussi belle qu’ils ont pu la faire. Si tout cela a manqué, c’est la faute d’un sujet impossible à qui n’aura pas le génie du drame. De Louis XVI lui-même, les auteurs ont fait un grand roi ; ils ont fait plus, ils l’ont rendu, ce roi si timide, éloquent et même bavard. Ce n’est plus le roi Louis XVI, timide, méfiant de lui-même, caché ; dans ce drame, au contraire, le roi est plein d’intelligence et de sagacité ; c’est le roi qui découvre l’infernale machination de madame Lamotte-Valois ; c’est le roi qui dispose toutes choses pour la punition des coupables ; à la dernière scène, grâce à Louis, le collier est remis aux mains de la reine elle-même, tout est sauvé : la réputation de la reine, les diamants de Boëhmer et le père de la fausse Marie-Antoinette, et son mariage avec celui qu’elle aime : heureux et languissant dénouement que l’histoire ne ratifie pas.

Car dans cette malheureuse affaire, le cardinal de Rohan fut acquitté par le parlement, qui croyait faire acte de liberté ; madame de Valois fut fouettée par la main du bourreau, nouvelle et gratuite insulte faite au sang royal de France ; et la reine, livrée désormais aux plus lâches calomnies, aux vils pamphlets de madame Lamotte, venus de Londres, perdit de ce jour le bonheur et le repos. »

Vous verrez plus tard, quelques jours après la révolution de 1848 (les mêmes effets produisent les mêmes causes) un drame entier complet, sous ce titre : Louis XVI, mais le drame, en 1830, n’osa pas aller si loin, il s’arrêta sous les murailles du Temple, cette caverne où le tigre de 1792 emporta sa proie innocente… En revanche, le drame de 1830 s’empara triomphalement de la première aurore des libertés de 1789, ou pour parler d’une façon moins fleurie et plus vraie, on vit soudain sur tous les théâtres de Paris, après Juillet, Mirabeau lui-même qui disputait l’attention publique à Napoléon Bonaparte ; il y avait autant de Mirabeau sur nos théâtres que de Bonaparte, de Catherine ou de Potemkin :