Histoire de la littérature grecque/Chapitre XIV

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Librairie Hachette et Cie (p. 218-227).


CHAPITRE XIV.

THÉOLOGIENS ET PHILOSOPHES POËTES.


École orphique. — Poëtes orphiques. — Philosophes poëtes. — Xénophane. — Parménide. — Empédocle. — Pythagore.

École orphique.


Les aèdes religieux de l’époque antéhomérique avaient eu des héritiers ; mais la poésie sacerdotale, dénuée de qualités éclatantes et presque de tout intérêt populaire, tomba, durant des siècles, dans une obscurité profonde, éclipsée par les splendeurs de l’épopée et de l’élégie. Il n’est pas douteux que la plupart des sanctuaires n’aient conservé leurs chantres particuliers, distincts du vulgaire des poëtes, et dépositaires des traditions antiques. Ces aèdes chantaient pour les initiés, partout où, à côté du culte public et officiel, il y avait un autre culte, secret et mystique. Mais la foule ou ignorait leurs œuvres, ou ne les comprenait pas, ou n’en faisait nulle estime au prix des poëmes d’Homère, d’Hésiode, de Callinus, de Tyrtée : elles restèrent à l’état latent, pour ainsi dire, et furent aux yeux des Grecs comme si elles n’étaient pas. Cependant, à l’époque où la philosophie naquit en Grèce, il existait des poëmes, plus ou moins importants, où étaient exposées, sous forme mythique, certaines conceptions cosmogoniques, théologiques et morales, différentes des idées qui avaient cours parmi le peuple, de celles dont Homère et après lui Hésiode avaient été jadis les harmonieux interprètes. Il y avait aussi, à la même époque, une école de poëtes mystiques, qui prenaient eux-mêmes le nom d’orphiques ou sectateurs d’Orphée, et qui prétendaient, à tort ou à raison, se rattacher par une chaîne non interrompue à l’aède de Piérie, et posséder le dépôt authentique des doctrines du maître. Les orphiques étaient répandus en divers lieux, et ils exerçaient, ce semble, une assez grande influence, non pas peut-être par leur génie ou par la supériorité de leur talent, mais parce qu’ils enseignaient aux hommes de hautes et consolantes doctrines.

C’est surtout de la nature de l’âme et de sa destinée après la mort que s’inquiétaient les poëtes théologiens réunis sous l’invocation d’Orphée, et c’est d’ordinaire au culte de Bacchus qu’ils se consacraient. Mais leur Bacchus n’était point le Dionysus populaire, le dieu du comos et du dithyrambe. C’était une divinité d’un ordre plus sévère, et en qui se personnifiaient à la fois les joies et les chagrins de la vie. Dionysus Zagreus, comme ils le nommaient, le chasseur des âmes, suivant le sens de son surnom, participait, selon eux, de la puissance de Hadès ou du roi des enfers. C’était lui qui présidait à la purification de notre âme dans cette vie, et qui assurait à nos mérites l’immortalité avec ses châtiments ou ses récompensés. Le culte particulier qu’ils rendaient à ce dieu n’avait rien du caractère enthousiaste et désordonné qui signalait les fêtes lénéennes et dionysiaques. Les orphiques mettaient la décence extérieure au nombre des devoirs ; ils visaient à une sorte d’ascétisme, et leurs habits de lin blanc étaient des symboles de cette pureté morale où aspirait leur âme.


Poëtes orphiques.


Ce n’est guère qu’au temps de Pisistrate et des Pisistratides que la secte orphique compta des adhérents dont les ouvrages obtinrent une véritable notoriété, et dont le nom est resté dans la littérature. Bien avant eux néanmoins, Phérécyde de Scyros, qui vivait dans la première moitié du sixième siècle, avait publié une Théogonie, écrite en prose ionienne et dans un style tout poétique, où se trouvaient la plupart des idées que l’on rencontre chez les poëtes orphiques, telles que l’identité de Jupiter et de l’Amour, et l’existence du dieu Ophionée. L’influence des doctrines orphiques sur un philosophe comme Phérécyde prouve que, dès le commencement du sixième siècle, la secte était parvenue déjà à trouver de savants et estimés auxiliaires. Quant aux orphiques proprement dits, il y en a plusieurs que l’école pythagoricienne revendique pour siens, et qui paraissent avoir été tout à la fois et des philosophes pythagoriciens et des mystiques de la secte d’Orphée. Tel est, par exemple, un certain Brontinus, auteur d’un poëme intitulé le Manteau et le Filet, expressions symboliques qui désignaient, dit-on, la création ou la cosmogonie. Mais il y a deux autres poëtes, Cercops et Onomacritus, qui ne sont jamais appelés que du nom d’orphiques. Cercops avait composé un grand poëme en vingt-quatre chants, les Légendes sacrées, où il développait le système entier de la théologie dont on attribuait les principes à Orphée. Onomacritus, le plus célèbre des orphiques, avait vécu dans l’intimité de Pisistrate et de ses fils. Il avait fait, à la prière des Pisistratides, une collection des oracles de Musée, et on l’accuse de l’avoir remplie de ses propres interpolations. Il avait écrit des chants pour les initiations au culte mystique de Bacchus : il rattachait, dans ces poëmes, la légende des Titans à celle de Dionysus, et il représentait le jeune dieu en butte à la haine et aux embûches des fils de la Terre.

Les débris des œuvres de l’école orphique gisent çà et là, dispersés au travers du recueil qui porte le nom d’Orphée. La plupart des pièces qui forment ce recueil appartiennent incontestablement à une époque beaucoup plus récente ; mais un certain nombre de passages cités, sous le nom d’Orphée, par les Pères de l’Église et par d’autres auteurs anciens, sont marqués d’un tel caractère d’antiquité, qu’il n’est guère permis d’en faire honneur aux faussaires religieux de la décadence païenne. Ainsi les deux hymnes à Musée sur Jupiter, dont l’un est le développement de l’autre, et qui ne sont tous les deux que la reprise, sous une forme moins hiératique et plus littéraire, du thème posé plutôt qu’expliqué dans le fragment que j’ai transcrit d’après Aristote, quand je parlais d’Orphée. Voici le plus court des deux hymnes, qui a été conservé par saint Justin le martyr :

« Je parlerai pour qui doit m’entendre. Fermez les portes à tous les profanes sans exception ; mais toi écoute-moi, fils de la Lune à la lumière brillante, Musée ; car je te dirai la vérité. Et ne laisse jamais, durant ta vie, s’échapper de ta mémoire les leçons qui ont auparavant éclairé ton âme. Tourne tes yeux vers la raison divine ; applique-toi à elle ; dirige vers elle le vase intelligent de ton cœur ; marche droit dans le sentier, et n’aie de regards que pour le maître du monde. Il est unique, né de lui-même ; de lui seul sont nées toutes choses ; lui seul a tout façonné. Il circule au milieu des êtres ; mais pas un des mortels ne le voit en face : lui, au contraire, il les voit tous. C’est lui qui dispense aux mortels les maux après les biens, et la guerre funeste, et les douleurs qui font verser des larmes. Il n’est pas d’autre roi que le grand roi. Je ne le vois pas, car une nuée le presse de toutes parts, et tous les mortels ont dans leurs yeux des pupilles mortelles, impuissantes pour apercevoir Jupiter, arbitre de l’univers. Car le dieu est établi sur le ciel d’airain, dans un trône d’or, les pieds posés sur la terre, la main droite étendue au loin vers les limites de l’océan. Devant lui tremblent les vastes montagnes, et les fleuves, et l’abîme de la mer azurée. »


Philosophes poëtes.


Les premiers philosophes durent profiter, et profitèrent en effet, des travaux de ces théologiens poëtes, qui avaient découvert d’importantes vérités morales, et dont ils ne différaient eux-mêmes que par leur mépris pour les formes mythiques et pour les obscurités calculées du style des hiérophantes. Les Xénophane, les Parménide, qui aspiraient à montrer la vérité sans voiles, sont tombés eux-mêmes dans quelques-uns des abus qu’ils reprochaient durement aux poëtes. Ils ont été, dans leurs vers, plus poëtes qu’ils ne voulaient ; et leurs allégories, pour être mieux raisonnées peut-être que les mythes vulgaires, ou même que ceux des orphiques, appartiennent à la poésie par autre chose encore que par la versification. Tant il était difficile de parler, à des hommes nourris d’Homère et d’Hésiode, autrement que dans le style d’Hésiode et d’Homère, même pour injurier les héros de l’antique littérature!


Xénophane.


Xénophane était né à Colophon en Ionie, et il fut un de ceux qui allèrent fonder, dans la Grande-Grèce, la ville d’Élée ou de Vélia, en l’an 536 avant notre ère. Il était dans la fleur de l’âge quand il quitta l’Ionie ; il vécut de longues années dans sa patrie nouvelle, et il y laissa à. sa mort une école florissante.

Ce n’est pas ici le lieu d’exposer ce qu’on sait des doctrines particulières à Xénophane, et d’en apprécier la valeur. Le philosophe ne nous appartient que par son habileté à manier les rythmes de la poésie, surtout par ses vives et ingénieuses satires contre ceux qui ravalaient par d’indignes images la majesté de l’être divin. Peu nous importe qu’il se soit gravement trompé lui-même, après avoir si bien montré les erreurs des autres. Ses élégies, dont il reste un fragment considérable, et qui étaient l’ouvrage de sa jeunesse, avaient déjà une tendance philosophique, quoiqu’il ne s’y agît que de choses joyeuses. Ainsi il dissuade les convives de chanter dans le banquet ces fables de Titans, de Centaures, ou autres pareilles, inventées par les anciens poëtes ; il blâme le luxe tout oriental des Colophoniens ses compatriotes, et la folie des Grecs qui comptent pour rien le plus sage des hommes, au prix d’un athlète vainqueur aux jeux d’Olympie. On trouve, dans tout ce qui reste de lui, cette sorte de gaieté sérieuse qui ne messied pas aux hommes même occupés des pensées les plus profondes. Voyez avec quelle grâce, à quatre-vingt-douze ans, il confesse la décadence de son esprit et de sa mémoire : « Soixante-sept ans se sont écoulés depuis que ma pensée est ballottée sur la terre de Grèce. Lorsque j’y vins, j’en comptais vingt-cinq, si tant est que je puisse encore supputer mon âge avec certitude. » Ce que je regrette le plus dans la perte des ouvrages de Xénophane, ce ne sont pas ses poëmes sur la fondation de Colophon et sur la colonisation d’Élée ; ce n’est pas même son poëme sur la nature[1] ; ce sont ces élégies et ces ïambes où il épanchait, sur toute sorte de sujets, sa veine sarcastique et son bon sens impitoyable.


Parménide.


Parménide d’Élée, disciple et continuateur de Xénophane, donna au système panthéistique, ébauché par son maître, la rigueur logique et la précision, sinon la réalité et la vraisemblance, dont il se mettait médiocrement en souci. Il construisait le monde d’après sa pensée, et ne réglait pas sa pensée d’après le spectacle des choses. Cette disposition d’esprit, qui le préparait fort mal à la découverte de la vérité, n’était pas la pire pour le maintenir poëte, en dépit même des sujets souvent peu poétiques qu’il traitait dans ses vers. Son poëme intitulé περὶ φύσες, de la Nature, dont il reste de nombreux fragments, n’était pas seulement une sèche exposition de doctrines : le style en était vif et plein d’images ; les détails les plus techniques y avaient je ne sais quelle animation singulière ; et, comme Lucrèce, qui le traduit quelquefois, le philosophe d’Élée s’échappait fréquemment à travers les champs de la fantaisie. Cette épopée scientifique était digne, à certains égards, de figurer à côté des plus grandes œuvres de la muse antique. Homère lui-même n’eût guère désavoué, dans l’allégorie du début, que la concision un peu obscure de quelques phrases et la physionomie un peu sévère de l’ensemble :

« Les coursiers qui m’entraînent m’ont amené aussi loin que me portait mon ardeur ; car ils m’ont fait monter sur la route glorieuse de la divinité, sur cette route qui introduit le mortel savant au sein de tous les secrets. C’était là que j’allais, c’était là que mes habiles coursiers entraînaient mon char. Des jeunes filles dirigeaient notre course, les filles du soleil, qui avaient quitté les demeures de la nuit pour celles de la lumière, et qui de leurs mains avaient rejeté les voiles de dessus leurs tempes. L’essieu brûlant dans les moyeux faisait entendre un sifflement ; car il était pressé des deux côtés par le mouvement circulaire des roues, quand les coursiers redoublaient de vitesse. C’était au lieu où sont les portes des chemins de la nuit et du jour… ; c’est l’austère Justice qui en tient les clefs. Les vierges, s’adressant à elle avec des paroles douces, lui persuadèrent adroitement d’enlever pour elles à l’instant les verrous des portes ; et les battants s’ouvrirent au large, en faisant rouler dans leurs écrous les gonds d’airain fixés au bois de la porte par des barres et des chevilles. Soudain, par cette ouverture, les vierges lancèrent à l’aise le char et les coursiers.

« La déesse m’accueillit favorablement ; et, me prenant la main droite, elle me parla ainsi : « Jeune homme, toi que guident des conductrices immortelles,… réjouis-toi ; car ce n’est pas un destin funeste qui t’a poussé sur ce chemin, bien en dehors de la route battue : c’est la Loi suprême et la justice. Il faut que tu connaisses tout, et les entrailles incorruptibles de la vérité persuasive, et les opinions des mortels, qui ne renferment pas la vraie conviction mais l’erreur ; et tu apprendras comment, en pénétrant toutes choses, tu devras juger de tout d’une manière sensée. »

On voit que Parménide, quand il composa son poëme, n’était pas fort avancé en âge, puisqu’il se fait donner le titre de jeune homme. En tout cas, c’était longtemps avant ce voyage d’Athènes qui a fourni à Platon l’occasion du fameux dialogue. Parménide, à l’époque où il vint en Attique, c’est-à-dire en 460, avait déjà soixante-cinq ans.


Empédocle.


Empédocle d’Agrigente n’était pas ce fou dont parle Horace, qui se précipita dans le cratère de l’Etna afin de passer pour un dieu. Si Empédocle périt véritablement dans les fournaises de la montagne, ce n’est pas une vanité insensée, c’est le désir de connaître et de s’instruire qui l’avait conduit au bord du gouffre béant. Il essayait d’examiner de près l’ étrange et redoutable phénomène, qui ne datait en Sicile que de quelques années, comme Pline le naturaliste devait plus tard sacrifier sa vie quand le Vésuve, après des siècles de repos, redevint un volcan et détruisit d’un seul coup trois ou quatre villes.

Empédocle était, sans contredit, le premier savant de son siècle. Il l’emportait sur Parménide, dont il fut peut-être le disciple, par l’étendue de ses connaissances, surtout dans l’ordre des choses physiques. C’est lui qui avait trouvé les moyens d’assainir les marais de Sélinonte, comme l’attestent encore aujourd’hui de magnifiques médailles. D’autres services d’un genre analogue, rendus à d’autres villes, suffisent pour expliquer la haute estime où le tenaient ses concitoyens, et comment les Doriens de la Sicile voyaient en lui un personnage doué de facultés surhumaines et de dons prophétiques. Il a célébré lui-même, en vers pompeux, les triomphes de son génie : « Salut à vous, mes amis, qui habitez le haut de la ville immense, sur les rives dorées de l’Acragas, livrés aux nobles et utiles travaux. Je suis pour vous un dieu immortel, non je ne suis plus un mortel, lorsque je m’avance au milieu d’universelles acclamations, environné de bandelettes comme il convient, couvert de couronnes et de fleurs. Aussitôt que j’approche de vos cités florissantes, hommes et femmes viennent me saluer à l’envi. Ceux-ci me demandent la route qui conduit à la fortune, ceux-là la révélation de l’avenir ; les autres m’interrogent sur les maladies de tout genre. Tous viennent recueillir mes oracles infaillibles. »

La philosophie d’Empédocle était toute mystique et enthousiaste : il admettait la métempsycose ; il regardait l’homme comme une divinité déchue, et condamnée, pour quelque méfait commis durant sa vie antérieure, à demeurer loin du séjour des immortels jusqu’au moment où l’expiation serait accomplie. Il se rapproche, sur beaucoup de points importants, des doctrines de Parménide et de Xénophane. L’influence des deux philosophes ioniens est manifeste, non-seulement dans les idées du philosophe dorien, mais dans la forme sous laquelle il a présenté son système, dans l’emploi de la langue et du mètre épiques, et jusque dans le choix du titre de son grand ouvrage. Le poëme philosophique d’Empédocle était aussi un περὶ φύσεως, un traité de la Nature.

Il reste des vers assez nombreux cités par les anciens sous le nom d’Empédocle. Ceux que j’ai transcrits plus haut sont à peu près les seuls qui puissent conserver dans une traduction quelque chose de leur mérite. Les autres sont presque tous du genre didactique. Le style en est nerveux, animé, riche en métaphores ; mais des obscurités souvent impénétrables ôtent à ces précieux débris une grande part de leur intérêt littéraire, et rebutent à chaque pas le lecteur. Si nous étions moins ignorants, ou si nous possédions quelque long morceau du περὶ φύσεως, peut-être acquiescerions-nous au jugement de quelques anciens, qui comparaient Empédocle poëte à Homère ; peut-être proclamerions-nous, avec Lucrèce, que la Sicile n’a jamais rien produit d’égal au philosophe d’Agrigente.


Pythagore.


Une autre école de philosophes, fondée à Crotone quelque temps avant que Xénophane établit la sienne à Élée, l’école ou plutôt la secte pythagoricienne, ne méprisait pas non plus le culte des Muses. Il est douteux que Pythagore lui-même ait jamais rien écrit. Comme Thalès avant lui, comme après lui Socrate, il se contentait de communiquer aux autres, par un enseignement oral, les vérités auxquelles il avait foi. Mais ses disciples écrivirent pour lui ; quelques-uns même publièrent sous son nom leurs propres ouvrages. Rien ne se prêtait mieux à revêtir les couleurs de la poésie que les nobles doctrines morales prêchées dans la Grande-Grèce par le réformateur samien. Ses rêveries mêmes sur la nature de l’âme et sur ses destinées, et cette théorie des nombres qui faisait de l’univers une grande harmonie, étaient aussi de riche, matières sur quoi pouvait s’exercer le talent des poëtes.

Quand l’association pythagoricienne, qui s’était peu à peu étendue par toute l’Italie méridionale, eut encouru la haine des soupçonneux tyrans de la contrée, et qu’elle fut dissoute par la violence, ceux des adhérents qui avaient échappé à la mort portèrent dans la Grèce proprement dite les doctrines de leur maître. Une étroite affinité les unit bientôt aux théologiens orphiques, avec lesquels on les trouve confondus pendant tout le cinquième siècle, et avant que le système des nombres revécût chez les pythagoriciens spéculatifs de l’Académie.

Il est possible que le petit poëme intitulé Vers dorés, qui nous est parvenu sous le nom de Pythagore, ait été composé par quelqu’un des mêmes poëtes qui nous ont laissé les plus beaux hymnes orphiques. Cet abrégé de morale n’est pas moins excellent par le style que par les idées. Toutes les qualités que comporte ce genre sévère, et même une sorte de vivacité gracieuse, distinguent éminemment les Vers dorés entre toutes les compositions analogues. C’est un vrai poëte qui a fait ces vers ; c’est surtout un homme de bien, sentant ce qu’il dit, et dont les leçons ont un pénétrant parfum d’honnêteté naïve et sérieuse. Ce n’est pas un faussaire des bas siècles, qui eût écrit ce passage d’une simplicité et d’une beauté vraiment antiques : « N’accueille pas le sommeil sur tes yeux appesantis, avant d’avoir examiné par trois fois chacun des actes de ta journée. Par où ai-je péché ? qu’ai-je fait ? quel devoir ai-je négligé d’accomplir ? Reprends ainsi tous tes actes l’un après l’autre ; puis, si tu as fait quelque chose de honteux, gourmande-toi toi-même ; si quelque chose de bon ; réjouis-toi. Tels doivent être tes efforts, telle doit être ton étude. Voilà ce qu’il te faut aimer, voilà ce qui te mettra sur les traces de la vertu divine. Oui, j’en jure par celui qui a doué notre âme du principe de justice ; j’en jure par la source de l’éternelle nature ! »



  1. Περὶ φύσεως. C'est le titre commun de presque tous les grands traités des anciens philisophes.