Histoire de la littérature grecque/Chapitre XXIII

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Librairie Hachette et Cie (p. 338-341).


CHAPITRE XXIII.

AUTRES POËTES DU SIÈCLE DE PÉRICLÈS.


Panyiasis. — Chœrilus de Samos. — Antimachus. — Critias. — Les véritables élégiaques du cinquième siècle.

Panyasis.


L’éclat extraordinaire de la poésie dramatique, durant le grand siècle de Périclès, ne doit pas nous empêcher d’apercevoir çà et là, à travers cette époque, les figures de quelques hommes qui avaient continué de marcher dans les voies de l’antique poésie, et qui ne furent pas toujours indignes des vieux maîtres.

Panyasis, cet oncle d’Hérodote dont j’ai déjà cité le nom, était l’auteur d’une épopée sur Hercule. L’Héracléide de Panyasis l’emportait, au jugement des Grecs, sur tous les autres poëmes dont la vie et les travaux du héros thébain avaient fourni le sujet. Panyasis était compté parmi les classiques. On estimait, dans son œuvre, la sagesse de l’ordonnance et l’intérêt des narrations ; et le style, qui laissait à désirer pour l’élévation et la force, se recommandait par l’élégance et la grâce.


Chœrilius de Samos.


Chœrilus de Samos, différent du poëte tragique de ce nom, s’essaya dans l’épopée historique, mais avec un médiocre succès. Il avait pris pour sujet la seconde guerre Médique. Je doute que cet ouvrage, qui dut venir quelque temps après les Perses d’Eschyle, ait fait autre chose que d’augmenter l’admiration des Grecs pour l’épopée dramatique du soldat de Marathon et de Salamine. Horace dit que Chœrilus avait du bon, mais assez peu ; et rien ne prouve qu’Horace ait porté sur son poëme un jugement trop sévère.


Antimachus.


Antimachus, né à Claros en Ionie, mais qu’on nomme Antimachus de Colophon à cause de la ville où il faisait son séjour, était un autre homme que Chœrilus. On le mettait, parmi les poëtes épiques, au premier rang après Homère. Il était à peu près contemporain d’Hérodote. Son poëme était une Thébaïde. Quintilien, écho des critiques d’Alexandrie, caractérise comme il suit cet ouvrage : « Il faut louer, chez Antimachus, la force, la gravité, un style qui n’a jamais rien de vulgaire. Mais, quoique les grammairiens, d’un consentement presque unanime, lui décernent la seconde place dans l’épopée, je dois dire qu’il manque de pathétique, d’agrément, d’ordre, d’art enfin, et qu’il montre manifestement combien c’est chose différente d’être tout proche d’un autre ou d’être un degré au-dessous. » Antimachus avait aussi composé un poëme élégiaque intitulé Lydé, dont on ignore le sujet, et qui offrait probablement des qualités et des défauts analogues à ceux de son épopée. J’ajoute en passant qu’Antimachus avait travaillé à une nouvelle récension du texte d’Homère.


Critias.


Critias, qui fut un des trente tyrans d’Athènes, ne manquait pas d’un certain talent poétique. Les fragments qui restent de ses élégies, notamment celui où il fait l’éloge de la vertu des Spartiates, ne sont pas sans mérite ; mais c’est de la poésie un peu sèche, encore que les expressions soient quelquefois hardies et figurées. Les élégies de Critias semblent n’avoir été, pour la plupart, que des satires politiques. C’était du moins une satire, cette élégie où il disait à Alcibiade : « Le décret qui t’a ramené, c’est moi qui l’ai proposé dans l’assemblée ; c’est à moi que tu dois ton retour. Le sceau de ma langue est imprimé sur ces événements. »


Les véritables élégiaques du cinquième siècle.


Mais les véritables élégiaques du cinquième siècle, ce sont les trois grands poëtes tragiques. Nous ne savons pas jusqu’à quel point l’élégie d’Eschyle sur les morts de Marathon était au-dessous du génie de l’auteur des Perses. La victoire remportée par Simonide ne prouve pas que ce fût un chant sans valeur. Eschyle a excellé dans l’épigramme, qui n’était que l’élégie même, réduite à de plus étroites proportions. J’ai déjà cité son inscription funéraire ; en voici une autre, en l’honneur des Grecs morts aux Thermopyles, qui prouve qu’Eschyle pouvait rivaliser, dans le mètre de Tyrtée, avec les poëtes les mieux inspirés : « Eux aussi, ces valeureux guerriers, ils ont péri sous les coups de la sombre Parque, en combattant pour leur patrie aux riches troupeaux. Mais, tout morts qu’ils sont, elle est vivante la gloire de ceux dont jadis les robustes corps ont été ensevelis dans la terre de l’Ossa. »

Il n’est pas besoin, je crois, de démontrer que Sophocle n’avait qu’à vouloir, pour être le premier des élégiaques, et que les élégies qu’il avait composées devaient être des chefs-d’œuvre. Quant à Euripide, nous sommes à même de juger de ce qu’il savait faire en ce genre. Car c’est une élégie, je dis un chant en vers élégiaques, qu’il a mise dans la bouche de la veuve d’Hector, suppliante au pied des autels : « Ce n’était pas une épouse, mais une furie, que Pâris conduisit dans la haute Ilion, cette Hélène qui vint partager sa couche. A cause d’elle, ô Troie ! le rapide Mars de la Grèce, avec ses mille vaisseaux, t’a prise et t’a détruite par la lance et par le feu. A cause d’elle, infortunée j’ai perdu Hector mon époux, que le fils de Thétis, la déesse des mers, traîna autour des murailles, attaché à son char ! Et moi, de la couche nuptiale on m’a traînée au rivage de la mer, la tête chargée du joug de la servitude. Bien des larmes ont coulé le long de mes joues, quand j’ai laissé dans la poussière et ma ville, et ma couche nuptiale, et mon époux. Ah ! infortunée, fallait-il que je visse encore le jour, pour être l’esclave d’Hermione ? Victime de sa cruauté, j’entoure de mes mains suppliantes la statue de la déesse, et je me fonds de douleur, comme la source qui dégoutte du rocher[1]. » Nous voilà à pleines voiles dans le pathétique, dans la vraie poésie, et bien loin de Critias et de ses rancunes rétrospectives.

Il y eut aussi, depuis la mort de Simonide et de Pindare, des poëtes qui prenaient le nom de lyriques ; mais nul d’entre eux n’est arrivé même à la notoriété de Chœrilus ou de Critias. La poésie lyrique avait passé tout entière, avec armes et bagages, si je l’ose dire ainsi, dans le camp dramatique, dans la tragédie, dans le drame satyrique, dans la comédie même.



  1. Euripide, Andromaque, vers 103 et suivants.